Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la coopération militaire entre la France et les Emirats Arabes Unis, la question du nucléaire iranien, la situation en Syrie et sur l'intervention militaire française au Mali, à Abu Dhabi le 16 février 2013.

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Circonstance : Déplacement aux Emirats Arabes Unis du 15 au 17 février-allocution à l'occasion de la Gulf Security Conference, à Abu Dhabi le 16 février 2013

Texte intégral

Monsieur le ministre,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voudrais tout d’abord remercier notre hôte, le président d’INEGMA, pour la chaleur de son accueil ce matin. J’y ai été très sensible, comme je suis heureux d’ouvrir cette nouvelle conférence à l’occasion du salon IDEX 2013.
C’est en effet un grand plaisir pour moi de retrouver Abou Dabi pour, au-delà de nos travaux, poursuivre l’approfondissement du partenariat stratégique que la France et la Fédération des Emirats arabes unis ont engagé ensemble. Je souhaite à cet égard saluer son Altesse cheikh Mohammed Bin Zayed, prince héritier d’Abou Dabi, qui joue un rôle premier dans l’excellence de notre relation. Je tiens à lui redire ici notre confiance et notre amitié.
L'Histoire a conféré à la France des liens forts avec le monde arabe, qui se traduisent aujourd'hui par des relations privilégiées (des intérêts de sécurité, des intérêts stratégiques majeurs), mais aussi par des responsabilités et des devoirs. En l’espace de 40 ans, la France est ainsi devenue l’un des tout premiers partenaires du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en matière de défense et cette vocation, avec le développement des crises régionales, n’a cessé de s’accroître ces dernières années, comme l’a montré le renforcement de nos nombreux accords de défense.
L’implantation d'une base militaire interarmées à Abu Dhabi a illustré ainsi les responsabilités que la France, puissance globale, entend assumer aux côtés de ses partenaires privilégiés, dans une région névralgique pour le monde entier.
Il s’agit là de la contribution de la France aux équilibres mondiaux. C’est la vocation de la France, et c’est une vocation qui s’exprime aujourd’hui dans la région par un engagement fort, en termes de présence navale dans la lutte contre la piraterie au sein de l’opération Atalante de l’Union européenne, mais aussi par une détermination sans faille dans le refus du terrorisme et la lutte contre la prolifération nucléaire.
Cette base, qui est la plus récente créée par la France à l'étranger, est un instrument privilégié de présence et de coopération. Ses activités s’exercent en priorité au bénéfice de nos hôtes et de notre vision commune de la sécurité. Elément essentiel de notre relation globale, elle vient approfondir une coopération militaire déjà ancienne, que des exercices militaires ont renforcée au fil des ans, sans parler de la coopération opérationnelle étroite qui a été la nôtre dans les conflits les plus récents, ou encore, naturellement, du fait que nos armées sont équipées de systèmes communs.
Cette implantation militaire traduit ici, vous l’aurez compris, un engagement de long terme. Un engagement aux côtés de nos partenaires et amis, comme les Emirats en sont un excellent exemple. Je crois que l’histoire des dernières années a montré que l’idée d’engagement n’est pas un vain mot, n’est pas un vœu pieu pour la France. Quand un Etat ami a besoin d’elle, la France répond présente.
Je me félicite donc de la relation de défense exemplaire qui unit nos deux pays, et je profite de l'occasion qui m’est donnée par ma présence à ce salon IDEX, pour rappeler qu'au-delà de sa coopération militaire, la France est naturellement disposée à approfondir les nombreux partenariats qui la lient déjà aux Emirats arabes unis, notamment sur la base de technologies de pointe éprouvés sur tous les sujets récents.
Trois grandes crises illustrent bien les menaces auxquelles nous devons faire face dans un monde globalisé, et pour lesquelles nous devons adapter nos stratégies de défense et de sécurité nationale : la prolifération nucléaire, le terrorisme international, les menaces chimiques, la déstabilisation potentielle de régions entières. Voilà les enjeux et les 3 grandes crises tournant autour de l’Iran, de la Syrie et du Mali.
* IRAN
Mois après mois, l’évolution du programme iranien ne fait que renforcer notre inquiétude, alors que la perspective de l’acquisition de l’arme nucléaire par l’Iran est plus que jamais une option inacceptable.
Les enjeux pour le Moyen-Orient sont majeurs : mettre fin aux violations par l’Iran de ses engagements internationaux et donner au monde les garanties que son programme est exclusivement pacifique ; l’empêcher d’obtenir les instruments d’un chantage futur vis-à-vis de ses voisins proches ou éloignés ; prévenir une cascade de prolifération qui menacerait le Moyen-Orient et, au-delà, la sécurité du monde.
Notre responsabilité est de faire échec à cette entreprise et de garantir la viabilité du régime international de non-prolifération, pour la sécurité de tous. Cette responsabilité justifie l’engagement fort qui est aujourd’hui celui de la France, en faveur d’une approche qui combine la fermeté nécessaire et l’ouverture à un dialogue sérieux.
Les sanctions toujours plus fortes que nous avons mises en place ne sont que le moyen d’amener l’Iran à négocier sérieusement. Les Iraniens savent qu’ils ne pourront retrouver la confiance de la communauté internationale qu’en s’engageant, de bonne foi et sans préconditions, sur la voie de la négociation.
Le choix de l’engagement diplomatique qui est celui de la France va de pair avec notre fermeté sur les principes. Je le redis ici, l’engagement de la France en faveur de la sécurité et de la stabilité de la région ne saurait être mis en doute.
* SYRIE.
Sur la Syrie, il n’y a rien à ajouter au constat sinistre et tragique du drame qui se déroule sous nos yeux, à cause de l'acharnement d'un homme et d'un clan familial qui tentent de s'accrocher au pouvoir, en multipliant les exactions et les massacres quotidiens. Vous me permettrez de rappeler quelques constantes de notre action, car la France n’a jamais cessé d’être engagée sur le dossier syrien.
Nous avons été les premiers, avec les pays du conseil de coopération du Golfe, à reconnaître la Coalition nationale syrienne comme seul représentant légitime du peuple syrien. Nous avons été les premiers, avec les pays du Golfe, à nous engager dans l'aide humanitaire. Depuis, nous ne cessons de nous mobiliser pour apporter un soutien direct aux populations, à l'intérieur et dans les pays voisins, par exemple auprès des villes qui le souhaitent ou en Jordanie dans le camp de Zaatari où nous avons déployé un hôpital militaire de campagne.
L’urgence de ces actions est triple : une urgence humanitaire, une urgence politique, une urgence matérielle. Dès le départ, nous avons encouragé l'opposition politique à s'unifier ; il faut aussi lui apporter les moyens d’aider sa population : moyens financiers, moyens matériels, moyens politiques, pour consolider les fondements de la Syrie démocratique de demain.
Face au prix énorme que le peuple syrien a déjà payé et continue de payer, il est plus que jamais urgent d'agir et de dépasser nos divisions, en faveur d’une transition politique qui réponde aux aspirations du peuple syrien, c'est-à-dire une transition où le président al-Assad n'aura plus sa place.
A cet égard, je voudrais saluer à nouveau la persévérance du Représentant spécial conjoint de l'ONU et de la Ligue arabe pour la Syrie, Lakhdar Brahimi. Sa mission est importante, et nous devons poursuivre sans relâche la recherche d'une solution politique.
Dans tous ces efforts, la France poursuivra sa coordination étroite avec les pays du Golfe, plus que jamais nécessaire pour mettre un terme à cette crise qui nous menace tous et qui montre les défis de sécurité que nous devons affronter ensemble.
* MALI
La France, vous l’avez compris, a une conscience aiguë de la nature des menaces auxquelles nous faisons face, qu’il s’agisse de possibles conflits conventionnels, de la prolifération, d’actions asymétriques ou de terrorisme. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, le terrorisme a changé. Il est global, il se nourrit de la faiblesse des Etats, il vise le cœur de nos sociétés modernes.
Comme vous le savez, les forces armées françaises interviennent au Mali depuis le 11 janvier dernier. Et c’est parce qu’il se nourrit de la faiblesse des états que le Président de la République a répondu à un appel à l’aide du président malien Monsieur Traoré pour stopper une agression sans précédent d’éléments terroristes.
Le Président de la République n’a cessé de rappeler cette menace de création d’un état terroriste à portée de l’Europe et finalement de l’ensemble du monde. Aussi la situation était-elle suivie depuis des mois. C’est ce qui avait justifié la mobilisation de la France qui a abouti à la résolution 2085. Quand le Président Traoré a appelé la France à l’aide, nous savions que l’offensive d’Al Qaida et de ses affidés menaçait le Mali dans son existence même. Il y avait urgence.
La menace, c’était la mise en place d’un Etat terroriste à portée de l’Europe, pris en main par des groupes dont le monde entier connaît aujourd’hui la brutalité et le fanatisme : qui peut ignorer la terreur exercée auprès des populations maliennes, les images des amputations, de la destruction des mausolées de Tombouctou et du patrimoine de l’Islam malien, qui ont précédé celles des meurtres d’In Amenas ?
L’opération militaire n’est, pour autant, qu’un instrument d’urgence. Il ne saurait à lui seul résoudre les problèmes qui ont conduit à cette crise grave de sécurité internationale. Sur le plan interne, un processus crédible de réconciliation doit être mis en œuvre.
A cet égard, les autorités maliennes devront prendre en compte les intérêts de toutes les populations du Nord, dans toute leur diversité, sans exception possible. Nos adversaires ne sont pas les populations arabes ou Touaregs du Nord, qui ont trop longtemps subi la loi des groupes terroristes.
Voilà ce que je voulais vous dire et je voudrais tirer devant vous trois conclusions.
D’abord, nous devons tous ici avoir une vision claire et lucide des menaces qui nous entourent et qui mettent en danger le fondement de nos sociétés. Le terrorisme que nous combattons est une de ces menaces. Avec lui, il n’y a aucun compromis possible.
Ensuite nous devons avoir la volonté politique de nous engager lorsque c’est nécessaire, toujours dans le strict respect de la légalité internationale, pour défendre nos amis, nos alliés, nos partenaires, nos convictions, notre parole. Et la France ne se dérobe pas.
Enfin, il nous faut maintenir notre capacité d’agir militairement loin de nos frontières : capacité de frappes à distance, renseignement, ravitaillement en vol, forces spéciales… ce sont là des capacités essentielles, que la France a conçues, a réalisées et a éprouvées au combat.
L’engagement de la France au Moyen Orient est durable, solide, étroit. Il vise à établir, non pas des relations purement commerciales, mais de véritables partenariats stratégiques, fondés sur une analyse commune des menaces et des meilleurs moyens d’y répondre, partenariats stratégiques liés sur la confiance, sur les co-productions qui cimentent, pour l’avenir, nos relations d’armement et de défense.
Dans un environnement d’abord marqué par l’incertitude et la complexité, où les menaces et les enjeux stratégiques sont plus importants que jamais, c'est bien par cet ensemble de partenariats solides, fondés sur l'amitié, la coopération et la confiance, que nous pourrons, ensemble, relever les grands défis de demain. Le partenariat qui nous lie depuis plus de vingt ans, les Emirats arabes unis et la France, le Golfe et la France, en est d’ailleurs l’un des plus bels exemples et c’est pourquoi je suis si heureux d’être avec vous aujourd’hui.
Je vous remercie.
Source http://www.ambafrance-eau.org, le 27 février 2013