Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec Europe 1 le 8 mars 2013, sur l'intervention militaire française au Mali.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les soldats français et tchadiens ont donc investi le sanctuaire des terroristes d’Al-Qaïda que vous avez visité toute la journée d’hier. La bataille, d’après ce qu’on nous dit, a été féroce, sans pitié, sans merci, et on parle au moins d’une centaine de djihadistes tués, c’est ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, c’est… la réalité c’est que nous savions que cette partie du Mali était potentiellement le sanctuaire d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, AQMI. Nous ne nous sommes pas trompés, c’est bien le cas et nous avons affaire à des terroristes tout à fait déterminés, très armés et qui provoquent des combats significatifs avec des dégâts importants que nous avons pu leur infliger…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que les combattants sont pratiquement face à face.
JEAN-YVES LE DRIAN
Les combattants sont pratiquement face à face, ils se voient, et c’est effectivement à portée d’homme, ça se passe au sol et dans des conditions extrêmement dures. J’ai pu me rendre sur place, sur les lieux même des affrontements, et j’ai pu voir les forces françaises très, très déterminées, très, très professionnelles à qui je voulais rendre hommage, parce qu’ils ont vraiment la pêche, ils sont vraiment très déterminés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Surtout quand on voit le territoire. Didier FRANÇOIS et Jean-Philippe REMY du MONDE ont décrit le relief que vous avez vu…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je cite « : tourmentés de pythons, des bolides d’amas de pierres volcaniques noires et coupantes truffées d’anfractuosités », et les soldats disent en effet que c’est une opération incomparable. Monsieur le ministre, est-ce que vous confirmez que cette nuit, une trentaine de soldats français ont été rapatriés parce qu’ils étaient blessés, est-ce que c’est grave ou moins grave qu’on le dit ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a eu des blessés qu’il faut soigner du côté français, il y a eu aussi des blessés du côté tchadien que nous soignons par nos équipes médicales. Il y a eu malheureusement 4 morts dont 1 à Gao avant-hier, ce sont des combats violents, c’est une guerre dure. Nous rentrons dans sa dernière phase, vous avez parlé de ces montagnes du Nord, mais il y a aussi Gao. Dans les montagnes du Nord, ce sont les fondamentalistes d’AQMI qui sont là, à Gao c’est le groupe qu’on appelle Mujao qui mène le toujours des actions que l’on appelle « les actions asymétriques » qui peuvent prendre la forme d’attentats…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et là, ça prendra du temps à Gao, autour de Gao avec le Mujao…
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a les deux…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
…Terroristes et des trafiquants.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut finir. La mission qu’a confié le président HOLLANDE aux forces armées, c’est de libérer l’intégrité du territoire malien avec le soutien des forces maliennes, tchadiennes, nigériennes en particulier, que j’ai pu constater sur place. Nous poursuivons cette…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais par exemple…
JEAN-YVES LE DRIAN
…Maintenant un peu plus difficile bien sûr parce que nous sommes dans les sanctuaires.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans l’Adrar il y a d’autres vallées, est-ce que la traque va continuer…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a d’autres bastions…
JEAN-YVES LE DRIAN
La traque a continué à l’heure où je vous parle, moi j’y suis allé hier et la traque continuait à partir d’hier après-midi sur les autres vallées, parce qu’il faut que l’ensemble du territoire soit nettoyé complètement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu’il y a d’autres bastions cachés de la nature de celui que vous avez visité hier, une sorte de caverne d’Ali Baba du terrorisme…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avec des armes, des munitions, etc. ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y en a sûrement d’autres.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y en a sûrement d’autres ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce qu’on a découvert quand même… Jean-Pierre ELKABBACH, ce qu’on a découvert et qui m’a paru très impressionnant, c’est l’ampleur de l’arsenal que les terroristes laissaient dans des dépôts divers sur ces montagnes de l’Adrar des Ifoghas, c’est par tonnes que nous retrouvons des armes, des armes lourdes, du matériel pour faire des explosifs improvisés, du matériel pour faire des ceintures pour kamikazes potentiel, tout cela était destiné à casser la sécurité de notre propre territoire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire qu’il y a un véritable ennemi !
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a un véritable ennemi. Ce que nous menons au Mali, c’est d’abord évidemment de permettre au Mali de retrouver son intégrité, et c’est aussi notre propre sécurité. Quand on voit ce que nous supposions et que pour ma part, je ne supposais pas avec tant d’ampleur, quand on voit le matériel de guerre que nos forces, nos soldats découvrent…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves Le DRIAN, ce matin à Bamako, capitale sauvée du Mali, est-ce que vous pouvez dire vous aussi que 70 % du travail a été fait ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C’est ce que dit le chef d’état-major de l’armée malienne, il a raison…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous, et vous ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous avons fait une grande partie du travail mais il n’est pas complètement fini, et c’est la dernière partie qui est la plus dure.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu’on est proches ou de la victoire ou du succès ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Jusqu’à présent, la qualité de nos forces et leur détermination – leur sang-froid surtout – a permis de mener une offensive très positive, très… bien engagée. Mais il reste les deux poches de la fin qui sont autour du Nord-est du Mali, et puis la sécurisation de la région de Gao. Nous sommes en bonne voie mais tant que l’ensemble de la libération du territoire n’est pas achevé, je reste prudent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous confirmez ce matin Jean-Yves Le DRIAN que des Français sont engagés dans les rangs des djihadistes ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, nous avons fait un prisonnier français qui va être extradé vers la France dans les moments qui viennent…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ça montre… ça montre quand même qu’il y avait là constitution d’une espèce de lieu… d’une filière terroriste de guerre qui pouvait accueillir certains jeunes en quête d’un destin radical, comme certains ont pu aller auparavant en Afghanistan ou en Syrie…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors il y a deux…
JEAN-YVES LE DRIAN
…Est en train de se faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a deux cas, à 8 heures…
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a deux cas.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a deux cas. Guillaume BIET a raconté que le week-end dernier, un franco-algérien originaire de Rhône-Alpes a été arrêté au Nord-Mali.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le confirmez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, il a été extradé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il a été extradé, donc il est en route ou il est déjà en France ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il a été extradé hier, donc je ne sais pas s’il est arrivé à cette heure. Et puis il y a un prisonnier, c’est deux cas différents…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non mais attendez, celui de Rhône-Alpes, est-ce que c’est un prisonnier de guerre ou un terroriste ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n’est pas un prisonnier de guerre, c’est une personne qui était recherchée par nos services de police et qui ont été retrouvées par la police malienne, et il y a une bonne collaboration entre les deux gouvernements.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et un autre djihadiste arrêté au Mali à l’automne, expulsé mardi dernier vers la France, il paraît qu’il est en garde-à-vue à la DCRI à Levallois-Perret, elle est en train de l’interroger. Celui-là, c’est le deuxième ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, le deuxième il partira vraisemblablement aujourd’hui, c’est un prisonnier. Donc il sera extradé et couvert par évidemment le droit international en matière de prisonnier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Plus du tiers des guerriers djihadistes sont morts dans ces territoires monsieur le ministre. Est-ce que parmi eux se trouvent des chefs et des sous-chefs d’Al-Qaïda Maghreb ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Sûrement des sous-chefs en nombre significatif, sans doute des chefs mais les groupes sont quand même très nombreux, il en reste encore un nombre significatif qui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous continuez à les traquer ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ah ! Complètement. Aujourd’hui, au moment où nous parlons, des interventions supplémentaires dans les montagnes ont lieu et d’autre part à Gao, les patrouilles se poursuivent. Parce que Al-Qaïda, ça ne se limite pas à des chefs, Al-Qaïda c’est des forces, c’est organisé, c’est un système avec des armes lourdes. Il faut donc les combattre…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous nous…
JEAN-YVES LE DRIAN
De ses chefs.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Yves Le DRIAN, vous nous avez parlé des djihadistes et confirmé que des djihadistes sont dans les rangs et des Français sont dans les rangs…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils sont peu nombreux, heureusement.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, oui, est-ce qu’on peut…
JEAN-YVES LE DRIAN
On n’a maintenant identifié que deux personnes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Attendez, est-ce qu’on peut résumer pour être clair, combien y en a-t-il et quel sort les attend ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Combien y a-t-il de Français, vous dites ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour l’instant, nous n’en avons identifié que deux, donc je n’ai pas d’autre commentaire pour l’instant.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ces deux-là seront…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils seront traités par le droit et par notre législation et…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ils seront en France.
JEAN-YVES LE DRIAN
…La Convention de Genève.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ils seront en France ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et ce sera en France, oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Avril va marquer le début du retrait des 4.000 soldats français aujourd’hui au Mali. Ça va concerner combien d’entre eux ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Là, à cet instant, je ne vais pas vous dire les chiffres parce que nous poursuivons – comme vous le savez – les opérations de libération du territoire malien. Nous pensons que l’horizon d’avril, comme l’a dit le président de la République, est un horizon qui est de l’ordre du possible et du probable. Et c’est progressivement que nos forces seront remplacées, en particulier d’abord pour la stabilisation et de la sécurisation des villes par les forces africaines…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que ça veut dire…
JEAN-YVES LE DRIAN
Nous sommes en cours d’organisation que je vais voir aujourd’hui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que ça veut dire…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et qui, progressivement, prendront leur place.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le retrait sera étalé sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, c’est ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Ah oui ! Le retrait sera étalé sur plusieurs mois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, reste la…
JEAN-YVES LE DRIAN
Il commencera… il commencera en avril mais ça ne sera pas un retrait brutal, il faut le faire de manière très pragmatique…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez… sur le plan politique, vous avez rencontré ou vous allez rencontrer aujourd’hui le président par intérim du Mali, qui promet des…
JEAN-YVES LE DRIAN
Dioncounda TRAORE oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà, qui promet des élections en juillet. Est-ce que la France restera au Mali jusque-là ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Le désengagement se fera progressivement, et donc au fur et à mesure que la mission africaine – qui va avoir un nouveau mandat de l’ONU dans les semaines qui viennent – au fur et à mesure qu’elle s’implantera et qu’elle sera sous couvert du mandat de l’ONU, nous nous retirerons. Donc au moment des élections, je pense qu’on n’aura pas…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une question…
JEAN-YVES LE DRIAN
Notre retrait.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Un peu personnelle, jamais peut-être vous n’avez été aussi proche géographiquement des otages, est-ce que vous y avez pensé, qu’est-ce que vous avez ressenti ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Quand hier en particulier, quand j’étais en plein milieu de la vallée. Oui, j’avais une pensée très particulière pour leurs familles à cet instant précis.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand vous verrez…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et vous pouvez imaginer que les soldats que j’ai vus, avec qui j’étais hier matin – en particulier dans la vallée d’Ametetai, pensaient aussi beaucoup à eux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous continuez à les chercher ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Absolument.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière question, à Tessalit vous avez dit votre fierté aux soldats, est-ce que la meilleure façon de les rassurer, de les encourager, de ramener la confiance monsieur Le DRIAN, ce n’est pas de garantir les budgets et les moyens de la Défense, parce qu’on dit qu’il y a une telle rigueur qu’on valeur couper les vivres !
JEAN-YVES LE DRIAN
…Pas être si brutal, il y a… le président de la République doit assurer la souveraineté de notre pays et cette souveraineté se décline de deux manières majeures : c‘est d’abord la souveraineté sur ses propres finances pour que notre pays ne soit pas dépendant de créanciers internationaux, donc ça fait partie de la souveraineté que d’avoir la maîtrise de ses finances et d’être désendetté ; et puis il y a la souveraineté par la sécurité, ce que nous faisons aujourd’hui au Mali. Et donc il faut gérer ces deux souverainetés…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous proposez au président de la République… vous proposez au président de la République de décider sans demander de nouveaux sacrifices à ces hommes que vous voyez et à la défense française ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je considère que les forces de sécurité, l’ensemble de notre système de défense est une nécessité, parce que c’est ce qui place aussi le rang de la France dans le monde, ce que lui donne son image et qui était aussi considérablement renforcé par cette opération.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 11 mars 2013