Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement à Europe 1 le 3 avril 2013, sur l'affaire des agissements de Jérôme Cahuzac et l'éventuelle responsabilité du gouvernement de Jean-Marc Ayrault.

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Média : Europe 1

Texte intégral


BRUCE TOUSSAINT
Vous êtes porte-parole du gouvernement et ministre des Droits des femmes. Dans les yeux, Najat VALLAUD-BELKACEM, François HOLLANDE et Jean-Marc AYRAULT étaient-ils au courant ? Savaient-ils que Jérôme CAHUZAC possédait un compte à l’étranger ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ni François HOLLANDE, ni Jean-Marc AYRAULT n’étaient au courant bien entendu. Ni François HOLLANDE, ni Jean-Marc AYRAULT n’ont à être comptables du mensonge dans lequel s’est isolé un homme, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit au fond. C’est un homme qui a menti, ce n’est pas une institution, ce n’est pas un parti, ce n’est pas un gouvernement et donc, il faut savoir mesure garder. C'est évidemment très grave ce qui s’est passé, je ne dis pas le contraire et nous sommes tous accablés par une forme à la fois de tristesse et de trahison que l’on ressent même personnellement parce que chacun d’entre nous a été amené à interroger individuellement Jérôme CAHUZAC qui nous a répondu qu’il n’était au courant de rien, qu’il n’avait jamais rien fait.
BRUCE TOUSSAINT
Vous-même personnellement vous avez parlé avec lui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi-même personnellement, je peux vous le dire, alors il y avait pour moi, j’entends aujourd'hui qu’on parle de naïveté etc, mais la réalité c’est quoi ? La réalité c’est que nous avions d’un côté les allégations de Médiapart et d’un autre côté les dénégations de Jérôme CAHUZAC.
BRUCE TOUSSAINT
Alors vous nous dites : on ne savait pas. C’est à la fois rassurant et inquiétant. Comment Médiapart peut-il être mieux informé que le gouvernement, que le président de la République ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que Médiapart s’est mis en chasse d’une certaine façon. Vous aurez remarqué l’essentiel, c’est-à-dire que le gouvernement, ce qui n’a pas toujours été la pratique d’ailleurs en vigueur, pour le coup a totalement respecté et l’indépendance, la liberté de la presse en ne cherchant jamais à violer par exemple le secret des sources du journal en question et l’indépendance de la justice en ne portant jamais aucun commentaire sur le fonctionnement de la justice. Et même dès lors qu’une information judiciaire a été ouverte, le président de la République et le Premier ministre ont pris acte du fait que Jérôme CAHUZAC ne pouvait pas rester au gouvernement. Je crois qu’en termes de comportement pour le coup, le Président et le Premier ministre ont parfaitement réagi.
BRUCE TOUSSAINT
Les critiques pleuvent, à droite, à gauche aussi. Alors vous avez entendu ce qu’a dit Jean-François COPE qui sera d’ailleurs l’invité de Jean-Pierre ELKABBACH tout à l’heure à 8h20 : ça signe définitivement la fin de la gauche morale et donneuse de leçons. Comment restaurer la confiance après une affaire pareille ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez d’abord moi j’appelle chacun à la responsabilité et à ne pas s’abimer dans la récupération. Encore une fois, nul n’est à l’abri d’avoir un menteur dans sa propre famille et la question qui se pose c’est la responsabilité individuelle de l’homme, de ce qu’il a fait, de ce qu’il savait avoir fait tout en le niant. Ca ne peut pas être une responsabilité collective de la part d’un gouvernement qui par ailleurs est engagé, je le dis à nouveau, regardez les mesures, les réformes adoptées totalement dans l’exemplarité de la vie publique…
BRUCE TOUSSAINT
Mais ça revient…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
…qui certes avait un menteur en son sein. Nous le reconnaissons mais il n’y a pas de responsabilités collectives, il n’y a que des responsabilités individuelles en la matière.
BRUCE TOUSSAINT
C’est ce que disait Caroline ROUX juste avant que vous n’entriez dans ce studio, dans son « Edito politique » : le gouvernement n’est pas coupable mais responsable. Vous assumez cette responsabilité aujourd'hui ? Vous vous sentez responsable de ce qui s’est passé ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
La responsabilité qui est celle du gouvernement, mais on en avait conscience bien avant que n’éclate cette affaire, c’est celle de redorer le blason de la politique pour faire en sorte de mettre fin à ce fossé qui s’est creusé entre les citoyens et leurs personnels politiques.
BRUCE TOUSSAINT
Quel échec alors Najat VALLAUD-BELKACEM…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, non…
BRUCE TOUSSAINT
Cette affaire…. Si, un échec terrible sur cette question précise.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
De ce point de vue-là, ce qui restera c’est tout ce que nous avons fait pour garantir davantage l’indépendance à la justice ; je vous renvoie à la réforme constitutionnelle que nous allons adopter sur le Conseil supérieur de la magistrature. De ce point de vue-là c’est tout ce que nous faisons pour garantir la lutte contre les conflits d’intérêt, de ce point de vue-là, je le redis à nouveau et contrairement à une pratique qui était en vigueur jusqu’à il n’y a pas longtemps, nous n’avons jamais porté ou cherché à porter atteinte à la liberté de la presse et à sa liberté d’investigation. Donc il y a eu beaucoup de choses qui ont été réalisées, d’autres qui sont en voie de l’être sur l’exemplarité de la vie publique je vous renvoie à la réforme portant sur le non-cumul des mandats par exemple. Il y a eu une faille, c’est évident, un homme seul, isolé…
BRUCE TOUSSAINT
Et le plus affecté aujourd'hui, le plus touché c'est le président de la République. C’est lui qui a parlé de République irréprochable.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais le président de la République vous savez, pour l’avoir eu dans les quelques minutes qui ont suivi l’information hier, sa colère n’était pas feinte. Le président de la République ne se reconnait aucunement dans les agissements de Jérôme CAHUZAC, le président de la République n’était aucunement informé de ces agissements, de l’existence de ces comptes…
BRUCE TOUSSAINT
Il était extrêmement en colère hier ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il était extrêmement en colère et il avait des raisons, il s’est senti en effet à juste titre, totalement bafoué, trahi et plus encore que sa confiance personnelle, je crois qu’il a bien compris comme nous tous, que c’était un modèle qui était écorné par les agissements de Jérôme CAHUZAC. Et c’est la raison pour laquelle nous lui en voulons beaucoup.
BRUCE TOUSSAINT
Mais a-t-il eu aussi un sentiment de responsabilité ? La colère d’accord on l’imagine, mais aussi une forme de responsabilité.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais, responsabilité de quoi ?
BRUCE TOUSSAINT
De ne pas savoir…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je vous pose la question : la responsabilité de quoi ?
BRUCE TOUSSAINT
Eh bien d’avoir cru ce ministre…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
De n’avoir pas été derrière ce Jérôme CAHUZAC lorsque dans les années 2000 il ouvrait un compte ? Mais enfin à partir du moment où un homme, un ministre…
BRUCE TOUSSAINT
…aujourd’hui Najat VALLAUD-BELKACEM…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, mais à partir du moment où un homme, un ministre vous dit, comme vous l’avez dit vous-même « les yeux dans les yeux » qu’il n’a jamais possédé de compte, il l’a fait d’ailleurs y compris devant la représentation nationale…
BRUCE TOUSSAINT
Eh bien on sait maintenant que ça ne suffit pas ! On sait maintenant que ça ne suffit pas, que lorsqu’on est président de la République il faut peut-être aussi demander d’autres éléments, d’autres informations. Essayer de ne pas simplement faire confiance à la parole d’un homme, l’affaire CAHUZAC nous le prouve aujourd'hui.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais les éléments pour le coup étaient en cours d’obtention et c'est bien pour la raison précise qu’une information judiciaire a été ouverte que Jérôme CAHUZAC a dû quitter le gouvernement. Donc le président de la République a bel et bien tiré toutes les conséquences nécessaires de l’évolution de l’affaire à partir du moment où des éléments tangibles commençaient à apparaitre dans le dossier. D’ailleurs je rappelle, pardonnez-moi Bruce TOUSSAINT mais, à tous ceux qui donnent des leçons de morale aujourd’hui y compris dans l’opposition, je rappelle quand même qu’il y avait une certaine unanimité à l’époque pour délivrer un certificat de probité à Jérôme CAHUZAC. Donc si naïveté il y a eu, si erreur il y a eu, alors elle est collective.
BRUCE TOUSSAINT
C'est pour ça que le choc est si important. Un dernier mot…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui mais moi je nous invite vraiment à éviter toute récupération, toute instrumentalisation. Je crois que la situation dans le pays est suffisamment grave aujourd'hui…
BRUCE TOUSSAINT
Najat VALLAUD-BELKACEM…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
…pour éviter ça.
BRUCE TOUSSAINT
Najat VALLAUD-BELKACEM, est-ce que le président, est-ce que vous-même vous regrettez de ne pas avoir demandé à Jérôme CAHUZAC de quitter plus tôt le gouvernement ? Au fond ça aurait peut-être évité ce si grand traumatisme.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais demander à Jérôme CAHUZAC de quitter plus tôt le gouvernement ça aurait été juger l’homme à la place de la justice ; ça aurait été trancher dans le vif sans avoir d’éléments tangibles, sans avoir d’éléments de preuve. Mais vous vous rendez compte dans quel monde nous vivrions sur le moindre soupçon, sur la moindre rumeur, l’honneur d’un homme qui serait ainsi piétiné en place publique ? Non ! Aujourd’hui nous respectons la justice.
BRUCE TOUSSAINT
Et pour vous Najat VALLAUD-BELKACEM, à titre personnel, vous qui représentez une génération, une nouvelle génération, qu’est-ce que ça vous inspire cette affaire ? Est-ce que vous vous dites : plus jamais ça… ce matin…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais je vous l’ai dit, moi je suis profondément affectée, vraiment, moi je suis profondément affectée parce que …
BRUCE TOUSSAINT
C’est une des pires journées de votre engagement politique ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pff… il y en aura sans doute d’autres sur d’autres thèmes, mais en tout cas c’est une journée difficile parce que je ressens bien et je comprends les auditeurs qui nous écoutent en ce moment même, qu’au fond derrière l’aventure personnelle d’un homme et encore une fois c'est une aventure personnelle, individuelle, isolée, il y a évidemment l’image d’une vie politique qui en ressort profondément écornée, quand pourtant, vous voyez, je pense à ces 36.000 maires de communes qui sont en train de se lever à cette heure-ci pour prendre leurs responsabilités en mains, qui ne demandent pas particulièrement de reconnaissance pour cela, je pense à tous ceux qui aujourd’hui considèrent que la politique c’est une responsabilité, c’est prendre sa part dans la démocratie. Et je veux dire aux jeunes qui nous écoutent en particulier, que ça doit être ça la vie politique. Il ne faut pas croire que politique signifie nécessairement mensonges, duplicité, ou recherche de privilèges. Ca n’est pas cela.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 avril 2013