Texte intégral
Q - S'il est vrai, comme on le répète ce matin, que les soldats français commencent à quitter le Mali dans un mois, cela veut dire que la guerre du Mali est finie au mois de mars ?
R - Non, ce n'est pas comme cela que se pose la question. Nous avons au Mali deux missions. La première : aider les Maliens et les Africains à permettre au Mali de retrouver son intégrité territoriale, c'est-à-dire y compris le nord. Nous avons une deuxième mission : c'est de faire en sorte que le Mali retrouve sa souveraineté, c'est-à-dire l'état de droit, c'est-à-dire un processus démocratique. Tout cela va ensemble.
Q - C'est-à-dire que cela peut durer plus longtemps que mars ?
R - Aujourd'hui, nous avons quatre mille militaires français au Mali.
Q - Combien d'Africains ?
R - Quatre mille Africains.
Q - C'est-à-dire quatre mille Français et quatre mille Africains.
R - Quatre mille Français, quatre mille Africains. Cela veut dire que le passage progressif de la présence française militaire à la présence militaire africaine pourra se faire relativement rapidement et, à partir de quelques semaines, on pourra commencer à diminuer notre format. Nous sommes aujourd'hui au format maximum ; nous sommes quatre mille, nous n'irons jamais au-delà. Mais on pourra à diminuer dès que le relais se fera et en maintenant les deux objectifs qui sont intégrité et souveraineté du Mali.
Q - Cela veut-il dire que tous partiront en avril-mai ou qu'il en restera ?
R - On n'a pas vocation à rester. On a vocation à progressivement transférer nos responsabilités militaires aux forces africaines et aux forces maliennes qui sont, en ce moment, en voie de reconstitution.
Q - Le président de la République avait dit : «Nous resterons le temps qu'il faudra».
R - Le temps qu'il faudra pour que le Mali retrouve son intégrité et sa souveraineté.
Q - C'est-à-dire jusqu'à l'installation des institutions démocratiques éventuelles du Mali.
R - C'est-à-dire jusqu'à ce que les institutions démocratiques puissent se mettre en place et jusqu'à ce que les forces maliennes et africaines soient en situation de relais. C'est donc une sortie en sifflet, si vous voulez, progressive.
Q - Jean-Yves Le Drian, je ne veux pas vous choquer mais la guerre du Mali, est-ce qu'on ne nous ment pas ? Est-ce qu'on ne nous cache pas la vérité ? C'est une fausse guerre, il n'y a pas de guerre puisqu'on ne cesse de répéter que les soldats français ont pénétré à Gao et Tombouctou sans combat, qu'il n'y a pas d'affrontements. Où sont les combattants ? Est-ce qu'il y a des batailles ? Est-ce qu'il y a des victimes ? Est-ce que c'est vrai ?
R - Il y a eu des accrochages hier à Gao, dans les environs de Gao. À partir du moment où nos forces, soutenues par les forces maliennes, ont commencé à faire des missions et des patrouilles autour des villes que nous avons prises, on rencontre des groupes djihadistes résiduels qui se battent.
Q - C'est-à-dire que l'armée française va les chercher. Ce n'est pas eux qui attaquent les Français.
R - On va les chercher. On va chercher, on sécurise avec les forces maliennes autour des villes que nous avons pu reprendre et que nous avons pu libérer. Hier, il y a eu des tirs de lance-roquettes de groupes djihadistes résiduels dans la région de Gao. Il y a une vraie guerre. Quand on a repris Gao, il y a eu des combats. Lorsque toutes les nuits en ce moment, y compris la nuit dernière, les forces aériennes françaises ciblent et frappent des lieux de centre d'entraînement, de regroupement de pick-up des groupes djihadistes, c'est la guerre, c'est du combat. Donc, c'est une vraie guerre contre les groupes terroristes, c'est une guerre qui aujourd'hui nous a permis de marquer des points contre ces groupes et nous allons poursuivre.
Q - Vous dites et vous avez révélé des pertes lourdes : plusieurs centaines de morts. C'est encore vague.
R - Il y a eu des pertes significatives du côté des troupes djihadistes.
Q - «Significatives», qu'est-ce que ça veut dire ?
R - Je ne vais pas faire une comptabilité nécrologique...
Q - Non, non ! Mais qu'on soit dans la réalité.
R - Il y a eu une vraie guerre avec des pertes significatives.
Q - C'est-à-dire de vrais morts.
R - Oui.
Q - Est-ce qu'il y a des soldats français qui ont été blessés ou qui ont été victimes ?
R - Il y a eu quelques blessés français mais des blessés relativement légers ; il y a eu malheureusement un mort, c'est donc une vraie guerre. Si nous n'avions pas mené cette opération, aujourd'hui depuis déjà plusieurs semaines, les groupes djihadistes seraient à Bamako et ce serait l'anarchie. II y aurait là un sanctuaire djihadiste à partir duquel se regrouperaient les djihadistes du monde entier pour taper en Europe et en France contre notre sécurité et nos intérêts.
Q - Donc il y a un lien, Jean-Yves Le Drian, avec ce qu'a annoncé et ce qu'a fait hier le ministre de l'intérieur et ses services, qui ont démantelé une filière de djihadistes français qui se préparaient à aller dans le Sahel.
R - Oui, parce qu'un certain nombre de jeunes à la recherche de je ne sais quel destin pouvaient être attirés par des sanctuaires terroristes djihadistes qui se mettaient en place. Cela a été le cas en Afghanistan et, si on avait laissé le déroulé se poursuivre, c'est ce qui se serait passé au Mali, proche de chez nous, avec des regroupements du monde entier de ces djihadistes qui, aujourd'hui, ont quitté l'Afghanistan et cherchent des itinéraires ailleurs. Il fallait empêcher cela parce que c'était notre sécurité qui était en jeu.
Q - Monsieur le Ministre de la défense, on ne nous dit jamais quand les avions ont fini de bombarder une région. Que découvrent les soldats français au sol ? Vraiment ?
R - Quand on a bombardé et qu'on a pris une ville, qu'est-ce qu'on découvre ? On découvre du matériel de guerre ; on découvre des manuels d'utilisation des armes ; on découvre des laboratoires un peu artisanaux destinés à fabriquer ce qu'on appelle des mines contre des véhicules ou contre des individus. On découvre vraiment la préparation d'un vrai sanctuaire terroriste.
Q - Il y avait un accord avec les Algériens et, depuis le voyage du président Hollande en Algérie, les Algériens endeuillés aussi par la prise d'otages. Est-ce que comme promis ils ferment et tiennent vraiment leurs frontières ?
R - Les Algériens ont été victimes, vous le rappelez, d'un attentat terroriste majeur. Nous sommes en bonne intelligence avec les autorités algériennes. Laurent Fabius a souvent en entretien téléphonique le Premier ministre d'Algérie.
Q - Mais est-ce qu'ils font ce qu'ils ont dit ?
R - L'Algérie a fermé ses frontières, en particulier pour éviter que les groupes djihadistes ne se ravitaillent en essence. C'est un handicap considérable pour eux désormais. Les frontières sont effectivement fermées.
Q - C'est-à-dire qu'aujourd'hui ils sont sans essence, sans ravitaillement, sans complices, sans munitions.
R - Donc, c'est une situation difficile pour eux. Nous sommes en train progressivement de gagner la partie.
Q - Qu'est-ce qui va leur arriver, jusqu'au dernier, si on les trouve ?
R - Il faut poursuivre pour que le territoire de ce qu'on appelle l'Adrar des Iforas, dans les montagnes au nord du Mali, à la frontière algérienne, où se regroupent manifestement les plus durs d'entre eux, puisse être un territoire malien comme les autres.
Q - On a entendu beaucoup de choses sur les otages. Je comprends qu'il y ait la volonté de secret en ce qui les concerne. Mais est-ce que vous confirmez que s'il y a une action, quelle que soit cette action, pour les libérer ; elle sera ou serait menée par les forces spéciales françaises, par les Français ?
R - Je ne vous dirai pas à la radio comment on va faire pour aider la libération des otages. Nous avons en permanence, le président de la République en particulier, à l'esprit leur situation, la souffrance de leur famille. Avant toute action que nous entreprenons aujourd'hui, on pense aux otages.
Q - Mais est-ce que cela veut dire que les otages français dépendent de la seule souveraineté des Français ?
R - Aujourd'hui ce sont les forces françaises qui contrôlent l'ensemble du territoire malien avec le soutien des forces maliennes, et nous assumons totalement cette responsabilité dans cette phase de transition vers le relais aux forces africaines.
Q - C'est-à-dire qu'aucune autre force africaine ne peut y aller.
R - C'est nous qui décidons de ce genre de choses.
Q - Voilà ce qu'on veut entendre. Vous avez entendu tout à l'heure Françoise Laribbe, dont le mari est un des otages. Elle était avec Bruce et elle s'est adressée à vous : «Saisissez toutes les pistes, toutes les opportunités, toutes les éventualités». Qu'est-ce que vous lui répondez ?
R - Je comprends à la fois qu'elle soit inquiète, qu'elle souffre et qu'en même temps il y ait une impatience en raison de l'évolution de la situation sur le territoire malien. Nous utilisons toutes les disponibilités que nous avons pour libérer les otages.
Q - Les Touaregs aident ?
R - Les Touaregs sont des populations du Nord-Mali. Ce n'est pas la même histoire que la population du sud.
Q - C'est-à-dire qu'ils connaissent très bien la région. Ce sont des indicateurs précieux.
R - Très connaisseurs de la région et depuis que nous sommes arrivés au nord, les populations touaregs se comportent de manière intelligente avec les forces françaises. Il faut poursuivre ce dialogue.
Q - Si Mme Merkel obtient l'accord du Bundestag, elle enverra quatre cents soldats secouristes au Mali en plus des quarante formateurs prévus ; cela fait quatre-vingts. Vous en aviez probablement besoin. Est-ce que la mission européenne dont tout le monde a parlé commence à fonctionner ?
R - La mission a été engagée hier. J'ai donné le départ des unités françaises qui vont la constituer à Bamako. Elle sera officiellement mise en place la semaine prochaine, mardi, le 12 février. Elle regroupe plusieurs pays de l'Union européenne. L'objectif est de donner au Mali une force armée équipée, responsable et capable aussi de participer au rétablissement de l'État de droit dans ce pays.
Q - Savez-vous où sont les otages, parce qu'on me le demande et on sent que les familles sont inquiètes ?
R - Je le comprends bien.
Q - Est-ce que vous savez ?
R - Tout le monde comprendra que je n'en dise pas plus.
Q - Mais ils sont dispersés ?
R - Je n'en dis pas plus.
Q - Il y a des contacts avec eux ? Avec eux ou indirectement ?
R - Je n'en dirai pas plus, Monsieur Elkabbach. Pour la sécurité des otages, je n'en dis pas plus.
Q - Donc c'est une préoccupation constante ?
R - Absolument.
Q - Vous avez accompagné le président à Tombouctou et Bamako. Vous en êtes revenu plutôt impressionné par l'accueil je suppose, la qualité de l'armée, et cætera. Mais est-ce que vous aussi, vous êtes tenté de reconnaître que cette mission est la plus importante de votre vie politique ?
R - C'était un grand moment d'émotion, de ferveur. C'est vrai que dans la vie d'un homme politique, cela marque sûrement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2013