Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à Radio Classique le 21 février 2013, sur la situation économique et la polémique entre le patron de Titan et Arnaud Montebourg à propos de Goodyear.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Évidemment, j’ai amené l’International Herald Tribune parce que cette affaire TITAN-MONTEBOURG fait la Une de la presse américaine. Est-ce que ce n’est quand même pas une opération qu’on aurait pu s’éviter ? Je sais bien que c'est lui qui a commencé mais en lui répondant vertement – c’est ce qu’a fait Arnaud MONTEBOURG – est-ce qu’il n’est pas en train de mettre de l’huile sur le feu ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne crois pas du tout. Non, non, non. Le courrier d’Arnaud MONTEBOURG a un intérêt, c’est j’allais dire d’argumenter et de démontrer à monsieur TAYLOR qu’il aurait eu bien du mal à trouver des cosignataires à sa lettre pour le moins surprenante, pour le moins agressive et pour le moins discourtoise. Vous savez, notre pays – je crois que c’est reconnu par toutes les études sur le sujet – est le pays où on trouve le taux de productivité maximum par rapport à nos voisins, un pays où on trouve un niveau d’infrastructures, un niveau de formation, un niveau au fond de qualité de main d’oeuvre qui fait qu’aujourd'hui nous sommes l’une des principales destinations des investissements étrangers et ça n’est pas par hasard. Et donc, c’est vrai que la lettre de Monsieur TITAN (sic) était particulièrement mal fondée.
GUILLAUME DURAND
Elle est violente ! Il nous traite de fainéants.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mal renseignée, parce que même lorsqu’il évoque les ouvriers qui soi-disant ne travaillent que trois heures par jour, il oublie de préciser que les fameux ouvriers étaient en activité partielle ; c'est bien toute la difficulté de l’entreprise GOODYEAR. Je crois que ça méritait réponse, pas surenchère mais réponse.
GUILLAUME DURAND
Mais réponse jusqu’à rétorsion sur importation éventuelle de ses pneus en France ? Parce que, quand même, la fin de la lettre c'est en gros : « Viens avec tes pneus, je t’attends. » Pardonnez-moi, je caricature parce que nous sommes tous de bonne humeur le matin, mais c’est un peu ça quand même.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le ministre du Redressement productif s’est contenté de rappeler que la France, en effet, s’était dotée de règles sur en effet l’origine, la qualité à la fois en termes éthique, environnemental, et cætera des produits qu’elle accueille sur son territoire, choses d’ailleurs qu’il faut sans doute encore améliorer. C'est l’objet du travail que nous entreprenons au niveau de la Commission européenne parce que, après tout, nos pays peuvent aussi se protéger contre une concurrence mondiale.
GUILLAUME DURAND
En fait, vous le défendez de A à Z, il n’y a pas de problème, cette lettre n’a aucun intérêt.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
La lettre ? De monsieur TAYLOR ?
GUILLAUME DURAND
Oui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais ce n’est pas seulement qu’elle n’a aucun intérêt.
GUILLAUME DURAND
C'est qu’elle est désagréable.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C’est qu’elle est insultante, enfin. Elle est totalement insultante et donc je pense qu’une réponse était méritée, oui.
MICHAEL SZAMES
Vous avez décidé, le gouvernement a décidé de rétablir un jour de carence pour les fonctionnaires. C'est quoi ? C'est un cadeau alors que les salaires vont être gelés ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. C'est simplement le bilan qui a été tiré de la mesure introduite en 2012 par notre prédécesseur, cette mesure qui, en réalité, était une mesure injuste et inefficace. De quoi s’agissait-il, pour remettre les choses dans l’ordre ? Il s’agissait de remettre soi-disant de l’équité entre les salariés du privé et les fonctionnaires puisque les salariés du privé sont soumis à trois jours de carence lorsqu’ils prennent un arrêt maladie, là où les fonctionnaires n’en avaient pas. Donc, Nicolas SARKOZY avait jugé bon à l’époque d’imposer un jour de carence aux fonctionnaires aussi, ça veut donc dire un jour pendant lequel ils n’étaient pas rémunérés du tout au début de leur arrêt maladie pour lutter contre soi-disant l’absentéisme. Or, il y a deux choses que nous devons relever aujourd'hui. C'est qu’il n’y a pas de différence d’absentéisme entre les fonctionnaires et les salariés du privé, les études de la DARES le démontrent : on est à 3,7 % pour les uns et 3,9 % pour les autres. Ça, c’est une première chose. La deuxième chose, c'est que la disposition Sarkozy a plongé les fonctionnaires dans une situation compliquée parce que là où les salariés du privé pour les deux tiers d’entre eux avaient par le biais de convention de branche ou de convention d’entreprise une prise en charge quand même de leur premier jour de carence par l’entreprise, les fonctionnaires, eux, se sont retrouvés avec ce jour de carence sans aucune rémunération. Donc ça les a plongés dans la difficulté et ça n’a rien arrangé.
MICHAEL SZAMES
Cette mesure va coûter soixante millions d’euros à l’État alors que Bruxelles, dont on attend évidemment les explications vendredi sur les taux de croissance, va nous regarder de très, très près. Est-ce que ça va dans le bon sens, cette mesure ? On rajoute soixante millions.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D’abord ça représente moins de 0,1 % de la masse salariale et ce sera évidemment compenser par des mesures en gestion de la part des employeurs publics en question et puis surtout, pardonnez-moi, mais ce qui importe je crois c’est quand même la qualité du service public.
MICHAEL SZAMES
Oui, mais si on doit faire des économies un peu partout…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais non parce que parfois, vous savez, des économies de bout de chandelle vous amènent de grandes difficultés et c'est un petit peu ce qu’on reproche aux mesures Sarkozy. C'est-à-dire que concrètement, ce qui s’est passé par exemple, c’est que dans la plupart des cas vous n’avez pas eu de réduction du nombre de congés maladie. Là où vous en avez eue, certes il y a eu réduction du nombre ; en revanche, augmentation de la durée des congés maladie. Pourquoi ? Parce que quitte à avoir cette journée de carence, vous en souffrez puis ensuite vous faites durer votre congé maladie plus longtemps. Ça, pour le coup, ça a désorganisé les services auxquels appartenaient les fonctionnaires en question de façon grave. Donc vous voyez que parfois, les idées simples voire simplistes ne sont pas vraiment les meilleures pour résoudre les problèmes. Juste un mot : quand on s’intéresse sérieusement à l’absentéisme, il faut s’intéresser non pas simplement aux symptômes mais aux causes, et on voit bien qu’il y a un certain nombre de services publics qui souffrent, qui souffrent notamment du fait de la RGPP, du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Donc c’est tout cela que le gouvernement essaye de reprendre intelligemment dans le cadre, d’ailleurs, d’une négociation avec les partenaires sociaux qui se déroule assez bien.
GUILLAUME DURAND
Ce jeudi, la BPI à Dijon. Ségolène ROYAL, toute la presse en parle ce matin, donc vice-présidente, porte-parole. Il y a deux versions des choses : juste retour des choses pour un talent ; après tout, elle a été la candidate de la gauche aux présidentielles. Et puis, une partie de la droite qui dit : « C'est encore du copinage. » Vous avez lu ces accusations ou ces jugements comme moi ce matin. Alors, comment faut-il faire la part des choses justement sur ce cas qui est quand même épineux, parce qu’on a l’impression que depuis le quinquennat de François HOLLANDE on ne sait pas très bien où il fallait peut-être que Ségolène ROYAL exerce ses talents.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Écoutez, ce qui est sûr c'est que c’est aujourd'hui qu’elle doit être désignée. Je le redis toujours parce que je trouve que les choses ne sont pas suffisamment précisées. C'est aujourd'hui qu’elle doit être désignée par les membres du conseil d’administration de la Banque Publique d'Investissement. Conseil d’administration de la Banque Publique d'Investissement dont je salue la parité puisque nous avons oeuvré pour qu’elle le soit.
GUILLAUME DURAND
Copinage ou pas ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Comment ça, copinage ? Elle y est d’abord au titre des régions, elle représente les régions. Donc j’allais dire, il se trouve que la plupart des régions, ça ne vous aura pas échappé, sont de gauche. On avait beaucoup de chance pour que la personnalité qui représente les régions au sein de la Banque Publique d'Investissement soit une personnalité politique de gauche ; première chose. Deuxième chose, elle a porté, défendu, peut-être même la première, ce projet de Banque Publique d'Investissement. C'est elle qui l’a conçue par exemple de façon expérimentale dans sa région et aujourd'hui, on sait que c'est un projet, qu’elle connaît.
GUILLAUME DURAND
Donc c'est une certaine forme de légitimité.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr, c’est une légitimité. Elle a la légitimité politique comme présidente de région Poitou-Charentes, elle a la légitimité technique parce que c'est un projet qu’elle a vraiment beaucoup réfléchi, pensé et même expérimenté dans son territoire. Donc moi, je crois qu’elle est particulièrement bienvenue à ce…
GUILLAUME DURAND
Mais c'est un début de retour ? Un éternel retour ? Un retour fracassant ? Parce que vous savez bien que c’est jugé par la presse en termes politiques quelle que soit sa légitimité.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais parce que la presse aime bien le story telling, aime bien raconter les histoires. Mais on parle de retour lorsque quelqu'un a disparu. Est-ce qu’elle avait disparu ? Non, pas du tout.
GUILLAUME DURAND
Elle avait l’air de le considérer, elle, quand même. Qu’on l’a laissée de côté…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Écoutez, c’est faire peu de cas quand même de ses électeurs de Poitou-Charentes auxquels elle se consacrait ces derniers mois. Objectivement, elle n’a pas cessé de faire entendre une voix, une voix qui compte, une voix dont beaucoup ont reconnu que nous avions besoin parce que ces dernières années elle a su quand même révolutionner à la fois la façon de penser du Parti socialiste mais aussi un certain nombre de logiciels que le paysage politique de manière générale avait fait sien.
GUILLAUME DURAND
On va parler du Cameroun dans un instant avec Michael. Je voulais simplement vous demander, parce que c’est aussi une chose importante, vous vous occupez des femmes dans l’ensemble de la société française ; cette journée qu’on attend tous le 8 mars, est-ce qu’elle aura quelque chose cette année de particulier ? ou est-ce qu’on va revivre une journée telle que ça s’est présenté auparavant ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, c’est vrai que… Bon, il y a deux choses. D’abord pour nous, le 8 mars ce sera d’ailleurs notre slogan, mais le 8 mars c’est tout l’année. Donc c'est vrai que le côté un peu cérémonial d’une seule journée, on en parle et puis ensuite on s’exonère pour le reste de l’année, je crois qu’il faut y mettre fin. On a un programme assez intéressant dans lequel toute l’année sera investie par des événements, un certain nombre y compris de projets de loi d’ailleurs, enfin des choses qui vont faire évoluer les droits des femmes pendant trois cent soixante-cinq jours, les trois cent soixante-cinq jours qui viennent. Mais surtout, le 8 mars me semble-t-il doit devenir un peu moins un moment de cérémonie et un peu plus un moment d’évaluation de nos politiques. C'est à cela que nous allons nous prêter puisque l’idée, c’est de demander à la société civile sous sa forme associative, intellectuelle, chercheurs, et cætera, de porter un jugement sur ce qui a été fait par les politiques publiques pour faire progresser l’égalité hommes-femmes.
GUILLAUME DURAND
Mais dans ce domaine, l’atrocité c’est les différences salariales. Il y a des problèmes de comportement mais vous savez très bien que dans le privé, ou en tous cas dans un certain nombre d’entreprises, le vrai problème est là.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C’est les inégalités salariales qu’il faut prendre, j’allais dire, dans toutes leurs dimensions. C'est-à-dire que trop souvent, on dit : « Ce qui est insupportable, c’est qu’une femme soit payée moins qu’un homme à travail égal », sauf que ça, ça représente une minorité finalement des situations. Les inégalités professionnelles, elles sont bien plus complexes que ça. Elles commencent, vous voyez, au moment de l’orientation scolaire. Pourquoi les filles ne vont pas dans les mêmes filières que les garçons ? Ensuite, pourquoi les filles atterrissent plutôt dans des métiers précarisés par rapport aux garçons en moyenne, alors même qu’elles ont de meilleurs résultats scolaires, ce qui est quand même assez extraordinaire ? Ensuite, pourquoi est-ce que les congés familiaux – oui, le fait d’être fille, femme, vous expose et c'est heureux à une probabilité de maternité – pourquoi est-ce que les congés familiaux lèsent encore aujourd'hui les femmes ? C'est-à-dire que quand elles reviennent, on les incite plutôt à se mettre à quatre-vingt pour cents, on les fait passer à côté des promotions contrairement à leurs collègues masculins, et cætera. Tout ça, c'est que nous devons faire évoluer, tout comme nous devons évidemment être beaucoup plus coercitifs sur la question des inégalités salariales à travail égal.
GUILLAUME DURAND
Michael, on termine. Pardon à nos amis de Public Sénat, nous allons prendre une minute supplémentaire mais c'est important d’avoir des informations sur ce qui se passe à la frontière entre le Cameroun et le Nigeria.
MICHAEL SZAMES
Est-ce que vous avez déjà peut-être des nouvelles ? Est-ce que les otages sont au Nigéria ou toujours au Cameroun ? Deuxièmement, à situation inédite réponse inédite ; est-ce que la France ne devrait pas payer pour récupérer les enfants ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le problème, c'est celui de l’incitation à la prise d’otages, vous l’aurez bien compris. La question aujourd'hui, c'est d’ailleurs la raison pour laquelle le président de la République répète régulièrement que nous devons rester déterminés au Mali et aller jusqu’au bout, la question c’est de faire disparaître les poches de terrorisme et donc les poches de prise d’otages. Or, ce que relève cette dernière prise d’otages, c'est que non seulement le risque était bien là avant que nous n’intervenions au Mali – d’ailleurs, nous avons déjà des otages malheureusement de longue date – mais en plus que le risque ne se concentrait pas dans le seul Mali, qu’il est dans toute la région du Sahel, qu’il est extrêmement préoccupant et qu’à ne rien faire, on risquait d’y laisser se développer finalement une zone de non-droit.
MICHAEL SZAMES
Bien sûr, mais sur ce cas très particulier aujourd'hui d’enfants pris en otage, c'est une première.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais vous savez sur ce cas – d’abord, la nature des opérations que nous menons pour récupérer cette famille du reste est confidentielle si nous voulons qu’elle ait quelque efficacité – mais pour le reste, je vous le dis…
GUILLAUME DURAND
Donc on ne peut pas exclure une intervention. Ce n’est pas forcément que des gendarmes enquêteurs qui sont sur place.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Écoutez, vraiment je préfère ne pas vous en dire plus sur ce sujet. En revanche, ce dont je suis sûre, c'est que tout ce qui pourrait être de mesure à inciter d’autres groupes terroristes, parce que malheureusement ils sont plusieurs, d’autres groupes terroristes à procéder à de telles prises d’otages serait évidemment très malvenu.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 février 2013