Déclaration de Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, sur les enjeux du débat sur la transition énergétique, à Paris le 8 janvier 2013.

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Circonstance : Présentation par le CESE d'un avis sur la transition énergétique à l'horizon 2020-2050 et d'un avis sur l'efficacité énergétique, Palais d'Iéna, à Paris le 8 janvier 2013

Texte intégral

Merci Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les membres du CESE.
D'abord merci d'ouvrir cette année 2013 par ces projets d'avis par lesquels vous avez fait une bonne part du chemin. Je veux dire à quel point les travaux que vous nous livrez aujourd'hui sont utiles pour ce défi majeur, considérable, fondamental qu'est celui de la transition énergétique et qui doit être un moyen pour nous tous de participer à l'écriture d'un destin commun qu'est celui de la France.
Nous sommes dans un moment difficile aujourd'hui au plan économique. Nous croyons profondément que la France a besoin d'espoir, de perspectives d'avenir et d'un projet fédérateur.
La transition énergétique est ce projet fédérateur parce qu'il a des cobénéfices écologiques, des co-bénéfices économiques en termes de création d'emplois, de développement de filières industrielles, des co-bénéfices sociaux par rapport à une réalité qui se développe puissamment : la hausse du coût de l'énergie et le développement de la précarité énergétique.
Mais, je voulais tout d'abord présenter mes voeux à votre institution, Monsieur le Président, et vous remercier chaleureusement pour la façon dont le CESE accueille régulièrement, depuis six mois maintenant, un certain nombre de processus partenariaux, la Conférence sociale, la Conférence environnementale, la Conférence sur la lutte contre la pauvreté, la réunion avec Stéphane Le Foll, « Produisons autrement », vendredi prochain, le Conseil national de la mer et des littoraux.
Je tenais à vous remercier de la façon dont des liens très importants se nouent entre le gouvernement et votre institution.
Les deux projets d'avis qui ont été présentés sur la transition et l'efficacité énergétique sont absolument précurseurs. En effet, le CESE est à l'avant garde par rapport au chantier engagé par le Président de la République. Vous avez en quelque sorte la garantie que ces projets d'avis, qui seront formellement adoptés demain, seront suivis d'effet et qu'ils poursuivront un destin utile. Tout d'abord, ils ont été adressés aujourd'hui même aux membres du Conseil national de la transition énergétique (le courriel a été adressé cet après-midi). Ensuite, votre institution, Monsieur le Président, sera saisie pour avis sur le projet de loi de programmation pour la transition énergétique qui résultera de l'ensemble du processus dans lequel nous sommes engagés. Le travail que vous avez accompli nous fait gagner un temps précieux. Vous aurez à le revoir dans le cadre de l'application de l'article 70 de la Constitution.
Je voulais saluer personnellement chacun des rapporteurs : Jacky Chorin, Anne de Béthencourt, Catherine Tissot-Colle et Jean Jouzel, qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007, avec le GIEC. Je remercie également, pour leur participation au Comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique, Laurence Tubiana, Bruno Rebelle, Michel Rollier, Anne Lauvergeon et Georges Mercadal. Ce comité a pour rôle de populariser ce débat, d'en faire comprendre les enjeux aux citoyens et d'être le garant de son bon déroulement.
La préoccupation de la lutte contre le réchauffement climatique n'est pas effacée par la crise économique. Un certain nombre de données scientifiques récentes montrent que nous sommes sur une trajectoire qui dépasse largement le seuil critique fixé par le GIEC. Nous attendons de nouveaux travaux du GIEC qui actualiseront ces connaissances scientifiques. Nous sommes bel et bien engagés dans un changement global dans lequel le réchauffement climatique s'additionne avec la perte de biodiversité - les enjeux ne doivent pas être séparés les uns des autres - qui sont des données fondamentales.
Je salue la façon dont vos travaux ont mis la question du réchauffement climatique, du CO2 au centre de la transition énergétique et au centre de la diplomatie française qui a fait acte de candidature pour accueillir, à Paris en 2015, la prochaine Conférence sur le climat qui sera décisive par rapport à la nécessité de trouver un accord mondial contraignant dans la lutte contre les effets de serre.
Ce débat national, auquel le gouvernement vous invite, va permettre à chaque citoyen de pouvoir donner son avis. Nous ne sommes pas dans un processus classique, dans le cadre d'un rapport ou de la mise en place d'une commission, voire d'un processus de partenariat et de dialogue entre les partenaires sociaux et les partenaires environnementaux, comme cela a pu se produire lors du Grenelle de l'environnement et c'était une étape très importante. Nous avons pour ambition d'engager un véritable débat national auquel chaque français pourra participer et qui va être un débat décentralisé. Le Comité de pilotage, fin janvier, et la séance du prochain conseil national, le 24 janvier prochain, présenteront le calendrier détaillé de l'ensemble des événements qui vont se produire pendant ce débat national.
Dans cette étape du mois de janvier, l'essentiel est de faire comprendre pourquoi il faut un débat national sur la transition énergétique. Il y a des engagements internationaux de la France, qu'elle n'a pas encore atteints. C'est un défaut fréquent de fixer des objectifs sans nous poser la question de savoir comment nous allons les atteindre. Comment allons-nous atteindre le Facteur 4 en 2030 ? Comment allons-nous atteindre le « trois fois vingt » en 2020 ?
C'est la première raison pour laquelle il faut un débat sur la transition énergétique. La deuxième est que nous avons à prendre des décisions qui ont été reportées depuis dix ans en matière de politique de l'énergie. Nous devons prendre des décisions qui ne nous engagent pas seulement pour les quelques années qui viennent, pour ce quinquennat, mais qui nous engagent de façon durable. Ces orientations sur un temps long nécessitent un véritable débat démocratique et des choix collectifs et aussi pour ce que vous avez dit de très important sur l'efficacité et la sobriété énergétique, qui rejoint les orientations que nous avons fixées sur le caractère central des économies d'énergie. Il s'agit de renouer avec la politique d'économies et d'énergie et la chasse aux gaspillages des années 1970, ce qui nécessite un changement culturel. La première vertu de ce débat national doit être de favoriser ce changement culturel dans le rapport à l'énergie, et de sortir du toujours « consommer plus pour produire plus ». C'est une des ruptures qui est aujourd'hui absolument nécessaire.
Sans décisions, celles que nous devons prendre dans ce débat national, nous sommes dans une impasse. Elles concernent la hausse des prix de l'énergie, l'augmentation de la précarité énergétique qui concerne aujourd'hui huit millions de Français, le déficit de la balance commercial lié à l'énergie, qui atteint 61,4 milliards en 2012 (80 % de cette facture sont liés à nos importations de pétrole), la nécessité d'investir dans des moyens de production, dans des réseaux. Ces décisions n'ont pas été prises ces dernières années.
Nous avons besoin de ce débat national pour qu'il en ressorte une loi de programmation, c'est-à-dire un outil de planification stratégique. Dans les projets d'avis que vous avez élaborés, j'ai particulièrement apprécié la notion de phasage, ce qui doit être fait maintenant, ce qui doit l'être entre aujourd'hui et 2020, ce qui devra être fait entre 2020 et 2050. C'est tout le travail que nous devrons mener dans la loi de programmation pour la transition énergétique, de façon encore plus fine.
La notion que vous avez mise en avant, souvent évoquée par les partenaires sociaux dans les prémisses de ce débat national, est d'avoir une étude d'impact pour chaque décision et des critères d'évaluation qui prennent en compte les dimensions économiques, sociales et environnementales, puis de passer au scanner de ce triptyque l'ensemble des scénarios et des possibilités.
Quatre grandes questions se posent dans le débat national. La première est celle de l'efficacité et de la sobriété énergétique. Dans le titre du projet d'avis figure « Un gisement d'économies. » Il y a là un enjeu de changement culturel, qui constitue le levier le plus important aujourd'hui. C'est un levier qui a encore plus d'importance, celui d'être un outil de relance économique dans la situation que connaît aujourd'hui la France. Tout ce qui concerne le plan de rénovation thermique et la possibilité de déployer des réseaux intelligents, des compteurs intelligents, des « smart Green », tout ce qui peut participer à l'efficacité énergétique active représente des technologies et des emplois que nous pouvons créer dans ce domaine.
C'est ce qui amène le gouvernement, sans préempter les décisions qui seront prises dans le débat national, à prendre d'ores et déjà un certain nombre de décisions et d'orientations.
D'abord, le décret que j'ai proposé, et qui sera examiné le 10 janvier par le CCEN sur l'extinction des vitrines et des bureaux la nuit, qui doit permettre l'économie de l'équivalent de la consommation annuelle d'une ville de 750 000 habitants. C'est un exemple de mesures que l'on peut prendre.
Le projet de décret sur l'efficacité énergétique dans le tertiaire. Nous proposerons un projet soumis à la discussion avec l'ensemble des partenaires concernés avant fin janvier.
Nous avons un potentiel industriel dans le domaine des smart green sur lequel je ferai un certain nombre de propositions jeudi prochain, et nous voulons construire un véritable service public de la performance énergétique. C'est là qu'il y a un clin d'oeil intéressant entre ce que Cécile Duflot disait sur ce que nous envisageons aujourd'hui avec les ambassadeurs de la rénovation thermique, et le spot que l'on a vu tout à l'heure de ce qui se faisait dans les années soixante-dix.
Un des outils très importants par rapport à ces enjeux de programmes de rénovation thermique est le diagnostic de performance énergétique et la proposition que vous avez faite qu'il y ait un DPE normé et aussi un DPE+ qui puissent avoir un aspect prescriptif par rapport aux travaux. Par rapport à l'ensemble des outils qu'a évoqués Cécile Duflot tout à l'heure, on a véritablement besoin d'avoir ce type d'outils normatifs.
Il y a aussi la question des transports. J'ai particulièrement apprécié, dans vos travaux, la façon dont vous avez mis en lumière cette question stratégique : 34,5 % des émissions de gaz à effet de serre, un lien évident avec ce que je disais tout à l'heure sur le déficit de la balance commerciale et donc la nécessité de se pencher de façon plus approfondie encore sur cette question des transports dans le cadre de la transition énergétique.
Vous avez évoqué l'idée d'une saisine du Conseil économique, social et environnemental ; nous discuterons pour savoir s'il faut que ce soit une saisine du gouvernement ou une autosaisine du Conseil économique, social et environnemental. En tout cas, l'idée me paraît très bonne et si les calendriers peuvent se chevaucher pour que ces travaux soient menés durant le débat national, ce sera une contribution utile.
Il y a une forte demande des partenaires sociaux, en particulier des syndicats, pour que cette question des transports mais aussi des ONG soit pleinement discutée dans le débat national sur la transition énergétique.
Il y a un lien évident - on a parlé d'éco-conception - avec l'économie circulaire, qui est un enjeu très important.
Deuxième question du débat national : l'évolution du mix énergétique. Il n'est pas nécessaire que je rappelle les objectifs fixés par le Président de la République à l'horizon 2025. Évidemment, le nucléaire n'est pas le seul sujet et ne doit par occulter les autres sujets de la transition énergétique, mais l'âge moyen du parc nucléaire sera de 40 ans en 2025 et il nous faut anticiper un certain nombre de décisions très importantes.
Il y a aussi une vulnérabilité de notre pays liée aux importations de pétrole puisque la moitié de l'énergie finale qui est consommée aujourd'hui en France est d'origine fossile.
J'ai noté que vos travaux ne recommandaient pas l'exploitation des gaz de schiste avec une certaine satisfaction ; en tout cas, il nous faut, sur cette question du mix énergétique, définir nos moyens de production de demain, décider aussi des priorités.
Il y a la priorité de la lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi d'autres priorités qui doivent être, dans notre esprit, celles de la sécurité des approvisionnements et celles de la compétitivité économique et du coût de l'énergie, que ce soit pour les ménages ou les entreprises.
Troisième question : les énergies renouvelables. L'évolution du mix énergétique à l'horizon 2025 doit nous conduire à un effort massif de développement des énergies renouvelables. Cela n'est possible qu'à la condition d'une programmation, d'une planification qui permette aussi aux entreprises de ces secteurs d'avoir une prévisibilité, une visibilité sur les dispositifs de soutien et l'engagement de l'État.
Il y a 2 points importants dans les projets d'avis du Conseil économique, social et environnemental.
D'abord, l'importance que vous avez soulignée de la chaleur dans la production d'énergies renouvelables. Là, la France a un retard et nous souhaitons travailler dans le cadre d'un débat national avec Stéphane Le Fol, par exemple, outre la question du Fonds chaleur et du Bois énergie, à un plan national de développement de la méthanisation, qui est un enjeu extrêmement important.
Deuxième énergie renouvelable dont vous avez rappelé l'importance : l'énergie hydraulique. Nous sommes dans l'attente du rapport de Marie-Noëlle Battistel, qui sera rendu en février pour la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale sur cette question notamment des concessions hydrauliques.
L'enjeu des énergies renouvelables, je l'ai évoqué hier dans les propositions et les mesures que prend le gouvernement, qui sont des mesures d'urgence pour la filière photovoltaïque, pour maintenir des capacités de production, maintenir un outil de production dans l'attente des conclusions du débat national, est que chaque euro investi dans le domaine des énergies renouvelables se traduise aussi par le développement de filières industrielles, par la création de valeur ajoutée et la création d'emplois en France.
À ce titre, je vous annonce aujourd'hui que j'ai transmis les conditions de l'appel d'offres pour l'éolien offshore sur les deux sites, celui du Tréport et celui de l'Ile d'Yeu/Noirmoutier aujourd'hui à la Commission de régulation de l'énergie.
La procédure de cet appel d'offres va bel et bien être lancée pour 1 000 MW de production d'éolien offshore, ce qui doit permettre de sécuriser 10 000 emplois dans cette filière industrielle essentielle aussi en Europe.
Une question qui m'a beaucoup intéressée dans vos travaux et ce que vous avez évoqué : la gouvernance locale de l'énergie ou la participation des citoyens notamment au développement des énergies renouvelables. Les collectivités territoriales, dans le débat national sur la décentralisation, portent des propositions très intéressantes qui doivent nous permettre d'articuler ce qui est le coeur du modèle français, qui est un modèle de service public, qui considère que l'énergie est un bien essentiel.
Ce sont ces notions fondamentales de péréquation tarifaire, de réseau national, qui sont au coeur du modèle français, avec un développement aujourd'hui plus décentralisé, notamment des énergies renouvelables, et l'on doit être capable d'articuler cette évolution avec ce qui est historiquement le modèle français fondé par le Conseil national de la Résistance.
Dernière grande question : celle du financement.
Une des difficultés du gouvernement aujourd'hui est qu'il hérite d'une dette de 5 Md€ sur la CSPE, liée au mode de financement notamment des énergies renouvelables. C'est-à-dire qu'en quelque sorte, les décisions d'hier en matière d'évolution de la politique de l'énergie ont été financées à crédit sur les générations futures. Ce n'est pas un modèle durable.
Cette dette de la CSPE est un problème qu'il va nous falloir résoudre, mais en plus, il nous faut définir les financements parce que l'on voit bien que les investissements qui sont nécessaires dans les moyens de production, les réseaux, l'efficacité énergétique, la sobriété énergétique, vont être très importants.
Cependant, la transition énergétique ne doit pas seulement être vue comme un coût, mais comme un investissement d'avenir, comme des bénéfices en termes de création d'emplois, d'économies pour le pouvoir d'achat lorsque l'on fait des travaux de rénovation thermiques dans son logement et que la facture d'énergie baisse de 25 à 30 %, ce qui est possible avec l'ensemble des éléments sur lesquels nous sommes en train de travailler.
Cette question du financement sera absolument essentielle dans le débat : il y a un lien avec les travaux que nous engageons sur la fiscalité écologique ; c'est une réforme très importante qui devra être issue du débat, c'est un modèle de financement des économies d'énergie, avec celui du tiers financeur et aussi la réforme des certificats d'économies d'énergie.
J'ai été très attentive à ce que vous avez dit sur cette question, et qui rejoint mes propres préoccupations dans la perspective de la 3ème période, des certificats d'économies d'énergie, et cette question de l'échelon européen.
J'aurai, lundi prochain, l'occasion de participer, avec le ministre allemand Peter Altmayer, à Abu Dhabi, au cours de la conférence de l'IRENA, à la création d'un club des pays pionniers et volontaires en matière d'énergies renouvelables.
Il y a des enjeux très importants à l'échelle internationale et, bien sûr, à l'échelle européenne.
Chaque pays a son propre modèle. Beaucoup de pays sont aujourd'hui engagés d'une façon ou d'une autre dans des politiques de transition énergétique, mais chaque peuple est souverain et il y a des modèles énergétiques très différents. Ce sont des différences qui doivent être respectées et chaque peuple doit être souverain dans ses choix. C'est aussi le sens du débat démocratique que nous allons avoir.
Je crois profondément qu'en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables, les infrastructures de réseau et notamment les infrastructures de réseau d'intérêt européen, la recherche & développement que vous avez beaucoup abordée, les technologies d'avenir dans le domaine notamment des réseaux intelligents, nous devons aller vers une mise en commun à l'échelle européenne.
L'Europe, en matière d'énergie, ne doit pas concerner seulement la libre concurrence, le marché intérieur. Ce doit aussi être de revenir aux sources et aux fondations du projet européen qui était la communauté économique du charbon et de l'acier.
L'énergie est au centre du projet européen, au point de départ. C'est le sens des propositions faites par le Président de la République, François Hollande. C'est le sens des sujets que nous aborderons à Berlin le 22 janvier prochain lors du Conseil des ministres communs franco-allemand dans le cadre de l'anniversaire du traité de l'Élysée.
J'espère que nous pourrons déboucher rapidement sur un certain nombre d'initiatives communes à la France et à l'Allemagne dans la perspective du Conseil européen du mois de mai prochain qui portera précisément sur l'Europe de l'énergie.
Voilà les chantiers auxquels je vous appelle, que vous avez déjà engagés avec ces projets d'avis, qui nous invitent à retrouver dans notre pays le volontarisme des bâtisseurs. Merci.
Source http://www.lecese.fr, le 18 avril 2013