Extraits d'une déclaration de M. Bernard Cazeneuve, ministre des affaires européennes, sur le pacte de croissance, le budget de l'Union européenne, la mise en place d'une union bancaire et sur l'Europe sociale, au Sénat le 12 mars 2013.

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Circonstance : Débat préparatoire au Conseil européen, au Sénat le 12 mars 2013

Texte intégral

Le gouvernement aborde le prochain Conseil européen dans un contexte dominé par la crise, qui s'aggrave et s'enkyste même dans certains pays de l'Union. La récession fait son oeuvre destructrice, le chômage augmente partout en Europe. Le contexte de nos discussions, c'est aussi le semestre européen, encadré par le six-pack, le two-pack, et le traité budgétaire. Les Européens sont confrontés à un double exercice : évaluer l'efficience de nos politiques économiques et assurer leur convergence pour accélérer la sortie de crise ; rendre compte de la façon dont nous réduisons nos déficits.
En juin, lorsque nous sommes arrivés en responsabilité, nous avions fixé trois objectifs : relancer la croissance au sein de l'Union européenne par des initiatives équilibrant les politiques de sérieux budgétaire, remettre en ordre le système financier et bancaire, créer les conditions d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire ; le tout avec le souci constant d'un renforcement de la solidarité. Les institutions de l'Union européenne sont bien décidées à faire du Conseil européen à venir l'occasion d'un débat sur la pertinence des politiques économiques conduites dans l'Union et l'équilibre à trouver entre croissance, solidarité et sérieux budgétaire.
La question du pacte de croissance de 120 milliards d'euros sera à l'ordre du jour ; il faudra en évaluer les instruments et, lors du Conseil de juin prochain, les résultats concrets. Certains s'interrogent avec plus ou moins de bonne foi sur sa réalité. Il se répartit en trois enveloppes : 55 milliards d'euros de fonds structurels budgétés sur la période 2007-2013 et non dépensés, 60 milliards de prêts de la BEI rendus possibles par sa recapitalisation à hauteur de 10 milliards ; et une première phase de financement des obligations de projets à hauteur de 4,5 milliards d'euros. Sur la première enveloppe, la France peut mobiliser un plancher de 2,2 milliards ; à quoi s'ajoutent potentiellement 7 à 8 milliards si la mobilisation des territoires et des industriels permet d'optimiser le retour des prêts de la BEI. Avec les obligations de projet, la France peut espérer 11 milliards au titre du pacte, soit, avec l'effet de levier, un impact global de 24 milliards d'euros. On le voit, ce plan est tout sauf virtuel.
La deuxième enveloppe est celle du budget de l'Union européenne pour 2014-2020. Constamment rabotée, à la demande de Mme Merkel, M. Sarkozy, les Premiers ministres finlandais et néerlandais par une lettre de novembre 2010, l'enveloppe de crédits de paiement prévue pour 2007-2013 a diminué de 80 milliards. Si nous mobilisons la totalité du budget qui vient d'être adopté pour 2014-2020, les crédits seront supérieurs de 50 milliards à ce qu'ils étaient dans la période précédente. Les crédits alloués à la croissance augmenteront de 40 %. Concernant la politique de cohésion et la PAC, nous avons atteint tous nos objectifs. Et nous avons créé un fonds d'accompagnement des jeunes pour les régions où leur taux de chômage dépasse 25 %.
Troisième point, l'acte II du marché intérieur doit être l'occasion de multiplier les initiatives de croissance, l'harmonisation fiscale et sociale, l'instauration du principe du juste échange, de la réciprocité pour que le mieux-disant social et environnemental ne soit pas un handicap pour nos entreprises dans la mondialisation.
Le Conseil sera l'occasion de faire le point sur la remise en ordre de la finance. Depuis juin, nous avons créé les conditions de la mise en place d'une union bancaire. Un compromis a été trouvé avec les Allemands sur la supervision bancaire et la Commission, au sein de laquelle M. Barnier fait un excellent travail, élabore des textes de complément sur la résolution des crises et la garantie des dépôts.
Dès la mise en place de la supervision bancaire, le Mécanisme européen de stabilité (MES) pourra recapitaliser directement les banques. Le lien entre dette souveraine et dette bancaire sera rompu.
Dans le même temps, nous avons acté que le MES et le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pourront intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines, pare-feu contre la spéculation.
Herman Van Rompuy mène la réflexion sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire puis de l'intégration politique. Plusieurs options existent, à commencer par un approfondissement de la gouvernance de la zone euro qui se fasse sans menacer l'intégrité de l'Europe à 27. Dotée d'une capacité budgétaire, la zone euro pourrait faire face aux chocs de conjoncture.
Autre sujet : la réflexion sur la mutualisation des dettes. Au terme du trilogue, un groupe de travail se penchera sur les conditions de la mise en place, à terme, des eurobonds. La majorité des membres du Parlement européen, toutes tendances confondues, estiment qu'une telle mutualisation est possible dès lors que les politiques budgétaires convergent.
Enfin, la question de l'Europe sociale est également à l'ordre du jour : reconnaissance des qualifications professionnelles, portabilité des droits sociaux, mise en place d'un salaire minimum européen...
Ce Conseil européen sera l'occasion pour la France d'indiquer comment elle entend respecter les objectifs de redressement qu'elle s'est assignée à elle-même. La croissance très faible ne permet pas d'atteindre notre objectif de réduction du déficit. Mais la Commission européenne, à l'instar de la Cour des comptes, reconnaît que les deux tiers de l'effort de réduction du déficit structurel sont dus à la politique qu'elle a menée. (...)
(Interventions des parlementaires)
Merci à tous les intervenants. Beaucoup d'interrogations tournent autour de la croissance et du risque récessif des politiques mises en oeuvre.
Le budget de l'Union européenne 2014-2020 s'inscrit dans un cadre institutionnel ; nous partions d'une discussion engagée bien avant notre arrivée au gouvernement, entre deux clubs, celui des contributeurs nets, dit club des radins, et le club de la cohésion. Au sein du premier, la France faisait partie des plus pingres. La lettre de novembre 2010, signée du président de la République français, du Premier ministre britannique et des Premiers ministres suédois et finlandais, préconisait que l'on coupât le budget de l'Union européenne 2007-2013 de 200 milliards d'euros !
S'il n'y avait pas eu cette lettre des conservateurs, ce budget n'aurait pas été à ce point raboté. Il y avait eu 986 milliards de crédits d'engagement et 940 milliards de crédits de paiement ; mais on n'en a dépensé que 860 milliards, soit 80 de moins que prévu ! D'où le déficit de 16 milliards d'euros, un déficit chronique selon le président du Parlement européen, M. Schulz. Voilà la situation que nous avons trouvée. Nous avons tout fait, dans la négociation, pour que l'on tourne le dos à cette stratégie funeste. Nous avons obtenu l'introduction de la flexibilité maximale, entre les années et entre les rubriques au point 109 des conclusions du Conseil, pour assurer la consommation complète des crédits de paiement. Si l'on totalise tous les crédits de paiement du budget, ce dernier comptera 50 milliards de plus que le budget précédent. Les crédits consacrés à la croissance augmentent de 40 %, de 90 à 140 milliards d'euros.
Pour faire rêver, il faut de grandes politiques comme Erasmus, le transfert de technologies, la transition énergétique. C'est pourquoi nous voulons un budget de l'Union européenne doté de ressources propres, pour rompre avec la logique de retour sur contribution.
Je suis en mesure de vous dire, région par région, programme par programme, comment le plan pour la croissance de 120 milliards est affecté en France : rénovation thermique en Champagne-Ardenne, port de Cherbourg, développement du solaire en Aquitaine, etc. On ne peut dire que le plan de 120 milliards ne serait pas mis en oeuvre !
M. Marini m'a interrogé à propos du montant de l'impôt sur les sociétés à Chypre. La question est à l'ordre du jour du dialogue en cours entre Chypre et la troïka. On peut regretter que le sujet n'ait pas été abordé au moment où l'on négociait avec l'Irlande, sans pour autant prétendre qu'il en irait de même au moment où c'est avec Chypre que l'on discute.
Le président de la commission des finances a prétendu qu'il n'y avait pas de calendrier précis de la mise en oeuvre de l'union bancaire. Si. L'union bancaire sera effective fin 2013. Le commissaire Michel Barnier pourra le confirmer, la recapitalisation des banques par le MES sera possible fin 2013. Enfin, M. Marini sait très bien que, dans le cadre du semestre européen, il est prévu que le gouvernement rende compte au Parlement de sa trajectoire de retour à l'équilibre et des réformes qu'il engage. Nous sortons d'un compromis historique sur l'emploi, nous avons mis en place un pacte de compétitivité : nous voulons lutter contre le populisme, disons la vérité !
Q - (Sur les prévisions de croissance)
R - Je comprends votre inquiétude, même si je regrette que vous ne l'ayez pas exprimée ces dix dernières années... La dette de la France a doublé entre 2002 et 2013 ; nos déficits se sont creusés au cours des dix dernières années, sous un autre gouvernement, d'une autre sensibilité politique. La France a décroché de l'Allemagne, pas au cours des neuf derniers mois, nos partenaires européens le savent bien.
Nous y répondons, depuis juin, avec un plan de 30 milliards pour le redressement des finances publiques, un plan de 20 milliards pour la compétitivité des entreprises, un compromis historique autour de la sécurisation des parcours professionnels. Pour les deux tiers, nos engagements ont été tenus, et ce depuis juin seulement. La Commission européenne et la Cour des comptes le reconnaissent. Nous allons poursuivre les réformes, le rétablissement des comptes.
Contrairement à ce que d'aucuns tentent de faire croire, la relation franco-allemande n'est pas d'autant plus forte que l'on tait ce que l'on pense. Nous considérons, nous, que chacun doit dire ce qu'il a à dire. La France et l'Allemagne sont capables de se parler franchement, et ainsi de parvenir à des compromis.
Sur tous les sujets, nous avons trouvé un compromis : sur l'union bancaire, sur les mécanismes de solidarité, sur l'intervention de la BCE, sur le pacte de croissance. Lors du cinquantième anniversaire du Traité de l'Élysée, nous avons défini 70 actions concrètes. Qu'est-ce que ce serait si la relation franco-allemande n'était pas «détériorée» !
Q - (Sur l'approbation du budget 2014/2020 par le Parlement européen)
R - La flexibilité maximale, nous y sommes favorables puisque nous l'avons fait inscrire au point n° 109 des conclusions du dernier Conseil européen... Idem pour la révision à mi-parcours. Les ressources propres sont l'objet d'un combat historique des progressistes et de ce gouvernement : c'est la condition d'un véritable budget européen.
La quatrième condition est plus délicate : le comblement des déficits passés dès cette année. Une discussion est en cours pour répondre à cette demande du Parlement européen.
Q - (Sur les hypothèses de croissance)
R - Hypothèses excessivement optimistes ? La vôtre était de 1,7 % de croissance, nous l'avons ramenée à 0,8 %. Nous ajustons encore, en relation avec la Commission européenne. J'ai indiqué à M. Bizet les mesures que nous prenions.
Q - (Sur les droits d'implantation de vigne)
R - Cette question inquiétait nos viticulteurs. Le gouvernement a hérité d'une situation fâcheuse ; le groupe de travail mis en place a émis des propositions.
Le gouvernement approuve ses deux orientations principales : le dispositif d'encadrement des vignes doit être généralisé après 2015 pour corriger les effets de la mesure initiale ; le dispositif doit être pérenne.
La négociation est en cours au niveau européen, M. Le Foll s'y consacre.
Q - (Sur la transition énergétique)
R - Sur la transition énergétique, il faut être concurrentiel. La question du coût de l'énergie est centrale. Pourrons-nous avoir une politique énergétique européenne commune ? C'est le souhait du président de la République. Nous travaillons avec l'Allemagne sur ces sujets : la rénovation thermique des bâtiments, le développement des énergies renouvelables, avec la création de l'Office franco-allemand des énergies renouvelables, inauguré le 6 février dernier par Mme Batho et son homologue allemand ; les infrastructures de connexion énergétiques bénéficient de crédits communautaires de un milliard consacrés à l'interconnexion.
(...)
Q - (Sur la dimension sociale de l'Union européenne)
R - Vous avez raison, l'Union n'est pas seulement économique et budgétaire ; elle doit aussi être sociale. Conventions collectives, portabilité des droits sociaux, salaire minimum, y compris dans l'agriculture où on recourt parfois à des pratiques qui favorisent la délocalisation d'activités d'un État membre vers un autre, lutte contre le chômage des jeunes... Les choses bougent sur tous ces sujets, moins vite que nous le voulons mais plus vite que si nous n'étions pas là... Pour preuves, la convergence franco-allemande sur la garantie des droits sociaux, le fait que la question sociale figure désormais à l'agenda de M. Van Rompuy, la création d'un fonds de 6 milliards pour les jeunes chômeurs. Nous souhaitons que l'ambition de la France devienne celle de l'Europe tout entière.
Q - (Sur les contentieux)
R - Ils sont en cours, vous comprendrez que je me montre prudent. Toute déclaration hasardeuse pourrait être utilisée contre la France. OPCVM - la Cour de justice a tranché en mai 2012 - taxe Copé-Fillon sur les fournisseurs d'accès à internet - les conclusions de l'avocat général ne sont pas encore rendues - dossier du précompte mobilier : l'héritage, effectivement, est lourd, nous nous en serions bien passé. Nous nous employons à le solder dans les meilleures conditions./.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 mars 2013