Texte intégral
Q - L'Europe a toujours été un modèle pour l'Amérique latine. Du point de vue politique, social, vis-à-vis du respect des droits de l'Homme ou de son intégration ... Que peut espérer aujourd'hui l'Amérique latine d'une Europe en crise ?
R - L'Europe, si elle a fait face à des défis importants, a su réagir en adoptant les mesures ayant permis de préserver l'intégrité de la zone euro. Il est vrai que sa croissance est trop faible et nous voulons, nous la France, convaincre nos partenaires européens qu'il faut davantage concilier sérieux budgétaire et croissance. En tout état de cause, l'Europe reste le premier marché au monde, bénéficiant d'un capital de connaissance, de recherche et d'innovation exceptionnel. À ce titre, c'est, pour l'Amérique latine, un partenaire de premier plan en matière d'investissement, de formation, de transfert de technologie et développement des infrastructures. L'Europe est le premier investisseur dans la région avec 330 milliards d'euros en stock. Ces investissements et ces partenariats se distinguent par leur qualité sur le plan social et environnemental. En outre, la coopération entre nos deux régions couvre un ensemble de domaines très large, comme a pu l'illustrer le dernier sommet UE-CELAC de Santiago du Chili.
Q - L'Amérique latine a connu depuis les années 2000 un virage à gauche. Tout en considérant les différences entre chaque pays, quel est votre regard sur les gouvernements de gauche dans la région ?
R - Ce qui est le plus important à mes yeux, c'est que la démocratie se soit clairement enracinée dans la région et que la page de l'aventurisme politique et des «pronunciamientos» générant l'instabilité et la violence soit enfin tournée. Dorénavant, on accède au pouvoir par les urnes, à la suite d'une campagne et d'un débat de société. Ce qui est important également, c'est que l'Amérique latine a tourné la page des politiques d'ajustement structurel négatives et que ses gouvernements sont de plus en plus attentifs à ce que la croissance économique s'accompagne du progrès social. Les fruits de la croissance commencent à être mieux répartis entre toutes les composantes de la société, y compris les populations indigènes. Je ne peux que m'en réjouir.
Q - Le Venezuela d'Hugo Chávez est un des régimes les plus critiqués. Il y a-t-il, malgré les différences, des affinités entre «le socialisme du XXIème siècle» et le socialisme européen ?
R - Nous avons mené des combats communs, comme celui contre les dictatures militaires argentine ou chilienne dans les heures sombres. Mais les sensibilités de gauche en Amérique latine sont, à l'image de ce continent divers, très variées. Dans le cas du Venezuela, je constate que M. Chavez jouit d'une légitimité démocratique incontestable et que l'accès de la population aux soins, à l'éducation et à un logement décent a progressé. Cela ne veut pas dire que nous soyons d'accord sur tout. Le Venezuela a des traditions politiques différentes de l'Europe, liées à son histoire propre.
Q - Vous avez été un grand critique du régime cubain lorsque vous étiez Premier ministre avec Mitterrand. Quel regard portez-vous sur Cuba aujourd'hui ?
R - J'ai toujours été critique à l'égard des régimes qui ne respectent pas les droits de l'Homme, que nous soyons au pouvoir ou dans l'opposition. Je suis aussi prêt à reconnaître les évolutions. Cuba évolue. Des prisonniers d'opinion ont été libérés, certains vivent à l'étranger, d'autres ont choisi de mener leur combat sur place. Des réformes se mettent en place: les Cubains peuvent davantage voyager à l'étranger, et vice versa, il y a désormais un secteur privé. Nous devons prendre acte de ces changements, encourager leur consolidation, leur extension, tout en restant très vigilants sur la situation des libertés publiques qui reste insatisfaisante. C'est ce que nous faisons en entretenant un dialogue politique qui inclut la question des droits de l'Homme, en commerçant, en développant notre coopération avec les universitaires, les intellectuels.
Q - Le partenariat économique entre les entreprises françaises et les pays latino-américains est très important. Jugez-vous que le partenariat politique soit à la même hauteur ?
R - Notre partenariat économique est dense et les échanges commerciaux ainsi que les investissements ont augmenté. Cependant, nous pouvons et devons faire davantage, notamment en proposant à l'Amérique latine le savoir-faire des entreprises françaises qui correspond aux besoins de son développement. Je pense en particulier aux transports, aux infrastructures, aux communications, à l'énergie. Il en va de même du partenariat politique. Nous nous consultons beaucoup sur des sujets globaux comme le climat ou la lutte contre le terrorisme. Les années où la Colombie siégeait au Conseil de sécurité des Nations unies ont montré que nous travaillons facilement ensemble. Je souhaite que nous le fassions plus largement. C'est une des raisons de ma présence en Colombie aujourd'hui. Nous voulons développer notre partenariat dans tous les domaines. En Colombie comme dans toute l'Amérique latine, la France veut être un partenaire de premier rang.
Q - Vous visitez une région où l'inégalité est la caractéristique majeure et où les niveaux d'imposition sont extrêmement bas. Quelle est votre opinion à ce propos ?
R - Effectivement, l'Amérique latine est une zone de fortes inégalités sociales et régionales. Mais il y a aussi une tendance nette à la réduction de la pauvreté et à l'augmentation des classes moyennes. 180 millions de latino-américains étaient considérés comme appartenant à celle-ci en 2009. Ils seront 250 millions en 2020. C'est un changement de fond.
Q - Le gouvernement se montre très ferme vis-à-vis du terrorisme. Que pensez-vous, à ce jour, de la guérilla des FARC ?
R - Nous espérons le succès des négociations en cours, événement historique pour un pays qui subit les conséquences politiques, humanitaires et sociales, d'un conflit cinquantenaire.
Q - Quel pourrait être le soutien de la France (institutionnel, financier ou autre) dans une éventuelle signature de la paix entre le gouvernement et les FARC ? Les gouvernements précédents avaient parlé d'un soutien à la démobilisation des guérilleros des FARC.
R - La France soutient déjà les autorités colombiennes dans leur recherche de la paix et de la réconciliation nationale. C'est le sens de notre appui à la mise en oeuvre de la loi sur la réparation due aux victimes et la restitution des terres et de notre appui au Centre de la mémoire historique. Nous avons confiance dans la Colombie. La France est à la disposition du gouvernement colombien, s'il le souhaite, pour l'appuyer dans la recherche d'une paix juste et définitive en Colombie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 février 2013