Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec BFM TV et RMC le 3 avril 2013, notamment sur la situation au Mali et en Syrie.

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Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Q - Laurent Fabius, on va maintenant parler du Mali. D'abord les otages - parce que c'est une question -, avez-vous des nouvelles d'abord concernant les otages qui ont été enlevés au Nord du Cameroun, la famille française ? Je pense aux enfants.
R - Oui, bien sûr. C'est une situation épouvantable puisqu'il y a trois adultes et quatre enfants dont le dernier a à peine cinq ans. Imaginez ce qu'ils vivent. Il y a un certain nombre d'éléments. Je me suis rendu au Cameroun et au Nigeria où j'ai rencontré les autorités mais je ne vais pas être très disert là-dessus et vous m'en excuserez, mais nous faisons le maximum pour qu'ils soient libérés.
Q - Mais vous avez des signes ? Ils sont vivants ?
R - Oui.
Q - Des informations ?
R - Oui, ils sont vivants.
Q - Et leur santé, vous avez des informations sur leur état de santé ?
R - Je n'irai pas plus loin. Il y a eu des contacts avec les familles qui sont ici, en France, qui sont des gens absolument admirables, qui nous font confiance et qui savent que tout le monde est mobilisé.
Q - Et en ce qui concerne Philippe Verdon, autre otage, dont on dit qu'il serait décédé ?
R - J'ai eu son père récemment, qui est un homme très bien et qui ne se fait pas beaucoup d'illusion.
Q - Vous non plus ?
R - Nous n'avons pas de preuve tangible, mais nous nous sommes dit lui et moi qu'il fallait s'attendre au pire.
Q - Il fallait s'attendre au pire. Alors le Mali. Vous serez vendredi à Bamako, je crois, parce qu'il faut maintenant mettre en place une transition politique au Mali. Des élections présidentielles, des élections législatives, vous attendez ces élections fin juillet... Où en est-on ?
R - Il y a toujours trois aspects quand on parle du Mali. Il y a l'aspect sécuritaire, l'aspect politique, et puis l'aspect économique.
Sur le plan militaire, les soldats français ont fait un travail magnifique, il faut leur rendre hommage. Les Africains ont aidé, et maintenant cela va passer sous le contrôle de l'ONU. Mais nous gardons une force complémentaire - si je puis dire - pour lutter contre les terroristes. Donc, la décision va être prise par l'ONU, vraisemblablement pendant la troisième semaine d'avril et elle s'appliquera en juillet.
Sur le plan politique, les Maliens se sont engagés à ce qu'un dialogue s'établisse entre le Sud et le Nord, parce que l'absence de dialogue est une des grandes difficultés. Nous avions demandé que soit créée une commission de la réconciliation. Elle a été créée samedi dernier avec un président et deux vice-présidents qui sont des gens estimables, en particulier quelqu'un qui est un touareg de Kidal. Vendredi je vais regarder tout cela concrètement. Et puis des élections doivent avoir lieu au mois de juillet pour créer une nouvelle légitimité démocratique.
Q - La France est intraitable, il faut des élections au mois de juillet ?
R - Bien sûr.
Q - Je vous dis cela parce que vous dites parallèlement : ou on ne s'implique pas dans les affaires intérieures maliennes...
R - Ce n'est pas nous qui choisissons les candidats. Mais il est normal que, dans un pays qui a été autant bouleversé, où le gouvernement actuel et le président n'ont pas été élus au sens propre, qu'il y ait des élections, c'est la demande de la communauté internationale. On nous dit qu'il faut attendre. Faisons attention car, compte tenu des raisons climatiques, si on laisse passer le mois de juillet, ces élections seront reportées de 3 à 4 mois. Donc, il faut des élections, qu'elles soient contrôlées, et qu'il y ait des gens pour vérifier leur bon déroulement. Il faut que les Maliens puissent exprimer ce qu'ils souhaitent pour le futur.
Et puis il y a le troisième aspect, l'aspect économique, sur lequel toute une série de démarches sont en cours; un sommet aura lieu au mois de mai à Bruxelles, qui permettra d'aider le développement économique du Mali. La France, qui s'est engagée pleinement pour éviter le terrorisme, doit être aux côtés des Maliens et des Africains pour vérifier que ce processus se met en place.
Q - Alors fin juillet, soldats français et fin de l'année 2013, 1000 soldats...
R - Environ.
Q - C'est ce qu'a dit le président de la République...
R - C'est ça, tout en restant pragmatique, parce qu'il ne s'agit pas de permettre que les terroristes reviennent.
Q - C'est-à-dire que si les terroristes reviennent, ressurgissent, immédiatement...
R - Nous aurons de toute manière une force complémentaire d'un millier d'hommes qui sera là, et nous avons des forces pré-positionnées dans les pays voisins pour que la lutte contre le terrorisme soit menée à bien.
Q - La Syrie. 70.000 morts depuis mars 2011.
R - Peut-être même près de 100.000.
Q - Le pire serait de ne rien faire, ce n'est pas moi qui le dit, c'est François Hollande, Laurent Fabius.
R - Oui, parce que la situation actuelle est terrible avec près de 100.000 morts et des millions de personnes réfugiées. Mais si les choses continuent comme aujourd'hui, la Syrie va exploser et vous aurez le risque d'avoir d'un côté un arc irano-syrien - Iran, Syrie, Liban à travers le Hezbollah -, et de l'autre côté les gens raisonnables de l'opposition ne pourront l'emporter, ce seront les extrémistes sunnites, c'est-à-dire Aqmi, c'est-à-dire Al Qaïda.
Q - Les djihadistes.
R - Les djihadistes. Donc, vous risquez, si les choses continuent comme aujourd'hui, d'avoir encore plus de morts et un affrontement entre les extrémistes des deux bords.
Q - Les sunnites financés par les pays du Golfe, Laurent Fabius ?
R - ...financés de manières diverses. Donc...
Q - ...diverses, oui, par les pays du Golfe.
R - Donc, des deux côtés, il y aura des extrémistes, avec des conséquences, sur le Liban, sur la Jordanie, sur Israël et sur l'ensemble de la région. Si on veut éviter cela, il faut arriver à trouver une solution de transition politique entre les gens raisonnables de l'opposition, et puis certains éléments, sans doute, du régime, mais pas Bachar Al-Assad.
Q - Le pire serait de ne rien faire, disait François Hollande, il y a quelques semaines. Mais il disait jeudi dernier «nous ne livrerons pas d'armes tant que nous n'aurons pas la certitude que l'opposition ne contrôle pas totalement la situation.»
R - Oui, cela me paraît raisonnable.
Q - C'est-à-dire qu'on ne fait rien tant qu'on ne sait pas où vont aller ces armes ? C'est ce que j'ai compris.
R - On ne va pas livrer des armes si celles-ci doivent aller dans les mains des extrémistes de l'opposition, ou bien au régime de Bachar Al Assad; il faut être cohérent. Il faut donc faire bouger la situation politique. C'est pour cela que l'on discute, bien sûr, avec les Arabes, mais aussi, je le précise, avec les Américains, avec les Russes, on continue de discuter parce que les Russes jouent un rôle très important dans cette situation.
Nous avons, la semaine prochaine à Londres, une réunion, où nous avons demandé que soient présents à la fois Mouaz Al-Khatib, qui est le chef raisonnable de l'opposition, Ghassan Hitto, le nouveau Premier ministre intérimaire, et le général Salim Idriss qui commande l'armée de libération syrienne. Nous allons avoir en face de nous - quand je dis «nous» ce sont les Anglais, les Américains et les Français -, nos interlocuteurs pour nous faire vraiment une idée sur «est-ce qu'on peut avoir confiance ? Est-ce qu'on peut trouver une solution politique ?»
Q - Oui, mais l'agonie prolongée du peuple syrien ne favorise-t-elle pas la surenchère djihadiste ? C'est-à-dire, plus on tarde, plus les djihadistes s'installent, Laurent Fabius. Vous cherchez quoi ? Des preuves de l'utilisation des armes chimiques par le gouvernement syrien ?
R - Oui, nous avons demandé au secrétaire général des Nations unies une enquête à ce sujet. Il y a des témoignages, et il faut chercher à les vérifier, selon lesquels il y aurait eu utilisation des armes chimiques par Bachar Al-Assad, or...
Q - S'il y a utilisation des armes chimiques, cela change tout ?
R - Cela change beaucoup de choses parce que les armes chimiques sont d'une dangerosité encore plus grande et parce que tout le monde, y compris les Russes, est d'accord pour dire : pas d'utilisation d'armes chimiques.
Donc, nous les cherchons - nous n'allons pas les inventer -, mais pour nous l'utilisation des armes chimiques est inacceptable. L'objectif, qui n'est pas facile à atteindre, c'est de bouger pour trouver une solution politique, mais pour trouver une solution politique il faut que sur le terrain la situation bouge.
Q - Est-ce que la France aujourd'hui voterait une prolongation de l'embargo ?
R - Nous devons donner la réponse avant le 31 mai...
Q - Je sais.
R - Et d'ici là je ne peux pas vous dire aujourd'hui oui ou non, il faut faire un travail très précis pour voir qui nous avons en face de nous. Ce travail est en train d'être fait.
Q - Parce que l'Europe doit se prononcer tous les 6 mois, je crois !
R - L'Europe doit se prononcer avant la fin mai.
Q - Est-ce que vous regrettez la fin de la mixité scolaire dans la bande de Gaza, Laurent Fabius ?
R - Écoutez, moi je suis ce qui se passe...
Q - ...imposée par le Hamas.
R - Oui, vous savez que les idées du Hamas ne sont pas les nôtres, mais d'une manière générale nous soutenons partout les droits des femmes, c'est même l'un des critères d'une société démocratique.
Q - La Corée du Nord, qui viole ses obligations...
R - Oui...
Q - Alors, est-ce un tigre de papier cette Corée du Nord, avec l'installation d'un nouveau pouvoir qui veut montrer sa force à son peuple, ou êtes-vous inquiet ?
R - Il y a cet aspect-là, mais une provocation peut aussi mener à des dérapages, parce que le nouveau dictateur de Corée du Nord a vraisemblablement des armes nucléaires et des missiles...
Q - Redémarrage d'un réacteur nucléaire...
R - ...Redémarrage d'un réacteur nucléaire, et donc cela peut avoir des conséquences très lourdes, à la fois pour la Corée du Sud, pour le Japon, pour la Chine. Nous avons donc demandé une réunion du Conseil de sécurité et nous demandons en particulier aux Chinois, qui ont une influence sur la Corée du Nord, d'intervenir. Je serai moi-même en Chine à la fin de la semaine prochaine.
Q - Craignez-vous une utilisation de l'arme atomique par le pouvoir nord-coréen ?
R - Ce sont des gens tellement imprévisibles qu'on ne peut rien écarter.
Q - Rien écarter.
R - Et pendant ce temps-là le peuple nord-coréen est affamé, vous le savez. (...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 avril 2013