Texte intégral
Les récits des voyages quArthur Rimbaud a réalisés il y a 140 ans à travers lEurope, à Londres, Bruxelles, Paris, Milan, Stuttgart, sont donnés par des témoignages des services de renseignements dans lesquels les archivistes se délectent, mais qui sont dune terrible cruauté pour notre continent. Quelque soit le pays dans lequel le poète se rend, les services de renseignement sont plus intéressés par ce quils appellent sa « pédérastie active et passive» que par sa poésie. Partout A Rimbaud est exposé à la prison si sa sexualité est révélée. Dans une saison en Enfer, il rappellera ce périple : « , jai vécu partout. Pas une famille dEurope que je ne connaisse. Jentends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de lHomme. Jai connu chaque fils de famille ! »
Dans quelques semaines à peine, en France, les familles qui tiennent tout de la déclaration des droits de lhomme seront aussi les familles homosexuelles. Quel chemin avons nous parcouru ! Mais quil est long le chemin quil nous reste encore à parcourir. Ce chemin est celui de lensemble de notre continent, avec ses avant-garde et ses retards, mais cest un chemin dans lequel nous écrivons ensemble les nouvelles pages de la civilisation.
Ce qui nous réunit aujourdhui est le dernier des droits de lHomme, celui que ni la révolution française, ni la déclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1946, ni les pactes internationaux pour les droits civiques et politiques la communauté internationale navait pas protégé à défaut même de lavoir envisagé. Et pourtant cest peut être le droit le plus évident et le plus essentiel : le droit de lhomme à être soi-même, quelle que soit son orientation sexuelle ou on identité de genre.
Si notre réunion daujourdhui est importante, cest que nous savons que nous savons que nous avons en commun cette histoire, nous savons que tous nos pays sont traversés par la révolution de ce nouveau droit de lhomme, mais nous savons aussi que ce droit, aussi évident soit il, ne simpose pas de lui-même, sans la force de la volonté politique. A vous tous, représentants de 56 pays du continent européen, militants, personnalités engagées, intellectuels, qui nous faites lhonneur de venir des quatre coins du continent et pour certains de très loin, je souhaite sincèrement la bienvenue, et je souhaite souligner limportance que revêt votre mobilisation aujourdhui à Paris.
Personne ne peut ignorer quencore aujourdhui, il est dangereux dêtre soi-même, dans la plupart des pays du monde, lorsquon est homosexuel. Il est dangereux pour deux hommes ou deux femmes de se tenir par la main. Comme la montré le premier rapport des Nations Unies sur cette question, dans toutes les zones géographiques du globe, les homosexuels sont encore poursuivis et réprimés, tels des criminels ou des malades, au mépris de cette dignité des êtres humains que nous avons placée au sommet de la déclaration universelle des droits de lHomme.
Si nous nous réunissons aujourdhui, cest quensemble, nous refusons dy voir une fatalité. Collectivement, nous affirmons et réaffirmons notre engagement pour lutter contre les discriminations et les violences commises à raison de lorientation sexuelle et de lidentité de genre.
Notre réunion est une réunion politique, une réunion pour construire un projet commun en Europe pour légalité des droits, pour lui donner la force de lévidence. Nous allons toute la journée parler, témoigner et échanger pour mieux connaître et mieux combattre ces discriminations là où elles se produisent, et pour identifier les mécanismes nationaux, régionaux et internationaux les plus efficaces. Mais nous allons aussi prendre des décisions et tracer les grandes lignes dune véritable stratégie partagée.
La lutte contre ces discriminations est une nécessité et une urgence. Elle passe dabord par le refus le plus strict des situations les plus intolérables. Dans cinq pays encore au monde, lhomosexualité est punie de la peine de mort. Dans 76 pays, elle est considérée comme illégale. Nous lançons aujourdhui un appel clair et sans équivoque à ces pays qui sépare encore lhumanité selon lorientation sexuelle.
Le gouvernement français a adopté le 31 octobre 2012 son premier plan daction national contre les discriminations et violences contre les personnes LGBT. Ce plan, que jai préparé avec lensemble des associations est une première. Nous avons un mandat simple : conquérir légalité chaque fois quelle fait encore défaut.
Dans le cadre de cette stratégie, je me suis rendue à New York à loccasion de la journée internationale des Droits de lHomme, à la réunion du Groupe de défense des droits de lHomme des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres aux Nations Unies.
En présence du Secrétaire Général des Nations Unies, qui a à cette occasion réaffirmé son engagement et sa détermination entière à faire avancer la protection des droits des personnes LGBT dans les enceintes onusiennes, nous avons, avec nos partenaires du Nord et du Sud, examiné comment dépasser les obstacles et comment avancer ensemble pour réunir le maximum dénergies autour de nous.
Oui, progressivement, nous avançons. Nous aimerions que les choses aillent plus vite, mais nous devons bien nous rendre compte que les conditions sont complexes à réunir pour faire avancer la perspective dune norme de droit international pour interdire les discriminations à raison de lorientation sexuelle. Limportant est de ne jamais cesser davancer. Limportant est de rester déterminé. Limportant est de nadmettre aucun recul.
Et déjà les progrès de ces principes sont tangibles : en quelques années, les initiatives se sont accélérées : deux déclarations ont été adoptées dans le cadre de lONU, en 2008, à New York et, en 2011, à Genève, chaque fois avec davantage de signataires. Cet élan a permis la première résolution du Conseil des Droits de lHomme, adoptée en juin 2011, sous le « leadership » de lAfrique du Sud. Ce texte qui rappelle expressément légalité entre les hommes quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, a ouvert la voie à une meilleure prise en compte de ces questions par les Nations Unies.
Ce mouvement, porté par les Etats, les organisations internationales et la société civile, ne doit pas sarrêter. Je souhaite rendre hommage ici à tous les défenseurs des droits de lhomme et en particulier des droits des personnes LGBT pour leur combat exemplaire, dans un contexte où certaines législations les privent des libertés fondamentales que sont la liberté dassociation, dexpression et de réunion pacifique.
Cest précisément pour soutenir leur combat que la France, avec ses partenaires néerlandais et norvégien, a créé un fonds de soutien, auquel nous nous réjouissons que les Etats-Unis aient cette année accepté de participé. Ce fonds destiné à encourager, sensibiliser et soutenir, là où les besoins sont les plus importants, les projets et actions de la société civile contribuant à la réalisation des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes victimes des discriminations fondées sur lorientation sexuelle ou lidentité de genre.
Si la France, avec la Commission Européenne, a répondu présent à linitiative de lAfrique du Sud, de lancer un cycle de conférences régionales, cest que nous sommes persuadés quun travail de sensibilisation est aujourdhui le meilleur moyen dagir, en vue, ensuite, dun traitement du sujet aux Nations Unies, au Conseil des Droits de lHomme en priorité, puis, le moment venu, à lAssemblée générale.
Cest pourquoi nous appelons toutes les bonnes volontés à nous rejoindre autour dune stratégie commune.
En vue de nos travaux aujourdhui je vous propose denvisager ensemble trois piliers pour cette stratégie :
1. Le premier pilier tient dans la définition et la mise en uvre de stratégies nationales de lutte contre lhomophobie. Légalité est en marche dans nos pays. Elle ne doit pas attendre. Pour que les violences et les discriminations reculent partout, il faut agir dans de nombreux domaines : à lécole, dans le monde du travail, dans le domaine de la santé, dans tous les services publics comme dans lespace public. On ne peut pas penser aux jeunes homosexuels sans penser aux drames que fait peser sur eux lhomophobie ordinaire, celle des insultes comme celle des silences, celle de la famille comme celle de la société. On ne peut pas répondre à ces défis sans agir dans un cadre global, qui implique tous les pouvoirs publics. La lutte contre lhomophobie doit devenir une politique à part entière des gouvernements modernes. Nous nous y engageons.
2. Le deuxième pilier de cet engagement est européen.
Pour ceux dentre nous qui sont des Etats-membres de lUnion Européenne, nous avons un engagement commun pour la promotion des droits fondamentaux. Nous plaçons le respect des droits fondamentaux au sommet de nos valeurs. Nous voulons porter haut ces valeurs, la défense des libertés et le refus des discriminations. Nous voulons retrouver ces valeurs dans la politique extérieure de lUnion Européenne, qui suivra bientôt des lignes directrices engagées en la matière. Nous voulons adopter une nouvelle législation européenne contre lhomophobie, tenant compte de léchec du projet de directive transversale, qui mêle trop de sujets pour aboutir. Nous voulons vivre dans un espace européen où les droits des personnes sont effectivement garantis, quelle que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Cela nattend pas.
Un même mouvement est à luvre au sein du Conseil de lEurope, dont le Comité des ministres a adopté en 2010 des recommandations sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur lorientation sexuelle ou lidentité de genre.
3. Le troisième pilier est la coordination de nos actions au plan multilatéral et notamment dans le cadre des Nations unies. La conférence européenne de Paris sinscrit dans un processus mondial et présentera, au même titre que celles de Katmandou et de Brasilia, un rapport à la conférence dOslo, les 15 et 16 avril prochain. « Si tu veux aller vite, vas-y seul, mais si tu veux aller loin, alors il faut y aller ensemble », dit le proverbe. Contre lhomophobie, nous voulons aller loin. Cest pourquoi nous y allons ensemble, rassemblés avec les partenaires de lEurope, avec les pays du Sud, avec les organisations internationales et avec les sociétés civiles.
Nous, Européens, devons être entendus dans ces enceintes et réunir un maximum de forces autour de nous. Cest à cette seule condition que nous pourrons porter le projet dune reconnaissance pleine et entière du droit de tous les citoyens du monde au respect de leur identité.
Depuis quArthur Rimbaud, nous avons fait une grande partie du chemin, peut être la majeure partie du chemin. Mais nous ne sommes pas au bout de ce chemin. Nayons pas peur dêtre ambitieux car il en va de la capacité même de notre continent à demeurer le lieu où sinventent les droits de lhomme.
« Un jour viendra où il ny aura plus dautres champs de bataille que les marchés souvrant au commerce et les esprits souvrant aux idées. » disait V Hugo dans son discours prononcé en 1849 au Congrès de la Paix qui peut encore aujourdhui nous servir de viatique. Et ce jour là, « nous aurons lesprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière , le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, léducation sans labrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans léchafaud, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, lamour sans la haine. Et ce jour-là, il ne faudra pas quatre cents ans pour lamener, car nous vivons dans un temps rapide, nous vivons dans le courant dévénements et didées le plus impétueux qui ait encore entraîné les peuples, et, à lépoque où nous sommes, une année fait parfois louvrage dun siècle ».
Je vous remercie.
Source http://www.najat-vallaud-belkacem.com, le 28 mars 2013