Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec RTL le 19 février 2013, sur l'intervention militaire française au Mali et sur la réduction du déficit budgétaire et de la dette publique.

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Texte intégral

Q - Vous recevrez tout à l'heure le Premier ministre du Mali, M. Cissoko qui est en visite en France. Maintenant que les villes du Nord Mali sont libérées, quels buts poursuivent les militaires français ?
R - Il y a un succès militaire qui est incontestable et dont il faut se féliciter. Maintenant, la prochaine étape, c'est à la fois de conforter le succès militaire, mais aussi de le transformer en des avancées pour la démocratie et le développement. C'est de cela dont je vais parler avec le Premier ministre malien avant de partir, demain, pour l'Amérique latine.
Concrètement, cela veut dire qu'il faut bien sûr poursuivre la consolidation. Ce sont aux troupes maliennes et aux forces africaines qu'il appartient de le faire. En même temps, il faut que le gouvernement malien lance le dialogue entre le Sud et le Nord et que l'on aille vers les élections présidentielles, qui sont prévues au mois de juillet. Parallèlement, il est nécessaire d'activer le développement parce qu'il faut toujours se rappeler que, dans cette affaire du Mali et du Sahel, il y a à la fois l'affaire militaire, l'aspect démocratique et l'aspect développement.
Q - Vous aviez dit au début du mois de février que si les choses allaient bien - peut-être vont-elles bien -, la présence des troupes françaises au Mali diminuerait à partir du mois de mars, maintenez-vous cela ?
R - Oui, on doit pouvoir commencer à décroître - cela ne veut pas dire que l'on s'en va - le nombre des troupes françaises à partir du mois de mars. Il y a actuellement 4.000 soldats. La MISMA représente un peu plus de 4.000 soldats. Je pense que si effectivement tout va bien, on pourra commencer à décroître le nombre des troupes françaises.
Q - Les otages français détenus par les rebelles, imagine-t-on dans les montagnes du Nord Mali, sont-ils toujours en vie ?
R - Je dis toujours la même chose là-dessus : beaucoup de discrétion et de détermination, mais je ne pense pas qu'il faille en parler au micro.
Q - Donc pas de nouvelles sur la libération des otages.
R - Nous sommes très actifs sur ce point pour obtenir leur libération.
Q - En tant que ministre des affaires étrangères vous êtes aussi bien entendu en responsabilités des affaires européennes. Le gouvernement français, l'exécutif français vient de reconnaitre officiellement que la barre des 3 % de déficit ne sera pas atteinte cette année. Il faudra demander une dérogation à nos partenaires européens. Pensez-vous qu'ils l'accepteront ?
R - Nous verrons. Je sais que vendredi prochain la commission européenne va donner ses prévisions. Nous avons voulu être sincères. Au départ, la prévision de croissance était de 1 %, 2 % ; elle a ensuite été revue à 0,8 %. Dans toute l'Europe les choses n'ont pas l'air d'aller de manière bien fameuse, nous allons donc être obligés de revoir notre prévision à la baisse.
Q - De combien, vous avez une idée ?
R - Je ne sais pas, cela doit être fait dans les jours qui viennent...
Q - 0,2 % - 0,3 % ?
R - Oui, c'est autour de ce chiffre mais ce sur quoi je voudrais insister, et c'est le point principal, c'est que ce que nous demande l'Europe, ce n'est pas un caprice, c'est au fond une nécessité pour la France : les mots qu'il faut avoir à l'esprit, c'est l'indépendance nationale et l'avenir de nos enfants. Nous avons une situation de dette qui est extrêmement lourde. Je me rappelle que souvent vous insistiez là-dessus quand nous sommes arrivés aux responsabilités. Il y avait presque 2.000 milliards d'euros de dettes ; c'est intenable. Si nous voulons regagner notre indépendance nationale, l'assurer, nous sommes obligés de faire des économies absolument indispensables. Et pour l'avenir de nos enfants, il faut que parallèlement, comme le monde est en train de changer, nous investissions au maximum.
Ce que nous devons donc faire, et que l'Europe nous demande, c'est mettre l'accent sur les économies et sur l'investissement. C'est cela, fondamentalement, la politique du gouvernement français. Cela a d'ores et déjà été enclenché et il faut le conforter.
Q - On appelle ça de la rigueur ?
R - On appelle cela comme on veut, on appelle cela du sérieux budgétaire.
Q - Si on nomme les choses pour les faire comprendre, on appelle ça comment ?
R - Oui, le cas échéant, pourquoi ne pas dire que c'est une politique rigoureuse, mais en même temps d'investissement. On dit souvent qu'il y a une crise, c'est tout à fait exact mais c'est plus profond que cela - je suis assez bien placé pour le voir -, c'est un changement total de monde. Il se trouve que ce changement a lieu aujourd'hui lors de la présidence de François Hollande, sous ce gouvernement, dans la France d'aujourd'hui.
Nous étions l'autre jour en Inde où il y a 1,3 milliard d'habitants et où le nombre d'ingénieurs équivaut à l'ensemble de la population française. En Chine, en 2030, il y aura 143 villes de plus d'un million d'habitants. Tout est en train d'exploser et il faut que la France non seulement résiste mais fasse son chemin, ce qui demande des investissements, donc des économies sur le fonctionnement. C'est cela que l'on veut faire dans la justice.
Q - Beaucoup à gauche, y compris des ministres, ne partagent pas votre point de vue.
R - Cela dépend où on fait les économies. S'il s'agit d'économies sur les investissements, non, mais des économies sur le fonctionnement, oui. Que ce soit au niveau de l'État, au niveau des collectivités locales, au niveau de la Sécurité sociale. Les Français font des économies dans leur foyer, ils comprennent bien que c'est la même chose qu'il faut faire au niveau gouvernemental.
Q - Sans le dire explicitement regrettez-vous que l'objectif de réduction des déficits à 3 % soit abandonné ?
R - Non, il faut être très sérieux, il n'est pas abandonné. Il y aura peut-être un décalage.
Q - Il faut enlever le «peut-être».
R - Enlevez le «peut-être» si vous voulez, mais il faut aller petit à petit, peu à peu vers non-seulement une réduction sous les 3 % mais surtout tendre vers zéro. C'est une affaire d'indépendance nationale. Vous ne pouvez pas vivre, c'est vrai pour un foyer comme pour un pays, avec une dette de 2 000 milliards d'euros.
(...)
Q - Puisque nous parlons d'Europe, est-ce que vous êtes favorable au retour du scrutin national pour les prochaines élections européennes ?
R - Je m'interroge, je ne suis pas sûr que ce soit la priorité absolue. Je me contente de mon modeste domaine, la conduite de la diplomatie française dans l'ensemble des pays.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2013