Texte intégral
Q - Un soldat français a donc été tué hier au Mali. Est-ce qu'on en sait plus ce matin sur les circonstances dans lesquelles il a été abattu ?
R - D'abord, il est mort pour notre liberté. Le sergent-chef Vormezeele était un légionnaire, de grande qualité, naturalisé français. Grâce à son action, ses exemples, son professionnalisme, il est mort pour notre liberté, pour notre sécurité, dans une phase de conquête du Nord Mali, dans la dernière phase des opérations.
Q - Une nouvelle opération.
R - C'est une région qui s'appelle l'Adrar des Ifoghas, mais peu importe le nom. C'est une région montagneuse, désertique, qui est grande comme la moitié de la France, et où il y a un vrai sanctuaire terroriste, où manifestement les djihadistes sont réfugiés, les chefs, une partie d'entre eux. Et nous avons commencé depuis 3 jours la pénétration dans cette zone, qui est très importante, avec les forces spéciales, et puis aussi avec des unités d'appoint, et c'est dans ce cadre que ce sergent-chef est mort. Il était au 2ème REP, régiment étranger de parachutistes de Calvi, et je salue sa mémoire, et puis je fais un signe aussi à ses camarades, mais il faut poursuivre, parce qu'il y a, là, la fin de l'opération. Il faut aller jusqu'au bout de la libération du territoire.
Q - C'est la phase finale de cette guerre, vous voulez dire ?
R - C'est la phase finale de la libération du Mali, en attendant que les forces françaises soient relayées par les forces africaines. Il faut aller jusqu'au bout, le président de la République a souhaité et a dit avec beaucoup de force que l'ensemble du territoire malien devait retrouver son intégrité. Nous sommes dans la phase finale, mais c'est la phase la plus difficile, parce que c'est le réduit de djihadistes et de toutes les bandes qui trafiquent dans ce secteur, ce que j'appelle, moi, les narco-djihadistes.
Q - Est-ce que ce sont là que se trouvent les soldats les plus aguerris parmi les rebelles ?
R - Parmi les rebelles, oui, sûrement, et les plus fondamentalistes sont là, et les plus durs, et les plus organisés. Donc c'est une phase assez complexe, on s'attendait à de la résistance, il y en a eu, il y a des combats très violents, hier, peut-être encore aujourd'hui. Nous agissons avec beaucoup de détermination, nos forces sont exemplaires dans cette affaire.
Q - Comment, justement, nos forces agissent ? Elles sont appuyées par l'aérien, par... ?
R - Elles sont appuyées. Selon les sites, selon les opérations, elles agissent différemment...
Q - Mais là, dans le cas précis.
R - Dans le cas précis, il y a un soutien aérien, et nous avons pu, dans les 2 jours qui viennent de se passer, repérer des cibles avec des réserves d'armes, avec des réserves d'essence, et nous avons pu opérer avant que les forces spéciales et les soutiens qui viennent après n'interviennent, donc ce sont des opérations conjointes. Mais la manière dont fonctionnent nos forces dans cette affaire est tout à fait exemplaire.
Q - Comment les rebelles ont été repérés, là-bas ?
R - Par les voies aériennes et par des renseignements humains.
Q - C'est-à-dire ?
R - Je ne vais pas faire de dessin.
Q - Alors, il y a cette attaque finale, dont vous parlez, il y a aussi...
R - Qui va durer un certain temps, c'est-à-dire, un territoire qui est grand comme la moitié de la France, on ne le reprend pas en 3 jours.
Q - C'est-à-dire, combien de jours ? Des semaines, des mois ?
R - Peut-être pas trop longtemps, mais il faut sécuriser l'ensemble du territoire, et à ce moment-là notre mission...
Q - Et c'est très risqué.
R - Et c'est très risqué ; à ce moment-là notre mission sera achevée. Et nous avions répondu à l'appel du président du Mali, pour sauvegarder l'unité de ce territoire, l'existence même du Mali, et pour assurer aussi notre propre sécurité. Parce que, quand on regarde ce qui se passe dans les villes que nous avons reprises, avec les forces maliennes, lorsqu'on sécurise, à partir des villes comme Gao, Tombouctou, Kidal et autres, lorsqu'on sécurise autour, qu'est-ce qu'on retrouve ? Des laboratoires d'engins explosifs improvisés, des gilets préparés pour les kamikazes, des caches d'armes importantes, y compris des armes lourdes. Il y avait une volonté de faire en sorte que ce territoire devienne un sanctuaire djihadiste à partir duquel on attaquait, non seulement le territoire africain, mais aussi le territoire français. Donc c'est notre propre sécurité qui était en cause.
Q - Vous parliez du territoire français, est-ce qu'il y a une menace aujourd'hui sur ce territoire, français ?
R - Non, mais il peut y en avoir, puisqu'on a éradiqué sur place beaucoup de caches, et on a porté des coups très significatifs contre les terroristes, heureusement.
Q - Mais est-ce qu'il y a des djihadistes...
R - Si nous ne l'avions pas fait, alors...
Q - Est-ce qu'il y a des djihadistes qui se cachent encore dans ces régions ?
R - Au Mali ?
Q - Oui.
R - Oui, dans la partie...
Q - Derrière l'armée française ?
R - Dans la partie reconquise, oui sans doute, et donc le travail des forces françaises et des forces maliennes, et des forces africaines, c'est de sécuriser à partir des villes que nous avons libérées, et c'est ce qu'ils sont en train de faire, et c'est pourquoi il se produit parfois des incidents, il y en a eus il y a une dizaine de jours à Gao, il peut y en avoir demain. Il faut faire en sorte que l'ensemble du territoire malien retrouve sa sérénité, c'est la mission que nous a donnée le président de la République.
Q - Est-ce que ces djihadistes bénéficient d'un certain soutien de la population, d'une partie de la population ?
R - Je ne l'ai jamais constaté. En tout cas, ce qui est certain, c'est que la population du Sud a accueilli l'armée française comme une armée de libération, ce qu'elle était. J'étais avec le président de la République à Bamako et on sentait cette ferveur, cette émotion, d'un peuple qui n'a plus peur, alors qu'ils avaient été pendant des semaines sous le joug des lois fondamentalistes, sous le joug des terroristes, là il y avait une vraie libération, et sur la partie Nord non plus. C'est-à-dire que ces djihadistes-là, ces groupes terroristes-là ne sont pas accueillis par la population, ne sont pas mêlés à la population, ils sont extérieurs, ce sont des groupes internationaux. C'est la même mouvance, les mêmes méthodes, que l'on constate en Somalie avec les Shebab, ou qu'on constate malheureusement au Nigeria avec le groupe Boko Haram. Ce sont les mêmes méthodes.
Q - Justement, l'autre actualité ce sont ces enlèvements de Français au Cameroun. Est-ce que vous pensez que c'est lié à l'intervention française au Mali ?
R - Non, on ne peut pas le dire. Nous estimons que c'est la secte Boko Haram qui a procédé à l'enlèvement, mais on n'a pas encore la signature, mais là, malheureusement, la terreur succède à l'horreur. Maintenant cette secte - parce que je pense que c'est Boko Haram qui est à l'origine - est en train d'enlever des enfants. Mais le Nigeria c'est une autre situation. Cette secte est à l'action depuis déjà plusieurs mois...
Q - Donc pour vous le lien n'est pas établi entre les deux ?
R - À l'heure actuelle non, mais la méthode oui, ce sont des groupes qui se réclament du même fondamentalisme, qui ont les mêmes méthodes, que ce soit au Mali, que ce soit en Somalie, et que ce soit au Nigéria, et ce sont des groupes qui menacent notre propre sécurité. Et ce sont des groupes qui veulent faire vivre une zone de non-droit entre la Guinée-Bissau, le golfe de Guinée, pour aller vite, et le Soudan, à un très grand Sahel, qui est une zone où se passent tous les trafics, et qui est utilisée - trafic de drogue, trafic d'armes, trafic d'otages - par les fondamentalistes comme devanture pour faire passer une méthode terroriste et un mouvement qui peut, ensuite, agir en Europe. Donc c'est une situation qui est grave.
Q - Est-ce que vous ne craignez pas un scénario à l'afghane dans cette guerre, c'est-à-dire, des kamikazes... ?
R - Non, parce qu'il n'y a pas de... il y a des méthodes qui sont communes, mais il n'y a pas d'insertion dans la population, c'est une zone totalement différente, ce sont des groupes beaucoup plus restreints. Mon rôle de ministre de la défense c'est précisément, à la demande du président de la République, de faire en sorte que ces groupes soient éradiqués, c'est ce que nous faisons en ce moment dans la partie Nord du Mali.
Q - C'est-à-dire, éradiquer, c'est-à-dire qu'il ne faut pas les laisser fuir, c'est ça ?
R - Il faut les neutraliser. C'est-à-dire les éliminer, en termes clairs.
Q - Physiquement ?
R - C'est ce qui s'est passé hier, parce que nous avons cette mort, mais nous avons eu aussi beaucoup de terroristes qui ont été éliminés, une bonne vingtaine. Dans ces cas-là, c'est la guerre, c'est une guerre, certes, discrète, mais c'est une vraie guerre que nous menons au Mali, avec des vrais combats. Je lisais dans la presse récemment que c'était une guerre secrète, non, malheureusement c'est une vraie guerre, et c'est un vrai ennemi, c'est un vrai adversaire.
Q - Les Français vont rester jusqu'à quand ?
R - Jusqu'à ce que nous passions le relais aux forces africaines, ce qu'on appelle la MISMA, vous savez que les Nations unies...
Q - On ne les sent pas très actives sur le terrain.
R - Pour l'instant elles ne sont pas en situation, il va falloir...
Q - Donc nous sommes là pour longtemps ?
R - Non, nous ne sommes pas là pour longtemps, nous n'avons pas vocation à rester, je pense qu'assez rapidement nos premières unités reviendront. Il faut que notre mission...
Q - À quelle échéance ?
R - Je ne peux pas donner de date, mais c'est une question de semaines.
Q Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2013