Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur les relations entre la France et les Pays-Bas, La Haye le 21 mars 2013.

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Circonstance : Déplacement aux Pays-Bas-inauguration officielle de la nouvelle ambassade de France, La Haye le 21 mars 2013

Texte intégral

Mon Cher Frans,
Mesdames et Messieurs les Présidents,
Monsieur le Président de la Cour suprême,
Madame le Procureur,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Monsieur l'Ambassadeur,

Je suis extrêmement heureux de me trouver ici, à La Haye, pour inaugurer officiellement cette nouvelle ambassade de France aux côtés de mon collègue et ami, Frans Timmermans et d'autres grandes personnalités.
C'est assez rare qu'il soit donné à un ministre des affaires étrangères d'inaugurer une ambassade. Je veux rassurer à la fois nos amis néerlandais, qui sont toujours soucieux à juste raison de l'équilibre des comptes publics et les Français, qui ont compris que lorsqu'il y a des dépenses publiques, en France ou à l'étranger, réalisées par les Français, ce sont les Français qui les paient. Je veux donc rassurer les uns et les autres : par je ne sais quel miracle, que j'ai renoncé à expliciter, c'est une opération blanche. Vous me donnez l'occasion de participer à un événement rare et je dois souligner que cette installation a fait l'objet d'une coopération étroite entre responsables néerlandais et français. Notre ancien immeuble a été mis à disposition des autorités judiciaires néerlandaises pour l'édification de la Cour suprême. Et le gouvernement néerlandais dans sa bonté nous a fourni ce bâtiment entièrement rénové. Merci à tous ceux qui ont travaillé à ce projet, à la fois du côté néerlandais et du côté français.
Le voisinage est extrêmement prestigieux. D'un côté, le Palais de la Paix et son clocher, construit de 1907 à 1913, à l'époque des grandes conférences de La Haye, par l'architecte français Victor-Louis Cordonnier. Ce palais, qui abrite notamment la Cour internationale de Justice, est le coeur de la capitale du droit international. De l'autre, le musée Mesdag qui expose des oeuvres de maîtres symbolisant les liens étroits qui associaient, à la fin du XIXème siècle, l'École de La Haye à celle de Barbizon. C'est une délicate attention qui est faite à l'amateur d'art que je suis. Ainsi entourée par la culture et par le droit, cette ambassade, Monsieur l'Ambassadeur, a un devoir d'excellence !
L'inauguration de ce bâtiment intervient alors qu'en France comme aux Pays-Bas, de nouveaux gouvernements ont accédé aux responsabilités en 2012. En décembre dernier il y a eu un entretien entre le président de la République française et le Premier ministre des Pays-Bas, qui a eu la gentillesse de me recevoir ce matin. Et cet entretien, de même que les liens qui ont suivi, permettent d'affirmer une volonté commune de renforcer notre travail bilatéral et notre travail pour faire progresser l'Europe. Et je pense qu'elle en a besoin. Et je n'oublie pas, Mon Cher Frans, que trois jours après ta prise de fonctions, tu m'as rendu visite à Paris, ce dont j'ai été très heureux.
Ce n'est donc pas seulement un beau bâtiment que nous inaugurons. C'est une occasion de dire nos relations excellentes et notre volonté, si c'est encore possible, de les développer.
Vous savez que j'avais des liens d'affection avec le président François Mitterrand. En 1984, lors d'une visite officielle aux Pays-Bas, celui-ci a évoqué l'«amitié naturelle» entre les Pays-Bas et la France. Sur quoi est-elle fondée ? Sur beaucoup de choses, mais sans aucun doute sur l'attachement très ancien que les uns et les autres nous portons à la liberté. Je dois reconnaître, pour m'en désoler, mais enfin nous nous y faisons, que les Pays-Bas ont en la matière une antériorité assez légère, mais réelle, sur nous : la République des Provinces Unies a été au XVIIème siècle le camp de base de la libre pensée et un havre de tolérance et de liberté. Descartes a vécu et travaillé ici pendant 20 ans et y a rédigé la plupart de ses ouvrages. La pensée française des XVIIème et XVIIIème siècles n'aurait sans doute jamais pu connaître un tel essor si ce pays n'avait pas accueilli ses maîtres et si ses presses n'avaient pas imprimé leurs oeuvres. Les Pays-Bas ont donc directement contribué au foisonnement intellectuel qui a conduit à la Révolution française, par laquelle la France a porté en Europe la flamme de la démocratie.
Plus récemment, cette amitié s'est incarnée dans le projet européen, que nous cherchons à faire avancer ensemble. J'ai eu l'occasion cet après-midi de prononcer une conférence à l'université de Leiden. Nous discutions avec les étudiants et j'ai essayé de leur dire qu'il ne fallait pas désespérer de l'Europe, que l'idée européenne restait une magnifique idée, même si ses incarnations aujourd'hui étaient, il faut en convenir, un peu décevantes.
Le président Mitterrand m'a souvent rappelé que, lorsqu'il était jeune parlementaire, il avait pris part au Congrès européen de La Haye en mai 1948 dans la salle des Chevaliers du Palais des États Généraux, à quelques centaines de mètres d'ici. Et les noms que je vais citer montrent ce qu'était à l'époque la force de l'idée européenne. Présidé par Winston Churchill, ce grand rassemblement fut un acte pionnier. Y assistaient Alcide de Gasperi, Konrad Adenauer, Paul-Henri Spaak, Léon Blum, beaucoup d'autres et des penseurs comme Bertrand Russell ou Denis de Rougemont. Et ce dernier déclara : «Jamais la guerre, la peur et la misère n'avaient été mises en échec par un plus formidable adversaire».
Depuis, les Pays-Bas et la France ont franchi ensemble les étapes de la construction européenne. Aujourd'hui, nous devons faire face à des défis tout à fait majeurs : d'abord ce qu'il ne faut pas appeler une crise, mais une mutation du monde où l'Europe n'a évidemment plus la même place que par le passé. À cette mutation du monde s'ajoute ou se surajoute toute une série de crises, crise financière, économique, sociale et politique et finalement défiance des citoyens qui, en France comme aux Pays-Bas, comme ailleurs, expriment de l'inquiétude à l'égard d'une Europe dont ils attendent davantage d'emplois et de sécurité.
Et pourtant, je le disais aux étudiants tout à l'heure, des progrès réels ont été réalisés. Mais ces progrès sont souvent oubliés parce que telle ou telle difficulté qui était prévisible survient et qu'elle n'est pas toujours considérée comme il le fallait. Je pense notamment, ces derniers jours, à la situation à Chypre.
Au-delà, nous savons tous, Néerlandais comme Français, que la priorité, si nous devons à la fois répondre aux attentes des peuples, retrouver un équilibre budgétaire et faire reculer le chômage, c'est la croissance. La France, dans cette mesure, souhaite que l'Europe agisse davantage et en même temps qu'elle soit d'une certaine façon réorientée vers ce que nous appelons une intégration solidaire, c'est-à-dire à la fois plus d'Europe et plus de solidarité, ce qui impliquera aussi, non pas une Europe self-service, ou une «Europe moins», mais au contraire une «Europe plus», fondée d'abord sur la zone euro.
Nos rapports, entre Néerlandais et Français, comportent aussi une forte dimension bilatérale. Il n'y a pas de contentieux majeur entre nos deux pays. Et, mon cher Frans, nous n'allons pas en inventer. Pendant les années 70-80, la pollution du Rhin par les mines de potasse d'Alsace avait créé quelques tensions. Comme Premier ministre en 1985, j'ai présenté au Parlement le projet de loi de ratification de la convention de Bonn, qui a permis de régler ce désaccord.
Aujourd'hui, il n'y a plus de désaccord et nous sommes en contact étroit et permanent. Notre coopération économique, dont nous avons discuté en particulier à l'heure du déjeuner avec le Conseil de coopération, est une coopération très active : nos échanges s'élèvent à 40 milliards d'euros. Plus de 1 100 entreprises françaises, dont de nombreuses PME, représentent 120 000 emplois aux Pays-Bas. 1 700 firmes néerlandaises emploient 300.000 salariés en France. Nous avons évoqué avec Frans et les vice-présidents ces questions lors du déjeuner de travail du Conseil de coopération franco-néerlandais. Je salue Jaap de Hoop-Scheffer et Christian de Boissieu, ainsi que les membres de ce conseil, qui font un travail fort utile. Si nous voulons valoriser encore davantage notre potentiel, nous sommes convenus de donner une nouvelle impulsion à un certain nombre de projets en matière d'énergie, de transports et de développement durable, de progression linguistique et je confirme ici devant les francophones accomplis que vous êtes que le français est une grande langue d'avenir.
La récente visite à Amsterdam de Bertrand Delanoë, maire de Paris et la signature d'un accord de coopération entre les deux villes, soulignent l'intérêt de développer la coopération décentralisée, qui fait partie de la diplomatie économique, exigence impérieuse, car elle est source d'actions proches du terrain, mobilisant souvent nos PME. Je sais l'attachement de Monsieur le Maire de La Haye, que je salue, à la préparation d'une «bourse aux projets» en présence de maires néerlandais et français. C'est une très belle idée. Quant à la coopération parlementaire, elle est ici incarnée par le sénateur Ferrand, le député Cordery et les membres du Parlement néerlandais.
Notre amitié se nourrit aussi des échanges culturels et universitaires promus par l'Institut français des Pays-Bas et par les affinités que favorisent des flux touristiques qui conduisent des millions de Néerlandais à se rendre chaque année en France. La réciproque est aussi vraie, légitime et conviviale.
Dans le domaine de la défense, de la sécurité intérieure ou des douanes, nos échanges sont eux aussi constructifs et opérationnels.
Mesdames et Messieurs, cette ambassade exerce aussi des missions multilatérales, liées au rôle de capitale internationale de La Haye.
Je pense à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques, qui siège tout près d'ici. Je salue son directeur général. D'ici quelques semaines s'ouvrira la conférence d'examen de la convention, qui se tient tous les cinq ans. Je souhaite qu'à cette occasion l'organisation puisse répondre aux défis nouveaux et graves, tels que la présence voire l'utilisation éventuelle d'armes chimiques dans des États non parties. En disant cela, chacun d'entre nous pense évidemment à la situation très préoccupante en Syrie. Et nous avons fait en sorte qu'à notre demande, le secrétaire général des Nations Unies commande que des travaux et une enquête soient faits sur ce point déterminant. Il serait inacceptable que le régime de Bachar Al-Assad ou quiconque utilise des armes chimiques.
Je pense aussi à la Cour Internationale de Justice, organe juridictionnel des Nations unies, voisine de cette ambassade, ou encore à la Cour permanente d'arbitrage, qui ont acquis leurs quartiers de noblesse. D'autres tribunaux plus récents écrivent une nouvelle page du droit en faisant vivre, pour la première fois dans l'histoire, la justice pénale internationale. La France continuera à apporter tout son soutien à l'ensemble de ces juridictions, notamment au Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie, au Tribunal spécial pour le Liban et naturellement à la Cour pénale internationale, qui s'affirme comme juridiction pénale internationale si l'on peut dire de droit commun. Je salue le président et la procureur de cette Cour, devenus acteurs majeurs de la vie internationale.
Je pense aussi à Europol, à Eurojust et à l'Office européen des brevets, qui, au quotidien, nourrissent l'Europe d'actions concrètes.
Mesdames et Messieurs, vous le comprendrez, j'adresse aussi un salut amical tout particulier à la communauté française des Pays-Bas, composée de 23.000 inscrits mais sans doute beaucoup plus nombreuse. Le député des Français de l'étranger, M. Philip Cordery, qui nous a fait l'amitié de sa présence aujourd'hui, connaît l'importance que j'attache à des services de l'État performants et accueillants pour la communauté française. Nous avons le deuxième réseau diplomatique au monde et nous entendons, malgré les contraintes budgétaires, que ce réseau reste aussi excellent qu'il l'est.
D'ailleurs ceci est tellement vrai que j'ai appris une anecdote, ce matin même, qui m'a frappé et que je veux vous rapporter. J'avais été comme des millions de gens séduit par le film «Intouchables» et j'ai appris que ce film admirable avait été tourné dans les locaux de la résidence de l'ambassadeur des Pays-Bas à Paris, qui est donc déclaré intouchable d'honneur. Cela montre bien que lorsque les Pays-Bas et la France agissent ensemble, on ne peut pas leur résister.
Mesdames et Messieurs, et je m'adresse en particulier aux Français, hommes et femmes d'affaires, enseignants - je salue en particulier la proviseur du lycée français Vincent Van Gogh - responsables d'association, fonctionnaires internationaux, ou tout simplement membres d'une famille, je veux vous dire que la vie ici, bien sûr, est une vie extrêmement plaisante, mais qu'en même temps, vous n'êtes pas dans votre patrie et que nous sommes extrêmement sensibles au rôle que vous jouez pour rapprocher les Pays-Bas et la France. L'image de la France, c'est ce que vous faites et ce que vous êtes. Vous en êtes conscients. Et donc, Monsieur l'Ambassadeur, ce n'est pas à vous de me remercier d'être venu pour cette belle inauguration, c'est à moi, en tant que ministre des affaires étrangères, de la République française de vous remercier, toutes et tous, pour faire vivre l'esprit de notre amitié commune et, j'en ai eu les témoignages, la francophonie.
Vous êtes tous des ambassadeurs et c'est pourquoi cette maison est la vôtre. Je forme des voeux ardents de succès pour l'activité de notre ambassade au service des excellentissimes relations entre les Pays-Bas et la France et je dis la formule qui résume tout : Vive l'amitié entre les Pays-Bas et la France.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 mars 2013