Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur les difficultés des entreprises du bâtiment et de l'artisanat et la relance de l'activité et de l'emploi dans le secteur, Paris le 11 avril 2013.

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Circonstance : Assemblée générale de la Confédération de l'artisanta et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) à Paris le 11 avril 2013

Texte intégral


D’abord, Monsieur le Président, je tenais à vous remercier pour votre accueil et votre intervention que je prends comme une invitation à vous apporter des éclairages sur les sujets qui vous préoccupent prioritairement.
Je vais tenter de le faire au mieux. Mais je veux en préambule me faire le relais de l’état d’esprit qui anime le Gouvernement vis-à vis du secteur du Bâtiment. Deux mots simples le résument : détermination et mobilisation. Détermination à soutenir un secteur dont nous connaissons les difficultés actuelles. Mobilisation des plus hautes autorités de l’Etat pour relancer l’activité et soutenir la compétitivité et l’emploi.
1. L’engagement des pouvoirs publics auprès du secteur du Bâtiment Le président de la République a montré la voie lors de son déplacement à Alfortville le 21 mars dernier. Il a accompagné la force de son message avec 20 mesures claires, précises, structurées dans un plan d’investissement pour le logement de nature à redynamiser le secteur en levant les freins à l’aboutissement des projets en cours, en relançant de nouveaux projets et en accélérant la rénovation énergétique. Je salue à ce sujet le rôle décisif de la CAPEB dans l’élaboration de ce plan qui a su faire entendre sa voix par exemple sur le contrôle des entreprises low-cost sous-traitantes ou la lutte contre les recours abusifs.
Mais comme nous ne sommes plus dans le temps des politiques jetables qui se contentent d’effets d’annonces - cela a pu exister par le passé -, au-delà de ce plan d’urgence, qui était indispensable, le Premier ministre a souhaité que Sylvia Pinel, Ministre de l’Artisanat puisse inscrire nos travaux dans la durée et piloter un comité interministériel d’accompagnement du Bâtiment avec les professionnels. M. le Président, vous étiez présent lors de son lancement le 27 mars dernier, et vous avez pu constater la détermination des ministres à agir sur les quatre chantiers qui ont été ouverts : l’un consacré au financement des entreprises, le deuxième à l’environnement social, dont j’aurai la charge, le troisième sur la relance de l’activité et le dernier consacré aux formations et à la réglementation.
Mais venons en plus précisément aux thèmes, sur lesquels, Monsieur le Président, vous m’avez interpellez. Ils sont divers et je ne veux en éluder aucun. Je prendrai donc, si vous me le permettez, tour à tour mes différentes casquettes de Ministre de l’Emploi, du Travail et de la Formation professionnelle pour pouvoir tous les évoquer.
2. Je commencerai par l’emploi L’emploi dans le secteur de l’artisanat du Bâtiment est précieux. Il est non délocalisable, facteur d’insertion professionnelle pour de nombreux jeunes et actifs peu qualifiés et socle de l’économie de nos territoires. Mais comme toutes les choses précieuses, il est fragile. C’est pourquoi nous vous aiderons pour faire en sorte que les perspectives que vous évoquiez de 1 600 emplois perdus par mois dans l’artisanat du Bâtiment ne deviennent pas réalité.
Vous le savez, en arrivant, nous avons agi face à l’urgence de la crise, l’urgence des 500 000 jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et qui ne sont aujourd’hui ni en emploi ni en formation, c’est-à-dire les laissés pour compte. Pour eux, nous avons créé les emplois d’avenir, première expérience professionnelle, assortie d’une formation, destinée à leur mettre le pied à l’étrier. C’est utile et c’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant.
Alors nous sommes allés plus loin, au-delà de ces situations individuelles, nous avons agi sur le collectif de travail en créant le contrat de génération. Pourquoi ? Parce que la France se distingue par un taux de chômage particulièrement élevé aux deux bouts de la chaîne de la vie professionnelle : chez les jeunes ET chez les seniors. Longtemps, la politique de l’emploi a consisté à les opposer, à faire partir les seniors (notamment en préretraite) pour recruter des jeunes. Cela n’a jamais fonctionné, c’est même l’inverse. Quoi de mieux pour un senior que de pouvoir transmettre et quoi de mieux pour un jeune que d’avoir un tuteur qui apprend et qui guide ? Dans votre secteur, c’est une évidence, la transmission des savoirs des plus anciens vers les plus jeunes fait partie de votre ADN. Vous le disiez, l’UPA a signé l’accord sur le contrat de génération. Mais elle a fait plus que cela. Elle a contribué à en faire évoluer les contours pour qu’il réponde aux préoccupations des professionnels de l’artisanat, qu’il puisse être un levier pour mieux anticiper la transmission d’entreprise et qu’il puisse s’intégrer dans la continuité d’un parcours en alternance. Opérationnel depuis quelques jours, le contrat de génération est parfaitement calibré à vos enjeux. A vous de vous en emparer désormais.
Là encore, cet outil est utile et nécessaire mais il n’est pas suffisant. Alors nous avons cherché à agir sur le fonctionnement du marché du travail.
C’est pourquoi nous avons franchi une nouvelle marche, une marche bien plus haute, celle de la sécurisation de l’emploi avec l’accord majoritaire du 11 janvier 2013. Sa transcription législative a été adoptée par l’Assemblée Nationale mardi et sera discuté au Sénat dès la semaine prochaine. Notre but est d’agir sur l’ensemble des équilibres du marché du travail : la lutte contre la précarité, la préférence à rendre au CDI, les droits individuels et collectifs, l’anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l’emploi dans une conjoncture difficile.
A ce sujet, j’ai entendu Monsieur le Président Liébus, vos interrogations, notamment sur les complémentaires santé et le choix des organismes. Cette question, vous le savez, a fait l’objet de débats et, même, de désaccords entre les signataires de l’accord. Il appartenait au Gouvernement de trancher. Nous avons fait le choix de laisser la plus grande souplesse aux négociateurs de branche : ces derniers pourront opter pour la désignation d’un opérateur obligatoire, recommander un ou plusieurs organismes ou laisser le soin aux entreprises de contracter avec l’organisme de leur choix. En donnant le plus large panel de possibilités aux négociateurs de branche, la loi permet de trouver les solutions les mieux adaptées aux différents secteurs d’activité, aux types d’entreprises, et aux profils des salariés. Une exigence de transparence s’appliquera pour les branches qui souhaiteront désigner ou recommander un opérateur avec une procédure de mise en concurrence préalable. Ce n’est pas la liberté du renard libre dans le poulailler libre que nous avons choisie mais celle du dialogue social, encadrée par des règles de transparence.
Par ailleurs je veux m’inscrire en faux contre l’idée selon laquelle ce texte ne concernerait pas les petites entreprises, et a fortiori les artisans. On pourrait prendre de nombreux exemples, à l’image de la suppression des cotisations d’assurance chômage pendant 4 mois pour l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans en CDI.
Mais au-delà des mesures particulières, ce que porte la loi sécurisation de l’emploi c’est une nouvelle culture de la négociation, permettant aux partenaires sociaux, dans le respect de leurs droits et de leurs intérêts, de trouver ensemble des solutions favorables au développement de l’emploi. Dans cette nouvelle culture de dialogue social à la française que nous voulons faire émerger, je n’ai pas de doute que la CAPEB saura prendre toute sa place. 3. C’est avec ma casquette de Ministre du Travail que je souhaiterai poursuivre mon propos… …et aborder vos préoccupations en matière de droit du travail. J’ai retenu, dans votre prise de parole Monsieur le président, deux sujets qui semblent prioritaires
A. Tout d’abord, la lutte contre la concurrence déloyale Chacun sait que le Bâtiment est le premier secteur touché par le travail illégal. C’est celui où nous constatons le plus de dérives. En 2011, sur 11 000 contrôles effectués par les services 4000 l’ont été dans ce secteur. Le Bâtiment présente une autre caractéristique, la très grande variété des formes de travail illégal : travail dissimulé classique, recours aux faux statuts comme celui d’auto entrepreneur, emploi d’étrangers sans papier, sous traitance en cascade répandue, développement des prestations de services internationale. Concernant ces prestations, le BTP demeure en tête des secteurs pour le nombre de déclarations effectuées (17 500 en 2011 soit 38 % du total), avec la plus forte croissance (+29 %en un an).
Je suis fermement déterminé à m’attaquer aux fraudes complexes et organisées, en abordant plus particulièrement les questions de l’intervention d’entreprises étrangères en France qui ne respectent pas nos règles. Ces orientations s’inscrivent pleinement dans le plan national de lutte contre le travail illégal adopté pour les trois ans qui viennent lors du comité national de lutte contre le travail illégal du 27 novembre dernier.
Nous avons des marges de manoeuvre pour agir : 1) D’abord, nous n’hésiterons pas à nous doter de nouvelles règles permettant de lutter efficacement contre ces dérives. Le code du travail évoluera si cela s’avère nécessaire. Mais concernant certains sujets, le détachement notamment, nous savons qu’une partie de la réponse se trouve au niveau européen. C’est pourquoi, je m’emploie à faire avancer le projet de Directive contrôle du détachement proposé par la Commission qui fait l’objet de nombreuses tentatives d’amendements en vue de limiter ses effets. 2) Nous ferons mieux appliquer ces règles. Une autre marge de manoeuvre réside dans l’efficacité de notre action de contrôle. Notre action porte dans deux directions :
- Mieux organiser ces contrôles sur tout le territoire en visant prioritairement le secteur du Bâtiment. Nous avons demandé à chaque préfet d’établir un plan d’actions en visant les opérations complexes.
- Renforcer les compétences de nos agents de contrôle qui doivent faire face à des situations délicates à appréhender, d’entreprises fugaces, qui ont leur centre de décision à l’étranger et savent innover dans le recours à des méthodes frauduleuses. L’enjeu est aussi de parvenir à une meilleure coopération entre les différents services pour développer les contrôles conjoints afin d’aborder les fraudes sous leurs multiples aspects.
3) Le troisième levier de notre action est la prévention, qui passe par une bonne coopération entre l’Etat et les professionnels. L’objectif est d’analyser les situations ensemble, entre services de l’Etat et professionnels du Bâtiment, pour mieux prévenir et lutter contre ces formes inacceptables de travail illégal. Dans cet objectif, je vous propose de travailler à une nouvelle convention de partenariat, associant les syndicats de salariés, pour déterminer les actions conjointes pouvant être menées de concert : sensibilisation des entreprises et des salariés, signalement de situations illicites, information de la caisse des congés payés, etc.
Enfin, je ne veux pas éluder la question de l’auto entreprenariat, statut utilisé fréquemment, peut-être trop fréquemment, puisqu’il donne incontestablement lieu à certaines dérives dans votre secteur. Le récent rapport IGAS/IGF apporte un éclairage sur les problèmes soulevés par ce statut et nous allons travailler sur cette piste, avec Sylvia Pinel, afin de réduire les pratiques de faux statuts dissimulant celui de salarié.
B. L’autre sujet majeur que je souhaite aborder, c’est celui de la santé au travail En la matière les exigences sont très fortes, j’en ai pleinement conscience. Mais cela tient à l’importance de l’enjeu, celui de la santé des travailleurs, des salariés comme des artisans. Nous sommes dans une phase de mise en oeuvre de règles précédemment fixées et nous devons trouver le bon tempo.
Les délais accordés doivent nous permettre d’avancer progressivement. Pour que notre exigence collective n’aboutisse pas à des effets inverses aux résultats souhaités, je privilégie quelques principes simples mais justes :
- Repousser les délais lorsque des exigences de formation le nécessitent ;
- Associer les partenaires sociaux directement à nos travaux dans le cadre du conseil d’orientation sur les conditions de travail ;
- Faire monter en puissance l’action des services en matière d’information ;
- Travailler avec les Direccte et l’OPP BTP pour créer un accompagnement renforcé des professionnels.
Permettez-moi, pour illustrer mon propos, de reprendre l’exemple de la menuiserie que vous évoquiez tout à l’heure Monsieur le Président. Face aux campagnes de contrôle qui ont démontré que les petites entreprises appliquaient insuffisamment la réglementation en vigueur, l’approche de mon ministère a été pragmatique et ouverte. C’est ce qu’illustre la convention signée en 2012 avec la CAPEB et plusieurs autres organisations pour identifier comment mieux accompagner les principaux secteurs concernés vers une mise en conformité. Cette démarche est constructive et participative avec quatre groupes de travail auxquels les organisations syndicales seront associées.
Sur l’amiante, la logique est la même, celle de la concertation permanente de mes services avec les organisations professionnelles. Je suis le garant de leur écoute car je sais que si nous partageons le même objectif, le chemin pour l’atteindre ne pourra être trouvé que dans et par le dialogue.
Pour finir sur le thème du Travail, je veux évoquer un sujet qui peut paraître moins prioritaire mais qui préoccupe nombreux d’entre vous, la rémunération des temps de trajet. Ma conviction est qu’il appartient aux partenaires sociaux de préciser la portée des indemnités conventionnelles de trajet, de manière à clarifier les conditions de leur éventuel cumul ou non avec la rémunération du temps de trajet. Sur le sujet, je vous invite à poursuivre les travaux déjà bien engagés avec la Direction Générale du Travail, qui est sensibilisée sur le sujet.
4. Je voudrais enfin évoquer les sujets, particulièrement importants dans votre secteur, de la formation et de l’orientation Vous le savez, le service public de l’orientation est en cours de réforme dans le cadre de la loi pour la refondation de l’école de la République actuellement en cours de discussion parlementaire. Cette réforme répondra à plusieurs des attentes que vous avez exprimée Monsieur le Président. Nous souhaitons un Service Public de l’Orientation tout au long de la vie, individualisé, plus centré sur la découverte du monde économique et professionnel, et ouvert à tous ceux qui peuvent y contribuer, y compris les acteurs professionnels eux- mêmes. Cette réforme constitue pour l’artisanat du Bâtiment une véritable opportunité avec l’ouverture aux chambres des métiers et de l’artisanat. Je vous appelle dans ce cadre à vous mobiliser pour faire entendre vos attentes, vos spécificités et faire valoir les attraits de vos métiers. Je terminerai en évoquant un sujet qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur. Je veux parler de l’apprentissage. Il représente dans votre secteur d’activité bien plus qu’une modalité contractuelle, c’est une nécessité et une voie privilégiée d’accès à la vie professionnelle pour les jeunes.
Dès lors, je sais que nous partageons la même ambition : conforter et même développer l’apprentissage. J’aurai besoin de vous pour atteindre l’objectif élevé mais réaliste que nous nous sommes donné : 500 000 apprentis en 2017. Dans les prochains mois, ma responsabilité sera de mettre en place les conditions de notre réussite collective. C’est pourquoi l’apprentissage sera au coeur de la loi relative à la formation professionnelle que je présenterai d’ici la fin de l’année. Elle sera précédée bien sur par une négociation interprofessionnelle mais s’appuiera également sur une large concertation avec les acteurs professionnels, déjà entamée par Thierry Repentin, et qui mobilisera en particulier ceux qui, comme vous, recourent fortement à l’alternance. Je peux déjà vous en livrer quelques grands axes en matière d’apprentissage : flécher une part plus importante de la taxe vers l’apprentissage lui-même, renforcer l’équité dans la répartition de la taxe pour préserver et développer les premiers niveaux de qualification et s’attaquer aux disparités régionales en matière de moyens de fonctionnement des CFA, et mieux cibler les aides à l’apprentissage. Voilà ce que je souhaitais vous dire en espérant que ce vaste tour d’horizon aura permis de répondre à vos principales interrogations. Le dialogue entre nous a de toute façon vocation à se poursuivre, dans le cadre du comité interministériel d’accompagnement du secteur du Bâtiment bien sur, mais également dans les échanges réguliers que vous aurez avec mes services dont les portes sont plus que jamais ouvertes. Je vous souhaite une excellente et fructueuse fin d’Assemblée Générale.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 15 avril 2013