Déclaration de M. Kader Arif, ministre des anciens combattants, sur les relations franco-tunisiennes, l'intervention militaire française au Mali et sur le devoir de mémoire, à Tunis le 4 février 2013.

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Circonstance : Déplacement en Tunisie-rencontre avec la communauté française, à Tunis le 4 février 2013

Texte intégral

Monsieur l’ambassadeur,
Madame la consule générale,
Mesdames et Messieurs les consuls honoraires,
Mesdames les élues,
Monsieur le directeur de l’Office national des anciens combattants, ici en Tunisie,
Mesdames Messieurs les anciens combattants,
Mesdames, Messieurs,
Depuis ma prise de fonction au mois de mai dernier, j’ai eu la chance de me rendre dans ce Maghreb qui m’est cher : de me rendre en Algérie il y a peu, au côté du président de la République François Hollande, au Maroc dans le cadre de ce qu’on appelle le 5+5 qui concerne la politique de défense. Je n’avais pas encore eu l’occasion de me rendre en Tunisie, un pays que je connais, comme beaucoup de Français, à l’occasion de déplacements privés ; dans lequel j’ai eu l’occasion aussi de venir comme parlementaire européen - ce qui était mon mandat au moment d’entrer au gouvernement - et plus récemment au côté de François Hollande, candidat à la présidence de la République. Il me semblait qu’en ayant visité l’Algérie et le Maroc, il manquait dans ce Maghreb qui m’est cher une petite touche à ce tableau et donc une visite en Tunisie. D’où le bonheur d’être ici avec vous ce soir, même si les mots peuvent paraître forts.
Je suis aussi en Tunisie dans un contexte que vous connaissez, à la demande du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, mais aussi à la demande des autorités tunisiennes. Nous avons eu des contacts avant mon déplacement et je crois que la demande des autorités tunisiennes est de voir le plus régulièrement possible les autorités gouvernementales ou en tout cas des personnalités représentants la France.
Le contexte est particulier, avec l’intervention française au Mali. Il est en effet de ma responsabilité, au côté de Jean Yves Le Drian, de consulter, de maintenir un dialogue étroit avec l’ensemble des partenaires concernés et c’est le cas avec les Tunisiens, de par l’importance de l’enjeu : il s’agit de la stabilité non seulement du Mali, non seulement de l’Afrique de l’ouest, non seulement du continent africain, mais plus largement de toute une région.
L’intervention française, moi j’allais dire qu’elle m’honore, ou qu’elle nous honore. Elle nous honore pour plusieurs raisons. La première est que la France est intervenue à la demande des autorités maliennes, à la demande du président malien. Elle l’a fait dans un contexte qui est celui du respect du droit international et de l’article 51 de la charte des Nations unies puisque son intervention est liée à un accord bilatéral entre la France et le Mali.
Elle l’a fait pour des valeurs qui me sont chères et qui vous sont chères et qui sont des valeurs de liberté, des valeurs de tolérance, des valeurs de démocratie.
Elle l’a fait, et j’en tire fierté avec une pointe de patriotisme que j’assume entièrement, parce que c’était l’un des seuls pays à pouvoir le faire. Il faut se rendre compte de ce que nous représentons à l’échelle de la planète : les troupes françaises au Mali représentent ce qu’est la France, sa force, sa capacité à intervenir. Entre la décision politique prise par le président de la République et les premières frappes, cinq heures se sont passées. Il y a très peu de pays au monde qui sont en capacité de le faire, surtout pour de bonnes raisons et non pas, même s’il n’y a pas eu débat sur cette question, pour des intérêts liés à ce qu’on appelait la Françafrique.
Cette décision française, soyez-en convaincus, était la bonne décision parce que, si la France n’était pas intervenue, le Mali aurait perdu son intégrité, aurait perdu ses institutions, aurait perdu en fait tout espoir de voir advenir un avenir meilleur, même s’il y a encore nécessité aujourd’hui d’arriver à une stabilisation politique de ce pays. Nos armées ont mené un travail exceptionnel, reconnu d’ailleurs dans la déclaration qui a été faite aujourd’hui par Joe Biden, le vice-président américain, qui déjeunait avec le président de la République française et qui a salué l’intervention française au Mali. Il a salué l’exceptionnel travail, l’exceptionnelle qualité de nos soldats, leur exceptionnel professionnalisme. On ne peut que se féliciter de ce soutien international.
Intervention décisive, mais en même temps nécessité aujourd’hui de trouver une solution : la France n’est pas engagée pour s’enliser au Mali, même si elle restera le temps qu’il faudra. Elle restera pour que le Mali retrouve son intégrité. Elle restera en aidant les forces maliennes et africaines à reconquérir l’ensemble du territoire. Elle fait tout pour éviter des choses qui, pour nous, sont inacceptables : toute exaction, tout non-respect des droits de l’homme. Elle fera tout aussi pour que la question entre le Nord et le Sud fasse partie du débat malien, pour que cette question soit réglée. Elle fera tout pour que cette stabilisation politique s’opère autour d’élections libres. Je me félicite de la feuille de route qui a été établie au Mali.
En même temps, et parce que ce n’est pas son rôle que de rester, la France va assister les forces maliennes mais aussi les forces africaines de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et, au travers la résolution 2085 des Nations unies, elle va participer à la mise en place de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA). La France fait tout pour que ces soldats soient formés. On peut se féliciter que l’Union européenne ait accepté notre proposition dans ce domaine et qu’à partir de la mi-février cette formation des soldats maliens et des unités africaines se fasse en collaboration avec l’armée française.
J’ai eu l’occasion pendant toute cette journée de rencontrer le ministre tunisien de la Défense, le Premier ministre et le président de la République tunisienne, au côté de Monsieur l’ambassadeur et avec la délégation qui m’accompagnait, pour leur exprimer ce qu’était la position française. Il me fallait transmettre ce message et le transmettre en disant que nous étions aussi pour une solution politique. Que la France serait aussi au rendez-vous avec une politique de coopération et de développement. Parce que partout où l’on crée de la misère, partout où il y a des difficultés sociales, il y a des risques. Au-delà de l’opération militaire, il faudra aider, en mobilisant en particulier l’Europe qui n’a pas toujours été à la hauteur, pardonnez-moi cette expression. L’Europe, en particulier, doit pouvoir répondre. Je me félicite d’ailleurs de la décision européenne qui a été prise d’accepter de débloquer 250 millions d’euros destinés à la future politique de coopération au Mali.
Le défi est donc militaire, politique et économique. Il est important pour le Mali, pour toute la région et aussi pour l’Europe.
Vous qui vivez ici aujourd’hui vous savez d’ailleurs que le rétablissement de la démocratie est un processus complexe et qui s’inscrit parfois dans un temps long. Mais même si nous sommes dans un monde où les choses vont vite, parfois trop vite, parfois au détriment de la réflexion, il ne faut jamais oublier qu’entre la Révolution française et la première République cent ans se sont écoulés. Parfois on demande à aller un peu plus vite que le temps nécessaire et donc il faut savoir faire preuve de sagesse, ou en tout cas de recul pour étudier la situation telle qu’elle est réellement.
Vous avez été les témoins directs de cet élan que fut le printemps arabe et de ce leadership occupé par la Tunisie dans ce domaine. Les premières pierres de la nouvelle démocratie tunisienne ont été posées mais la bâtisse reste à faire et cette construction doit s’appuyer sur les valeurs dans lesquelles nous croyons : le respect, la confiance, la solidarité.
Pendant cette période, vous n’avez pas été que de simples spectateurs. Vous avez été au quotidien les ambassadeurs de la France sur la rive sud de la Méditerranée et sachez, c’est l’un des messages que j’ai envie de transmettre, que le gouvernement demeure et demeurera à votre écoute, sensible aux retours que vous pourrez lui apporter en tant que citoyens français ou franco-tunisiens vivant en Tunisie.
J’entends bien les inquiétudes qui sont les vôtres. Inquiétudes sur le sentiment d’insécurité, sur l’insécurité qui peut exister. Je pense à ce qui m’a été dit ce matin avec les inscriptions sur le mur de l’école Robert-Desnos. Je comprends ce que cela peut générer, je l’entends. Sachez qu’avec Monsieur l’ambassadeur ce sont des messages que nous avons fait passer et au ministre de la Défense, parce que cela relève en partie de sa responsabilité, et au Premier ministre tunisien et au président de la République. Le message a été entendu pour faire que la sécurité soit assurée à votre égard et pour que des mesures soient prises de façon à ce que ce sentiment d’insécurité disparaisse. Vous sentirez la présence nécessaire des forces de sécurité tunisiennes auprès de vous.
Moi qui, comme vous, ai vécu des deux côtés de la Méditerranée – cela ne se sait pas mais cela se voit et je porte un nom sur lequel je n’ai pas triché –, moi qui suis né à Alger, j’ai la certitude que cette mer Méditerranée n’est pas une frontière qui divise mais bien une étendue qui rassemble. En tout cas, c’est ma philosophie, un sentiment que j’ai depuis longtemps et que vous portez.
C’est un pont qui fait que cette amitié est une amitié solide qui construit les relations entre nos deux peuples, qui construit la relation entre nos deux sociétés. Malgré les déchirements, malgré les incompréhensions, malgré les interrogations, malgré parfois le passé encore douloureux, nous restons, vous restez, je reste avec vous, profondément méditerranéens.
Dans la fonction qui est la mienne, je veille à rappeler chaque fois que je le peux que c’est en comprenant le passé que nous pourrons construire le présent et, au-delà, notre avenir, ou l’avenir de nos enfants et de nos petits enfants. Le travail mémoriel est passionnant. C’est une chose à laquelle je n’étais pas forcement préparé. Je n’étais pas spécialiste de ces questions dans ce qui était mon parcours d’homme public. Mais c’est vraiment quelque chose de passionnant parce que ce travail mémoriel c’est une manière de comprendre l’autre, et que comprendre l’autre c’est souvent éviter la confrontation. Pour moi c’est quelque chose très lourd de sens, qui favorise le rapprochement entre les peuples, par le dialogue nécessaire, la réflexion sur les questions d’identité, d’appartenance à la nation.
En ce sens la séquence mémorielle qui s’ouvre et dans laquelle nous sommes déjà engagés permettra de rassembler nos concitoyens, les Français, autour de leur histoire et d’engager un véritable travail de mémoire en France mais aussi avec de nombreux autres pays. J’ai déjà engagé le dialogue avec un grand nombre de mes homologues sur ce Bassin méditerranéen et plus largement sur l’ensemble des continents.
Le travail que j’ai engagé avec mes homologues de la rive sud de la Méditerranée est pour moi important et parmi les instructions que j’ai pu commencer à donner, il y a notamment celle de mettre davantage en valeur la contribution de l’armée d’Afrique à la libération du territoire national.
Je n’oublie pas que dès la Première Guerre mondiale, près de 58.000 Tunisiens avaient combattu aux côtés des Français. Lors de la Seconde Guerre mondiale cet effort fut renouvelé, notamment par la participation des troupes tunisiennes à la campagne d’Italie, au débarquement de Provence et dans les durs combats de l’hiver 1944-1945 en Alsace.
Je dis cela parce que, sans vouloir conceptualiser à tout prix, quand on appartient à la mémoire collective d’un pays, quelles que soient les raisons de cette appartenance à cette mémoire collective, on appartient un peu à la nation. Même si les pays sont différents on appartient à une nation commune.
Dans le travail mémoriel qui est le mien, au moment où je m’interroge sur ce que devient notre République, sur ce que devient l’appartenance à la nation d’un certain nombre de nos jeunes, en France, qui se posent la question de savoir s’ils sont français parce qu’ils sont nés de père, de mère ou de parents nés ailleurs, le message que j’ai envie de leur transmettre est le suivant : « Vos grands-parents se sont battus. Ils se sont battus pour les valeurs de la République, pour les valeurs de liberté, ont donné leur vie, ont donné leur sang. Ils appartiennent à cette mémoire collective. Parce que eux appartiennent à cette mémoire collective il n’y a aucun doute, vous appartenez à la nation française ».
Je crois que c’est ce message républicain que j’ai envie de transmettre, pour le temps qu’il me reste à faire au sein de ce ministère et j’espère qu’il sera le plus long possible. C’est une chose à laquelle j’attache beaucoup d’importance.
La mission interministérielle que je préside sous l’autorité du ministre de la Défense, structurera le calendrier commémoratif à venir. Ce que je souhaite avant tout, c’est le rassemblement, l’échange, le partage, la transmission d’une mémoire apaisée, qui devient malheureusement plus une mémoire de pierre aujourd’hui et que nous perdons petit à petit, le cycle de la vie faisant son oeuvre. Je me dis qu’il faut, en tout cas pour la Deuxième Guerre mondiale, essayer de profiter encore de cette mémoire de chaire. Parce que la mémoire de pierre ne remplace jamais la mémoire de chaire et que l’une des leçons que je retiens en rencontrant ces femmes et ces hommes résistants, déportés, engagés, combattants, c’est d’abord la modestie, l’humilité et, c’est là le message le plus fort, quelle que soit leur histoire il n’y a jamais de haine. Dans un monde où l’on fabrique de la haine trop rapidement je me dis que transmettre un message sans haine est toujours quelque chose qui enrichit notre parcours et le parcours des enfants qui sont derrière nous.
Je sais que vous tous, en faisant vivre cette mémoire, faites également vivre l’amitié franco-tunisienne. Je suis donc particulièrement honoré de pouvoir être parmi vous ce soir. Je me réjouis de ce temps passé avec vous ce soir. Merci de votre disponibilité, de cette écoute pratiquement religieuse, envers moi qui suis un laïc. Sachez que le gouvernement français est à vos côtés, et au côté du peuple tunisien.
Vive la France,
Vive la Tunisie,
Vive l’amitié franco-tunisienne.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 28 février 2013