Texte intégral
Mesdames et Messieurs les eurodéputés, chers amis progressistes,
Cest toujours avec un vrai plaisir que je reviens au Parlement européen, dans cette institution que je connais bien, pour en avoir été moi-même lun de ses membres par deux fois, en 1994 puis en 2004, et lun de ses vice-présidents. Cétait il y a quelques années déjà, mais on ne quitte jamais vraiment la sphère communautaire une fois quon y est entré : lEurope est le fil directeur de ma vie politique, puisquaprès avoir siégé parmi vous, jai été ministre des Affaires européennes, membre de la Convention européenne, chargé des relations internationales et européennes dans mon parti. Aujourdhui, je suis ministre de lEconomie et des Finances en France, et lEurope, bien sûr, est au cur de ma fonction. Ainsi, avant de vous retrouver, jai déjà passé deux jours à Bruxelles, pour lEurogroupe et le Conseil Ecofin. Cela prouve bien que faire une distinction marquée entre le niveau national et le niveau européen na, aujourdhui, pas tellement de sens.
Je voudrais vous livrer quelques réflexions sur la situation actuelle de lEurope, et plus particulièrement de la zone euro. Elles sont inspirées à la fois par la pratique des négociations communautaires et la participation active à ses institutions, mais aussi par lengagement profondément européen qui ma toujours animé, que je sais partagé par cette Assemblée et dont nous avons tout particulièrement besoin aujourdhui.
Un mot, tout dabord, sur la situation économique actuelle de la zone euro. Nous sommes dans une situation paradoxale. Lhypothèque majeure qui planait sur lintégrité de zone euro jusquà la fin du second semestre a été levée : les dirigeants de la zone euro et ses institutions ont mis en uvre les moyens nécessaires au service de leur engagement à préserver lintégrité de la zone euro, la crise existentielle séloigne, les doutes sur lavenir de la monnaie unique se dissipent. Cest une avancée majeure, et je men félicite. La stabilisation est réelle, même si certaines situations nationales font lobjet dune vigilance collective. Les taux dintérêt dans les pays encore très en tension au semestre dernier se sont détendus. Les pays sous programmes progressent : lIrlande par exemple, est proche de la sortie de son programme, le Portugal est aussi sur les rails.
Nous ne sommes pas pour autant tirés daffaire. Sil ny a plus de crise « existentielle » de la zone euro, la crise est bien toujours là dans la zone euro. Ce qui minterpelle aujourdhui, cest le risque de croissance schizophrène, dun scénario où les marchés financiers se redressent, mais où léconomie réelle stagne et reste engluée dans une phase de redémarrage très lent, presque plat. On aurait alors un décrochage entre une « économie den haut » et une « économie den bas », avec dun côté des marchés financiers stabilisés et même relativement dynamiques, et de lautre des indices de léconomie réelle taux de chômage, consommation, investissements qui ne suivent pas. Les chiffres de la croissance en zone euro au dernier trimestre attestent de ce risque. Tous les grands pays ont connu une baisse de leur PIB sur la période : -0,6% en Allemagne, -0,7% en Espagne, -0,6% en zone euro, -0,3% pour la France Et pour 2013, vous le savez, la Commission a révisé à la baisse ses prévisions pour tous les Etats membres : selon elle, la zone euro resterait en récession (-0,3%), lEspagne et lItalie connaîtraient encore une année de grave recul (-1,4% et -1,0% respectivement), lAllemagne elle-même ralentirait (0,5% après 0,7%), tandis que la France enregistrerait une croissance très légèrement positive (0,1%).
En réalité, notre principal défi collectif est celui-là : soutenir lactivité, renouer avec la croissance, bref, dessiner pour nos citoyens une perspective économique positive, au-delà des efforts demandés, qui durent depuis des années maintenant, au-delà des impasses actuelles. On ne peut pas anticiper une nouvelle année de récession pour la zone euro sans réagir, ce serait une erreur économique. On ne peut pas continuer à demander à nos concitoyens de faire des efforts pour redresser nos finances publiques sans ouvrir une perspective de croissance, ce serait une erreur politique.
La première question qui se pose, face à cette situation, cest : mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Les racines de la crise sont, selon moi, de trois ordres :
Tout dabord, un endettement excessif. Leuro, en permettant un endettement à des conditions avantageuses, a favorisé des prises de risques abusives et alimenté des déséquilibres. Des dettes insoutenables aux risques occultés ont été accumulées. Chacun le sait, je ne my attarde pas.
Les dérèglements financiers ont également joué un rôle clé dans le déclenchement de la crise. La finance a perdu de vue dans les années 2000 sa fonction première financer léconomie réelle au profit dactivités spéculatives quelle réalise pour son compte propre. Elle a ignoré ou, à tout le moins, mal estimé les risques. Bref, elle a versé dans lhybris. Mais les Etats portent aussi une part de responsabilité, puisquils ont eux-mêmes organisés le reflux des garde-fous. La directive sur les marchés dinstruments financiers actuellement en révision en est une illustration parfaite : cest un cas typique de texte qui a ouvert, involontairement sans doute, des espaces de spéculation et dopacité pour la finance contre lesquelles nous devons combattre. Je sais que le Parlement européen simplique avec force dans ces différents combats et je men félicite. La directive CRD IV, qui devrait marquer des avancées fortes sur la lutte contre les paradis fiscaux ou la limitation des bonus des banquiers, est un bon exemple du rôle important que joue le Parlement européen.
Chers amis, la crise financière est stabilisée, mais nous ne devons pas perdre le sens de lurgence en matière financière. Nous devons encore consolider et compléter les acquis de ces derniers mois, et le Parlement européen a un rôle absolument crucial à jouer ici, concernant la mise en place de lunion bancaire, en particulier dans le volet supervision, où la zone euro et dautres Etats volontaires sont en train de faire un progrès formidable pour la qualité de la surveillance et de lanticipation des risques, mais aussi en matière de résolution bancaire et de protection des dépôts des épargnants, ou encore de transparence et dorganisation des marchés financiers.
Enfin, la crise a révélé que la zone euro est une construction largement inachevée, alimentant ainsi la défiance des peuples. Trois carences, en particulier, ont été révélées :
- En matière de stabilisation des chocs, tout dabord : nous navons pas, ou peu, dinstruments immédiats pour apaiser les tensions. La crise en a fait la cruelle démonstration.
- En matière de gestion de lhétérogénéité de la zone euro, ensuite : il ne suffit pas que des pays partagent la même monnaie pour quils soient porteurs de risques identiques. Dont acte. Il faudra, demain, aller vers plus de convergence de nos économies, et apprendre à mieux gérer une hétérogénéité dont on sait quelle restera importante.
- En matière de gouvernance, enfin : quil sagisse de coordonner les politiques économiques ou de décider des voies de la sortie de crise, nous avons atteint les limites du modèle institutionnel actuel. Atteint, et même dépassé. Je suis frappé de la difficulté avec laquelle nous prenons, aujourdhui, nos décisions. La situation sest considérablement dégradée par rapport au souvenir, je le pense, fidèle, que jen ai gardé lorsque jétais ministre des Affaires européennes.
À tout cela sajoute un facteur politique, je veux parler des choix incomplets ou asymétriques de politiques économiques qui ont été faits. Jen profite pour saluer ici le choix du thème de cette conférence du Groupe de lAlliance Progressiste des Socialistes & Démocrates et de la Foundation for European Progressive Studies : il me paraît particulièrement approprié.
Entendons-nous bien sur ce que je veux dire par rejet de laustérité généralisée. Oui, nous avons un effort à faire pour remettre en ordre nos comptes. Cest, en tout cas, le choix que la France a fait, et je serai le dernier à vouloir remettre en cause les disciplines communes que nous nous sommes fixées. Dans mes fonctions, je suis au contraire le garant du respect des engagements pris par mon pays de réduire son déficit structurel : nous menons une politique sérieuse et de gauche, et je ny renoncerai pas. Mais leffort à accomplir doit être adapté à la situation de chaque pays, et préserver les conditions de reprise de lactivité économique en Europe. Or, laccent exclusif mis sur le redressement des comptes publics qui a prévalu ces dernières années, nécessaire dans un contexte de crise des dettes souveraines, conduit aujourdhui à une situation économique douloureuse, qui est aujourdhui lourdement interrogée par les peuples européens. Redressement des comptes et croissance : cest la poursuite du juste équilibre entre ces deux objectifs qui doit nous guider.
Cest la raison pour laquelle la France a engagé le débat sur la croissance dès lélection du Président de la République. Cest pourquoi la France veut convaincre dans les prochaines semaines la Commission Européenne quil faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques dans une année 2013 très difficile, sans renoncer à lajustement structurel, mais en repoussant à 2014 lobjectif dêtre en dessous de 3% de déficit quelle sétait fixée cette année. La Commission a livré, je crois, une analyse intelligente et équilibrée de la situation macroéconomique en Europe lorsquelle a publié il y a deux semaines ses prévisions de croissance et de déficit. Il faut le reconnaître, et convaincre, aussi, que lambition des réformes est intacte.
En réalité, le fil directeur qui relie lensemble de ces dimensions, et ce qui manque sans doute aux yeux des peuples européens, cest la solidarité. Ces dernières années, nous avons construit les disciplines budgétaires notamment pour elles-mêmes, mais pas suffisamment pour assurer le bon fonctionnement de mécanismes de solidarité, alors que cela devrait être leur fonction première. Cest cette déconnection qui fait la grande faiblesse de la zone euro aujourdhui. Nous sommes, de fait, solidaires dans le fonctionnement de notre monnaie unique, donc nous avons besoin dorganiser cette solidarité, davoir les instruments pour plus de solidarité pour aider les pays qui font face à un choc, nous avons besoin de plus de solidarité pour réduire lhétérogénéité dans la zone euro, et nous avons besoin dinstances et de procédures qui reflètent ce niveau de solidarité accru.
La crise européenne est donc dabord et avant tout une crise dintégration. Jai la conviction que cest une crise dun défaut, et non pas dun excès dEurope. Et cette crise est politique avant dêtre économique. Cest limmobilisme ou linefficacité qui nous fragilisent.
Prenons garde aux conséquences de ce défaut dEurope. Je reste, comme vous tous, attaché à la zone euro, je me suis battu pour sa construction jadis, pour son intégrité aujourdhui, je suis convaincu quelle est pour ses membres une protection essentielle, un multiplicateur dinfluence. Mais prenons garde à la fracture avec ses peuples. Cest notre responsabilité dhommes et de femmes de gauche, de progressistes. Labsence de solidarité hypothèque la sortie de crise. Je ne veux pas commenter les élections dans dautres pays, en particulier dans le tien, Cher Massimo, qui est cher à mon cur. Mais ne voyons pas dans un vote anti-crise un vote anti-européen. Et soyons conscients que, si la crise sociale nourrit le populisme, ce populisme est pourtant et toujours une impasse. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas en tirer la leçon quil faut moins dEurope, nous devons être vigilants au risque de rejet de lEurope que porte le choc de la crise.
Ce risque nest pas lapanage de telle ou telle nation. Jen ai fait lexpérience comme élu dune circonscription qui a voté non au Traité Constitutionnel Européen en 2005, qui sinquiète de sa perte de substance industrielle, et où lextrême-droite remporte plus de votes que la moyenne nationale. Ces ouvriers, ces paysans, ces personnes âgées, ces jeunes insuffisamment formés, ne sont pas hostiles par principe à lEurope : ils nen voient pas les bénéfices concrets, pour eux, dans leur vie. Labsence de solidarité a donc, aussi, un lourd coût politique et social. Elle a créé des réflexes identitaires de protection et de proximité, et a fissuré lattachement des peuples à lEurope. Cela, si je le constate et le comprends, je ne my résous pas.
Il faut nourrir le désir dEurope. Mais alors que lurgence sociale se manifeste dans de nombreux pays, et alors que langoisse sociale monte face à la crise, il faut le nourrir avec une démonstration concrète que lEurope fait partie de la solution. Et seul un degré suffisant de solidarité, concomitant et au moins équivalent aux disciplines que nous suivons, sera à même de faire cette démonstration. Voilà le diagnostic que je voulais partager avec vous, nourri de mon expérience de la gestion de la crise européenne, dabord financière, économique aujourdhui.
Je veux maintenant dire quelle vision je porte de lavenir de lEurope, quelle stratégie nous devons promouvoir, aussi, dans les mois qui viennent, alors que se profilent les élections européennes.
Je suis convaincu que la zone euro doit écrire un nouveau chapitre de son histoire. Nous avons fait la fusion des monnaies ; il faut maintenant faire lunion des sociétés. Une nouvelle phase doit souvrir, alors que la zone euro est à une période charnière de son histoire, et il nous appartient, Gouvernements, Commission européenne et Parlement européen, daccomplir cette mue politique et institutionnelle, de faire advenir ce nouveau cycle, autour dun mouvement dintégration fondé non pas seulement sur les disciplines, mais sur des solidarités assorties de disciplines qui viennent en garantir le bon fonctionnement.
En réalité, nous nen sommes pas si loin. Mais nous nen avons probablement pas encore pris conscience. Le second semestre 2012 a mis en lumière le décalage entre la détermination, dans les faits, des Chefs détats et de Gouvernement, ainsi que de la BCE, à préserver lintégrité de la zone euro, et le discours politique globalement inchangé tenu sur la nature même de la zone euro. Refuser la désintégration de la zone euro était fondamentalement un choix politique, et un choix de solidarité. Dans les faits déjà, mais pas dans les discours, une nouvelle page sest ouverte. Une zone euro plus politique et plus solidaire a émergé ces derniers mois, mais dans le désordre et dans lurgence, sans le dire et peut-être sans que nous en ayons pleinement pris conscience. Laction politique a, quelque part, précédé la formalisation conceptuelle. Il faut prendre conscience de ce « saut qualitatif », de ce quil représente dans lhistoire de la zone euro, et il faut le formaliser, organiser son approfondissement en bon ordre et articuler un nouveau discours sur la zone euro qui soit en adéquation avec la réalité des pratiques politiques.
Pour aller jusquau bout du projet quest lUnion économique et monétaire, pour le parachever, nous devons agir à la fois dans le champ fiscal, budgétaire, social et, in fine, politique.
- Cette action pourrait par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes, et qui aurait une véritable fonction contra-cyclique. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, comme un socle dindemnisation chômage en zone euro, par exemple ;
- Elle peut aussi passer par lémission de dette en commun dans la zone euro, éventuellement adossée à cette capacité budgétaire ;
- Enfin, elle doit trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel, nous le mesurons cruellement tous les jours, fonctionne mal. Et nos citoyens ne le comprennent pas, parce quil séloigne trop des mécanismes de contrôles nationaux. Je suggère, en particulier mais je soumets cette idée à votre sagacité , que le Parlement européen constitue en son sein une commission des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les Parlements nationaux devraient également être informés et associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro. Mais il faudra aussi à moyen terme incarner le rôle de lexécutif de la zone euro dans un « Ministre », chargé de la politique économique et financière et de la gestion de ces nouveaux instruments, qui doit pouvoir, dune façon ou dune autre, affronter la sanction du vote des citoyens ou de leurs représentants, tout comme les gouvernants nationaux laffrontent dans leur propre fonction exécutive.
Si ces mécanismes de solidarité sont mis en place en zone euro, alors nous pouvons aller plus loin, par exemple dans le champ budgétaire, et justifier une émission de dette en commun, ou en prenant des engagements plus liants, « contractuels », sur nos politiques économiques.
Je constate la nécessité de compléter la zone euro : cest le prix de son inachèvement que nous payons aujourdhui. Cela nexclut pas dêtre ambitieux pour le reste de lEurope. Mais cela implique de lêtre prioritairement pour ceux qui ont déjà, au travers de lUEM, fait le choix daller plus loin dans le partage de leur destin et de leurs instruments de politique.
Ce projet pour la zone euro, qui trace des perspectives au-delà de la crise, est économique : il lui permettra de fonctionner davantage comme une zone monétaire optimale. Il est aussi, et dabord, un projet politique et social, pour nos citoyens : sils se détournent de lEurope, cest aussi parce que les responsables politiques ne font plus leffort darticuler un projet politique qui donne un sens à lintégration européenne, par paresse et par facilité. Il faut faire leffort de formuler un agenda pour lEurope, ou se résoudre au divorce avec les peuples. Le désir dEurope chez les citoyens reviendra avec lélaboration dun projet politique clair qui donne un sens à ce que nous faisons ensemble. Un projet est une force dentraînement, il créé de lélan et des ralliements : il peut fédérer.
Soyons conscients, toutefois, et jen reviens au thème de nos échanges quun projet dintégration naura de sens, ne sera accepté par les peuples et porté par les forces politiques que si, dans le même temps, lEurope cesse dapparaître comme une cause daggravation de la crise, et saffirme plutôt à nouveau comme une solution. Cest ce que nous disent les votes aujourdhui, demain peut-être, si nous ny prenons garde, les révoltes de nos peuples. Ils peuvent comprendre, parce quils sont lucides et informés, la nécessité de leffort de réduction des déficits et de désendettement, de la « consolidation budgétaire », comme on dit dans le jargon communautaire. Ils le peuvent, oui, mais à deux conditions. Dabord, que cet effort soit justement partagé, cest-à-dire que ceux qui ont le plus soient davantage mis à contribution. Il y a, en Europe, une exigence de moralisation du capitalisme, qui se répand partout : cest pour cela que nous faisons voter, en France, une réforme bancaire, cest pour cela que le Conseil Ecofin avance sur les bonus des traders ou la transparence dans les paradis fiscaux, cest pour cela même que nos voisins Suisses ont voté ce dimanche la fin des parachutes dorés. Ensuite, il est indispensable, vital même, douvrir une perspective, un espoir de retour à la croissance et à lemploi, au-delà de lajustement de nos finances publiques. Cest cette perspective quil nous revient de porter dans lUnion européenne, dans la zone euro, dans nos pays. Comment croître à nouveau ? Cest linterrogation qua soulevé le G20 réuni à Moscou il y a quelques semaines. Elle doit être notre préoccupation centrale, pour que lintégration européenne soit enfin, comme le demande le Président de la République française, François Hollande, solidaire.
Nous avons des échéances pour discuter de ce que nous voulons faire pour lEurope, et singulièrement celle des élections européennes de 2014. Nous avons donc un peu plus dun an pour définir le projet européen que les partis pourront soumettre aux citoyens. Leur vote offrira la base démocratique et la légitimité nécessaires aux inflexions que nous pouvons apporter à notre union. Ce Parlement y prendra, jen suis sûr, toute sa part.
Il le faut, car lEurope a perdu le récit de son épopée. Elle est pourtant, dabord et avant tout, une grande épopée politique moderne, fondée sur le rapprochement de peuples et de citoyens qui acceptent de partager un destin commun. Il faut y réinjecter des idées, mais aussi de lidéal. Nous sommes Français, Allemands, Italiens, Espagnols, Polonais, Autrichiens, mais nous sommes avant tout, tous, des Européens, convaincus que lEurope est un humanisme. Nous le perdons de vue, parfois, dans la gestion quotidienne de la crise, et cela détourne les citoyens du grand projet commun que doit rester la construction communautaire. A nous, les progressistes, de les y ramener par la force de nos engagements et de nos convictions.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 8 mars 2013
Cest toujours avec un vrai plaisir que je reviens au Parlement européen, dans cette institution que je connais bien, pour en avoir été moi-même lun de ses membres par deux fois, en 1994 puis en 2004, et lun de ses vice-présidents. Cétait il y a quelques années déjà, mais on ne quitte jamais vraiment la sphère communautaire une fois quon y est entré : lEurope est le fil directeur de ma vie politique, puisquaprès avoir siégé parmi vous, jai été ministre des Affaires européennes, membre de la Convention européenne, chargé des relations internationales et européennes dans mon parti. Aujourdhui, je suis ministre de lEconomie et des Finances en France, et lEurope, bien sûr, est au cur de ma fonction. Ainsi, avant de vous retrouver, jai déjà passé deux jours à Bruxelles, pour lEurogroupe et le Conseil Ecofin. Cela prouve bien que faire une distinction marquée entre le niveau national et le niveau européen na, aujourdhui, pas tellement de sens.
Je voudrais vous livrer quelques réflexions sur la situation actuelle de lEurope, et plus particulièrement de la zone euro. Elles sont inspirées à la fois par la pratique des négociations communautaires et la participation active à ses institutions, mais aussi par lengagement profondément européen qui ma toujours animé, que je sais partagé par cette Assemblée et dont nous avons tout particulièrement besoin aujourdhui.
Un mot, tout dabord, sur la situation économique actuelle de la zone euro. Nous sommes dans une situation paradoxale. Lhypothèque majeure qui planait sur lintégrité de zone euro jusquà la fin du second semestre a été levée : les dirigeants de la zone euro et ses institutions ont mis en uvre les moyens nécessaires au service de leur engagement à préserver lintégrité de la zone euro, la crise existentielle séloigne, les doutes sur lavenir de la monnaie unique se dissipent. Cest une avancée majeure, et je men félicite. La stabilisation est réelle, même si certaines situations nationales font lobjet dune vigilance collective. Les taux dintérêt dans les pays encore très en tension au semestre dernier se sont détendus. Les pays sous programmes progressent : lIrlande par exemple, est proche de la sortie de son programme, le Portugal est aussi sur les rails.
Nous ne sommes pas pour autant tirés daffaire. Sil ny a plus de crise « existentielle » de la zone euro, la crise est bien toujours là dans la zone euro. Ce qui minterpelle aujourdhui, cest le risque de croissance schizophrène, dun scénario où les marchés financiers se redressent, mais où léconomie réelle stagne et reste engluée dans une phase de redémarrage très lent, presque plat. On aurait alors un décrochage entre une « économie den haut » et une « économie den bas », avec dun côté des marchés financiers stabilisés et même relativement dynamiques, et de lautre des indices de léconomie réelle taux de chômage, consommation, investissements qui ne suivent pas. Les chiffres de la croissance en zone euro au dernier trimestre attestent de ce risque. Tous les grands pays ont connu une baisse de leur PIB sur la période : -0,6% en Allemagne, -0,7% en Espagne, -0,6% en zone euro, -0,3% pour la France Et pour 2013, vous le savez, la Commission a révisé à la baisse ses prévisions pour tous les Etats membres : selon elle, la zone euro resterait en récession (-0,3%), lEspagne et lItalie connaîtraient encore une année de grave recul (-1,4% et -1,0% respectivement), lAllemagne elle-même ralentirait (0,5% après 0,7%), tandis que la France enregistrerait une croissance très légèrement positive (0,1%).
En réalité, notre principal défi collectif est celui-là : soutenir lactivité, renouer avec la croissance, bref, dessiner pour nos citoyens une perspective économique positive, au-delà des efforts demandés, qui durent depuis des années maintenant, au-delà des impasses actuelles. On ne peut pas anticiper une nouvelle année de récession pour la zone euro sans réagir, ce serait une erreur économique. On ne peut pas continuer à demander à nos concitoyens de faire des efforts pour redresser nos finances publiques sans ouvrir une perspective de croissance, ce serait une erreur politique.
La première question qui se pose, face à cette situation, cest : mais comment en sommes-nous arrivés là ?
Les racines de la crise sont, selon moi, de trois ordres :
Tout dabord, un endettement excessif. Leuro, en permettant un endettement à des conditions avantageuses, a favorisé des prises de risques abusives et alimenté des déséquilibres. Des dettes insoutenables aux risques occultés ont été accumulées. Chacun le sait, je ne my attarde pas.
Les dérèglements financiers ont également joué un rôle clé dans le déclenchement de la crise. La finance a perdu de vue dans les années 2000 sa fonction première financer léconomie réelle au profit dactivités spéculatives quelle réalise pour son compte propre. Elle a ignoré ou, à tout le moins, mal estimé les risques. Bref, elle a versé dans lhybris. Mais les Etats portent aussi une part de responsabilité, puisquils ont eux-mêmes organisés le reflux des garde-fous. La directive sur les marchés dinstruments financiers actuellement en révision en est une illustration parfaite : cest un cas typique de texte qui a ouvert, involontairement sans doute, des espaces de spéculation et dopacité pour la finance contre lesquelles nous devons combattre. Je sais que le Parlement européen simplique avec force dans ces différents combats et je men félicite. La directive CRD IV, qui devrait marquer des avancées fortes sur la lutte contre les paradis fiscaux ou la limitation des bonus des banquiers, est un bon exemple du rôle important que joue le Parlement européen.
Chers amis, la crise financière est stabilisée, mais nous ne devons pas perdre le sens de lurgence en matière financière. Nous devons encore consolider et compléter les acquis de ces derniers mois, et le Parlement européen a un rôle absolument crucial à jouer ici, concernant la mise en place de lunion bancaire, en particulier dans le volet supervision, où la zone euro et dautres Etats volontaires sont en train de faire un progrès formidable pour la qualité de la surveillance et de lanticipation des risques, mais aussi en matière de résolution bancaire et de protection des dépôts des épargnants, ou encore de transparence et dorganisation des marchés financiers.
Enfin, la crise a révélé que la zone euro est une construction largement inachevée, alimentant ainsi la défiance des peuples. Trois carences, en particulier, ont été révélées :
- En matière de stabilisation des chocs, tout dabord : nous navons pas, ou peu, dinstruments immédiats pour apaiser les tensions. La crise en a fait la cruelle démonstration.
- En matière de gestion de lhétérogénéité de la zone euro, ensuite : il ne suffit pas que des pays partagent la même monnaie pour quils soient porteurs de risques identiques. Dont acte. Il faudra, demain, aller vers plus de convergence de nos économies, et apprendre à mieux gérer une hétérogénéité dont on sait quelle restera importante.
- En matière de gouvernance, enfin : quil sagisse de coordonner les politiques économiques ou de décider des voies de la sortie de crise, nous avons atteint les limites du modèle institutionnel actuel. Atteint, et même dépassé. Je suis frappé de la difficulté avec laquelle nous prenons, aujourdhui, nos décisions. La situation sest considérablement dégradée par rapport au souvenir, je le pense, fidèle, que jen ai gardé lorsque jétais ministre des Affaires européennes.
À tout cela sajoute un facteur politique, je veux parler des choix incomplets ou asymétriques de politiques économiques qui ont été faits. Jen profite pour saluer ici le choix du thème de cette conférence du Groupe de lAlliance Progressiste des Socialistes & Démocrates et de la Foundation for European Progressive Studies : il me paraît particulièrement approprié.
Entendons-nous bien sur ce que je veux dire par rejet de laustérité généralisée. Oui, nous avons un effort à faire pour remettre en ordre nos comptes. Cest, en tout cas, le choix que la France a fait, et je serai le dernier à vouloir remettre en cause les disciplines communes que nous nous sommes fixées. Dans mes fonctions, je suis au contraire le garant du respect des engagements pris par mon pays de réduire son déficit structurel : nous menons une politique sérieuse et de gauche, et je ny renoncerai pas. Mais leffort à accomplir doit être adapté à la situation de chaque pays, et préserver les conditions de reprise de lactivité économique en Europe. Or, laccent exclusif mis sur le redressement des comptes publics qui a prévalu ces dernières années, nécessaire dans un contexte de crise des dettes souveraines, conduit aujourdhui à une situation économique douloureuse, qui est aujourdhui lourdement interrogée par les peuples européens. Redressement des comptes et croissance : cest la poursuite du juste équilibre entre ces deux objectifs qui doit nous guider.
Cest la raison pour laquelle la France a engagé le débat sur la croissance dès lélection du Président de la République. Cest pourquoi la France veut convaincre dans les prochaines semaines la Commission Européenne quil faut laisser jouer les stabilisateurs automatiques dans une année 2013 très difficile, sans renoncer à lajustement structurel, mais en repoussant à 2014 lobjectif dêtre en dessous de 3% de déficit quelle sétait fixée cette année. La Commission a livré, je crois, une analyse intelligente et équilibrée de la situation macroéconomique en Europe lorsquelle a publié il y a deux semaines ses prévisions de croissance et de déficit. Il faut le reconnaître, et convaincre, aussi, que lambition des réformes est intacte.
En réalité, le fil directeur qui relie lensemble de ces dimensions, et ce qui manque sans doute aux yeux des peuples européens, cest la solidarité. Ces dernières années, nous avons construit les disciplines budgétaires notamment pour elles-mêmes, mais pas suffisamment pour assurer le bon fonctionnement de mécanismes de solidarité, alors que cela devrait être leur fonction première. Cest cette déconnection qui fait la grande faiblesse de la zone euro aujourdhui. Nous sommes, de fait, solidaires dans le fonctionnement de notre monnaie unique, donc nous avons besoin dorganiser cette solidarité, davoir les instruments pour plus de solidarité pour aider les pays qui font face à un choc, nous avons besoin de plus de solidarité pour réduire lhétérogénéité dans la zone euro, et nous avons besoin dinstances et de procédures qui reflètent ce niveau de solidarité accru.
La crise européenne est donc dabord et avant tout une crise dintégration. Jai la conviction que cest une crise dun défaut, et non pas dun excès dEurope. Et cette crise est politique avant dêtre économique. Cest limmobilisme ou linefficacité qui nous fragilisent.
Prenons garde aux conséquences de ce défaut dEurope. Je reste, comme vous tous, attaché à la zone euro, je me suis battu pour sa construction jadis, pour son intégrité aujourdhui, je suis convaincu quelle est pour ses membres une protection essentielle, un multiplicateur dinfluence. Mais prenons garde à la fracture avec ses peuples. Cest notre responsabilité dhommes et de femmes de gauche, de progressistes. Labsence de solidarité hypothèque la sortie de crise. Je ne veux pas commenter les élections dans dautres pays, en particulier dans le tien, Cher Massimo, qui est cher à mon cur. Mais ne voyons pas dans un vote anti-crise un vote anti-européen. Et soyons conscients que, si la crise sociale nourrit le populisme, ce populisme est pourtant et toujours une impasse. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas en tirer la leçon quil faut moins dEurope, nous devons être vigilants au risque de rejet de lEurope que porte le choc de la crise.
Ce risque nest pas lapanage de telle ou telle nation. Jen ai fait lexpérience comme élu dune circonscription qui a voté non au Traité Constitutionnel Européen en 2005, qui sinquiète de sa perte de substance industrielle, et où lextrême-droite remporte plus de votes que la moyenne nationale. Ces ouvriers, ces paysans, ces personnes âgées, ces jeunes insuffisamment formés, ne sont pas hostiles par principe à lEurope : ils nen voient pas les bénéfices concrets, pour eux, dans leur vie. Labsence de solidarité a donc, aussi, un lourd coût politique et social. Elle a créé des réflexes identitaires de protection et de proximité, et a fissuré lattachement des peuples à lEurope. Cela, si je le constate et le comprends, je ne my résous pas.
Il faut nourrir le désir dEurope. Mais alors que lurgence sociale se manifeste dans de nombreux pays, et alors que langoisse sociale monte face à la crise, il faut le nourrir avec une démonstration concrète que lEurope fait partie de la solution. Et seul un degré suffisant de solidarité, concomitant et au moins équivalent aux disciplines que nous suivons, sera à même de faire cette démonstration. Voilà le diagnostic que je voulais partager avec vous, nourri de mon expérience de la gestion de la crise européenne, dabord financière, économique aujourdhui.
Je veux maintenant dire quelle vision je porte de lavenir de lEurope, quelle stratégie nous devons promouvoir, aussi, dans les mois qui viennent, alors que se profilent les élections européennes.
Je suis convaincu que la zone euro doit écrire un nouveau chapitre de son histoire. Nous avons fait la fusion des monnaies ; il faut maintenant faire lunion des sociétés. Une nouvelle phase doit souvrir, alors que la zone euro est à une période charnière de son histoire, et il nous appartient, Gouvernements, Commission européenne et Parlement européen, daccomplir cette mue politique et institutionnelle, de faire advenir ce nouveau cycle, autour dun mouvement dintégration fondé non pas seulement sur les disciplines, mais sur des solidarités assorties de disciplines qui viennent en garantir le bon fonctionnement.
En réalité, nous nen sommes pas si loin. Mais nous nen avons probablement pas encore pris conscience. Le second semestre 2012 a mis en lumière le décalage entre la détermination, dans les faits, des Chefs détats et de Gouvernement, ainsi que de la BCE, à préserver lintégrité de la zone euro, et le discours politique globalement inchangé tenu sur la nature même de la zone euro. Refuser la désintégration de la zone euro était fondamentalement un choix politique, et un choix de solidarité. Dans les faits déjà, mais pas dans les discours, une nouvelle page sest ouverte. Une zone euro plus politique et plus solidaire a émergé ces derniers mois, mais dans le désordre et dans lurgence, sans le dire et peut-être sans que nous en ayons pleinement pris conscience. Laction politique a, quelque part, précédé la formalisation conceptuelle. Il faut prendre conscience de ce « saut qualitatif », de ce quil représente dans lhistoire de la zone euro, et il faut le formaliser, organiser son approfondissement en bon ordre et articuler un nouveau discours sur la zone euro qui soit en adéquation avec la réalité des pratiques politiques.
Pour aller jusquau bout du projet quest lUnion économique et monétaire, pour le parachever, nous devons agir à la fois dans le champ fiscal, budgétaire, social et, in fine, politique.
- Cette action pourrait par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes, et qui aurait une véritable fonction contra-cyclique. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, comme un socle dindemnisation chômage en zone euro, par exemple ;
- Elle peut aussi passer par lémission de dette en commun dans la zone euro, éventuellement adossée à cette capacité budgétaire ;
- Enfin, elle doit trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel, nous le mesurons cruellement tous les jours, fonctionne mal. Et nos citoyens ne le comprennent pas, parce quil séloigne trop des mécanismes de contrôles nationaux. Je suggère, en particulier mais je soumets cette idée à votre sagacité , que le Parlement européen constitue en son sein une commission des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les Parlements nationaux devraient également être informés et associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro. Mais il faudra aussi à moyen terme incarner le rôle de lexécutif de la zone euro dans un « Ministre », chargé de la politique économique et financière et de la gestion de ces nouveaux instruments, qui doit pouvoir, dune façon ou dune autre, affronter la sanction du vote des citoyens ou de leurs représentants, tout comme les gouvernants nationaux laffrontent dans leur propre fonction exécutive.
Si ces mécanismes de solidarité sont mis en place en zone euro, alors nous pouvons aller plus loin, par exemple dans le champ budgétaire, et justifier une émission de dette en commun, ou en prenant des engagements plus liants, « contractuels », sur nos politiques économiques.
Je constate la nécessité de compléter la zone euro : cest le prix de son inachèvement que nous payons aujourdhui. Cela nexclut pas dêtre ambitieux pour le reste de lEurope. Mais cela implique de lêtre prioritairement pour ceux qui ont déjà, au travers de lUEM, fait le choix daller plus loin dans le partage de leur destin et de leurs instruments de politique.
Ce projet pour la zone euro, qui trace des perspectives au-delà de la crise, est économique : il lui permettra de fonctionner davantage comme une zone monétaire optimale. Il est aussi, et dabord, un projet politique et social, pour nos citoyens : sils se détournent de lEurope, cest aussi parce que les responsables politiques ne font plus leffort darticuler un projet politique qui donne un sens à lintégration européenne, par paresse et par facilité. Il faut faire leffort de formuler un agenda pour lEurope, ou se résoudre au divorce avec les peuples. Le désir dEurope chez les citoyens reviendra avec lélaboration dun projet politique clair qui donne un sens à ce que nous faisons ensemble. Un projet est une force dentraînement, il créé de lélan et des ralliements : il peut fédérer.
Soyons conscients, toutefois, et jen reviens au thème de nos échanges quun projet dintégration naura de sens, ne sera accepté par les peuples et porté par les forces politiques que si, dans le même temps, lEurope cesse dapparaître comme une cause daggravation de la crise, et saffirme plutôt à nouveau comme une solution. Cest ce que nous disent les votes aujourdhui, demain peut-être, si nous ny prenons garde, les révoltes de nos peuples. Ils peuvent comprendre, parce quils sont lucides et informés, la nécessité de leffort de réduction des déficits et de désendettement, de la « consolidation budgétaire », comme on dit dans le jargon communautaire. Ils le peuvent, oui, mais à deux conditions. Dabord, que cet effort soit justement partagé, cest-à-dire que ceux qui ont le plus soient davantage mis à contribution. Il y a, en Europe, une exigence de moralisation du capitalisme, qui se répand partout : cest pour cela que nous faisons voter, en France, une réforme bancaire, cest pour cela que le Conseil Ecofin avance sur les bonus des traders ou la transparence dans les paradis fiscaux, cest pour cela même que nos voisins Suisses ont voté ce dimanche la fin des parachutes dorés. Ensuite, il est indispensable, vital même, douvrir une perspective, un espoir de retour à la croissance et à lemploi, au-delà de lajustement de nos finances publiques. Cest cette perspective quil nous revient de porter dans lUnion européenne, dans la zone euro, dans nos pays. Comment croître à nouveau ? Cest linterrogation qua soulevé le G20 réuni à Moscou il y a quelques semaines. Elle doit être notre préoccupation centrale, pour que lintégration européenne soit enfin, comme le demande le Président de la République française, François Hollande, solidaire.
Nous avons des échéances pour discuter de ce que nous voulons faire pour lEurope, et singulièrement celle des élections européennes de 2014. Nous avons donc un peu plus dun an pour définir le projet européen que les partis pourront soumettre aux citoyens. Leur vote offrira la base démocratique et la légitimité nécessaires aux inflexions que nous pouvons apporter à notre union. Ce Parlement y prendra, jen suis sûr, toute sa part.
Il le faut, car lEurope a perdu le récit de son épopée. Elle est pourtant, dabord et avant tout, une grande épopée politique moderne, fondée sur le rapprochement de peuples et de citoyens qui acceptent de partager un destin commun. Il faut y réinjecter des idées, mais aussi de lidéal. Nous sommes Français, Allemands, Italiens, Espagnols, Polonais, Autrichiens, mais nous sommes avant tout, tous, des Européens, convaincus que lEurope est un humanisme. Nous le perdons de vue, parfois, dans la gestion quotidienne de la crise, et cela détourne les citoyens du grand projet commun que doit rester la construction communautaire. A nous, les progressistes, de les y ramener par la force de nos engagements et de nos convictions.
Source http://www.pierremoscovici.fr, le 8 mars 2013