Extraits d'un entretien de M. Pascal Canfin, ministre du développement, dans "Les Echos" du 12 avril 2013, sur la lutte contre la fraude fiscale.

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Texte intégral

Q - François Hollande veut faire la guerre aux paradis fiscaux. Pourquoi cette bataille-là aurait-elle plus de succès que les précédentes ?
R - Parce qu'il y a une nécessité budgétaire à récupérer l'argent placé dans ces territoires pour échapper au fisc et parce qu'une dynamique est en train de se créer au niveau mondial. Obama a ouvert la voie avec la loi Fatca qui institue un échange automatique d'informations fiscales. Si l'Europe finit par adopter une législation similaire, il ne pourra plus y avoir d'affaire Cahuzac. La France a été moteur dans cette voie avec sa loi bancaire et les écologistes ont su faire adopter à Bruxelles l'obligation pour toute banque européenne de déclarer non seulement sa masse salariale et son chiffre d'affaires par pays mais aussi ses profits, les impôts qu'elle y paie et les subventions qu'elle reçoit. Concrètement, cela veut dire que l'on met fin à l'opacité des systèmes d'optimisation fiscale, goûtés notamment par les entreprises du CAC 40. Si je reprenais les mots d'Arnaud Montebourg, je dirais que l'on démondialise les comptes en banque. Et le mouvement est enfin enclenché : le Luxembourg vient d'abandonner le secret bancaire et l'Autriche est sur le point de céder.
Q - Quid de la Suisse ?
R - Il y a un effet domino auquel il lui sera très difficile de résister. Puisque nous sommes d'accord à 27, Bruxelles va pouvoir renégocier les conventions fiscales avec ce pays mais aussi d'autres plus lointains, comme Singapour. L'argument de la Suisse était que nous ne pouvions pas lui appliquer une règle sans nous l'appliquer à nous-mêmes. Ce qui n'est plus vrai. En outre, elle a accepté l'échange automatique avec les Etats-Unis, de peur que les banques suisses ne puissent plus opérer outre-Atlantique, elle devra faire de même avec l'Union.
Q - Vous voulez obliger les entreprises à déclarer le détail de leurs activités dans les paradis fiscaux. La France peut-elle se permettre de l'imposer seule ?
R - Non. Mais nous avons bien l'intention de convaincre nos partenaires européens. Et ce n'est pas tâche impossible car même le Royaume-Uni a été choqué par l'attitude d'entreprises qui réalisent un énorme chiffre d'affaires chez lui sans pratiquement payer d'impôt. Je rappelle qu'en France, les entreprises du CAC 40 paient en moyenne 8 % d'impôt, soit beaucoup moins que les PME.
Q - Les paradis fiscaux n'ont-ils pas une certaine utilité ? Pour protéger le secret des affaires, servir de refuge à des gens menacés d'expropriation abusive dans certains pays ou dissuader l'instauration d'une pression fiscale excessive dans les pays européens ?
R - Ce sont les arguments de ceux qui défendent les paradis fiscaux. Je constate que l'immense majorité des entreprises n'a pas besoin des paradis fiscaux pour mener ses activités. Pour les personnes menacées d'expropriation abusive, par des régimes non démocratiques, on peut imaginer des exceptions à l'échange automatique d'informations fiscales. Mais je le rappelle, comme ministre du développement : les premières victimes de la fraude fiscale sont les pays pauvres. Tout comme il est clair que ceux qui pratiquent l'évasion fiscale sont les ménages riches ou les grandes entreprises, ce qui accentue par contrecoup la pression fiscale sur les PME ou les classes moyennes. En conséquence, la suppression des paradis fiscaux permettra de mieux répartir l'impôt. La lutte contre les paradis fiscaux est un combat pour la justice et la reprise en main de la mondialisation par le politique. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2013