Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, notamment sur les relations franco-égyptiennes et sur la situation en Syrie, à Paris le 2 avril 2013.

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Circonstance : Déjeuner de travail avec M. Mohamed Kamel Amr, ministre égyptien des affaires étrangères, à Paris le 2 avril 2013

Texte intégral

Bonjour Mesdames et Messieurs. Je vais dire quelques mots, ensuite mon collègue et ami le ministre égyptien dira quelques mots à son tour, puis nous serons à votre disposition pour répondre à vos questions.
Je veux souhaiter une bienvenue chaleureuse au ministre Kamel Amr avec qui j'entretiens des contacts réguliers et très amicaux.
L'Égypte est un grand pays, une puissance majeure au Moyen-Orient et un pays avec lequel la France entretient des relations très amicales et très anciennes.
Le président de la République a tenu à recevoir ce matin longuement mon collègue le ministre des affaires étrangères égyptien que j'ai eu le plaisir de recevoir à déjeuner. Nous avons quasiment passé en revue tous les sujets d'intérêt commun.
Je voudrais juste mettre un coup de projecteur sur quelques-uns de ces sujets. D'abord pour dire que, bien évidemment, nous suivons avec beaucoup d'intérêt ce qui se passe en Égypte, sa situation économique et sa situation politique. Nous sommes les amis de l'Égypte et nous souhaitons que les difficultés qui peuvent exister soient surmontées.
Il va de soi que nous soutenons le processus démocratique en vue d'une société pluraliste et libre et que nous sommes, bien sûr, attentifs au respect des droits. Nous sommes également très attentifs à la situation économique car il y a un lien entre l'amélioration de la situation économique, la situation sociale et les perspectives démocratiques.
Sur le plan régional, nous connaissons l'influence de l'Égypte, grand pays, sur la solution d'un certain nombre de grands problèmes régionaux. Nous avons bien sûr abordé avec mon collègue et ami le conflit israélo-palestinien, peut-être aurez-vous des questions à ce sujet.
Nous avons abordé la question syrienne sur laquelle nous avons une grande convergence de vues. Nous soutenons la Coalition nationale, nous apportons notre soutien à la personnalité et au choix de cette coalition autour de Moaz al-Khatib. Nous voulons trouver une solution politique qui permette à la Syrie, aujourd'hui déchirée, de retrouver une perspective. Nous sommes extrêmement inquiets, à la fois de ce qui se passe en Syrie mais aussi dans les pays voisins, au Liban et en Jordanie, et nous avons échangé sur ce point.
De la même façon, nous avons échangé à propos de la situation au Mali. Les uns et les autres, nous constatons que, d'un point de vue sécuritaire, heureusement les choses se sont améliorées. L'intervention française, l'action des troupes africaines a permis cette amélioration. Maintenant, il faut conforter cette amélioration et la prolonger sur le plan du dialogue politique et du développement économique. Je pense que s'il y avait eu dans le passé d'éventuels quiproquos, ils ont été levés.
Nous avons aussi insisté sur les relations économiques entre nos deux pays qui sont importantes car la France est l'un des grands investisseurs en Égypte. Nous souhaitons que ces investissements se poursuivent et que le climat général des affaires favorise cette poursuite des investissements.
D'une façon générale, nous avons abordé tous les champs de notre relation bilatérale. Je terminerai en disant qu'un sommet entre la France et l'Afrique est prévu. Il sera coprésidé par les présidents français et égyptien, et aura lieu à la fin de l'année. Il sera précédé par une réunion ministérielle, en Égypte, qui nous permettra de nous retrouver, à la date que vous aurez décidée, avec nos collègues et amis africains.
Je laisse la parole à mon ami le ministre des affaires étrangères égyptien en disant que c'est pour nous un grand plaisir de recevoir ce représentant d'un grand pays avec lequel nos relations sont anciennes, amicales et fructueuses.
Q - (question en arabe sur le printemps arabe)
R - Je crois au contraire que la France est au tout premier rang par rapport aux pays arabes. Faisons le tour ensemble.
En ce qui concerne la Syrie où la situation est dramatique comme mon collègue et ami l'a très bien dit, la France a été la première à soutenir la Coalition. Je me rappelle fort bien que nous avons, au mois de juillet dernier, accueilli à Paris la Conférence des amis du peuple syrien. Je me rappelle également très bien que la France a été le premier pays à reconnaître la Coalition nationale syrienne de Moaz al-Khatib. Je me rappelle aussi très bien que la France a été le premier pays à avoir un ambassadeur de la Syrie qui soit un ambassadeur de l'opposition. Encore aujourd'hui, la France est à l'initiative, chacun le sait.
Concernant la Libye - toujours un pays arabe -, vous savez quelle a été la position de la France pour favoriser le printemps arabe en Libye, et nous continuons à être au tout premier rang aux côtés des nouveaux dirigeants de la Libye.
Et en ce qui concerne la Tunisie, alors que dans le passé, sous le gouvernement précédent, certaines initiatives ont pu être malheureuses, avec le nouveau gouvernement, la France, sans ingérence, soutient la révolution tunisienne, tout en marquant bien sûr des préoccupations lorsque c'est nécessaire sur la protection des femmes, la liberté des médias et la libre organisation de la société civile.
En Égypte, nous l'avons dit, la France est très présente. Dans le conflit israélo-palestinien, nous avons, comme vous le savez, une relation amicale à la fois avec les Palestiniens et avec les Israéliens. Mais on sait bien que la France est et sera aux côtés d'une solution des deux États. Vous vous rappelez sans doute que, lorsque la France, par la voix du président de la République et par la mienne, a pris position pour que soit accordé un statut d'État observateur non membre aux Nations unies, c'est la position de la France qui a fait basculer le reste du vote. Et je pourrais continuer la liste.
Ce qui fait que je pense, sans arrogance, que la France est très présente, comme elle doit l'être. De la même façon, nous sommes en relation très proche avec l'ensemble des pays arabes et vous n'êtes pas avare de commentaires sur nos relations avec les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l'Arabie Saoudite ou d'autres pays encore.
Nous sommes bien sûr, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et puissance d'influence mondiale, présents dans tous les coins du monde et en particulier auprès des pays arabes qui sont nos amis.
Q - (question en arabe sur la situation en Égypte)
R - Il est évident que nous soutenons le processus démocratique en Égypte en vue d'une société pluraliste et libre. Je pense que c'est l'objectif que les démocrates doivent poursuivre. Évidemment, cela passe notamment par des garanties qui sont données pour la liberté des médias - c'est la question que vous posez -, pour les droits des femmes et pour une libre organisation de la société civile. Nous n'avons aucune intention de nous ingérer, comme l'on dit en français, dans le fonctionnement-même des institutions. Mais autant nous soutenons très fortement ce qui s'est exprimé dans ce que l'on a appelé le printemps arabe, cela vaut aussi en Égypte, autant nous insistons bien évidemment sur ce que nous considérons être les conditions indispensables d'une société pluraliste et libre.
Q - Les dernières déclarations du président de la République et les vôtres, quant à l'armement de l'opposition syrienne, ont été interprétées comme un recul par rapport à ce que vous avez dit auparavant. Est-ce qu'il est possible d'obtenir, comme vous l'avez dit vous-même, des garanties absolues quant aux destinataires de cet armement ?
R - Nous sommes tout à fait d'accord, avec mon collègue et ami, pour dire que, dans la situation dramatique de la Syrie - tu as parlé de tragédie -, il faut aller autant qu'on le peut vers une solution politique. Nous sommes absolument en accord là-dessus. Des efforts ont été faits dans le passé - la conférence de Genève - et il y a des discussions que nous avons entre nous et avec d'autres. Simplement, si on veut aller vers une solution politique, il faut ôter de l'esprit de Bachar al-Assad qu'il peut emporter une victoire militaire - ce n'est pas possible -, il faut donc qu'il y ait une modification de la perception sur le terrain. Comment l'obtenir ? C'est là toute la question, car sinon, on va aller vers un éclatement de la Syrie. Nous sommes d'accord, avec mon collègue et ami, pour dire que, dans cet éclatement le peuple syrien va être la victime et ce sont les extrémismes des deux bords qui vont l'emporter, avec des conséquences absolument dramatiques non seulement sur la Syrie mais sur les pays voisins.
L'analyse de départ est absolument la même. Comment faire ? Vous savez qu'il y a un embargo sur les armes qui vise les Européens alors que, pendant ce temps, les Iraniens, les Russes envoient des armements très nombreux au régime de Bachar al-Assad. D'où l'idée : est-ce que l'on pourrait au moins avoir des armes défensives pour permettre d'éviter que les avions de Bachar al-Assad continuent à tuer des résistants ? Quand cette proposition est faite, il y des objections qui viennent à l'esprit : peut-on contrôler ces armes ? Est-ce que cela ne va pas aboutir à militariser davantage le conflit ?
Nous sommes en train d'aborder toutes ces questions avec nos collègues européens et nous aurons d'ailleurs une discussion sur ce point la semaine prochaine, à Londres, puisque nous avons demandé, en marge de ce qu'on appelle le G8 des ministres des affaires étrangères, qu'un certain nombre de responsables de l'opposition syrienne puissent venir discuter avec nous. Nous en sommes là. Il faut que nous prenions nos décisions avant la fin du mois de mai. Nous sommes en train d'y travailler.
Cette visite est utile, chaleureuse, fructueuse et je remercie beaucoup mon collègue et ami, le ministre égyptien des affaires étrangères, d'avoir eu la gentillesse de venir ici. Nous allons nous revoir bientôt.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2013