Déclarations de M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, et de M. Bernard Caznave, ministre des affaires européennes, sur le budget européen pour 2014 - 2020, à l'Assemblée nationale le 20 février 2013.

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Circonstance : Déclaration du Gouvernement sur le cadre financier pluriannuel 2014 - 2020 de l’Union européenne et débat sur cette déclaration, à l'Assemblée nationale le 20 février 2013

Texte intégral

* M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Députés, plusieurs d'entre vous ont souhaité ce débat, auquel j'apporte ma contribution avec plaisir.
C'est la première fois dans l'histoire de l'Union européenne que les États membres négocient et concluent à vingt-sept un accord sur le budget pluriannuel - ce qui était loin d'être évident.
Les négociations sur les perspectives financières se tiennent tous les sept ans. À six, à neuf, à douze ou à quinze, elles n'ont jamais été faciles : pouvaient-elles l'être davantage à vingt-sept ?
Pourtant les États membres ont trouvé la voie d'un consensus, certes dans l'effort, mais sans que jamais aucun d'eux ne renonce à ses intérêts essentiels. Telle est la force du projet européen.
Lors de ces intenses négociations, les États forgent les compromis qui font progresser la cause de l'Europe, dans le respect de la volonté politique de chacun. L'exercice était particulièrement difficile, et ce pour l'ensemble des États. Le processus de décision à l'unanimité en effet peut créer des blocages, et l'échec du Conseil de novembre a rappelé s'il en était besoin qu'il demeurait un risque d'échouer à nouveau.
Il est donc nécessaire à certains moments de rechercher des compromis, de tout faire pour éviter les impasses. C'est cette voie qui a su être trouvée.
L'exercice était particulièrement difficile pour notre pays, car le président de la République a dû emporter la conviction d'un Conseil très largement conservateur - pas comme ici, à l'Assemblée nationale ! Pour orienter l'Union européenne vers des objectifs ambitieux, qui répondent aux engagements pris devant les Français au moment de l'élection présidentielle, il faut se battre. Le président de la République l'a fait.
Les 7 et 8 février, ce ne sont pas seulement des États qui ont tenté de faire converger leurs intérêts, ce sont également des sensibilités politiques différentes, voire divergentes, qui se sont fait face sur des sujets aussi essentiels que les politiques de croissance et les outils de solidarité.
Pourtant, malgré les difficultés de la recherche du consensus, malgré la force des conservatismes, la France a atteint ses objectifs : nos retours sur la PAC sont maintenus, les régions en transition ont été créées, les dépenses de croissance et d'emploi sont en progression, et la contribution de la France aux fameux chèques et rabais a été limitée.
Étrangement, j'ai entendu dire que nous étions isolés. Chacun a pourtant pu constater que le compromis atteint est essentiellement le fruit d'un rapprochement méthodique entre les positions françaises et allemandes, et qu'il a réuni quasiment tous les États membres sans évoquer la coopération plus spécifique nouée par notre pays avec la Pologne, l'Italie et l'Espagne autour de la préservation des politiques communes.
Nous devons être fiers de ce qui a été fait, même si certains auraient voulu obtenir davantage. La France a joué un rôle majeur, celui de lien entre les contributeurs nets et les bénéficiaires nets. Elle a contribué à la mise au point d'un compromis d'équilibre entre les préoccupations nationales et les ambitions européennes.
Sans vouloir être désagréable avec nos amis de Londres, la France a d'ailleurs bloqué les rêves britanniques de réduction draconienne des crédits d'engagement qui, au final, seront supérieurs d'environ 100 milliards d'euros au budget exécuté pour la période actuelle ; quant à la différence entre les crédits d'engagement et les crédits de paiement, elle est limitée à 5 %, à l'instar de ce qui avait été convenu lors des négociations précédentes. Même s'il peut sembler technique, cet acquis mérite d'être souligné. D'une manière générale, il vaut mieux être précis dans ce débat, plutôt que de lancer des appréciations aléatoires.
À aucun moment, la France n'a renoncé. Nous avons exprimé nos lignes rouges et les thèses extrêmes ne l'ont pas emporté. La solidarité a joué, et même le Royaume-Uni, dont on connaît les positions, a été obligé de renoncer à une part de ses retours - et pourtant, que n'a-t-on dit sur le chèque britannique !
C'est donc un budget à la hauteur de notre ambition pour l'Europe et pour la France que nous avons obtenu les 7 et 8 février derniers. Le président de la République a défendu un budget résolument européen, un budget qui allie le sérieux budgétaire à la croissance, un budget qui assure le financement des politiques de l'Union. C'est vrai, le sérieux et la responsabilité budgétaires s'imposent pour retrouver notre compétitivité et nos marges de manoeuvre - ces principes nécessaires n'ont d'ailleurs pas d'autre objectif : ils ne sauraient constituer une fin en soi. Mais nous ne redresserons pas nos comptes en faisant de l'austérité notre seul horizon : contrairement à ce qu'affirment certains, ce n'est pas la politique de la France.
C'est en offrant une véritable perspective de croissance que nous rétablirons l'économie européenne et la confiance des Européens. L'Europe que nous voulons est une Europe dans laquelle le sérieux budgétaire des États se voit conforté par de grandes initiatives pour la croissance et l'investissement. Une Europe qui comprend que la responsabilité nationale et le volontarisme européen ne s'annulent pas mais, au contraire, se nourrissent l'un l'autre. Une Europe qui donne une perspective d'avenir et une justification aux efforts de ses peuples. Refuser ce double mouvement, refuser cette complémentarité, c'est aggraver encore la crise économique, c'est accentuer la souffrance et le découragement, c'est prendre le risque de toutes les aventures.
Le gouvernement précédent voulait défendre la PAC au détriment de la politique de cohésion et des crédits de recherche et d'innovation. Nous avons voulu cesser d'opposer les politiques entre elles, ouvrir le débat sur les ressources propres, et défendre les programmes essentiels pour nos concitoyens en difficulté. Et nous y sommes parvenus ! Nous avons en effet trouvé la voie d'un compromis sur ces bases, un compromis répondant à nos objectifs tant sur le plan des intérêts de la France que de ceux de l'Europe.
Par ailleurs, ce compromis préserve la politique agricole commune. Il va lui permettre de se moderniser, d'être à la fois plus durable et plus équitable. Nous sommes attachés à la PAC parce que nous avons besoin d'une agriculture performante au service de la sécurité alimentaire - l'actualité nous le rappelle - mais aussi d'une industrie agroalimentaire moderne, durable et puissante. Dans ce domaine, la France dispose d'atouts pour défendre ses intérêts. Nous avons obtenu de conserver notre dotation, avec une importance accrue accordée au développement durable et des possibilités de flexibilité entre les deux piliers - nous nous sommes battus pour avancer sur cette dernière question, très importante à nos yeux. À la veille de l'ouverture du salon de l'agriculture, je note que les responsables des syndicats agricoles français ont su mesurer l'action du président de la République et ses résultats, qu'ils n'ont pas hésité à saluer. Ils ont pesé la difficulté de l'objectif et ont apprécié qu'il soit atteint.
Ce compromis préserve également la politique de cohésion. La France a réclamé et obtenu la création de la catégorie des régions en transition pour les régions dont le PIB est compris entre 75 et 90 % de la moyenne communautaire, ce dont le précédent gouvernement ne voulait pas. Dix régions françaises appartenant à cette catégorie bénéficieront d'une aide par habitant supérieure à celle des régions les plus développées, ainsi que d'un taux de cofinancement majoré. Nous avons, par ailleurs, obtenu l'aide aux régions ultrapériphériques, c'est-à-dire à nos départements d'outre-mer.
La France s'est également mobilisée sur la question de l'emploi des jeunes, conformément à l'engagement du Président de la République de placer la jeunesse au coeur de nos priorités. C'est justement l'une des innovations de ce budget : la création d'un fonds pour l'emploi des jeunes, doté de 6 milliards d'euros, pour les régions dont le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 % en 2012. Là encore, plusieurs de nos régions en bénéficieront.
Ce compromis a également permis d'augmenter une enveloppe essentielle à l'avenir de l'Europe, celle allouée à la croissance et à l'innovation, qui progressera de près de 40 % par rapport à la période actuelle. Le programme Horizon 2020 pour la recherche et le développement ainsi que le programme Erasmus verront leurs moyens croître fortement. L'Union européenne se dote donc des moyens de financer les grands projets tels que GMES, ITER et Galileo, qui nous sont chers parce qu'ils traduisent une vraie ambition, tant stratégique qu'industrielle.
Un effort particulier a également été accompli en faveur des infrastructures : le mécanisme d'interconnexion pour l'Europe, qui finance les grands projets dans le domaine des transports, de l'énergie et des télécommunications, voit sa dotation plus que doublée avec une enveloppe de 19 milliards d'euros, dont 13 consacrés au volet transports, auquel la France est particulièrement attachée.
Quant au programme européen d'aide aux plus démunis, je veux dire que, contrairement à ce que l'on a pu entendre, il a été sauvé. Les attaques de l'opposition que nous avons subies ces derniers jours ne manquent pas de saveur venant de membres d'un gouvernement qui avait acté la disparition de ce programme. Je ne sais pas si l'ancien ministre de l'agriculture est là mais je voudrais rappeler à ceux qui l'auraient oubliée la déclaration du Conseil agriculture de novembre 2011, dans laquelle le précédent gouvernement affirmait que «la France et l'Allemagne jugent que les conditions ne sont pas réunies pour la présentation par la Commission et l'adoption par le Conseil d'une proposition relative à un nouveau programme pour l'après-2013. C'est la raison pour laquelle les deux pays ne pourront pas accepter les propositions de nature juridique et financière que la Commission pourrait formuler à l'avenir concernant un tel programme.» Pour dire les choses clairement, l'ancien gouvernement s'était résigné à abandonner purement et simplement le programme européen d'aide aux plus démunis ! Nous, nous l'avons sauvé - une réussite dont nous pouvons être fiers et que j'espère que la représentation nationale saluera.
Nous avons donc défendu notre conception de la justice et de l'Europe. La France s'est battue, avec le président de la République en première ligne, et aussi grâce au travail du gouvernement. Je veux en particulier saluer le travail constant de Bernard Cazeneuve, accompli en concertation avec ses homologues ministres des affaires étrangères de chacun des gouvernements des Vingt-sept, avec lesquels il a su établir une relation de franchise, et souvent de confiance.
Nous avons obtenu la reconduction du fonds, qui bénéficiera d'une enveloppe de 2,5 milliards d'euros. Nous avons sauvé ce fonds et l'avons maintenu à un haut niveau, en obtenant qu'il ne fasse pas l'objet de coupes supplémentaires. À l'heure où la crise relègue les plus fragiles aux marges de la société, personne n'aurait compris que l'Union européenne, qui a été construite sur certaines valeurs, ne soit pas capable de prendre elle aussi sa part à l'effort de solidarité que réclame la détresse de nombre de ses citoyens.
Enfin, c'est nous qui avons lancé le débat sur les ressources propres de l'Union européenne, car c'est là qu'est l'avenir. Nous avons voulu asseoir le budget de l'Union dans la durée, sur une base plus solide que les seules contributions des États membres. J'ai la conviction que l'Europe parviendra sur ce point à un compromis, même si l'on n'effacera pas en un jour les chèques et les rabais accordés à certains pays, qui ont fini par les considérer comme des droits acquis. Nous avons d'ores et déjà obtenu une réduction des avantages accordés à certains pays à travers la contribution TVA et les droits de douane, ce qui permet de réduire la charge pesant sur les autres États membres, en particulier la France. D'autre part, le cadre financier invite les États membres, conformément au souhait de la France, à faire de la taxe sur les transactions financières la première ressource propre de l'Union européenne. Cela préfigure une autre conception de l'avenir de l'Europe, des ressources propres qui, demain, si elles sont étendues, permettront à l'Europe d'investir, d'emprunter, d'engager des politiques plus ambitieuses qu'elle ne le fait jusqu'à présent. Telle est, en tout cas, la voie dans laquelle nous nous sommes engagés. Depuis le 6 mai dernier, les choses ont commencé à changer, mais il faut persévérer.
Après le compromis de Bruxelles, il appartient désormais au Parlement européen de se prononcer. Pour la première fois en effet, en application du traité de Lisbonne, l'accord sera soumis à l'approbation du Parlement européen.
Tout au long de la négociation, la France a été très attentive à sa position et a oeuvré à ce que les points de vue du Parlement européen soient pris en compte. Le Parlement souhaite notamment - et il le confirmera - donner à ce cadre financier plus de flexibilité, entre les politiques certes, mais aussi entre les années elles-mêmes. Nous sommes prêts à l'accompagner dans cette direction, parce que ces flexibilités permettront une utilisation optimale des crédits disponibles. Chacun a pris connaissance des réticences exprimées par les différents groupes politiques du Parlement européen à l'égard de cet accord. Celui-ci devra approuver ce budget à la majorité pour qu'il puisse être adopté. Il devrait arrêter sa position en mars, c'est-à-dire dans quelques jours, ce qui permettra d'ouvrir les négociations avec la présidence irlandaise du Conseil. Telles sont les nouvelles règles du jeu, qui me paraissent positives, en ce qu'elles donnent au Parlement européen, c'est-à-dire aux représentants des citoyens de l'Union européenne, un pouvoir, une légitimité démocratique dont il ne disposait pas jusqu'à présent. Car vous le savez, mesdames et messieurs les députés, la question démocratique est au coeur de l'avenir de l'Europe. Dans ce domaine, l'Europe vient de faire un premier pas, elle devra en faire d'autres.
Nous avons donc défini un cadre budgétaire. Nous devons maintenant progresser dans les négociations législatives qui détermineront les politiques et leur exécution.
Je voudrais appeler votre attention sur ce point, parce qu'il reste de nombreux sujets à traiter, beaucoup de problèmes à régler, des avancées à préserver pour pouvoir être concrétisées. Cela vaut pour chaque pays mais en particulier pour la France, compte tenu de ses attentes.
Pour l'heure, nous devons précisément organiser le verdissement des aides de la PAC et, s'agissant de la politique de cohésion, veiller à concentrer les fonds sur les priorités en matière de croissance et surtout simplifier leur utilisation.
Quant au mécanisme pour l'interconnexion en Europe, auquel nous sommes très attachés, il devra recourir davantage au financement par les project bonds après la phase pilote actuellement en cours, comme le prévoit le pacte européen pour la croissance et l'emploi adopté en juin de l'année dernière. Et surtout, il faudra que ces financements se concrétisent dans des projets ! De nombreux projets pourraient être financés dans ce cadre, qui pourraient, je le dis ici, émaner en particulier des grandes collectivités territoriales. Certains disent que l'effort demandé aux collectivités territoriales pourrait les conduire à ne plus investir. Mais enfin, les crédits qui pourraient être alloués à ces projets par le biais de la Banque européenne d'investissement avoisinent les 7 milliards d'euros ! Il serait tout de même paradoxal qu'au moment du bilan, nous constations que ceux qui ont réclamé un soutien à l'investissement, qui auraient pu s'approprier les project bonds et les développer, n'en ont pas saisi l'opportunité ! Je lance donc un appel à tous pour le lancement de projets qui, même dans le cas o?? ils seraient privés, pourraient être relayés par les responsables locaux des régions, des départements, des intercommunalités et des villes.
En tout cas, le gouvernement est prêt à soutenir et à accompagner la préparation et la mise en oeuvre de ces projets. J'ai mentionné tout à l'heure à ce sujet les décisions que nous avons prises et que le président de la République évoquera cet après-midi en Auvergne concernant notamment l'équipement du pays en réseaux à haut débit, qui doivent être présents sur tous les territoires, et en particulier les moins denses, afin que tous les Français puissent bénéficier de ce service qui est un formidable facteur de croissance.
Voilà ce qu'il me paraissait important de dire pour vous rendre compte des conclusions du Conseil européen des 7 et 8 février 2013. Votre interpellation était parfaitement légitime et je remercie les groupes, en particulier le premier à avoir pris cette initiative, le groupe UDI, d'avoir sollicité le gouvernement.
En effet, même si l'Assemblée n'est pas tout à fait aussi remplie qu'elle l'était il y a quelques instants au moment des questions au gouvernement retransmises à la télévision, elle reste le lieu où nous devons faire en sorte de rendre l'Europe et les décisions prises par ses institutions plus populaires et plus proches des Français. C'est la raison pour laquelle le gouvernement est prêt à venir devant vous autant que nécessaire avant et après ces décisions, comme il le fait déjà au sein des commissions ; à cet égard je vous remercie pour le travail que vous faites, mesdames les présidentes des commissions, car je sais que vous sollicitez régulièrement les ministres. Ces derniers sont d'ailleurs à votre disposition, autant que je le suis moi-même pour la représentation nationale.
La construction de l'Europe est un long chemin mais nous ne devons en aucun cas renoncer. Et nous devons en tout cas être parfaitement déterminés à affronter toutes les frilosités, tous les conservatismes.
On réclamait il y a peu de temps, l'ancien président de la République par exemple, un budget de déflation. Autrement dit, ajouter de l'austérité à la faible croissance. Nous ne l'avons pas accepté, et nous nous sommes battus pour que l'orientation soit différente. Certains ne proposaient rien d'autre comme feuille de route - et je peux citer à ceux qui protestent la lettre écrite par l'ancien président de la République, qui demandait baisse sur baisse : baisse du budget, baisse des crédits d'investissement, baisse des crédits pour l'innovation. Cette étape-là appartient au passé. Nous en sommes à la suivante. Nous avons finalement obtenu une avancée dont on aurait bien sûr pu espérer qu'elle fût plus importante - mais nous avons refusé la résignation.
Nous avons fait prévaloir une nouvelle ambition pour l'Europe et pour la France. Je le dis souvent, l'Europe, l'Union, c'est un combat : combat pour l'ambition, combat pour la croissance, combat pour un nouveau modèle de développement. C'est le combat du gouvernement français, et celui des vrais Européens. Merci, Mesdames et Messieurs les Députés de la majorité, pour l'engagement qui est le vôtre.
(Interventions des parlementaires)
* M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, au préalable, je vous remercie très sincèrement pour ce long moment que nous avons passé ensemble sur les questions touchant à l'Europe, au budget européen, et je sais gré à Jean-Louis Borloo d'avoir pris l'initiative de ce débat. Celui-ci a été l'occasion d'aborder non seulement la question du budget de l'Union européenne pour la période 2014-2020, mais également beaucoup d'autres sujets qui concernent les politiques communautaires, les relations entre les pays de l'Union européenne et l'évolution des institutions.
(...)
Je partage votre regret que nous n'ayons obtenu que 2,5 milliards d'euros pour le PEAD au regard des ambitions qui étaient en effet les nôtres (...).
Ensuite, je voudrais revenir sur le fond parce que beaucoup de ce qui a été dit par les orateurs de la majorité ou de l'opposition mérite que l'on prenne le temps d'aller au bout de la discussion et de la réflexion.
Le premier point sur lequel je veux insister, c'est qu'il n'est en effet pas nécessaire, s'agissant des questions européennes, de faire revivre de vieux clivages. Vous avez comme Jean-Louis Borloo, M. Lequiller, beaucoup insisté sur ce point, d'autant plus qu'il y a eu de nombreux débats sur l'Europe au cours des dernières années, et vous avez eu tout à fait raison de le dire et de le souhaiter, mais je regrette que vous n'ayez pas suffisamment de volonté pour éviter de les ressusciter sur de faux sujets. Je vais reprendre la plupart de vos critiques et essayer, m'inspirant du souci qui est le vôtre de dépasser les clivages pour ne penser qu'à l'Europe, de vous apporter des réponses les plus précises possibles.
Tout d'abord, vous dites, comme M. Borloo, qu'il y aurait une dégradation de la relation franco-allemande. C'est la première critique, elle est récurrente, litanique, elle vient systématiquement lorsque l'on traite des questions européennes. Vous ajoutez, comme M. Borloo, qu'à la faveur du débat budgétaire qui vient de s'achever, un axe germano-britannique se substituerait à l'axe franco-allemand.
Vous êtes tous deux trop informés des questions européennes pour ne pas savoir que la relation franco-allemande ne correspond pas du tout, quand on regarde le temps long, c'est-à-dire depuis le début de l'Union européenne, à un âge d'or sans rupture qui conduirait tous les chefs d'État et de gouvernement à s'entendre spontanément sur toutes les questions, à l'exception de notre période, qui serait la seule à sacrifier la relation franco-allemande.
Vous n'ignorez tout de même pas qu'y compris la veille de la signature du traité de l'Élysée, le général de Gaulle s'interrogeait sur l'opportunité de le signer en raison des divergences entre lui et Konrad Adenauer sur l'Europe de la défense, notamment au regard du lien transatlantique, et vous savez qu'une excellente contribution de Pierre Lellouche, publiée dans Politique Internationale, le relate. Il rappelle que la relation entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer fut, pour des raisons qui tenaient à leur vision de l'Europe, tumultueuse.
Quant à Valéry Giscard d'Estaing, dont vous avez été l'un des disciples, Pierre Lequiller, il fut un grand Européen. Lorsque je lui ai rendu visite, après ma nomination au ministère des affaires européennes, pour l'interroger sur ce qu'était l'âge d'or de la relation franco-allemande, c'est-à-dire lors des rapports entre Helmut Schmidt et lui-même, il m'a répondu la chose suivante : «Avec Helmut Schmidt, nous n'étions pas d'accord sur tout. Les questions sur lesquelles nous étions d'accord étaient même assez marginales par rapport à celles sur lesquelles nous étions en désaccord. Mais nous avions décidé de ne parler ensemble que dès lors que nous étions d'accord. Moyennant quoi, les gens avaient le sentiment que nous étions d'accord sur tout.» Ils se sont, sur bien des sujets, opposés l'un à l'autre.
En effet, mais les amitiés sincères et profondes ne naissent pas en neuf mois alors qu'elles peuvent se détériorer en quelques semaines. Je me souviens de ce que fut la relation entre le précédent président de la République et Mme Merkel au moment où celui-ci a décidé de façon unilatérale, et oubliant d'en parler à la Chancelière, de refonder l'Union pour la Méditerranée. J'ai lu d'ailleurs dans l'excellent livre de Bruno Le Maire qu'il avait eu quelques propos qui avaient pu la blesser. Le fait que ce livre ait été écrit par mon prédécesseur témoigne qu'il y a des choses à dire sur ce qui s'est passé au cours du précédent quinquennat si l'on considère que la relation franco-allemande doit être entretenue dans la délicatesse des relations entre chefs d'État et de gouvernement.
Par conséquent, cette idée d'un âge d'or de la relation franco-allemande auquel nous aurions dérogé parce que le président de la République est socialiste et que la Chancelière ne l'est pas, repose sur une vision un peu courte de la relation entre nos deux pays. Mais pour vous rassurer car je ne voudrais pas que vous quittiez cet hémicycle avec l'angoisse qu'elle est à tout jamais remise en cause, je vais vous faire la liste rapide des sujets sur lesquels nous sommes tombés d'accord bien que, à l'origine, nous n'ayons pas nécessairement parlé du même point de vue.
Tout d'abord, j'entendais tout à l'heure que la supervision bancaire aurait été faite avant que nous ne soyons au pouvoir. Mais je constate simplement que l'union et la supervision bancaires ont été évoquées dans leurs fondements et leurs orientations pour la première fois à l'occasion du Conseil européen du mois de juin dernier, et que c'est lors du Conseil européen du mois d'octobre que nous sommes tombés d'accord avec l'Allemagne sur les modalités de la supervision bancaire et que nous avons trouvé un compromis. J'ajoute que c'est à l'occasion du Conseil européen du mois de décembre que nous avons défini le calendrier de l'élaboration des textes législatifs qui, par-delà la mise en place de la supervision, permettront de mettre en oeuvre l'union bancaire et la garantie des dépôts.
Vous m'avez déjà dit que la Commission a fait un excellent travail sous l'égide de M. Barnier, et comme je ne fais pas preuve du sectarisme qui a présidé à votre intervention et que je ne considère pas qu'il y a d'un côté les bons et de l'autre les méchants, je reconnais volontiers le travail qu'a accompli M. Barnier et je lui rends hommage devant la représentation nationale. Mais je considère, comme vous, qu'il ne suffit pas d'avoir de bonnes idées pour l'Union européenne pour faire de bons compromis. Il arrive que d'excellentes idées n'aboutissent pas à de bons compromis. Pour que cela soit possible, il faut qu'il y ait, à un moment donné, autour de la table du Conseil européen, des chefs d'État et de gouvernement avec suffisamment de volonté pour que ces compromis deviennent possibles. Je reconnais à Michel Barnier d'avoir eu d'excellentes idées, et c'est la raison pour laquelle vous devriez avoir l'honnêteté de reconnaître qu'il faut imputer à François Hollande la réussite du compromis sur la supervision bancaire et sur l'union bancaire avec Mme Merkel. Aussi souvent que nous aurons des approches aussi équilibrées que celle que je vous propose, nous ferons progresser l'Europe, nous ferons reculer le sectarisme et aussi la méfiance considérable que les Français peuvent éprouver à l'égard du sentiment européen.
Deuxièmement, quand vous et certains de vos collègues dites qu'un axe germano-britannique s'est substitué à l'axe franco-allemand, que la France est isolée et que M. Cameron a gagné au Conseil européen, je voudrais rappeler quelques éléments.
Lorsque David Cameron s'est prononcé pour la première fois sur le contenu du budget européen, la Commission proposait de chiffrer celui-ci à 1 047 milliards d'euros. Lui voulait 200 milliards d'euros de moins en crédits d'engagement. S'il avait gagné, nous aurions un budget de quelque 840 milliards d'euros en crédit d'engagement, alors que nous finissons avec un budget de 960 milliards d'euros. David Cameron, il y a quelques semaines, souhaitait que le niveau des crédits de paiement de l'Union européenne soit de 885 milliards d'euros... Nous terminons à 910 milliards. David Cameron refusait un certain nombre de politiques de l'Union européenne. Ainsi, il ne voulait pas du programme d'aide aux plus démunis, à l'instar de Mme Merkel, mais pas non plus du fonds d'adaptation à la mondialisation, il était absolument hostile à la politique agricole commune, considérait que les fonds de cohésion n'étaient pas utilisés comme ils devraient ; surtout, c'était d'ailleurs un engagement très fort de sa part devant la Chambre des communes, il voulait que les crédits alloués aux administrations de l'Union, qui relèvent de la rubrique 5 du budget, soient drastiquement diminués. Qu'a-t-il obtenu ? Deux milliards de coupes sur les 65 milliards de budget au titre de la rubrique 5 : belle victoire ! Quant au PEAD, j'ai dit ce qu'il en était aux termes du dernier accord franco-allemand : il est maintenu. Le fonds d'adaptation à la mondialisation, qu'il voulait ramener à 500 millions d'euros, une somme symbolique, atteint 1,5 milliard.
Il voulait être garanti de son chèque et ne voulait pas que l'on remette en cause le dispositif de ressources propres de l'Union européenne. Avec quelle décision sort-on ? Pour la première fois depuis que les budgets de l'Union européenne existent, notre contribution au rabais des autres, aux chèques des autres, va radicalement diminuer.
Pour la première fois depuis que le budget de l'Union existe, par un dispositif qui consiste à remettre en cause, d'une part, les droits de perception adossés aux droits de douane, d'autre part, les dispositifs de rétrocessions de la TVA allouée au budget de l'Union européenne, nous diminuons notre contribution aux chèques des autres.
Quant à M. Cameron qui, paraît-il, remporte une grande victoire, non seulement il n'obtient pas le niveau de coupe qu'il souhaitait mais, par ailleurs, mes chers collègues de l'opposition, je vous rappelle que le solde net de son pays se dégrade de façon considérable : de 12 points.
(...)
Les chiffres que je vous donne sont incontestables. Vous ne trouverez personne à la Commission, pas même le président Lamassoure, pour les remettre en cause. Voilà la réalité de la victoire britannique.
Venons-en à l'échec français. J'ai relu les débats sur les budgets européens précédents et j'ai par conséquent relevé les déclarations des précédents ministres de l'agriculture ou des affaires européennes lorsqu'ils venaient devant le Parlement pour défendre leur budget. Ils mesuraient leur succès pendant la négociation exclusivement à leur capacité à défendre les intérêts français.
Comment avons-nous défendu les intérêts français ? Les agriculteurs vont voir le budget de la politique agricole commune et leurs revenus diminuer de 12 %, dites-vous. Vous avez raison, Monsieur Abad, mais en France ils vont voir l'intégralité de leurs retours maintenue. Les retours s'élevaient à 57 milliards d'euros en début de négociation, soit le montant dont bénéficiaient les agriculteurs dans le précédent budget. Nous aurons exactement le même niveau de retours pour la politique agricole commune.
Quant aux régions en transition, leurs dotations sont désormais acquises. Les dotations des régions ultra-périphériques sont intégralement maintenues ; celles qui seront allouées aux régions en transition permettront de conduire des politiques significatives. Alors que le budget de la politique de cohésion diminue, la part allouée à la France s'élèvera à 14 milliards d'euros, soit le même montant que dans le précédent budget. Enfin, notre contribution aux rabais des autres diminue significativement, au point que nous pouvons présenter un solde net qui n'est pas négatif.
Enfin, je voudrais terminer sur l'Europe. Après tout, défendre convenablement les intérêts français en atteignant tous les objectifs fixés au début de la négociation ne suffit pas si l'Europe est sacrifiée. Un budget européen se mesure à l'aune de sa capacité à défendre les intérêts de l'Europe.
Depuis des jours et des semaines, vous tenez un discours dont j'ai du mal à comprendre la cohérence. Pendant des mois, y compris durant la période où nous étions dans l'opposition et où nous vous interrogions sur ces matières dans cet hémicycle, vous avez expliqué qu'il fallait inventer un nouveau concept pour le budget européen, le better spending, que nous pouvions dépenser moins en dépensant mieux et que nous pouvions faire de la croissance avec beaucoup moins d'argent. À ce moment-là, nous appartenions au club des contributeurs nets, également appelé club des like-minded, également appelé club des radins, et nous figurions parmi les plus pingres des radins avec les Britanniques et autres Finlandais. Nous étions de ceux qui voulaient, comme M. Cameron, procéder à des coupes absolument drastiques dans le budget. D'ailleurs, dans le précédent budget, le véritable premier budget en diminution de l'Union européenne, vous avez à ce point raboté les crédits de paiement nécessaires au financement des politiques de l'Union que vous n'avez dépensé que 850 milliards d'euros alors qu'il y avait 986 milliards d'euros de crédits d'engagement et 942 milliards d'euros de crédits de paiement. Vous avez usé du rabot au point d'asphyxier le budget de l'Union européenne, comme l'ont reconnu M. Lamassoure, auquel vous faites souvent référence, et M. Schulz, le président du Parlement européen. Soumis à cette politique délibérée de rabotage des crédits de paiement, le budget de l'Union européenne affichait un déficit de 15 milliards d'euros, à tel point que, dans le cadre du budget rectificatif n° 5 de l'Union, nous ayons d?? débloquer en urgence 6 milliards d'euros au mois de décembre, afin de corriger les effets de la non-allocation des crédits de paiement au budget de l'Union qui remettait en cause le programme Erasmus, notamment.
Voilà la politique que vous avez menée. Si nous mobilisons, par la flexibilité, la clause de révision à mi-parcours, tous les crédits de paiement dont l'Union a besoin, nous mobiliserons 50 milliards d'euros de plus que dans le précédent budget. Les crédits de croissance du budget que nous avons adopté augmentent de 40 %, le programme Connecting Europe de 140 %.
Même si je reconnais devant vous, de façon parfaitement transparente et honnête, que ce budget n'est pas celui dont nous rêvions. Je le dis d'autant plus facilement qu'autour de la table, et c'est le reproche que vous nous faites, nous devons composer avec vingt-six pays de l'Union européenne qui n'ont pas notre sensibilité. Mais nous l'avons dit ! C'est la raison pour laquelle nous considérons que l'Europe est un combat. Si je comprends bien, vous reprochez aux socialistes de ne pas être assez nombreux dans l'Union européenne. Ne vous inquiétez pas, dans les années qui viennent, nous ferons en sorte qu'il y ait adéquation entre votre vision de l'Europe - plus de socialistes autour de la table - et celle que nous en avons. Vous ne pouvez pas nous reprocher de voir appliquer les politiques que vous avez contribué à mettre en oeuvre, sauf à faire preuve d'une forme de malhonnêteté intellectuelle à laquelle je ne souhaite en aucun cas adhérer.
Pour terminer, je voudrais revenir sur des propos tenus à plusieurs reprises par M. Borloo qui est au téléphone, ce que je regrette. À plusieurs reprises dans cet hémicycle, M. Borloo a dit qu'il ne savait pas où était le plan de 120 milliards d'euros, cela a été repris par d'autres orateurs. Ce plan, je vais vous le dire très précisément, se décompose en trois enveloppes. La première contient 55 milliards d'euros de fonds structurels. Ils ont été votés donc déjà actés, dites-vous. Certes, mais par le rabotage des crédits de paiement dont je viens de décrire le mécanisme, vous aviez décidé de ne pas les affecter.
Pour notre part, nous avons décidé de mobiliser ces sommes gelées. Sur ces 55 milliards d'euros, le retour pour la France s'élève à 2,5 milliards d'euros.
La deuxième enveloppe contient les 10 milliards d'euros de recapitalisation de la Banque européenne d'investissement, ce qui permet de faire 60 milliards d'euros de prêts. Pour la France, le retour est de 8 milliards d'euros, ce qui en porte déjà le total à 10 milliards d'euros. Si j'y intègre les premiers project bonds, nous devrions atteindre environ 12 à 13 milliards d'euros, c'est-à-dire un peu plus du tiers de l'effort budgétaire demandé aux Français. Si vous voulez la déclinaison région par région des projets qui seront financés à la fois par les fonds structurels, les project bonds et les prêts de la BEI, nous sommes en situation de la donner. Cela vous permettra, monsieur Borloo, d'avoir la traçabilité totale du plan de 120 milliards d'euros. Cela ne pose aucun problème. À l'occasion de ce débat, vous vouliez établir la traçabilité du plan de 120 milliards, c'est chose faite.
Voilà les réponses concrètes que je voulais apporter aux questions formulées par les députés de l'opposition. Je les remercie d'avoir organisé ce débat et d'avoir permis, une fois de plus, de mesurer le décalage qui existe entre certains propos et la réalité d'une politique.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 février 2013