Déclaration de M. Benoît Hamon, ministre de l'économie sociale et socildaire et de la consommation, sur les apports de l'économie sociale et solidaire en termes d'emploi notamment, sur le développement souhaité de ce secteur au niveau local, Paris le 22 janvier 2013.

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Circonstance : Déclaration à l'occasion de la remise d'un avis du Conseil économique, social et environnemental sur le projet de loi sur l'économie sociale et solidaire, à Paris le 22 janvier 2013

Texte intégral

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Président, Messieurs les conseillers, je voudrais d’abord commencer par des remerciements à vous, Monsieur le Président Delevoye pour la qualité des relations qui sont celles du CESE avec le gouvernement et, ce dans un travail partagé, qui concourt aujourd’hui à revitaliser la démocratie sociale et le dialogue social dans notre pays.
Je voudrais saluer votre implication personnelle dans cette tâche.
Je salue et remercie, Madame Christine Dupuis, la Présidente de cette commission temporaire sur l’économie sociale et solidaire même si je pense que cette commission laissera une trace pas temporaire du tout mais durable dans la façon dont nous nous inspirerons par la loi des travaux et du projet d’avis de votre conseil.
Je voudrais remercier les membres de cette commission qui se sont beaucoup impliqués dans ce travail, j’ai eu l’occasion de les rencontrer, lors d’une audition qui était extrêmement intéressante qui nous a permis de balayer des sujets bien au-delà des termes de la saisine comme d’ailleurs les rapporteurs s’en sont saisis eux-mêmes et ont relaté un certain nombre de réflexions et de préconisations qui sont celles du conseil.
C’est un grand honneur pour moi, au nom du gouvernement, non pas d’assister à la remise de votre premier avis puisque ce n’est pas le premier avis, mais à vos conclusions à partir de la première saisine du gouvernement à l’égard du conseil qui portait sur deux chapitres de la loi sur l’économie sociale et solidaire.
Je voudrais pour commencer saluer la façon dont les uns et les autres se sont engagés dans ce travail sans a priori idéologique, j’espère d’ailleurs que nous pourrons retrouver cette même unanimité derrière, mais sans a priori idéologique à l’égard du secteur de l’économie sociale et solidaire dont on véhicule aujourd’hui beaucoup de caricatures et qui méritent bien mieux que ces caricatures au regard du poids qui est le sien dans le produit intérieur brut, dans l’emploi en France, du poids qui est le sien dans les services d’intérêt général ou d’utilité sociale. Il mérite mieux que les caricatures ou les a priori que l’on a parfois pu entendre ou colporter sur elle.
Merci à vous de cette implication et de cette contribution qui pèsera de façon capitale dans la préparation du projet de loi que je soumettrai au conseil des ministres pour la fin du premier semestre 2013 ; l’engagement du gouvernement que ce texte soit déposé au premier semestre 2013 sera tenu.
Pourquoi avoir saisi le CESE ?
Pour deux raisons, à la fois parce que nous voulions donner une illustration de la volonté du gouvernement de revitaliser, de revigorer la démocratie sociale de tous les acteurs économiques, sociaux et environnementaux qui ont une contribution qui est utile au travail et à la réflexion du gouvernement sur sa stratégie de croissance en faveur de l’économie sociale et solidaire. Et parce que, deuxième raison, nous voulons mettre en oeuvre une politique publique, une stratégie de croissance en faveur de l’ESS ; stratégie de croissance qui se fixe cet objectif de faire de l’ESS à la fois un moyen de sortir de la crise mais aussi un objectif. Non pas pour opposer les économies dites classiques à l’économie sociale et solidaire, mais pour avoir une stratégie complète de croissance qui se préoccupe des capacités, des potentiels de croissance et de développement de tous les secteurs en particulier celui de l’économie sociale et solidaire.
Je voudrais rappeler le contexte de cette saisine. Il est incontestablement celui d’une économie en difficulté ou déprimée pour la zone euro et celle de l’Union européenne. Ce matin, je siégeais à l’Ecofin au nom de la France ; nous avons examiné les préconisations de la commission en matière de croissance et l’adoption d’une coopération renforcée en faveur de la taxe sur les transactions financières, mais ce qui est intéressant aujourd’hui et qui se passe dans l’Union européenne, c’est qu’à partir d’une situation particulièrement déprimée se posent les termes d’un débat nouveau notamment sur la nécessité de prendre en compte les déficits structurels, de regarder dans les dépenses publiques et dans la consolidation budgétaire ce qui relève d’une dépense qui stimule la croissance, d’une dépense qui est neutre pour la croissance, ce qui montre qu’à l’aulne d’un contexte récessif, tout le monde évolue, y compris la Commission européenne, y compris le FMI.
De ce point de vue, il est important de mettre en place des politiques publiques qui tiennent compte de ce contexte particulièrement difficile pour l’économie européenne et à l’intérieur de celle-ci l’économie française.
L’ESS crée de l’emploi et dans un pays qui a autant de chômeurs, nous avons la responsabilité de tout faire pour consolider et développer l’économie sociale et solidaire.
Dans les dix dernières années, ce secteur a créé 23 % des emplois supplémentaires quand l’économie classique n’en créait que 7 %. Cela justifie à nos yeux de mettre en place une véritable stratégie de croissance pour ce secteur de façon qu’un modèle qui s’est révélé robuste, tempérant et patient durant la crise puisse disposer demain des moyens de se développer.
C’est tout l’enjeu des politiques que nous avons voulu mettre en place depuis la constitution du gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Elles ne se limiteront pas à un texte de loi sur l’économie sociale et solidaire et elles iront bien plus loin : la mise en place du programme emploi d’avenir concerne pour moitié d’ores et déjà les acteurs de l’économie sociale et solidaire, le pré-positionnement de la banque publique d’investissements en faveur de l’économie sociale et solidaire et de produits financiers adaptés à la structure capitalistique ou aux spécificités des acteurs de l’économie sociale et solidaire ; bien sûr une loi dont vous avez examiné plusieurs des objectifs, qui sera votée par le parlement et, bien au-delà, toute une série de mesures qui aujourd’hui concourent au développement de ce secteur.
Je me réjouis que dans le cadre des annonces faites par le Premier ministre sur le programme investissements d’avenir, il ait été annoncé le lancement d’un nouvel appel à projet en direction des acteurs de l’économie sociale et solidaire doté à minima de 20 millions d’euros destinés à financer des moyens et gros « tickets » comme l’ on dit, à partir de 500 000 euros pour favoriser la structuration de ces acteurs dès lors qu’ils ont des projets qui sont des projets lourds de développement en réponse aux difficultés qu’ils rencontrent avec la crise.
Que l’on ne s’y trompe donc pas : l’ambition du gouvernement n’est pas de faire un ministère en plus, d’où le fait que nous l’ayons logé à Bercy en quelque sorte, ni de faire un texte de loi déclamatoire sur l’économie sociale et solidaire mais bien de poser les termes, les normes d’une politique publique en faveur d’un secteur qui justifie en raison de ces statuts, de ces spécificités, de ces fonctions, de ces missions qu’il y ait aujourd’hui une politique du gouvernement en sa faveur.
Venons-en au contenu de votre projet d’avis et sur ma proposition. Le Premier ministre avait sollicité votre institution sur deux aspects que j’entends traiter dans le cadre de mon projet de loi : la territorialisation de l’économie sociale et solidaire d’une part, et les conditions de reprise d’une entreprise en forme de coopérative par ses salariés, d’autre part.
Vos rapporteurs ont certes étendu leurs travaux en élargissant quelque peu le spectre afin d’illustrer sans doute la richesse de vos débats en commission mais à cette étape de nos discussions, je vais me contenter d’évoquer le sujet de la saisine originelle avant de laisser à chaque groupe le soin d’exprimer sa position qui dépassera sans doute l’objet de la saisine.
Le projet d’avis répond donc à la demande du gouvernement qui souhaitait pour commencer une synthèse de vos travaux passés en lien avec les enjeux de l’économie sociale et solidaire. J’apprécie le rappel de vos contributions et celle des CESER qui ont valorisé la participation des salariés dans l’entreprise, ainsi que les singularités de la gouvernance des entreprises de l’ESS et leur implication décisive dans les politiques sanitaires et sociales. Il n’y a pas de miracle dans le fait qu’une entreprise de l’ESS soit plus robuste qu’une autre. C’est bien en raison de sa gouvernance ou de sa structure capitalistique que l’on a aujourd’hui un modèle plus tempérant.
J’indique cela, mais il n’y a pas pour nous d’a priori idéologique vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire.
C’est seulement le souci pragmatique de regarder ce qui marche, tout ce qui marche : de la PME classique comme de la PME de l’économie sociale et solidaire ; de la petite entreprise qui se crée dans le secteur des hautes technologies comme de la petite SCOP qui va faire de la charpente. Tout nous intéresse. Il n’y a pas de petits et de grands emplois. Il n’y a pas de bons et de mauvais emplois. Il n’y a pas de bonnes et de mauvaises entreprises. Tout nous intéresse, surtout dans un pays qui, aujourd’hui, est confronté au fléau du chômage et à la nécessité de relancer son économie. C’est pourquoi nous nous sommes concentrés sur l’économie sociale et solidaire et la raison pour laquelle ce gouvernement se mobilise sur ce secteur.
Bon nombre de vos analyses et préconisations sont étudiées de près. Ainsi, par exemple, je travaille actuellement à ce qu’un enseignement soit dispensé sur les modèles d’entrepreneuriat de l’économie sociale et solidaire. Il y a 75 Masters 2 en lien avec l’économie sociale et solidaire ; je me réjouis de ce développement. Également, dans bon nombre de chaires de l’entreprenariat social, l’économie sociale se développe dans nos grandes écoles de commerce. Je me réjouis donc du travail que vous aviez fait, je pense à la recommandation de M. Jean-Baptiste Prévost, qui figure dans son rapport récent sur l’emploi des jeunes.
Par ailleurs, le projet d’avis mentionne très opportunément vos réflexions sur les incertitudes introduites en raison de l’emprise croissante du droit de l’Union européenne dans les relations entre les collectivités publiques et les entreprises de l’économie sociale et solidaire, notamment celles impliquées dans des missions de service public. Au demeurant, dans cette affaire, il n’est pas toujours juste de mettre en cause Bruxelles. Il est arrivé aussi qu’à Paris, on n’ait pas su ou pas voulu exploiter toutes les marges de manoeuvre qu’offre le droit communautaire. J’ai bien l’intention d’inviter le législateur à traiter une partie de ces questions en proposant, par exemple, de clarifier par la loi la frontière entre les marchés publics et les subventions. J’ai bien noté que cette démarche correspondait à une des recommandations du projet d’avis qui constituera donc, pour moi, un point d’appui précieux.
Je proposerai également au gouvernement que la loi facilite le recours aux marchés publics, pour lesquels les entreprises de l’économie sociale et solidaire sont des partenaires performants des pouvoirs publics. Je pense notamment aux marchés comportant des clauses d’insertion.
Votre projet d’avis revient également sur vos positions répétées en faveur d’un statut européen, tant pour les associations que pour les mutuelles. Ma collègue, Mme Fourneyron, sera attentive à ce rappel concernant le champ associatif. Je suis quant à moi mobilisé pour que les travaux sur le statut de la mutualité européenne avancent vraiment, mais ce n’est pas un sujet facile. Nous savons où se trouvent les verrous ; nos amis et partenaires allemands ne sont pas forcément naturellement favorables à un statut de la mutualité européenne, mais nous travaillons à les convaincre afin que, dans le sillage du Parlement européen qui avance sur ce sujet, demain, le Conseil également puisse avancer. D’ailleurs, ce sera le thème d’un entretien que j’aurai au cours du mois prochain avec le commissaire européen chargé de l’industrie et de l’entreprenariat, M. Tajani et je me réjouis d’ores et déjà du soutien que nous a apporté le commissaire Barnier, qui a la volonté de faire avancer le statut de la mutuelle européenne.
J’en viens à vos recommandations relatives au développement local de l’économie sociale et solidaire. J’observe une grande convergence de points de vue entre le projet de votre commission temporaire et les orientations du gouvernement. De manière générale, nous sommes probablement dans un moment, que j’hésite à qualifier d’historique, car on met ce mot à toutes les sauces, mais en tout cas, il y a un bon alignement des planètes. C’est, d’abord, la disponibilité des acteurs de l’économie sociale et solidaire. C’est, aussi, la disponibilité de l’État, celle des collectivités locales et même, récemment, à travers un séminaire organisé par la Garde des sceaux avec les procureurs, celle de l’autorité judiciaire qui se préoccupe des conditions de reprises d’entreprises. Lorsque l’on voit un certain nombre de décisions prises par les tribunaux de commerce - et je respecte ces derniers, ils sont souverains - qui ont parfois pu être motivées par l’ignorance de la spécificité du modèle des SCOPS, il m’apparait nécessaire, de faire un travail, j’ose le dire, d’acculturation à l’économie sociale et solidaire. Je considère qu’il faut collectivement, décideurs économiques comme décideurs politiques, être plus acculturé à la diversité de ce modèle. Je pense très honnêtement que la biodiversité est bonne pour l’économie, pour les entreprises et pour la nature, et que l’on a tout à gagner à ce que, dans notre pays, on valorise la biodiversité économique.
J’en viens à vos recommandations relatives au développement local de l’économie sociale et solidaire. J’ai parlé du bon alignement des planètes. Je me réjouis que le Conseil économique, social et environnemental rejoigne cet alignement des planètes, mais je le trouve là naturellement à sa place.
Je veux insister sur un point que vous avez identifié, le fait que les entreprises de l’économie sociale et solidaire soient à ce point solidement ancrées dans nos territoires. Ça n’est pas le fait du hasard. Vous l’avez bien remarqué. Ce sont bien les traits identitaires de l’économie sociale et solidaire qui sont à l’origine de sa robustesse et de son ancrage territorial. Je pense, notamment, au fait que beaucoup d’acteurs de l’économie sociale et solidaire répondent par l’innovation sociale à des besoins sociaux liés à des territoires. C’est ce qui explique, aussi, leur place actuelle dans nos territoires et l’attachement des acteurs de ces territoires au développement de l’économie sociale et solidaire.
En matière de développement local, je trouve dans votre projet d’avis des préconisations très pertinentes et partage la plupart des constats qui y figurent. Je souhaite en évoquer quelques-uns.
Oui, les chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les CRESS, doivent voir leur existence reconnue et leurs missions stabilisées par la loi. Je rejoins totalement les auteurs du projet d’avis sur l’identification des missions des CRESS, l’observation de l’économie sociale et solidaire, la promotion, donc faire connaître l’économie sociale et solidaire, et le développement de l’économie sociale et solidaire. Je les rejoins également sur la nécessité d’une collaboration formalisée, non seulement avec les régions et l’État, c’est évident, mais également avec les organismes consulaires investis dans le développement économique et l’aide aux entrepreneurs.
Mais je rejoins aussi votre projet d’avis sur l’inopportunité d’une consularisation des CRESS. Outre qu’elle serait très lourde au plan institutionnel et budgétaire, et qu’elle n’est donc pas à notre portée, une telle mutation n’est pas souhaitable, car je pense que l’économie sociale et solidaire est confrontée à un défi paradoxal : le besoin de faire reconnaître ses différences mais, aussi, celui d’être banalisée. Introduire une forme de césure un peu étanche entre l’économie sociale et solidaire et le reste de l’économie à travers la consularisation des CRESS ne contribuerait pas à un développement forcément aussi efficace que nous le souhaitons de l’ESS dans les territoires.
Je suis plus réservé, cependant, sur la place qu’il faudrait accorder au dialogue social dans les CRESS. Dans mon esprit, les CRESS demeureront constitués sous un régime associatif et si le législateur peut stabiliser les missions des chambres avec lesquelles l’État et les régions seront invitées à contractualiser, je doute que la loi puisse également fixer des exigences quant à la composition de ces associations.
Quoi qu’il en soit, les CRESS doivent être conçues - et le sont le plus souvent ainsi déjà - comme des opérateurs investis de missions techniques et opérationnelles au service d’une meilleure compréhension et d’une plus forte implantation des entreprises de l’économie sociale et solidaire. Si, à ce titre, les CRESS peuvent favoriser les échanges de vues entre les acteurs, je ne pense pas qu’elles puissent être un instrument de représentation ou de formalisation d’orientations stratégiques. Il me semble que les CESER répondent bien mieux à de tels objectifs.
Je partage votre constat sur la disparité territoriale qui caractérise les CRESS et qu’il faudra traiter. Il ne faut pas être surpris, ni choqué, de ce que chaque territoire cherche à ajuster le positionnement des CRESS au regard des spécificités territoriales. Á ce sujet, j’ai bien noté votre point de vigilance concernant la situation l’Outre-mer, qui ne doit pas rester à l’écart de la structuration de l’ESS. L’essentiel est que toutes les missions soient bien couvertes dans chaque région et qu’elles s’exercent dans un cadre adapté et formalisé.
Cette exigence m’amène à un autre point traité par le projet de la commission temporaire : la contractualisation entre les acteurs. Là encore, je partage pleinement vos préconisations. L’économie sociale et solidaire doit être mieux identifiée dans les contrats de projet État-Région. Les schémas régionaux de développement économiques doivent comporter un volet dédié à l’économie sociale et solidaire et la loi devrait offrir aux acteurs locaux un cadre contractuel permettant de rendre visible leur collaboration. L’exemple que vous citez des pôles territoriaux est pertinent. Avec Cécile Duflot et la Datar, nous allons lancer un nouvel appel d’offres pour faire en sorte de favoriser la constitution et le financement du développement de ces clusters de l’économie sociale et solidaire qui démontrent sur le terrain qu’ils sont une alternative très concrète à la délocalisation, qu’ils permettent des collaborations entre des PME ou des ETI de l’économie dite classique et des acteurs de l’économie sociale et solidaire et qu’ils contribuent très largement à limiter ou à freiner ce que sont les destructions d’emplois sur notre territoire. C’est la raison pour laquelle, avec Cécile Duflot, nous lançons ce nouvel appel d’offres pour financer l’émergence de nouveau clusters de l’économie sociale et solidaire.
Tous ces sujets feront l’objet de propositions de ma part et j’ai conscience qu’il conviendra de coordonner ce chantier législatif avec la préparation de l’Acte III de la décentralisation.
J’en viens à la modernisation du modèle coopératif et sur le droit de préférence. Le gouvernement souhaite développer le nombre de SCOP car cela créera de l’emploi et des activités. Si mon ministère s’intéresse autant au développement des SCOP, ce n’est pas par idéologie. Je voudrais qu’on l’entende ainsi. En effet, les SCOP qui sont membres de bon nombre de fédérations professionnelles et des organisations patronales, ne sont plus de vieux messieurs en barbe blanche avec une redingote qui vous vantent un modèle datant des siècles précédents. Les SCOP, c’est de la haute technologie, comme cela peut être de la charpente. Elles sont dans tous les domaines, le bâtiment, l’industrie, les services et sont présentes sur tout le territoire. Pourquoi voulons-nous favoriser l’augmentation du nombre de SCOP ? Parce que nous avons observé, de manière statistique, qu’une SCOP sur son marché, comparée à une concurrente de droit commun, s’est souvent révélée plus résistante face à la crise. Pourquoi ? Parce que la totalité des excédents sont reversés dans l’entreprise et qu’elles ne sont pas tendues par un objectif qui serait parfois la rémunération du propriétaire en capital de l’entreprise.
À ce titre, ce modèle d’entreprise - qui n’est pas généralisable car la SCOP n’est pas de la magie, elle ne transforme pas du plomb en or - est aujourd’hui à valoriser. La crise laisse un testament et dans ce dernier, il y a nécessité de penser à un modèle économique plus tempérant, plus patient et plus prudent. Nous considérons aujourd’hui que les SCOP et leur développement - pas seulement elles - contribuent et participent, de l’affirmation d’une stratégie de croissance économique audacieuse qui prend des risques, mais qui recherche aussi - pardon de ce mot - la durabilité, la tempérance, la prudence. À ce titre, nous voulons donc favoriser la création de SCOP.
Les SCOP, c’est un outil à mobiliser contre la fermeture d’entreprises saines. Les SCOP peuvent faire plus et nous aider à sauvegarder des entreprises et des emplois en facilitant la reprise d’entreprises en bonne santé par leurs salariés. Chaque année, plusieurs dizaine de milliers d’emplois sont perdus, faute de reprise d’entreprises saines. Ces entreprises sont viables et génèrent de l’activité. Ce sont de petites PME de mécanique, de peinture, d’imprimerie, pas des pépites qui justifieraient qu’on se les arrache parce qu’elles dégageraient des rendements considérables, mais elles maintiennent l’emploi sur les territoires et des familles debout, des salariés debout qui eux-mêmes restent des agents économiques qui contribuent à l’essor de notre économie. Raison pour laquelle nous considérons aujourd’hui qu’il n’est pas acceptable de laisser autant d’entreprises saines fermer et qu’il faut trouver toutes les solutions possibles, dont les SCOP, pour pouvoir y répondre.
Que se passe-t-il souvent dans ces entreprises ? Le propriétaire de l’entreprise tarde à préparer sa succession, en plus il a naturellement tendance à surestimer la valeur de son bien, ce qui est compréhensible vu son investissement durant parfois toute sa vie pour son entreprise. Ainsi parfois il ne trouve pas de repreneur pour son activité. Les salariés peuvent constituer une réponse à ce problème. Vous rappeliez, Monsieur Lenancker, à juste titre que la Commission européenne avait souligné en 2004 l’intérêt de faire appel aux coopératives de travailleurs pour pérenniser des entreprises par leurs salariés qui, de par leur connaissance fine de l’entreprise et des marchés, offrent une solution à mobiliser. Une de ces conditions, c’est l’anticipation. C’est un facteur clef de réussite pour une transmission d’entreprise aux salariés.
Pour cela, les salariés doivent être informés suffisamment en avance pour avoir le temps d’étudier le dossier, de constituer une société de reprise avec les moyens financiers et ainsi proposer une offre crédible au propriétaire cédant. La solution proposée vise à renforcer le droit à l’information pour les salariés en amont de la cession, afin de leur permettre de formuler, s’ils le souhaitent, une offre de reprise. Il est encore trop tôt pour entrer dans le détail de la mesure, mais le statut juridique de SCOP est l’outil parfaitement adapté pour cela et il a toute ma préférence. Mais il est tout à fait envisageable que les salariés puissent choisir une autre forme d’entreprise, si les conditions ne sont pas réunies pour entreprendre en SCOP, c’est un principe de liberté auquel nous tenons.
La mesure ne concernera pas les transmissions familiales puisque dans ce cas le problème de transmission ne se pose pas. Notre mesure a pour objectif de faciliter les transmissions d’entreprises et non pas de les freiner. La question de la taille de l’entreprise est essentielle et je proposerais qu’un critère de taille d’entreprise soit fixé en fonction du nombre d’emplois et du chiffre d’affaires qui reste à déterminer, car la reprise par les salariés est difficilement envisageable au-delà d’une certaine taille et d’un certain capital. Est-ce 500 salariés, plus ou moins ? Le débat parlementaire nous l’indiquera. En revanche, ce nouveau droit s’appliquera aux petites entreprises par la voie des institutions représentatives du personnel quand elles existent et directement aux salariés dans les entreprises de moins de 10 salariés. C’est un enjeu fort d’activité et d’emplois, a fortiori parce que ces entreprises qui ferment sont souvent des TPE ou des PME.
J’insiste sur un point important, j’ai demandé à mes services de travailler à une mesure la plus simple possible, compréhensible par tous, salariés comme chefs d’entreprises. Encore une fois, l’objectif est de susciter l’envie de transmettre son entreprise à ses salariés et de laisser le choix et les moyens aux salariés de la reprendre.
Je vais poursuivre le débat sur le droit préférentiel de reprise. Renforcer le droit à l’information en amont du projet de cession est un préalable essentiel. Il pourrait être utilement complété par la mise en place d’un droit préférentiel en faveur de l’offre des salariés. Cette mesure trouverait sa justification en cas d’offre formulée par des fonds spéculatifs dont nous devinons que l’objet n’est pas le maintien de l’activité, mais le gain ou le profit qu’ils peuvent réaliser et dont on connaît tous et dont on mesure les dégâts qu’ils ont réalisés sur plusieurs de nos territoires.
Cette mesure, à travers l’explosion de la précarité et de la grande pauvreté, c’est aussi une conséquence d’une absence peut-être de régulation en amont de la cession de ces entreprises qui nous aurait permis d’éviter de telles situations. Cela signifierait donc qu’à offre égale en termes d’emploi, de maintien de l’activité mais aussi de prix, la proposition des salariés pourrait l’emporter sur celle d’autres repreneurs, mais le débat politique devra définir ce que l’on peut entendre par offre égale. À mon sens, l’objectif de préservation des emplois est essentiel.
J’ajoute un autre objectif qui est un rappel d’ordre constitutionnel. Notre créativité rencontrera deux bornes fondamentales que sont le droit de propriété d’une part, et la liberté de commerce et d’industrie d’autre part. Ces deux bornes contiennent une dose de flexibilité mais rien ne serait pire que l’idée que nous portons soit anéantie par une décision des juges constitutionnels estimant que nous avons franchi ces bornes. C’est dans ce cadre étroit que nous devrons calibrer soigneusement la mesure.
D’autres mesures doivent être envisagées, telles que la SCOP d’amorçage pour faciliter la constitution de tours de table financier solides pour proposer la création d’un statut transitoire de SCOP pendant la phase de création permettant aux salariés de ne pas être majoritaires au capital pendant 5 à 10 ans et arbitrer tout en possédant plus de 65 % du droit de vote. Pendant cette période transitoire, grâce aux excédents accumulés, les salariés pourront constituer progressivement les fonds propres nécessaires à la pleine possession de l’entreprise et devenir ainsi pleinement majoritaires au capital.
C’est une proposition que je fais mienne car elle facilitera la levée de fonds nécessaire et limitera de fait la prise de risque par les salariés repreneurs.
J’y vois un autre avantage en faisant entrer au capital des investisseurs extérieurs patients ; cela peut aussi aider et accompagner les salariés repreneurs à consolider leur modèle économique : ils ne seront pas seuls à veiller aux destinées de leur entreprise.
Enfin, je vous rejoins dans la possibilité de créer des groupes de SCOP. Là aussi, je rejoins votre projet d’avis. Si l’on veut que les SCOP puissent être compétitifs sur des marchés hautement concurrentiels, il faut leur permettre de se regrouper sans pour autant remettre en cause la gouvernance démocratique basée sur le principe "une personne = une voix" à l’échelle du groupe. Cette proposition est, là encore, travaillée par mes services.
Je voudrais enfin vous dire un mot du financement. Oui, la Banque publique d’investissement financera les SCOP. La difficulté est de pouvoir faciliter la reprise et la transmission d’entreprises en SCOP pour des « gros tickets ». Si l’on veut pouvoir développer les SCOP, il faut qu’elles puissent constituer des tours de table de plusieurs millions d’euros. Pour cela, la Banque publique d’investissement sera mobilisée puisque cinq cents millions d’euros seront réservés aux entreprises de l’économie sociale et solidaire. La Banque publique d’investissement interviendra en fonds propres et prêts pour consolider la structure financière des SCOP ; cela décuplera ainsi leur capacité d’investissement en permettant un meilleur effet de levier des crédits bancaires.
Le but de la BPI n’est pas de se substituer aux banques ni aux acteurs qui ont financé les SCOP -je pense à l’IDES ou à la CG-SCOP-, mais bien de les compléter et de les accompagner. L’épargne dans notre pays est abondante ; c’est un atout considérable ; l’enjeu est de la flécher vers de l’investissement productif, et donc, parmi toutes les entreprises qui produisent, aussi les SCOP. Là aussi, c’est un formidable levier.
Autre point important : la BPI facilitera le financement d’OSEO et aidera ainsi les SCOP à développer leur savoir-faire. Encore trop souvent, celles-ci ne peuvent avoir accès au financement de l’innovation au motif que leur structure juridique n’est pas adéquate. Elle ne correspond pas au cadre que s’était fixé OSEO. La BPI viendra y remédier et je veux saluer le travail qui a été fait à la demande du ministère de l’économie et des finances et de moi-même par OSEO pour commencer par anticipation à travailler et à penser des instruments adaptés, notamment au développement des capacités de production des SCOP.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Conseillers, je voudrais vous dire qu’il y a beaucoup de fierté à être ici devant vous à l’occasion de ce projet d’avis du Conseil économique, social et environnemental sur le projet de loi que je défendrai. Il fera l’objet d’une intense consultation puisqu’il passera devant le Haut Conseil de la vie associative, le Conseil supérieur de la coopération, le Conseil supérieur de la mutualité, le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, et il continuera donc à être discuté par sans doute beaucoup d’entre vous, mais dans d’autres enceintes et d’autres cénacles.
En tout cas, je suis très heureux que le gouvernement ait pu, à travers ce projet de loi sur l’économie sociale et solidaire, bénéficier de la contribution de l’ensemble des groupes que je me réjouis par anticipation d’entendre.
J’ai un passé comme tout le monde, militant, politique et syndical, d’entrepreneur aussi, ce qui se sait un tout petit peu moins, de salarié essentiellement du secteur privé, et je me réjouis aujourd’hui, à travers toutes ces expériences d’homme, mais aussi de responsable politique, de la façon dont, sur ce sujet, l’économie sociale et solidaire, le développement de nos territoires, le développement du modèle coopératif, le Conseil économique, social et environnemental a voulu apporter une contribution pour favoriser cette biodiversité économique dont je parlais, dont nous avons tout à gagner, en faisant en sorte que nous puissions collectivement franchir une étape décisive et permettre à l’économie sociale et solidaire -ce sera ma conclusion- de changer d’échelle.
Ce dont nous avons besoin, c’est de permettre à l’économie sociale et solidaire de changer d’échelle. Sommes-nous arrivés à un plafond au-delà duquel le développement de l’économie sociale et solidaire serait désormais interdit ? Donnerons-nous les moyens demain à Emmaüs de continuer à pouvoir être concurrentiel par rapport à son premier concurrent qu’est Veolia ?
Ou permettrons-nous qu’un certain nombre de secteurs de l’économie circulaire du recyclage soient totalement délestés de leur utilité sociale, de ce que l’on appelle les externalités positives maintenant ?
L’impact social comme l’impact environnemental, c’est bien de cela dont on parle : permettre à certaines entreprises de changer d’échelle et, à travers cela, écrire, d’une certaine manière, une partie de l’histoire postérieure à cette crise qui laisse un testament ; testament auquel nous voulons répondre à travers le développement de l’économie sociale et solidaire, et dont je me réjouis que la contribution du Conseil économique, social et environnemental rejoigne en bien des points la volonté de ce gouvernement.
Je vous remercie.
(Applaudissements)
M. le Président. Merci, Monsieur le ministre.
Source http://www.lecese.fr, le 11 février 2013