Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur la situation au Mali, à l'Assemblée nationale le 27 février 2013.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le Mali, le 27 février 2013

Texte intégral

Nous parlons cet après-midi devant des représentants de l'assemblée malienne, que je salue. Ce faisant, nous adressons nos saluts au peuple malien.
Il faut en permanence avoir à l'esprit trois aspects. L'aspect sécuritaire et militaire, l'aspect démocratique et l'aspect développement et humanitaire. Sur cette dernière question, des initiatives françaises et européennes ont été prises. Au mois de mai se tiendra une conférence coprésidée par les autorités européennes et nous-mêmes. S'agissant de la coopération décentralisée, que je préfère appeler désormais «action extérieure des collectivités locales», nous réunirons le 19 mars à Lyon toutes les collectivités concernées. J'ai demandé que le ministre malien des affaires étrangères M. Coulibaly soit présent. Il y aura des Maliens de France et du Mali. L'action étatique étant insuffisante au Mali, il faut l'améliorer. Mais l'action extérieure des collectivités locales doit se poursuivre et être mieux coordonnée. C'est dans cet esprit que nous allons travailler.
(Interventions des parlementaires sur la feuille de route au Mali)
Je voudrais revenir d'un mot sur certains points évoqués par les orateurs dans la discussion générale, car l'organisation du débat fait que le gouvernement n'a pas eu l'occasion de leur apporter des précisions.
Il faut que le dialogue national s'engage. L'Assemblée, le Premier ministre et le président Traoré ont fixé à la fin du mois de février le lancement de la commission de dialogue et de réconciliation. Il reste peu de jours et j'ai eu, hier, au téléphone mon collègue des affaires étrangères pour lui rappeler ce délai, dont il est très conscient. Nous attendons du président, du Premier ministre et des autorités maliennes que cette date soit respectée.
De même doit être absolument respectée, selon nous, la date des élections. Pourquoi ? Parce que pour des raisons climatiques, si l'on laisse passer la date du mois de juillet qui a été proposée, cela reportera la tenue des élections beaucoup plus loin. Alors se posera toute une série de problèmes qui viendront s'ajouter aux problèmes actuels, celui de la légitimité du gouvernement, celui de sa capacité à mener à bien le dialogue...
Il faut absolument, nous y insistons, que la commission de dialogue et de réconciliation se mette au travail et que les élections se tiennent à la date prévue. Il y aura peut-être des insuffisances et les autorités maliennes pourront solliciter la présence d'observateurs, mais le fait qu'il y ait un président élu et une nouvelle assemblée élue est absolument indispensable pour que, sur les plans de la sécurité, du développement, économique et démocratique, les choses puissent être faites comme elles doivent être faites.
(Interventions des parlementaires)
Je voudrais revenir sur votre prise de position, que je partage entièrement. Même si c'est la France qui est intervenue au premier chef, l'opération au Mali a recueilli divers soutiens de la part de la communauté internationale, notamment de l'Europe, même si, comme certains d'entre vous l'ont rappelé, cela peut paraître insuffisant.
J'ai été attentif aux thématiques qui ont été abordées cet après-midi et à ceux qui les abordaient. Il faut être cohérent. Si l'on déplore - ce qui est parfaitement légitime - des insuffisances dans l'action de certains pays européens, alors il importe d'en tirer la conséquence qu'il faudrait une politique de sécurité et de défense plus forte. Je voudrais être sûr que tous ceux qui formulent ces reproches se prononceront le moment venu en faveur d'une défense européenne. En tout cas, je garderai cela à l'esprit.
En ce qui concerne la communauté internationale, je précise que nous allons demander le passage à une opération de maintien de la paix. Cela aura plusieurs conséquences, notamment de faire assumer l'essentiel du coût de l'opération par les mécanismes des Nations unies.
La France consent un très gros effort, qui est salué. Apporter une contribution, constitue toutefois une manière supplémentaire de saluer cet effort.
(Interventions des parlementaires)
Il ne nous appartient pas, à nous Français, de dicter à l'État malien des choix sur son organisation. En revanche, il est tout à fait essentiel, car tel est le sens de notre intervention, de veiller à mettre en place tout à la fois le processus démocratique, les élections, le dialogue, l'intervention militaire et le développement.
Par ailleurs, nous devons nous poser franchement la question : avec qui discuter ? Encore une fois, ce n'est pas à nous de donner les éléments de la réponse, car nous ne sommes pas de ces États qui pratiquent l'ingérence.
Deux règles, sur lesquelles toute la communauté internationale s'accorde, doivent simplement être respectées : tout d'abord, le drapeau malien doit pouvoir flotter partout, dans l'ensemble du Mali. Il faut donc que les groupes avec lesquels seront menées les discussions respectent l'intégrité du Mali. D'autre part, ces groupes doivent accepter la présence de l'armée malienne, car plusieurs armées ne peuvent coexister au sein d'un même État. Dès lors que ces principes sont reconnus, il faut que le dialogue soit le plus large possible.
C'est ainsi que l'on progressera vers la démocratie, souhaitée par toute la communauté internationale et par les Maliens.
(Interventions des parlementaires)
Sur ce dernier point, le ministre de la défense ainsi que l'ensemble du gouvernement vous ont entendu : bien évidemment, nous tenons compte dans le Livre blanc de la défense des événements en cours.
Vous avez posé deux questions, l'une relative à l'ONU et l'autre aux élections. Concernant l'Organisation des Nations unies, j'en ai discuté cet après-midi même avec le Secrétaire d'État américain, M. John Kerry, de passage à Paris, ainsi qu'avec les membres du gouvernement malien que j'ai eus hier au téléphone. Nous souhaitons - et j'entends par là la communauté internationale - que soit adoptée une opération de maintien de la paix.
Celle-là présenterait différents avantages : il ne s'agirait pas d'une mission d'interposition, car l'interposition suppose l'existence de deux parties ; or dans le cas présent, l'on ne voit pas qui seraient les parties. Il s'agirait donc d'une opération de stabilisation.
Une discussion très fructueuse s'est établie entre nos représentants permanents. Je puis ainsi vous confirmer que les choses progressent dans le bon sens et que nous devrions pouvoir mettre en place cette opération de maintien de la paix dans des délais tout à fait corrects.
La question des élections quant à elle pose une difficulté. Des terroristes d'AQMI se trouvent en effet encore certainement dans le Nord du pays. S'il leur est demandé d'organiser le scrutin, il est peu probable qu'ils consentent à le faire ! Mais il ne faut pas que, le Mali étant dans la situation que l'on connaît, l'on ajoute à cette difficulté intrinsèque tellement de conditions que la tenue des élections en deviendrait impossible.
Il faut donc tout à la fois que la sécurisation soit réalisée - les troupes font leur travail d'une manière remarquable -, que le dialogue soit engagé, et que tous les éléments techniques soient rassemblés afin que les élections puissent se tenir à la date prévue, en présence d'observateurs.
Je ne vous dirai pas que les élections se dérouleront dans les mêmes conditions qu'en Suisse ou en Grande-Bretagne - pour ne pas parler de la France - car les conditions ne sont pas les mêmes. Mais il est essentiel que l'on ne tire pas prétexte des difficultés existantes pour retarder les élections, car cela conduirait ensuite à de nouvelles difficultés.
Les autorités maliennes gardent cette idée en tête, et la communauté internationale comprend très bien cela. L'ONU peut nous aider et, pour répondre précisément à votre question, l'Europe participera au financement de ces élections à travers le programme que M. le ministre Pascal Canfin vous a détaillé.
(Interventions des parlementaires)
Monsieur le Député, vous avez raison de souligner que ce n'est pas simplement le problème du Mali. C'est le problème du Sahel et plus généralement celui de l'Afrique. Vous avez raison également de dire qu'il s'agit d'un problème euro-africain. Il est même mondialo-africain.
La France, à partir de travaux déjà commencés, a bien l'intention de proposer, avec ses collègues européens, une stratégie africaine, et plus particulièrement une stratégie Sahel, une stratégie Mali. C'est dans cet esprit que nous allons travailler. La communauté internationale a également une responsabilité en la matière. Le Japon, par exemple, est intervenu, notamment sur le plan financier, et c'est une bonne chose.
Nous comptons évoquer à nouveau ce problème lors des prochaines réunions du G8 et du G20 car il se pose aujourd'hui avec une acuité particulière dans ses différentes phases : la phase développement, la phase démocratique et la phase de lutte contre les groupes terroristes. Cette question nous concerne tous, Je l'évoquais tout à l'heure avec le Secrétaire d'État américain John Kerry. Se pose aussi le problème de la drogue car ces groupes terroristes sont en général des groupes narco-terroristes. Cela concerne donc également les pays producteurs de drogue. J'en parlais avec les responsables colombiens il y a trois jours.
La question du développement équilibré de l'Afrique doit donc être inscrite à la fois à l'agenda international, européen et africain.
(Interventions des parlementaires)
J'ai déjà dit que la date des élections avait été fixée par le gouvernement malien lui-même et l'Assemblée. Il faut tenir ces délais. En ce qui concerne la commission du dialogue et de la réconciliation, le gouvernement malien m'a confirmé qu'il allait tenir son engagement, c'est-à-dire que cette commission doit être mise sur pied avant la fin du mois de février. Il reste donc quelques jours.
J'aurai une approche un peu différente sur la question du MNLA. Tout à l'heure, j'ai dit qu'il y avait deux principes absolument intangibles. Ce sont les principes sur lesquels la communauté internationale est d'accord et qui sont inscrits dans la résolution 2085 du Conseil de sécurité des nations unies.
Le premier principe est celui de l'intégrité du Mali, ce qui signifie qu'une province ne peut pas demander ni obtenir son indépendance. C'est absolument contradictoire avec la notion d'intégrité.
Le deuxième principe, c'est celui qui veut que l'armée malienne puisse être présente partout. Évidemment, elle ne doit en aucun cas se livrer à des exactions. Dans la mesure où un certain nombre d'indications nous avaient été données en ce sens, nous avons rappelé avec beaucoup de fermeté au gouvernement et au président malien que, comme l'a dit tout à l'heure le ministre de la défense, il ne pouvait y avoir aucune impunité.
Dès lors, on ne peut pas parler de collaboration - ce terme a en outre une certaine connotation - entre les uns et les autres. L'armée française fait ce qu'elle doit faire, les Tchadiens font ce qu'ils doivent faire. D'autres agissent. Mais à terme tout cela doit se faire dans le cadre de l'armée malienne. Et si tel ou tel mouvement veut s'inscrire, et c'est légitime, dans le dialogue, il doit le faire en tant que mouvement politique. C'est ainsi que l'on peut mener le dialogue et la réconciliation.
(Interventions des parlementaires)
Sur l'OTAN : il n'en est pas question. Il y avait eu une déclaration de notre ami le président du Bénin, Boni Yayi, lorsqu'il était président de l'Union africaine. Il se trouvait, je crois, au Canada. Il avait évoqué cette question, mais j'avais eu l'occasion de lui dire que l'OTAN n'était pas du tout compétente pour cela.
Quant à l'opération de maintien de la paix des Nations unies, il ne s'agit pas d'une force d'interposition, parce que la force d'interposition existe quand il y a deux parties dans un conflit, qu'il y a un accord de paix et que l'ONU se tient entre les deux parties. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas-là. C'est donc une opération de maintien de la paix spécifique, qui a pour but la stabilisation. Je vous confirme que c'est dans ce cadre que nous souhaitons intervenir.
Sur la question européenne, il n'est pas exact de dire que les Européens ne sont pas là. Ils sont là par différents éléments - de renseignement, de transport, etc - et ils vont être là, dans les jours qui viennent. En effet, près de cinq cents Européens - ce n'est pas rien - sont sur le terrain, les uns pour former l'armée malienne, les autres pour assurer la sécurité et la protection de ces opérations de formation.
On peut dire qu'il aurait fallu faire davantage, mais c'est là que l'on retrouve la question de la politique européenne de sécurité et de défense : si nous avions une politique de sécurité et de défense plus étendue, dans des cas comme celui-ci, peut-être y aurait-il une automaticité ou une quasi-automaticité.
Mais pour l'instant nous ne sommes pas dans ce cadre. Il y aura une réunion du Conseil européen en décembre pour voir ce que pourrait être, en général, une avancée en matière de défense. Nous considérons que les Européens ont déjà fait un certain effort. Il serait souhaitable que dans le futur, pour les opérations de ce type qui pourraient se présenter, il y ait un élargissement de la politique de sécurité et de défense.
(Interventions des parlementaires)
Vous posez beaucoup de questions, Monsieur Bompard, et en deux minutes je n'aurai peut-être pas le temps de vous répondre sur tout, mais je voudrais souligner le caractère contradictoire d'un certain nombre de vos propos.
Vous félicitez l'armée française et vous avez tout à fait raison de le faire, tous ceux qui sont intervenus l'ont fait ; et en même temps vous mettez en question la légitimité de notre intervention.
Vous regrettez, si je vous ai bien compris, que nos voisins européens ne nous soutiennent pas suffisamment, mais j'ai cru comprendre également que vous n'étiez pas absolument enthousiaste sur la construction européenne. Vous jugez également problématique le fait que nous nous engagions à l'extérieur alors que la France connaît des difficultés.
Je voudrais ici vous reprendre sur la terminologie, qui est toujours significative. Ce serait une grave erreur de considérer que les difficultés qui existent au Mali ou ailleurs sont liées à l'islam. Les musulmans sont pacifiques, et c'est la raison pour laquelle, personnellement, je n'emploie pas le mot «islamiste», que nos amis arabes ont souvent tendance à traduire par «musulman».
Non, en l'occurrence, il s'agit de combattre des groupes narcoterroristes, qui se sont attaqués à une population très majoritairement musulmane, la population malienne. Il faut donc éviter de faire des amalgames, qui ne font que renforcer les problèmes. Ce n'est pas la responsabilité des musulmans qui est ici engagée mais celle de groupes narcoterroristes qu'il faut combattre partout - je pense que vous en conviendrez, Monsieur Bompard. Ne faisons pas d'assimilation impropre.
Il me semble d'ailleurs que c'est le président du Mali, M. Traoré, qui nous avait dit à Addis-Abeba, lors d'une grande conférence où la moitié des chefs d'État et de gouvernement qui sont intervenus ont fini leur intervention par un «Vive la France !», que l'islam ne devait pas servir de couverture au terrorisme.
Il ne faut donc pas pratiquer ce genre d'assimilation, sans quoi, même avec les meilleures intentions du monde, on risque d'accroître la difficulté, alors que nous cherchons à la combattre.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 mars 2013