Déclaration de M. Jean-Pierre Chevènement, député du Mouvement des citoyens, sur la réinstallation de la statue du "Lion de Belfort", place Denfert-Rochereau, Paris, le 14 octobre 2001.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réinstallation du "Lion de Belfort", place Denfert-Rochereau à Paris 15e, le 14 octobre 2001

Texte intégral

Monsieur le Maire de Paris et Cher Collègue, mon Cher Bertrand,
Monsieur le Maire du XVème arrondissement,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Je tiens tout d'abord à remercier Bertrand Delanoë - je le fais au nom de l'ensemble de mes concitoyens de ... " la Cité du Lion "- le remercier très vivement d'avoir tenu à associer la ville de Belfort à la belle cérémonie qui nous rassemble ce matin place Denfert-Rochereau. Les Belfortains sont très sensibles à cette attention qui, venant de vous, cher Bertrand, ne m'étonne pas car je connais bien, et depuis longtemps, vos qualités de coeur qui vont de pair avec la ténacité et la pugnacité qui, au printemps dernier, vous ont permis de remporter, de haute lutte, le siège... de Paris. Vous l'avez démontré en la circonstance : vous êtes... un vrai Lion !
A titre personnel, beaucoup de souvenirs, de bons souvenirs -et déjà parce que je n'avais pas trente ans !- me relient à cette chère " place Denfert " et à son fier animal : le défilé du 10 mai 1968 quand le rêve est passé, puis la dure réalité des urnes en juin suivant. Candidat de la FGDS contre le sortant UDR Jean de Grailly, avec mon très cher ami Georges Sarre comme suppléant, je réalisais, au premier tour, un score... qui me confirma que le chemin serait encore long, semé d'embûches et de durs combats...
Quand nous refaisions la France et le monde dans cet arrondissement qui m'est cher à plus d'un titre, au Zeyer-Alésia ou à la brasserie " le Belfort " sur cette même place, lorsque nous nous livrions à des échanges passionnés villa Duthy, à quelques pas d'ici, dans les locaux fatigués, mais nous ne l'étions jamais !, de la XIVème section de la SFIO -certains ici s'en souviennent sûrement- nous ne pouvions deviner la suite ou, plutôt, nous en imaginions une autre. J'en termine avec les souvenirs personnels pour en arriver à l'essentiel : Belfort, son siège... et son Lion.
Tout commence en juillet 1870, quand Napoléon III déclare la guerre à la Prusse. A Belfort, le colonel Pierre-Philippe Denfert-Rochereau, officier du Génie et, j'ajouterai, de génie, qui avait renforcé les défenses de la place forte, en est nommé commandant supérieur. Avec ses troupes valeureuses, principalement des gardes mobiles, Denfert résistera dans un combat inégal : 80000 hommes aguerris contre quelques milliers de supplétifs ployant sous la mitraille. J'ai en mémoire sa fière réplique à un ultimatum du général prussien qui dit vouloir éviter aux Belfortains les horreurs de la guerre : " (...) En pesant dans ma conscience les raisons que vous développez, je ne puis m'empêcher de trouver que la retraite de l'armée prussienne est le seul moyen que conseillent à la fois l'honneur et l'humanité (...) ". Cela vaut bien Cambronne ! Denfert résistera, du 3 novembre 1870 au 13 février 1871 à un déluge de fer et de feu : 400000 projectiles qui ont fait de Belfort un champ de ruines et de morts - les Prussiens n'avaient-ils pas surnommé Belfort " Todtenfabrik ", la fabrique de cadavres ?-, avec plus de 2000 victimes françaises.
Avant et pendant ces 103 jours du troisième siège de Belfort, la France offre le triste spectacle de la défaite et du déshonneur : en septembre 1870, capitulation de Sedan où Napoléon III est fait prisonnier ; octobre, reddition de Bazaine à Metz ; et en janvier 1871, prise de Paris. C'est sur les décombres du second Empire qui avait conduit nos armées à la défaite que la République, troisième du nom, est proclamée le 4 septembre 1870, une 3ème République qui coïncide avec le gouvernement de la Défense Nationale. Son inspirateur, Gambetta, sera aussi celui qui huit ans plus tard refondera véritablement la République en contraignant Mac Mahon à se soumettre puis à se démettre.
Denfert-Rochereau, qui est, en quelque sorte " l'anti-Bazaine ", cèdera, la mort dans l'âme, aux injonctions du gouvernement de l'Assemblée nationale replié à Bordeaux. Le 18 février 1871, le brave colonel Denfert quitte Belfort avec ses troupes en bon ordre.
Lors de la signature du traité de Francfort, c'était un 10 mai, Belfort restera française et avec elle 105 autres des 191 communes de l'ancien arrondissement de Belfort, département à part entière depuis 1922. Denfert n'y est pas pour rien !
On sait moins que Denfert, après la guerre, fut élu député républicain. Il soutint Gambetta. Il était moins à l'aise à la tribune qu'au combat. Un jour, Changarnier, qui fut l'un des seconds de Bazaine à Metz et qui siégeait parmi les monarchistes ayant odieusement calomnié Denfert, un député de gauche, Laurent Pichat s'époumona : " Taisez-vous ! nous nous appelons Belfort et vous, vous appelez Metz ! ".
Voilà pour Denfert dont il était juste d'honorer la mémoire. Sans cette haute figure, il n'y aurait jamais eu le Lion.
Et sans Bartholdi non plus, bien entendu. Frédéric-Auguste Bartholdi est né en 1834 à Colmar, chef lieu du département du Haut-Rhin. Il est mort en 1904 à Paris où il dort son dernier sommeil non loin d'ici, au cimetière du Montparnasse. Ardent patriote, ce républicain sincère a participé, en tant qu'adjudant-major, à la défense de Colmar en septembre 1870. Il est ensuite aux côtés de Garibaldi, qui a été nommé commandant de l'armée des Vosges par le gouvernement de Bordeaux. Bartholdi ne se consolera jamais de la perte de l'Alsace-Lorraine.
Le souvenir du sculpteur Bartholdi est immortalisé par ses deux chefs d'oeuvre monumentaux : la " Liberté éclairant le monde " inaugurée au large de New-York en 1886, six ans après le Lion de Belfort. A ma connaissance, le Lion et la Liberté sont parmi les rares sculptures qui possèdent toutes deux leurs répliques à Paris, ici-même et au pont de Grenelle. La statue de la Liberté ! A cette instant, comment ne pas évoquer l'affreux carnage qui, depuis un mois presque jour pour jour se laisse découvrir derrière le symbole de New-York et de l'Amérique tout entière ? Mais comme l'esprit de résistance que symbolise notre Lion, l'esprit de la Liberté restera invincible. C'est en étant fidèle à ses valeurs, dont la première n'est pas la liberté économique, mais la liberté de pensée qu'on appelle aussi laïcité, que nous conduirons le monde vers un meilleur avenir.
C'est sur le terrain solide de la raison et de la justice, valeurs dans lesquelles peuvent se reconnaître tous les hommes, à quelque religion ou à quelque civilisation qu'ils appartiennent, que nous vaincrons le hideux terrorisme et construirons la fraternité des hommes. C'était là la foi de Bartholdi dont témoignent ses colossales statues.
Sollicité par Edouard Mény, maire de Belfort durant le siège, Bartholdi accepte avec enthousiasme la proposition d'élever un monument à la mémoire des Défenseurs de la ville. Il propose de réaliser, selon ses propres termes, " un Lion harcelé, acculé et terrible encore en sa fureur ". Et il ajoute : " je ferai cette oeuvre comme enfant de l'Alsace sans y chercher d'intérêt... ".
Sachez que le Lion de Belfort a été sculpté, pièce par pièce, en grès rose des Vosges. Adossé à la roche calcaire, sous la forteresse dominant la ville, face à l'ouest, il est réalisé entre 1875 et 1880. Il mesure onze mètres de haut sur vingt-deux de large. Depuis maintenant 120 ans, il est, de loin, le monument le plus admiré, le plus visité de notre bonne ville. Il en est le génie tutélaire, le protecteur emblématique. Il veille sur nous et nous le lui rendons bien.
Quand les Belfortains " montent à la capitale ", ils ne résistent pas au plaisir de faire un tour pour caresser du regard la reproduction (quatre mètres sur sept) de leur fétiche qui est, en quelque sorte, le fils qui n'aurait pas grandi.
Vous le savez : décidée en 1879 par le conseil de Paris, d'abord projetée aux Buttes Chaumont, l'installation du Lion de Belfort... de Paris fut finalement réalisée sur la place Denfert-Rochereau, pour exaucer une pétition des habitants du 14ème. C'est du 21 septembre 1880 que date l'installation du Lion de la place Denfert. Durant des années, en septembre, les habitants du 14ème fêteront le Lion en même temps que la République. Grâce au maire de Paris, nous renouons aujourd'hui avec une belle et bonne tradition républicaine.
Pour tous les Français, le lion de Belfort constitue un beau symbole de la Résistance à toutes les oppressions, du combat qui ne doit jamais cesser contre l'abaissement ou pire, l'oubli de la France, le symbole de la lutte pour la liberté, pour la paix et pour l'indépendance de notre pays. Vous l'avez bien compris : le Lion de Belfort a beau avoir plus de 120 ans, il nous incite à poursuivre le combat : la France reste une grande puissance politique parce que le monde à nouveau déchiré a besoin d'elle. Il a besoin que sa voix se fasse entendre pour éclairer le chemin, pour faire vivre demain les grandes valeurs dont la République porte l'héritage : liberté, laïcité, citoyenneté, égalité, justice.
Je veux encore faire compliment à tous les artisans d'une restauration magnifiquement réussie qui a permis de réparer les outrages du temps, ce que nous faisons aussi à Belfort très régulièrement pour le Lion " original ". Merci encore à Bertrand Delanoë, à Pierre Castagnou pour leur accueil qui me va droit au coeur.
Vive le Lion de Belfort !
Vive Belfort !
Vive le 14ème !
Vive Paris !
Et surtout que vive la République,
et avec elle la France !
(source http://www.chevenement2002.net, le 15 octobre 2001)