Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, dans "Aujourd'hui en France" du 10 mars 2013, notamment sur l'intervention militaire française au Mali et sur la situation en Syrie.

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Média : Aujourd'hui en France

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Q - Deux mois après le début de la guerre au Mali, diriez-vous que le plus dur est fait ?
R - Le plus dur, c'est ce que nous sommes en train de terminer. Nos forces armées accomplissent un travail remarquable, dans les Ifoghas, au nord du Mali.
Elles débusquent les terroristes un à un. Cette opération - m'a indiqué mon collègue et ami Le Drian - devrait pouvoir être achevée fin mars. Il y a une autre zone difficile, dans la région de Gao, contre les narcoterroristes du Mujao, particulièrement actifs. À partir d'avril, nous devrions pouvoir retirer certains éléments du dispositif, ce qui ne veut évidemment pas dire que nous partirons du jour au lendemain. Outre le volet militaire, il y a aussi le volet démocratique et celui du développement : ils sont essentiels.
Q - La France maintiendra-t-elle une présence au Mali après la fin des opérations militaires ?
R - Pas avec le même nombre de soldats. Il est prévu que nous passions le relais, notamment aux troupes africaines qui, après décision de l'ONU, interviendront dans le cadre d'une opération de maintien de la paix. La France restera vigilante et disponible. Mais nous voulons éviter tout risque d'enlisement.
Q - Comment résoudre les problèmes politiques qui divisent le pays depuis longtemps ?
R - L'antagonisme est ancien entre le sud et le nord où vivent notamment des Touaregs. Il faut le réduire. Une commission nationale de dialogue et de réconciliation vient d'être décidée. Le président, le Premier ministre et l'Assemblée malienne ont prévu des élections en juillet : elles seront décisives, il ne faut pas perdre de temps. Pour que la paix s'installe durablement, chacun devra faire des efforts.
Q - Les Français ont l'impression qu'on leur cache des informations au sujet de la mort supposée des chefs terroristes, Abou Zeid et Mokhtar Belmokhtar...
R - Il n'y a pas d'information cachée. Simplement, ce qu'a demandé à juste titre François Hollande c'est de vérifier les informations avant de les authentifier. Les corps sont souvent déchiquetés. L'identification n'est pas facile. Des tests sont en cours, en particulier pour Abou Zeid.
Q - Un groupe islamiste nigérian, Ansaru, a déclaré avoir exécuté sept otages occidentaux hier.
Faut-il y voir un risque supplémentaire pour les Français actuellement détenus au Nigeria et dans le Sahel ?
R - Si ces informations étaient confirmées, elles démontreraient une nouvelle fois la cruauté sans limite de ces groupes terroristes. Mais il faut avant toute chose procéder aux vérifications nécessaires.
Q - Ces exécutions vont-elles changer la nature des actions engagées par la France pour obtenir la libération des otages ?
R - Tous les services de l'État, en France et à l'étranger, sont mobilisés pour obtenir la libération des otages et leur retour en France aussi vite que possible. Le centre de crise du Quai d'Orsay est en permanence à la disposition des familles, elles sont très courageuses. S'agissant de nos compatriotes enlevés au Cameroun le 19 février, j'ai reçu leur famille mercredi dernier pour leur redire notre détermination et notre profonde solidarité et je me rendrai au Cameroun et au Nigeria en fin de semaine prochaine.
Q - Bientôt deux ans de conflit en Syrie, un million de réfugiés, près de 70000 morts et la communauté internationale reste attentiste...
R - On ne peut qu'être révoltés devant ce carnage. La France a, la première, envoyé des soutiens et des secours en Syrie dans les zones libérées. Nous avons aussi été les premiers à reconnaître la Coalition nationale syrienne, c'est-à-dire l'opposition. Depuis, beaucoup ont suivi ce chemin et la Ligue arabe envisage de confier le siège de la Syrie à un membre de cette coalition. Nous avons agréé un nouvel ambassadeur syrien, issu de l'opposition, nous l'installerons officiellement à Paris la semaine prochaine. Par de multiples canaux, politiques, diplomatiques et concrets, nous soutenons l'opposition. Nous aidons aussi les pays voisins durement touchés.
Q - Est-il possible de faire évoluer l'embargo sur les armes pour soutenir les insurgés ?
R - Des armes sont livrées à Bachar al-Assad par l'Iran et la Russie. D'autres, moins puissantes, sont fournies aux résistants, jusqu'ici pas par l'Europe. La question a été posée d'alléger l'embargo sur les armes en direction de l'opposition. La France n'est pas fermée. D'autres y sont hostiles. La décision relève du niveau européen.
Q - La résolution du conflit en Syrie passe-t-elle toujours par le départ de Bachar Al-Assad ?
R - Bien sûr. Mais il faut non seulement qu'il s'en aille, mais que les institutions, elles, ne soient pas détruites, pour éviter un chaos supplémentaire. Moaz Al-Khatib (NDLR : le chef de l'opposition) insiste avec sagesse sur le fait que la Syrie de demain devra reconnaître et garantir les droits de chaque communauté, qu'elle soit alaouite, druze, sunnite ou chrétienne. C'est aussi notre position. Nous évoquons tout cela, en faisant le maximum pour avancer, avec notamment les Américains, la Coalition syrienne, plusieurs pays de la région et les Russes. Il y a grande urgence.
Q - Comprenez-vous l'émotion qui a suivi la mort d'Hugo Chavez en Amérique latine ?
R - Je l'avais rencontré. Qu'on l'aime ou non, c'était un homme au charisme exceptionnel qui, pour la population vénézuélienne, a apporté des améliorations sociales et éducatives considérables. Vivant ou mort, il bénéficie d'un énorme prestige sur tout le continent sud-américain. (…)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 2013