Texte intégral
Q - Commençons par la Syrie. La France a déployé des efforts diplomatiques considérables ; vous-même, vous vous êtes déplacé presque dans toute la région. Mais nous avons constaté que récemment le discours français, le discours de fermeté a changé. Pourquoi ce changement de ton ?
R - Je n'ai pas constaté ce changement de ton. La situation en Syrie est dramatique puisque tous les jours des dizaines et des dizaines de personnes meurent ; il y a des blessés ; des réfugiés. Non seulement c'est une situation dramatique en Syrie, mais qui a des conséquences lourdes dans les pays voisins ; je pense à la Jordanie et à d'autres pays. Il faut donc arrêter ce massacre. Tout le monde sait que pour arrêter ce massacre il faut, et le plus tôt sera le mieux, que M. Bachar Al-Assad se retire. Mais il ne suffit pas qu'il se retire. Il faut que le régime qui va succéder soit stable, qui reconnaisse toutes les communautés en Syrie et que les droits de chaque communauté soient respectés.
Nous considérons que c'est autour de la coalition nationale syrienne, qui regroupe les forces d'opposition, que l'on doit bâtir une alternative crédible. Simplement, nous voyons que sur le terrain malheureusement les choses n'avancent pas beaucoup. Il faut donc augmenter la pression diplomatique. Il y a eu quelques gestes encourageants. Vous avez vu par exemple que le président de la coalition, qui est un homme très courageux, dit que, que s'il n'est pas question de discuter avec M. Bachar Al-Assad, par contre, il peut y avoir des discussions avec un certain nombre de membres de la majorité, si je puis dire.., enfin, pas de la majorité, du régime. Et puis vous avez vu aussi...
Q - (Inaudible)
R - Oui, notamment. Et puis vous avez vu aussi que les Russes sont d'accord pour avoir une discussion avec la coalition nationale syrienne. Il y a donc des petits éléments qui avancent, mais ce n'est pas suffisant. Nous, les Français qui voulons la paix, qui aimons la Syrie, qui voulons que ce pays puisse redevenir un pays vraiment libre, indépendant, qui respecte ces communautés, nous sommes au soutien de la coalition nationale syrienne. C'est clair, c'est net.
Q - Vous avez soutenu l'appel de Moazz Al Khatib, le président de la coalition, un dialogue avec le régime ; croyez-vous toujours à une solution politique en Syrie ?
R - Oui, nous croyons à cette solution politique et il faut qu'elle vienne vite parce que, je vous l'ai dit, tous les jours il y a de nouvelles victimes, et puis aussi parce que si la situation se détériore, ce sont les extrémistes, les terroristes qui vont l'emporter. Ce serait négatif non seulement pour la Syrie mais pour l'ensemble de la région. Nous, nous voulons la paix et l'obstacle à la paix c'est, il faut bien le dire, Bachar Al-Assad. Il faut donc se rassembler autour de la coalition et dire à l'avance que toutes les communautés seront respectées. C'est la solution raisonnable.
Q - Vous avez justement évoqué l'influence grandissante des extrémistes en Syrie. Certains analystes osent dire que la France lutte contre le terrorisme ... mais accepte la présence de certains djiadistes au sein de l'opposition syrienne. Comment réagissez-vous à cette analyse ?
R- Je pense que c'est une analyse inexacte. Dans les deux cas, nous souhaitons la paix. Nous pensons que les musulmans sont porteurs de paix, mais à chaque fois que nous voyons des groupes terroristes ou des groupes extrémistes, nous ne pouvons pas être d'accord avec eux. En Syrie, je viens de vous dire que la bonne solution était autour de la coalition nationale syrienne. Au Mali, que s'est-il passé ? La population malienne est essentiellement musulmane et des groupes narcoterroristes s'étaient implantés dans le Nord. On pensait que ces groupes terroristes allaient être isolés. Finalement, comme vous avez pu le constater, ils se sont alliés entre eux et ont décidé de marcher sur Bamako.
Q - Il y a trois mois, vous avez évoqué la possibilité de fournir des armes, notamment défensives, à l'opposition syrienne, on en est où aujourd'hui de cette possibilité ?
R - Vous savez que ce sont des décisions prises au niveau européen. L'Europe a décidé, il y a quelques mois déjà, un embargo sur les armes. Il y a un certain nombre d'armes, non létales, qui sont autorisées, mais c'est tout. Évidemment il va falloir réexaminer cette question très difficile. D'un coté, à partir du moment où M. Bachar Al-Assad dispose d'avions et d'armements très puissants, il peut évidemment détruire les résistances adverses ; le combat est inégal. D'un autre côté, quand on fournit des armes, surtout des armes de très gros calibres, il faut faire très attention aux mains dans lesquelles elles vont tomber. On a vu par exemple en Libye où des armes avaient été fournies que malheureusement, au bout du compte, on peut les retrouver dans de mauvaises mains, au Mali ou ailleurs. Les vingt-sept pays d'Europe vont se repencher sur la question, prochainement, et prendront une décision que je ne connais pas encore.
Q - Êtes-vous inquiet Monsieur Fabius de l'affaiblissement du courant démocratique et laïc en Syrie ?
R - Il est vrai que plus la crise dure, plus l'affrontement est violent et plus ce sont les extrémistes qui risquent de gagner en importance. Or, l'image de la Syrie de demain que nous voulons, ce n'est pas celle-là. C'est une Syrie rassemblée, pacifique et qui respecte les droits de chacun. Vous me direz que c'est un rêve ! Oui, mais je pense, j'espère que les rêves d'aujourd'hui sont les réalités de demain.
Q - Craignez-vous, Monsieur Fabius, les répercussions de la crise syrienne sur le Liban, en matière de sécurité...
R - Malheureusement, il y en a déjà. Je crois que le président et le gouvernement libanais sont tout à fait sages lorsqu'ils disent qu'ils éviter que ce qui se passe en Syrie ait des répercussions au Liban. Nous sommes également attachés au fait que la paix si difficilement acquise perdure au Liban L'attitude de M. Bachar Al-Assad, au contraire, consiste à essayer de faire tache d'huile, de tout mélanger et de faire en sorte que, finalement, il y ait des troubles dans toute la région. Nous, nous pensons qu'il ne faut pas mélanger les deux choses. Mais on sait bien, compte tenu de la proximité géographique, que si le conflit en Syrie dure, si le régime de Bachar Al-Assad continue à sévir, ce risque est très important. C'est une des raisons supplémentaires pour laquelle il faut que l'alternance démocratique puisse jouer.
Q - La France s'est toujours opposée à l'inscription du Hezbollah sur la liste des mouvements terroristes de l'Union européenne. Avez-vous changé de position après l'accusation par la Bulgarie au Parti libanais concernant l'attentat en juillet dernier ?
R - Sur cette question, il y aura bientôt une réunion des ministres des affaires étrangères des vingt-sept pays de l'Union européenne puisque c'est une décision qui doit être prise au niveau européen. Bien évidemment, il n'est pas question d'accepter le terrorisme. À partir du moment où des preuves précises peuvent être apportées, il faut en tirer les conséquences. Vous ne pouvez pas accepter les actes terroristes. Ceci va être discuté prochainement par les ministres des affaires étrangères et nous verrons exactement ce que nous dit notre collègue bulgare, les éléments matériels qui sont retenus. Et puis nous prendrons une décision mais je ne peux pas encore vous dire laquelle.
Q - Au Mali, à partir de quelle date allez-vous passer progressivement le relais aux forces militaires africaines ?
R - Nous avons déjà commencé. Par exemple, vous avez vu qu'à Gao, la ville a été reconquise à la fois par les troupes françaises et les troupes maliennes. Elle est désormais en cours de sécurisation par les forces africaines. Des actions individuelles des terroristes peuvent cependant encore intervenir. Il faut donc rester prudent car même s'il pourrait être difficile pour les groupes terroristes de mener des actes d'envergure très large au Mali, les risque liés à des actions individuelles demeurent. De même, il peut y avoir des actions terroristes dans les pays voisins.
Nous restons très vigilants bien que le schéma de cette opération soit clair : nous sommes venus apporter notre aide bien sûr mais nous n'avons pas vocation à rester éternellement au Mali. Cette transition doit se faire progressivement mais il faut être pragmatiques et, comme on dit en français, «épouser le terrain, épouser la situation». Nous voudrions pouvoir commencer à diminuer le nombre de nos forces à partir du mois de mars. Maintenant nous allons voir quelle est la situation concrète sur le terrain. Il ne s'agit pas pour les Français de dire : «nous avons fait notre travail» et pour voir ensuite les groupes terroristes revenir.
Q - Comment évaluez-vous la coopération des pays voisins avec vous, en matière de la lutte contre le terrorisme ? L'Algérie, par exemple.
R - La coopération des pays voisins est excellente parce qu'ils ont très bien compris que, malheureusement, les groupes narcoterroristes ne connaissent pas les frontières. Vous parlez de l'Algérie : ce pays a connu dans sa chair le prix du terrorisme. Vous vous rappelez que dans la décennie 90 il y a eu plus de 150.000 morts liés au terrorisme en Algérie. Les Algériens ont payé un lourd tribut au terrorisme. Nos amis algériens ont décidé de fermer leurs frontières, de les contrôler très étroitement pour couper, casser les bases arrières des groupes terroristes. Il en est de même pour d'autres pays. Les Mauritaniens sont également très vigilants, tout comme nos amis nigériens. Il ne faut pas que les groupes narcoterroristes puissent s'alimenter dans ces pays ou que, chassés du Mali, ils en rejoignent d'autres. C'est donc une action d'ensemble qu'il faut mener.
J'ajouterai même une réflexion plus générale. Nous croyons énormément au développement de l'Afrique. L'Afrique est un continent magnifique avec une population jeune, qui dispose de beaucoup d'atouts. Et c'est une très bonne chose que l'Afrique puisse se développer. Seulement, il faut que la sécurité y soit assurée. En l'absence de sécurité, s'il y a une menace d'attentats ici et là, si le trafic de drogues ou d'otages se développe, comment voulez-vous que l'économie et donc le niveau de vie de la population puisse progresser ? Tout est lié. Les différents pays, les différents peuples l'ont bien compris. C'est la raison pour laquelle ils ont apporté un soutien très fort à la démarche internationale qui est la nôtre.
Q - Êtes-vous en contact avec les ravisseurs des otages français au Sahel ?
R - Non, nous n'avons pas de contact. Nous avons dit qu'il n'y avait pas de négociation. Si telle ou telle information nous est donnée, évidemment nous la recevons. Mais nous n'entrons pas dans les négociations.
Q - Parlons de l'Iran. Craignez-vous qu'une frappe israélienne contre ce pays provoque un embrasement général dans la région ? Et peut-être, cette frappe placerait l'Iran en situation de victime, comme vous l'avez bien dit il y a quelques semaines.
R - Comment se pose le problème : l'Iran est un grand pays, une grande civilisation. L'Iran a parfaitement le droit d'utiliser le nucléaire à des fins civiles. En revanche, l'Iran - en vertu de toutes les résolutions internationales - ne peut pas détenir la bombe atomique. Si l'Iran détenait la bombe atomique, ce serait une incitation à la nucléarisation de l'ensemble de la région et cela deviendrait extrêmement dangereux. Depuis déjà plusieurs années, la communauté internationale a dit à l'Iran - alors que nous avions des indications selon lesquelles l'Iran développait un programme nucléaire - : «attention, pas de bombe atomique». L'Agence internationale pour l'énergie atomique a, à plusieurs reprises, mis en garde. Mais, pour le moment, l'Iran n'a pas changé le cours de son action.
Nous avons adopté - quand je dis nous, ce n'est pas seulement la France mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, les États-Unis, la Chine, la France, la Grande Bretagne, plus l'Allemagne - une attitude dite de double approche : d'un côté, nous disons à l'Iran qu'il faut négocier parce que la seule bonne solution, c'est la négociation, mais encore faut-il que l'Iran accepte dans la négociation de revenir sur un certain nombre de positions. Parallèlement, pour pousser fortement à la négociation, des sanctions.
Nous avons commencé à durcir les sanctions et si l'Iran ne change pas de position, les sanctions seront encore augmentées. Évidemment, je le répète, la bonne solution, ce serait que diplomatiquement, par la négociation, l'Iran prenne des mesures concrètes montrant qu'il ne veut pas l'arme atomique mais seulement l'énergie civile. Si les choses se passent ainsi, c'est parfait. Seulement il faut être vigilant. Pour le moment malheureusement, l'Iran n'a pas encore bougé.
Q - Vous avez dit qu'une frappe israélienne pourrait se retourner contre Israël.
R - Ce n'est pas un problème israélien, c'est un problème iranien. Il faut que l'Iran accepte de faire ce geste. S'il n'accepte pas c'est une menace évidemment, contre la paix de toute cette région. Et à ce moment-là, que peut-il arriver ? La bonne solution c'est que l'Iran conformément aux résolutions internationales accepte de renoncer à posséder l'arme nucléaire. Car l'arme nucléaire dans la main de l'Iran serait un danger pour tous.
Q - Quel regard portez-vous sur la crise politique en Tunisie ? Vous avez parlé d'un obscurantisme dans ce pays. Pourriez-vous...
R - J'ai été toujours très prudent dans mon expression. Un ministre des affaires étrangères doit toujours être diplomate et la situation est complexe. Il y a des révolutions arabes dans différents pays. J'ai toujours pensé que les révolutions prendraient du temps - on le voit dans le cas de la Révolution française qui a commencé en 1789 mais qui a pris beaucoup de temps avant de se terminer. D'autre part, les révolutions ne sont jamais linéaires. Il y a des hauts et des bas, mais je pensais qu'en Tunisie, qui est un pays qui n'est pas très grand, qui a un niveau d'éducation élevé dont l'économie est assez solide, avec une tradition, de droit des femmes, les choses se passeraient peut-être plus facilement qu'ailleurs. Je le souhaite toujours. Il est vrai qu'au moment où vous m'interrogez, il y a des tensions.
Par rapport à cela, en tant que ministre des affaires étrangères, je dis que la France évidemment n'a aucune ingérence à pratiquer dans la politique tunisienne. C'est aux Tunisiens de décider ce qu'ils veulent faire. En même temps, il ne peut pas y avoir de solution par la violence ; c'est le dialogue, le dialogue politique qui peut permettre d'avoir une solution. Bien sûr, nous appuyons économiquement tous ces pays et notamment la Tunisie. Nous n'avons pas à nous ingérer mais nous souhaitons que les droits soient respectés : les droits des femmes, les droits des minorités, le droit à l'alternance. Je ne dis rien de plus. Je souhaite que des solutions pacifiques soient trouvées. N'oublions pas que les Printemps arabes, à l'origine, c'est une demande de dignité, de lutte contre la corruption, d'amélioration de la situation économique, de justice sociale, notamment pour la jeunesse. C'est cela que demande toujours le peuple. Ce n'est pas facile à satisfaire mais c'est vers cela qu'il faut aller, sans violence.
Q - En Égypte, deux ans après le départ de Hosni Moubarak, peut-on parler d'une révolution avortée, confisquée, dans ce pays ?
R - La situation est difficile en Égypte et puis, compte tenu de la taille de la population - plus de 80 millions d'habitants -, de l'importance de l'Égypte dans l'ensemble du monde arabe par rapport à la question israélo-palestinienne, c'est très délicat. La situation économique et sociale n'est pas favorable. Et il y a des tensions politiques fortes.
Là encore, nous n'avons pas à nous substituer aux autorités ni au peuple, mais il ne peut y avoir de solution que par le dialogue. La violence ne règle absolument rien. Vous savez que la France est traditionnellement la patrie des droits de l'Homme. Nous essayons d'appuyer les peuples autant que nous le pouvons. Nous n'avons pas, encore une fois, à faire ingérence, mais nous souhaitons vraiment, qu'il s'agisse de l'Égypte, de la Tunisie ou d'autres pays - à chaque fois la situation est différente - que l'on trouve des solutions pacifiques.
Q - Un mot sur le conflit israélo-palestinien. Craignez-vous que cette année soit une année blanche pour la paix, dans cette région ?
R - Je souhaite que ce ne soit pas une année blanche pour la paix. Au contraire, j'aimerais que cette année soit faste pour la paix. Pour cela, il faut que des deux côtés, côté israélien, côté palestinien, on se remette à négocier sans pré-conditions. Nos positions sont tout à fait claires. La solution c'est celle des deux États. Il faut que les Palestiniens aient vraiment leurs droits reconnus parce que justice ne leur est pas rendue. Il faut donc qu'ils aient un État. Et il faut que les Israéliens soient en sécurité et que leur sécurité soit garantie. On connaît les paramètres qui permettent cela, mais il faut que les deux parties se remettent à négocier et la France - qui parle avec les deux parties encouragera très fortement ce dialogue. On en parle moins aujourd'hui - sans doute parce que la loi de l'information fait qu'une grave crise efface les autres - mais la question israélo-palestinienne est une question essentielle, une question de fond. Il faut absolument, au nom de la justice, de l'efficacité, de la sécurité, qu'elle puisse être réglée par les principaux intéressés.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2013
R - Je n'ai pas constaté ce changement de ton. La situation en Syrie est dramatique puisque tous les jours des dizaines et des dizaines de personnes meurent ; il y a des blessés ; des réfugiés. Non seulement c'est une situation dramatique en Syrie, mais qui a des conséquences lourdes dans les pays voisins ; je pense à la Jordanie et à d'autres pays. Il faut donc arrêter ce massacre. Tout le monde sait que pour arrêter ce massacre il faut, et le plus tôt sera le mieux, que M. Bachar Al-Assad se retire. Mais il ne suffit pas qu'il se retire. Il faut que le régime qui va succéder soit stable, qui reconnaisse toutes les communautés en Syrie et que les droits de chaque communauté soient respectés.
Nous considérons que c'est autour de la coalition nationale syrienne, qui regroupe les forces d'opposition, que l'on doit bâtir une alternative crédible. Simplement, nous voyons que sur le terrain malheureusement les choses n'avancent pas beaucoup. Il faut donc augmenter la pression diplomatique. Il y a eu quelques gestes encourageants. Vous avez vu par exemple que le président de la coalition, qui est un homme très courageux, dit que, que s'il n'est pas question de discuter avec M. Bachar Al-Assad, par contre, il peut y avoir des discussions avec un certain nombre de membres de la majorité, si je puis dire.., enfin, pas de la majorité, du régime. Et puis vous avez vu aussi...
Q - (Inaudible)
R - Oui, notamment. Et puis vous avez vu aussi que les Russes sont d'accord pour avoir une discussion avec la coalition nationale syrienne. Il y a donc des petits éléments qui avancent, mais ce n'est pas suffisant. Nous, les Français qui voulons la paix, qui aimons la Syrie, qui voulons que ce pays puisse redevenir un pays vraiment libre, indépendant, qui respecte ces communautés, nous sommes au soutien de la coalition nationale syrienne. C'est clair, c'est net.
Q - Vous avez soutenu l'appel de Moazz Al Khatib, le président de la coalition, un dialogue avec le régime ; croyez-vous toujours à une solution politique en Syrie ?
R - Oui, nous croyons à cette solution politique et il faut qu'elle vienne vite parce que, je vous l'ai dit, tous les jours il y a de nouvelles victimes, et puis aussi parce que si la situation se détériore, ce sont les extrémistes, les terroristes qui vont l'emporter. Ce serait négatif non seulement pour la Syrie mais pour l'ensemble de la région. Nous, nous voulons la paix et l'obstacle à la paix c'est, il faut bien le dire, Bachar Al-Assad. Il faut donc se rassembler autour de la coalition et dire à l'avance que toutes les communautés seront respectées. C'est la solution raisonnable.
Q - Vous avez justement évoqué l'influence grandissante des extrémistes en Syrie. Certains analystes osent dire que la France lutte contre le terrorisme ... mais accepte la présence de certains djiadistes au sein de l'opposition syrienne. Comment réagissez-vous à cette analyse ?
R- Je pense que c'est une analyse inexacte. Dans les deux cas, nous souhaitons la paix. Nous pensons que les musulmans sont porteurs de paix, mais à chaque fois que nous voyons des groupes terroristes ou des groupes extrémistes, nous ne pouvons pas être d'accord avec eux. En Syrie, je viens de vous dire que la bonne solution était autour de la coalition nationale syrienne. Au Mali, que s'est-il passé ? La population malienne est essentiellement musulmane et des groupes narcoterroristes s'étaient implantés dans le Nord. On pensait que ces groupes terroristes allaient être isolés. Finalement, comme vous avez pu le constater, ils se sont alliés entre eux et ont décidé de marcher sur Bamako.
Q - Il y a trois mois, vous avez évoqué la possibilité de fournir des armes, notamment défensives, à l'opposition syrienne, on en est où aujourd'hui de cette possibilité ?
R - Vous savez que ce sont des décisions prises au niveau européen. L'Europe a décidé, il y a quelques mois déjà, un embargo sur les armes. Il y a un certain nombre d'armes, non létales, qui sont autorisées, mais c'est tout. Évidemment il va falloir réexaminer cette question très difficile. D'un coté, à partir du moment où M. Bachar Al-Assad dispose d'avions et d'armements très puissants, il peut évidemment détruire les résistances adverses ; le combat est inégal. D'un autre côté, quand on fournit des armes, surtout des armes de très gros calibres, il faut faire très attention aux mains dans lesquelles elles vont tomber. On a vu par exemple en Libye où des armes avaient été fournies que malheureusement, au bout du compte, on peut les retrouver dans de mauvaises mains, au Mali ou ailleurs. Les vingt-sept pays d'Europe vont se repencher sur la question, prochainement, et prendront une décision que je ne connais pas encore.
Q - Êtes-vous inquiet Monsieur Fabius de l'affaiblissement du courant démocratique et laïc en Syrie ?
R - Il est vrai que plus la crise dure, plus l'affrontement est violent et plus ce sont les extrémistes qui risquent de gagner en importance. Or, l'image de la Syrie de demain que nous voulons, ce n'est pas celle-là. C'est une Syrie rassemblée, pacifique et qui respecte les droits de chacun. Vous me direz que c'est un rêve ! Oui, mais je pense, j'espère que les rêves d'aujourd'hui sont les réalités de demain.
Q - Craignez-vous, Monsieur Fabius, les répercussions de la crise syrienne sur le Liban, en matière de sécurité...
R - Malheureusement, il y en a déjà. Je crois que le président et le gouvernement libanais sont tout à fait sages lorsqu'ils disent qu'ils éviter que ce qui se passe en Syrie ait des répercussions au Liban. Nous sommes également attachés au fait que la paix si difficilement acquise perdure au Liban L'attitude de M. Bachar Al-Assad, au contraire, consiste à essayer de faire tache d'huile, de tout mélanger et de faire en sorte que, finalement, il y ait des troubles dans toute la région. Nous, nous pensons qu'il ne faut pas mélanger les deux choses. Mais on sait bien, compte tenu de la proximité géographique, que si le conflit en Syrie dure, si le régime de Bachar Al-Assad continue à sévir, ce risque est très important. C'est une des raisons supplémentaires pour laquelle il faut que l'alternance démocratique puisse jouer.
Q - La France s'est toujours opposée à l'inscription du Hezbollah sur la liste des mouvements terroristes de l'Union européenne. Avez-vous changé de position après l'accusation par la Bulgarie au Parti libanais concernant l'attentat en juillet dernier ?
R - Sur cette question, il y aura bientôt une réunion des ministres des affaires étrangères des vingt-sept pays de l'Union européenne puisque c'est une décision qui doit être prise au niveau européen. Bien évidemment, il n'est pas question d'accepter le terrorisme. À partir du moment où des preuves précises peuvent être apportées, il faut en tirer les conséquences. Vous ne pouvez pas accepter les actes terroristes. Ceci va être discuté prochainement par les ministres des affaires étrangères et nous verrons exactement ce que nous dit notre collègue bulgare, les éléments matériels qui sont retenus. Et puis nous prendrons une décision mais je ne peux pas encore vous dire laquelle.
Q - Au Mali, à partir de quelle date allez-vous passer progressivement le relais aux forces militaires africaines ?
R - Nous avons déjà commencé. Par exemple, vous avez vu qu'à Gao, la ville a été reconquise à la fois par les troupes françaises et les troupes maliennes. Elle est désormais en cours de sécurisation par les forces africaines. Des actions individuelles des terroristes peuvent cependant encore intervenir. Il faut donc rester prudent car même s'il pourrait être difficile pour les groupes terroristes de mener des actes d'envergure très large au Mali, les risque liés à des actions individuelles demeurent. De même, il peut y avoir des actions terroristes dans les pays voisins.
Nous restons très vigilants bien que le schéma de cette opération soit clair : nous sommes venus apporter notre aide bien sûr mais nous n'avons pas vocation à rester éternellement au Mali. Cette transition doit se faire progressivement mais il faut être pragmatiques et, comme on dit en français, «épouser le terrain, épouser la situation». Nous voudrions pouvoir commencer à diminuer le nombre de nos forces à partir du mois de mars. Maintenant nous allons voir quelle est la situation concrète sur le terrain. Il ne s'agit pas pour les Français de dire : «nous avons fait notre travail» et pour voir ensuite les groupes terroristes revenir.
Q - Comment évaluez-vous la coopération des pays voisins avec vous, en matière de la lutte contre le terrorisme ? L'Algérie, par exemple.
R - La coopération des pays voisins est excellente parce qu'ils ont très bien compris que, malheureusement, les groupes narcoterroristes ne connaissent pas les frontières. Vous parlez de l'Algérie : ce pays a connu dans sa chair le prix du terrorisme. Vous vous rappelez que dans la décennie 90 il y a eu plus de 150.000 morts liés au terrorisme en Algérie. Les Algériens ont payé un lourd tribut au terrorisme. Nos amis algériens ont décidé de fermer leurs frontières, de les contrôler très étroitement pour couper, casser les bases arrières des groupes terroristes. Il en est de même pour d'autres pays. Les Mauritaniens sont également très vigilants, tout comme nos amis nigériens. Il ne faut pas que les groupes narcoterroristes puissent s'alimenter dans ces pays ou que, chassés du Mali, ils en rejoignent d'autres. C'est donc une action d'ensemble qu'il faut mener.
J'ajouterai même une réflexion plus générale. Nous croyons énormément au développement de l'Afrique. L'Afrique est un continent magnifique avec une population jeune, qui dispose de beaucoup d'atouts. Et c'est une très bonne chose que l'Afrique puisse se développer. Seulement, il faut que la sécurité y soit assurée. En l'absence de sécurité, s'il y a une menace d'attentats ici et là, si le trafic de drogues ou d'otages se développe, comment voulez-vous que l'économie et donc le niveau de vie de la population puisse progresser ? Tout est lié. Les différents pays, les différents peuples l'ont bien compris. C'est la raison pour laquelle ils ont apporté un soutien très fort à la démarche internationale qui est la nôtre.
Q - Êtes-vous en contact avec les ravisseurs des otages français au Sahel ?
R - Non, nous n'avons pas de contact. Nous avons dit qu'il n'y avait pas de négociation. Si telle ou telle information nous est donnée, évidemment nous la recevons. Mais nous n'entrons pas dans les négociations.
Q - Parlons de l'Iran. Craignez-vous qu'une frappe israélienne contre ce pays provoque un embrasement général dans la région ? Et peut-être, cette frappe placerait l'Iran en situation de victime, comme vous l'avez bien dit il y a quelques semaines.
R - Comment se pose le problème : l'Iran est un grand pays, une grande civilisation. L'Iran a parfaitement le droit d'utiliser le nucléaire à des fins civiles. En revanche, l'Iran - en vertu de toutes les résolutions internationales - ne peut pas détenir la bombe atomique. Si l'Iran détenait la bombe atomique, ce serait une incitation à la nucléarisation de l'ensemble de la région et cela deviendrait extrêmement dangereux. Depuis déjà plusieurs années, la communauté internationale a dit à l'Iran - alors que nous avions des indications selon lesquelles l'Iran développait un programme nucléaire - : «attention, pas de bombe atomique». L'Agence internationale pour l'énergie atomique a, à plusieurs reprises, mis en garde. Mais, pour le moment, l'Iran n'a pas changé le cours de son action.
Nous avons adopté - quand je dis nous, ce n'est pas seulement la France mais les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, les États-Unis, la Chine, la France, la Grande Bretagne, plus l'Allemagne - une attitude dite de double approche : d'un côté, nous disons à l'Iran qu'il faut négocier parce que la seule bonne solution, c'est la négociation, mais encore faut-il que l'Iran accepte dans la négociation de revenir sur un certain nombre de positions. Parallèlement, pour pousser fortement à la négociation, des sanctions.
Nous avons commencé à durcir les sanctions et si l'Iran ne change pas de position, les sanctions seront encore augmentées. Évidemment, je le répète, la bonne solution, ce serait que diplomatiquement, par la négociation, l'Iran prenne des mesures concrètes montrant qu'il ne veut pas l'arme atomique mais seulement l'énergie civile. Si les choses se passent ainsi, c'est parfait. Seulement il faut être vigilant. Pour le moment malheureusement, l'Iran n'a pas encore bougé.
Q - Vous avez dit qu'une frappe israélienne pourrait se retourner contre Israël.
R - Ce n'est pas un problème israélien, c'est un problème iranien. Il faut que l'Iran accepte de faire ce geste. S'il n'accepte pas c'est une menace évidemment, contre la paix de toute cette région. Et à ce moment-là, que peut-il arriver ? La bonne solution c'est que l'Iran conformément aux résolutions internationales accepte de renoncer à posséder l'arme nucléaire. Car l'arme nucléaire dans la main de l'Iran serait un danger pour tous.
Q - Quel regard portez-vous sur la crise politique en Tunisie ? Vous avez parlé d'un obscurantisme dans ce pays. Pourriez-vous...
R - J'ai été toujours très prudent dans mon expression. Un ministre des affaires étrangères doit toujours être diplomate et la situation est complexe. Il y a des révolutions arabes dans différents pays. J'ai toujours pensé que les révolutions prendraient du temps - on le voit dans le cas de la Révolution française qui a commencé en 1789 mais qui a pris beaucoup de temps avant de se terminer. D'autre part, les révolutions ne sont jamais linéaires. Il y a des hauts et des bas, mais je pensais qu'en Tunisie, qui est un pays qui n'est pas très grand, qui a un niveau d'éducation élevé dont l'économie est assez solide, avec une tradition, de droit des femmes, les choses se passeraient peut-être plus facilement qu'ailleurs. Je le souhaite toujours. Il est vrai qu'au moment où vous m'interrogez, il y a des tensions.
Par rapport à cela, en tant que ministre des affaires étrangères, je dis que la France évidemment n'a aucune ingérence à pratiquer dans la politique tunisienne. C'est aux Tunisiens de décider ce qu'ils veulent faire. En même temps, il ne peut pas y avoir de solution par la violence ; c'est le dialogue, le dialogue politique qui peut permettre d'avoir une solution. Bien sûr, nous appuyons économiquement tous ces pays et notamment la Tunisie. Nous n'avons pas à nous ingérer mais nous souhaitons que les droits soient respectés : les droits des femmes, les droits des minorités, le droit à l'alternance. Je ne dis rien de plus. Je souhaite que des solutions pacifiques soient trouvées. N'oublions pas que les Printemps arabes, à l'origine, c'est une demande de dignité, de lutte contre la corruption, d'amélioration de la situation économique, de justice sociale, notamment pour la jeunesse. C'est cela que demande toujours le peuple. Ce n'est pas facile à satisfaire mais c'est vers cela qu'il faut aller, sans violence.
Q - En Égypte, deux ans après le départ de Hosni Moubarak, peut-on parler d'une révolution avortée, confisquée, dans ce pays ?
R - La situation est difficile en Égypte et puis, compte tenu de la taille de la population - plus de 80 millions d'habitants -, de l'importance de l'Égypte dans l'ensemble du monde arabe par rapport à la question israélo-palestinienne, c'est très délicat. La situation économique et sociale n'est pas favorable. Et il y a des tensions politiques fortes.
Là encore, nous n'avons pas à nous substituer aux autorités ni au peuple, mais il ne peut y avoir de solution que par le dialogue. La violence ne règle absolument rien. Vous savez que la France est traditionnellement la patrie des droits de l'Homme. Nous essayons d'appuyer les peuples autant que nous le pouvons. Nous n'avons pas, encore une fois, à faire ingérence, mais nous souhaitons vraiment, qu'il s'agisse de l'Égypte, de la Tunisie ou d'autres pays - à chaque fois la situation est différente - que l'on trouve des solutions pacifiques.
Q - Un mot sur le conflit israélo-palestinien. Craignez-vous que cette année soit une année blanche pour la paix, dans cette région ?
R - Je souhaite que ce ne soit pas une année blanche pour la paix. Au contraire, j'aimerais que cette année soit faste pour la paix. Pour cela, il faut que des deux côtés, côté israélien, côté palestinien, on se remette à négocier sans pré-conditions. Nos positions sont tout à fait claires. La solution c'est celle des deux États. Il faut que les Palestiniens aient vraiment leurs droits reconnus parce que justice ne leur est pas rendue. Il faut donc qu'ils aient un État. Et il faut que les Israéliens soient en sécurité et que leur sécurité soit garantie. On connaît les paramètres qui permettent cela, mais il faut que les deux parties se remettent à négocier et la France - qui parle avec les deux parties encouragera très fortement ce dialogue. On en parle moins aujourd'hui - sans doute parce que la loi de l'information fait qu'une grave crise efface les autres - mais la question israélo-palestinienne est une question essentielle, une question de fond. Il faut absolument, au nom de la justice, de l'efficacité, de la sécurité, qu'elle puisse être réglée par les principaux intéressés.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2013