Entretien de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, avec LCI le 7 février 2013, notamment sur le budget européen.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Vous étiez hier soir au Stade de France avec François Hollande et Angela Merkel pour le match amical France/Allemagne, un peu déçu du résultat ?
R - On est toujours déçu quand son équipe perd ! Mais, en même temps, nous recevions l'Allemagne, nous avions une obligation d'élégance... (sourires)
Q - Alors il y avait aussi une sorte de mini-sommet entre François Hollande et Angela Merkel, quarante cinq minutes pour préparer le grand conseil européen d'aujourd'hui, est-ce que la France et l'Allemagne ont trouvé un accord sur le budget européen ensemble ?
R - Non ! Il n'y a pas eu de réunion hier destinée à préparer le conseil européen. Nous nous parlons régulièrement, constamment, non seulement avec nos partenaires allemands mais avec l'ensemble des partenaires de l'Union européenne pour essayer de trouver un compromis et c'est aujourd'hui et demain que ce compromis doit se nouer.
Q - Est-ce que la France et l'Allemagne parleront d'une même voix aujourd'hui ?
R - Nous avons essayé bien entendu de converger ! Nous ne souhaitons pas que ce budget européen soit l'occasion de faire des coupes dans le budget de l'Union européenne pour, à la fin, payer des chèques pour un certain nombre de pays qui demandent des rabais pour eux-mêmes. Nous, nous voulons que le budget de l'Union européenne serve à alimenter une bonne politique de croissance pour l'Union européenne. Cela veut dire faire en sorte que le budget consacré au transfert de technologies, au soutien aux PME, à la transaction énergétique, à la Politique agricole commune et à la politique de cohésion soit correctement financé. Et, nous nous ne voulons pas que la négociation qui aura lieu aujourd'hui et demain soit l'occasion de procéder, encore une fois, à des coupes drastiques dans le budget de l'Union européenne pour payer des chèques pour quelques États, parce que l'Europe a besoin d'un budget de croissance.
Q - On va parler chiffres très précisément ! Le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, semble-t-il, va faire des propositions nouvelles cet après-midi dont 960 milliards de crédit d'engagement et 900 milliards de crédit de paiement, est-ce que ce sont les derniers chiffres sur la table ?
R - Il n'y a pas de chiffres sur la table pour l'instant ! Herman Van Rompuy a réuni les ministres des affaires européennes lundi dernier à Bruxelles pour dire qu'il n'y aurait pas de réunion bilatérale entre le président du Conseil, la Commission européenne et les différents pays. Et que les propositions seraient mises sur la table au dernier moment et que c'est autour de la table des 27 que la négociation se nouerait. Mais en tous les cas, je ne peux pas ne pas reconnaître aujourd'hui qu'il y a une tentation du président du Conseil européen de préserver des coupes significatives dans le budget.
Q - Donc 960 milliards ce serait acceptable pour la France ?
R - Nous, nous souhaitons, encore une fois, que les coupes soient limitées au strict minimum. Et d'ailleurs nous ne sommes pas demandeurs de coupes supplémentaires. Nous sommes mêmes demandeurs à ce que l'on revoie le dispositif de ressources propres, c'est-à-dire qu'on revoie les chèques payés à un certain nombre de pays - qui sont d'ailleurs les mêmes qui demandent des coupes...
Q - La Grande Bretagne bien sûr ?
R - Bien entendu. La Grande Bretagne demande 200 milliards de coupes sur le budget de l'Union européenne et des chèques pour elle-même, mais ces chèques représentent des volumes budgétaires considérables.
Q - Et, pour être très clair, est-ce que la France accepte malgré tout quelques coupes, des coupes supplémentaires par rapport à ce qui s'est fait au mois de novembre ?
R - La France ne demande pas de coupes supplémentaires. La France demande un bon budget pour l'Union européenne ; nous considérons que les dernières propositions qui ont été faites par Herman Van Rompuy doivent permettre d'accéder à un bon budget pour l'Union européenne. Nous n'entamons pas la négociation avec la volonté - comme d'autres pays - de faire en sorte qu'il y ait, encore une fois, des diminutions drastiques de budget et des rabais pour un certain nombre d'États. Pourquoi ? Parce que nous n'avons pas demandé au mois de juin dernier un plan de croissance de 120 milliards d'euros pour accepter des coupes de 200 milliards d'euros au mois de février. Le président de la République l'a dit au Parlement européen avant-hier : la politique française a une cohérence, nous considérons qu'il y a une récession en Europe, que l'Europe ne peut pas être simplement une maison de redressement avec des disciplines budgétaires partout. Nous avons souhaité le rééquilibrage de la politique de l'Union européenne vers la croissance...
Q - Oui ! Mais est-ce que...
R - Et cela doit se matérialiser...
Q - Est-ce qu'il faut à tout prix un compromis ?
R - Mais il faut bien entendu un compromis, l'Europe a besoin d'un compromis, nous n'allons pas ajouter des difficultés aux difficultés. Mais il faut que ce compromis...
Q - Mais est-ce que finalement cela arrangerait la France qu'il y ait un échec au sommet européen...
R- Il soit acceptable.
Q - Finalement, puisqu'on ne ferait que reconduire les budgets actuels ?
R - Vous ne pouvez pas dire cela ! Bien entendu si l'on raisonne de façon exclusivement comptable, on pourrait accéder éventuellement à ce que vous venez de dire. Mais la France n'est pas simplement comptable de son intérêt, elle cherche bien entendu comme les autres États à le défendre. Nous n'allons pas faire un compromis européen qui se ferait au détriment de la seule France. Mais nous sommes aussi soucieux de l'intérêt de l'Union européenne et il nous faut par conséquent articuler l'intérêt de la France avec l'intérêt de celle-ci. C'est la raison pour laquelle nous nous battons pour la croissance, pour la Politique agricole commune, pour le programme d'aide aux plus démunis dont on ne parle pas suffisamment et qui doit donner le signal de la capacité de l'Europe à tendre la main à ceux qui n'ont rien...
Q - Sur la PAC, François Hollande est malgré tout prêt à revoir un peu à la baisse le budget de la PAC ?
R - Mais pas du tout ! Nous avons demandé, à l'occasion du dernier Conseil européen, que ce budget soit réajusté et au mois de novembre nous avons obtenu 8 milliards de plus sur le budget de la Politique agricole commune. Nous considérons aujourd'hui que le compte n'y est pas, pourquoi ? Parce que, si on veut une bonne agriculture, notamment pour les petits exploitants qui souffrent de la crise, les exploitants laitiers et les éleveurs, c'est la raison pour laquelle d'ailleurs nous demandons que la prime soit donnée dès le premier hectare ; si nous voulons une industrie agroalimentaire dynamique, si nous voulons assurer le verdissement de la Politique agricole commune, la convergence des aides, le plafonnement des aides à un certain nombre d'exploitations, il faut qu'on ait une enveloppe suffisante pour que cette nouvelle politique n'aboutisse pas à un décrochage du revenu des agriculteurs.
Q - Alors il y a un sujet sur lequel François Hollande et Angela Merkel ne sont pas du tout d'accord, c'est l'Euro fort. Aujourd'hui on attend de la BCE a priori qu'elle ne modifie pas ses taux et l'Allemagne estime que cet Euro fort n'existe pas, que l'Euro n'est pas surévalué, que cela n'est pas défavorable à la croissance.
R - Mais le débat ne porte pas entre François Hollande et Angela Merkel sur ce sujet. D'ailleurs je ne suis pas sûr qu'il y ait un débat entre le président de la République et la chancelière allemande sur cette question. Qu'a dit François Hollande, à Strasbourg, avant-hier ? Il a dit qu'il fallait un Euro stable. Effectivement nous nous sommes toujours battus pour que l'Euro ne subisse pas des fluctuations, que l'Euro ne voie pas sa valeur augmenter en permanence. Parce que cela pénalise nos exportations et que tous les plans de compétitivité qu'on met en place voient leurs effets altérés par une monnaie trop forte. Nous ne souhaitons qu'une chose : c'est la stabilité de la monnaie. Ce qui permet à la compétitivité de progresser c'est la stabilité de la monnaie, et c'est cela notre demande.
Q - Est-ce que cela ne va pas être un prétexte pour le gouvernement a annoncé une révision de sa prévision de croissance ?
R - Mais pas du tout ! Le président de la République et le Premier ministre se sont exprimés à ce sujet à plusieurs reprises, le ministre de l'économie et des finances aussi, pour que nous tenions les engagements que nous avons pris. Les engagements budgétaires, tout d'abord, de réduction des déficits - et nous avons pris des mesures courageuses et difficiles pour cela - la restauration de notre compétitivité avec la mise en place du pacte de compétitivité et de croissance ; le compromis social qui doit permettre cela, c'est l'accord qui a été scellé au terme des négociations entre les partenaires sociaux sous l'égide du ministre du travail. Tout cela c'est la modernisation de notre économie, c'est la restauration de sa compétitivité, c'est le rétablissement de nos comptes, ces objectifs ne sont pas négociables et l'Europe sait que la France s'est engagée dans cette stratégie non pas parce que l'Europe le lui demande mais parce que c'est la condition de son redressement.
Q - Un mot sur le Mali ! Selon des informations parues dans la presse aujourd'hui, la guerre aurait coûté jusqu'à présent 70 millions d'euros, est-ce que vous confirmez ce chiffre ?
R - Je ne peux pas confirmer ce chiffre n'étant pas ministre de la défense .Ces montants ne sont pas du ressort de mon budget, mais j'ai vu ce chiffre circuler et j'ai vu qu'il n'avait pas été démenti par le ministre de la défense.
Q - Alors, un dossier qui vous concerne bien évidemment : la présidence d'EADS, Anne Lauvergeon est toujours la bonne candidate pour la France ?
R - Écoutez ! Il y a eu des propositions de faites en ce sens, il y a une discussion qui s'est nouée avec les dirigeants d'EADS et elle doit se poursuivre.
Q - Juste un mot ! Oui ou non est-ce que vous êtes optimiste pour le sommet européen aujourd'hui ?
R - Mais on doit l'être ! On n'a pas de possibilité d'être pessimistes lorsqu'il s'agit de l'avenir de l'Europe, de construire de bons compromis pour son pays, pour la croissance, pour l'Europe.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 février 2013