Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à Radio France Internationale le 5 mars 2013, sur les inégalités entre femmes et hommes et la mixité professionnelle.

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Média : Radio France Internationale

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Q : Sur la présence des femmes à l’ONU, ne pensez-vous pas qu’il y a trop de femmes qui s’occupent des femmes ?
R : C’est une évolution qui n’a rien de surprenant. Il a existé historiquement une période où les droits des femmes ça n’existait même pas dans le paysage politique, on n’en faisait même pas un enjeu de politique publique. Il y eut ensuite un moment, notamment dans les années 70-80 pour ce qui concerne la France, où il y a eut des grands combats féministes et ça a commencé à devenir un vrai sujet et on a vu apparaitre le premier ministère des droits des femmes par exemple. Comme les combats féministes étaient essentiellement portés par des femmes, il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’un ministère des droits des femmes soit conduit par une femme. Et puis il y a eu ce drôle de moment de flottement ces dernières décennies qui s’est manifesté en France par la disparition du ministère des droits des femmes, moment de flottement parce que les combats étaient derrière nous, que l’égalité entre les hommes et les femmes étaient réalisé.
Erreur, c’était une illusion. Les inégalités sont toujours là. Pour ce qui nous concerne, François Hollande a décidé de refaire naître ce ministère des droits des femmes, et il l’a confié à une femme. Au fond, parce que c’est logique aujourd’hui de dire que les femmes doivent être actrices de ce changement, actrices de ce combat pour les droits des femmes. Il y aurait aussi quelque chose de gênant, comme on le voit dans certains pays ou sociétés, que ce soit les hommes qui s’occupent pour les femmes de leurs droits. Vous voyez ce à quoi il faut faire attention.
Mais maintenant qu’on a atteint un certain stade et sans doute l’avons-nous atteint en France aujourd’hui on peut se poser la question de faire accéder à des responsabilités concernant les femmes, des hommes ne serait-ce que pour démontrer par A+B que l’égalité entre hommes et femmes c’est un jeu gagnant-gagnant. Ce n’est pas le remplacement de la domination masculine par la domination féminine, c’est au contraire le rehaussement des droits des femmes et de leur protection pour arriver à une véritable égalité entre hommes et femmes, et que donc cela va dans le sens de l’intérêt aussi des hommes. Parce que le jour où on aura permis une meilleure articulation des temps de vie personnelle et professionnelle, dont on considère aujourd’hui qu’il s’agit d’un enjeu essentiellement féminin, on permettra aux hommes d’être à la fois salarié et père et je crois qu’ils sont nombreux à le demander. Le jour où on aura permis que les métiers soient beaucoup plus mixtes qu’aujourd’hui, les métiers de l’industrie par exemple, on améliorera la qualité du travail. Quand les femmes arrivent dans une usine, on réfléchit sur l’ergonomie, sur le confort des appareils aussi et cela va dans l’intérêt des hommes aussi. A contrario, améliorer la mixité professionnelle, c’est permettre aux hommes d’accéder aux métiers du soin, de la santé, de la petite enfance, qui leur sont encore aujourd’hui assez fermés de manière assez injuste. Vous voyez, quelle que soit la dimension que vous prenez, l’égalité hommes-femmes, le combat pour les droits des femmes sert les hommes également.
Q : Ça ne vous choque pas le paysage qu’on voit à l’ONU : des milliers de femmes qui viennent s’occuper des femmes ?
R : c’est d’abord sympathique de retrouver des femmes du monde entier, qui se mobilisent. C’est ma première CSW, mais ceux qui sont plus expérimentés que moi, me faisaient la réflexion que c’étaient la première fois que les délégations étaient si nombreuses. La plupart des pays qui sont présent à cette CSW ont pris très au sérieux ce rendez-vous. Les délégations sont nombreuses et pointues. Les femmes que j’ai pu entendre font preuve d’une expertise certaine sur leurs domaines de compétences. Il n’y a pas que des femmes. Il y a des hommes aussi. Le ministère des Affaires étrangères d’Andorre, par exemple, comme beaucoup d’autres. Ces hommes sont particulièrement concernés et convaincant lorsqu’ils interviennent sur les droits des femmes. Ce qui va dans le sens de votre question, il faudrait les multiplier ces hommes. C’est aussi le prochain challenge : faire en sorte que les hommes se battent pour accéder au poste de ministre des droits des femmes.
Q : Votre successeur pourrait être un homme ?
J’ai le sentiment que si le prochain ministre en charge des droits des femmes pouvait être un homme dans un pays comme la France, ça enverrait le signal de la nécessité pour les hommes de se saisir de ce dossier.
Source http://www.franceonu.org, le 6 mars 2013