Texte intégral
Jai lhonneur de vous présenter le texte portant sur la sécurisation de lemploi, un texte issu de laccord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, un grand texte de progrès. Oui de progrès,
- car il changera certains aspects de la vie de millions de salariés, et de milliers dentreprises
- car il porte des avancées parfois grandes.
- car il rompt avec la folie française qui consiste à préférer le licenciement à dautres formes dadaptation, de quelque côté que lon soit.
- car il donne la possibilité de protéger ensemble lemploi et lactivité dans le respect des intérêts de chacun.
Oui, mesdames et messieurs les sénateurs, cest bien de progrès dont il sagit. Cest pour cela que je demande votre confiance ; une confiance ni aveugle, ni légère, sans ignorer les vices et les travers ; une confiance qui sait que le progrès nest pas, comme disait une voix qui nous est chère, « une illumination soudaine et totale, mais seulement une lente série daurores incertaines ».
Nous allons avoir, et jen suis heureux, une discussion sur le contenu de tous les articles. Elle permettra de dissiper les malentendus ou de récuser des interprétations erronées de ce projet.
Mais nous sommes dabord des politiques et je veux commencer par vous parler du sens politique de ce texte de progrès. Daucuns promettent du sang, de la sueur et de larmes ; moi, je suis venu pour proposer du sens, des lueurs despoir et des armes, des armes nouvelles contre le chômage.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez dans les mains un de ces textes qui laissent leur empreinte dans une mandature. Je ne sais si laccord qui inspire cette loi est historique. Mieux vaut rester modestes, mais il est de ces grands accords qui ne se produisent que 3 ou 4 fois par siècle. Pour preuve, le dernier accord au périmètre aussi vaste remonte en vérité à 1968. Laccord du 11 janvier fera date lui aussi, dans son histoire propre, celle dune conjoncture difficile par-dessus laquelle les partenaires sociaux ont su sélever.
Et que lon se souvienne aussi de la dernière tentative dune réforme globale du marché du travail. Cétait en 1984 et ce fut un cuisant échec, plongeant la négociation dans une longue phase de glaciation, la rendant incapable de traiter à nouveau ensemble tous les enjeux de lemploi, navançant plus que par petits pas.
Mesdames et messieurs, je vous propose aujourdhui une réussite !
Laccord national du 11 janvier 2013 montre que notre pays na pas eu peur de prendre à bras le corps les principaux enjeux de notre marché du travail la lutte contre la précarité du travail, la déshérence du CDI, les droits individuels et collectifs, lanticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder lemploi dans une conjoncture difficile, la refonte des procédures de licenciements collectifs pour fonder un équilibre neuf. Un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent nest pas ce que les autres perdent, mais qui ouvre un nouveau champ de possibles. Qui apporte enfin une réponse pour concilier le besoin dadaptation des entreprises et laspiration des salariés à la sécurité de leur emploi. Oui, mesdames et messieurs les députés, la France est capable de se réformer et de le faire par le dialogue. Car derrière laccord, derrière la loi, il y a une méthode : le dialogue social à la française. « A la française » jinsiste particulièrement et cest par là que je veux commencer.
Le dialogue social, cest donner la parole à ceux qui sont les mieux à même de savoir ce quils veulent, ce quils sont prêts à concéder, et ce sur quoi ils ne cèderont jamais. Là était déjà linspiration des lois Auroux dont nous avons fêté les 30 ans. Jeune député à lépoque, jai fait partie de ceux qui ont vécu ce moment historique où nous avons ouvert des droits collectifs nouveaux dans les entreprises, et en particulier celui de négocier pour que les travailleurs pèsent sur leur destin, par leur capacité non seulement à résister mais aussi à construire. Cest aujourdhui de laffermissement de ce pouvoir dont il sagit.
Je suis heureux et fier, 30 ans après les lois Auroux, de porter devant vous ce texte né du dialogue social, pour des nouveaux droits des salariés et pour un pouvoir renforcé des travailleurs.
Quand beaucoup seffrayaient, il y a 30 ans, les plus éclairés des dirigeants dentreprise avaient déjà perçu la modernité de ces avancées pour la performance de lentreprise. La signature des organisations patronales en bas de laccord du 11 janvier montre le chemin parcouru pour reconnaître la négociation dentreprise comme un levier du changement, plus sûr que le conflit, plus juste que lexercice solitaire du pouvoir patronal.
Dans le monde patronal, syndical, politique, je sais que tous ne partagent pas cette vision ; tous ne croient pas au dialogue social, à sa force, à sa légitimité. Il y a ceux qui contestent aux syndicats mêmes majoritaires cette capacité et cette légitimité, qui les voient comme des idéologues irresponsables et archaïques. Ceux-là combattront cette loi et en appelleront au « big-bang » libéral, dans labsolutisme patronal érigé en modèle et dans la flexibilité jusquà loverdose. Symétriquement, il y a ceux qui contestent aux syndicats mêmes majoritaires cette capacité et cette légitimité, pour dautres raisons : parce quils les voient comme « des marionnettes » dans les mains des patrons, ou de faibles petites choses incapables daffirmer un rapport de force. Ceux-là aussi combattront cette loi qui fait la part belle à la négociation encadrée, eux qui ne jurent que par la contrainte et la norme ou par le juge et le contentieux.
Ce sont les mêmes, les uns et les autres, qui combattaient hier les lois Auroux ! Si nous les suivons, la notion même daccord dentreprise est caduque ; les salariés nont plus quà attendre tout de la loi, ou les patrons quà exercer librement leur force. Cette vision qui laisse le choix entre la dure main invisible du marché et la froide rigueur étatique nest pas nôtre vision ! Nous croyons quun troisième acteur doit entrer en jeu : la société, les acteurs eux-mêmes, pour quils façonnent leur destin dans un espace de droits garantis.
Soyons clairs : je ne suis pas un « bisounours », comme le disait avec le sourire Bernard Thibault, à qui je dis mon estime. Je comprends que certains aient des craintes car des forces contraires sexercent dans lentreprise. Je sais que nous avons besoin dun « ordre public social » et dune hiérarchie des normes. Ils ne sont en rien remis en cause par le projet de loi. Je nai jamais cédé à cette illusion naïve de légalité des forces. Au contraire, cest parce que des intérêts différents existent que lon doit chercher et trouver des compromis.
La négociation nest pas leffacement des divergences, elle en est le dépassement ! Et je prétends que cet accord et cette loi aideront ce dépassement
Cest cela le « dialogue social à la française », un dialogue social qui ne nie pas la différence des forces et qui sera demain consacré par la Constitution, sous le titre « Du dialogue social préalable à la loi ». Voilà de quoi reconnaître pleinement le rôle des acteurs qui concourent à la souveraineté de la loi dans le champ du social ; voilà qui fera de la démocratie sociale la soeur cadette de la démocratie politique, unies par le sang dune même filiation : la République.
Nous sommes aujourdhui à lavant-garde de cette reconnaissance constitutionnelle ! Mesdames et messieurs les sénateurs, la démocratie sociale frappe à notre porte, elle demande la confiance des représentants de la Nation. Accordez-la-lui. Mais donner toute sa place à la démocratie sociale nest pas renoncer à la démocratie politique. Nous ne sommes pas un pays scandinave ! Dans notre France, cest dabord une impulsion politique qui a donné lélan au dialogue social. Je veux parler ici de la grande conférence sociale de juillet dernier. Elle a rassemblé les acteurs sociaux pour fixer une feuille de route commune dont le sens a été donné par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour lemploi ».
Il y a eu ensuite un document dorientation du gouvernement pour cette négociation, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant », dans un cahier des charges ambitieux ; et qui engageait aussi lEtat dans la mise en oeuvre des changements réglementaires qui découleraient dun accord. Ce double engagement fonde larticulation de la démocratie politique et de la démocratie sociale : un pacte de confiance. Alors est venu le temps du dialogue social. 4 mois de négociation intense, pour parvenir à laccord du 11 janvier.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques pour lune de nos plus belles missions : écrire la loi. Nous avons alors, gouvernement comme parlement et je madresse à vous Sénateurs comme hier aux Députés, dun bord à lautre de lhémicycle un double devoir politique : Un devoir de loyauté vis-à-vis des signataires de laccord, qui se sont engagés en apposant leur signature sur un compromis âprement négocié.
Cet équilibre doit être respecté, même si chacun selon sa sensibilité peut penser que telle disposition va trop loin ou pas assez. Exactement comme le MEDEF, la CFDT, la CGPME, la CFE-CGC, lUPA ou la CFTC peuvent chacun regretter que la totalité de son cahier revendicatif nait pas été repris dans laccord. Cest cela un compromis social.
Cet équilibre doit être respecté sous peine de tuer toute démarche future fondée sur le dialogue social : si laccord ne vaut rien, à quoi bon négocier et signer ? Votre responsabilité sur ce point est immense.
Second devoir, écoute et transparence vis-à-vis des non signataires, CGT et FO, qui ont participé à la négociation et qui y ont apporté leur contribution même sils nadhèrent pas à léquilibre final.
Le fait que les non-signataires soient minoritaires, au regard des règles de représentativité fondées sur les mesures daudience ne change rien à cette écoute. Mais pardon de le dire le fait dêtre minoritaire ne confère pas à ces organisations une légitimité supérieure à celle des organisations majoritaires qui ont pris le risque du compromis en considérant quil faisait avancer les droits des salariés et lemploi. Nous savons dans cette enceinte ce que veut dire le respect des minorités mais aussi ce que veut dire la légitimité de la majorité à imprimer ses choix.
Cest ce principe de loyauté et découte qui a guidé le passage de laccord à la loi. Comment aurais-je pu me présenter devant le Parlement, en tant que ministre du dialogue social, avec un projet défaisant un accord valablement conclu ? Pour avoir été parlementaire de longues années, je sais la difficulté de faire la loi. Peut-être certains se demandent « à quoi bon un accord quand on peut faire par la loi ? » Ma réponse est la suivante : je suis intimement convaincu que le dialogue social donne une force différente mais considérable à la loi.
- parce que laccord est le plus à même de trouver le bon point déquilibre,
- parce que laccord fait des parties-prenantes non les exécutants dune loi mais les acteurs dun changement désiré et décidé par eux-mêmes, un changement qui entrera plus vite dans les faits,
- parce que les compromis que trouve laccord sont plus durables,
- mais plus encore parce que laccord est tout simplement légitime ! Laccord du 11 janvier nétait cependant pas parfait, et cest normal compte tenu de son ampleur, de la complexité des sujets traités dans des délais courts, et de certaines ambiguïtés conservées à dessein pour assurer une signature.
Là où laccord laissait ces ambiguïtés ou incertitudes, là où il était silencieux, des choix clairs ont donc été opérés par le Gouvernement, le Conseil dEtat assurant la pertinence juridique de la quasi-totalité des dispositions du projet.
Un certain nombre de précisions ont donc été apportées dès le projet de loi adopté en Conseil des Ministres sur la complémentaire santé, sur les modalités de désignation des salariés dans les conseils dadministration, sur les accords de mobilité. Elles lont été en toute transparence et en cherchant loption la plus conforme à lintérêt général.
Les Députés, au terme dun important travail en commission et de longues heures de débat en séance, ont aussi apporté une pierre décisive à lédifice apportant au texte du Gouvernement des améliorations. Des améliorations soigneusement pesées à laune des deux principes que jévoquais plus haut.
Ainsi, en respectant léquilibre de laccord, des compléments ou des précisions utiles ont été apportées : sur la généralisation de la complémentaire santé et sur le lien avec les contrats responsables et solidaires sur le contenu et la méthode de mise en oeuvre du compte personnel de formation : comptabilisation en heures, transférabilité intégrale des droits, possibilité darticulation avec les autres dispositifs de formation, intégration des droits acquis au titre du DIF, accompagnement du bénéficiaire dans le cadre du service public de lorientation sur lintégration dinformations de nature environnementale au sein de la base de données économiques et sociales, ainsi que la mention des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel. Et cest dans cette même optique qua été ajouté un droit à la formation des administrateurs représentant désormais les salariés dans les CA des grands groupes.
- sur les droits et la protection des représentants des salariés dans les conseils dadministration sur le régime des coupures au sein de la journée de travail dans le cadre du temps partiel sur la prise en compte des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel dans la consultation sur les orientations stratégiques et dans la négociation sur la GPEC sur les accords de mobilité interne et la protection de la vie personnelle et familiale des salariés, notamment des mesures de limite géographique et daccompagnement sur les efforts demandés aux dirigeants et aux actionnaires en cas daccords de maintien de lemploi, avec la notion de proportionnalité sur la procédure de validation par ladministration des accords valant plan de sauvegarde de lemploi : laccord majoritaire conclu ne pourra pas déroger aux principes généraux de consultation du comité dentreprise et la priorité sera donnée à la négociation, avec pour but de sécuriser un dialogue anticipé avec les syndicats en évitant le délit dentrave. sur la suspension du délai de prescription postérieurement au licenciement.
Vous êtes désormais saisis du projet de loi, et cest maintenant la souveraineté nationale qui va sexprimer, dans sa plénitude.
- Pas réduite par lapport du dialogue social, mais au contraire enrichie.
- Pas contrainte, mais guidée par cette démarche de loyauté et découte.
- Pas amputée de son pouvoir, mais au contraire dotée dun pouvoir plus fort de changer la société, parce quappuyé sur les forces de la société.
Avant daller au fond des choses, je tiens à rendre hommage au travail du rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, pour la qualité de son travail et la gentillesse qui laccompagne toujours. Je remercie aussi Gaétan Gorce, rapporteur pour avis de la commission des lois pour le minutieux examen de larticle 5 et les améliorations quil a pu amener. Des remerciements aussi pour Catherine Génisson, rapporteure pour la délégation aux droits des femmes, qui a notamment examiné larticle 8 sur le temps partiel puisque celui-ci touche 3,7 millions de Françaises, soit 1/3 des femmes au travail ; et naturellement pour Annie David, présidente de la commission, pour avoir piloté ces travaux. Jen viens maintenant au contenu du projet de loi en lui-même. Posons-nous une question, la seule qui vaille, la seule que se posent et que nous posent nos concitoyens : comment sécuriser lemploi ?
Le projet de loi apporte trois types de réponses avec des dispositions :
* Pour faire reculer la précarité ;
** Pour créer des droits nouveaux, individuels et collectifs, pour les salariés ;
*** Pour développer des outils de préservation de lemploi dans un contexte économique difficile.
* Mesdames et messieurs les sénateurs, aujourdhui 8 embauches sur 10 se font sur un contrat précaire. Jamais cette proportion na été aussi élevée. Le nombre de CDD très courts, de moins dun mois, a doublé depuis 10 ans. Le CDI a cessé dêtre la norme. Un véritable dualisme sest installé dans notre marché du travail, dont les premières victimes sont les jeunes, et les femmes.
Cest la première des insécurités de lemploi, et donc le premier défi dun projet de loi pour la sécurisation de lemploi.
Agir contre la précarité, cest dabord encourager le recours au CDI en modulant les cotisations dassurance chômage : augmentation dès le 1er juillet pour les CDD en particulier les CDD courts ; diminution pour les embauches de jeunes en CDI. Les partenaires sociaux au sein de lUNEDIC fixeront les taux de cette modulation qui pourra évoluer à lusage.
Oui, demain, embaucher en CDD très court sera plus cher quembaucher un jeune en CDI. Je mets au défi quiconque de le contester.
Agir contre la précarité, cest également instaurer des droits rechargeables à lassurance chômage qui seront mis en place dans la prochaine convention dassurance chômage. Pour les salariés aux parcours heurtés, ceux qui passent trop souvent par la « case » chômage, cest une amélioration substantielle.
- Prenons un exemple. Aujourdhui, après 10 ans au sein de la même entreprise, un salarié licencié se voit ouvrir un droit à indemnisation de 2 ans. Après un an et demi de recherche, il décroche un CDD de 6 mois, moins bien payé. Que faire ? Laccepter ? Mais sil nest pas reconduit, les 6 mois restants dindemnisation ouverts par son premier emploi risquent dêtre perdus. Demain, ces droits seront conservés.
Agir contre la précarité cest prendre des mesures relatives au temps partiel, trop souvent subi. Le projet de loi est un pas en avant puisquil fixe une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, limite les horaires dispersés et crée une majoration salariale dès la première heure complémentaire effectuée. Le revenu des personnes concernées sen ressentira mais aussi leur accès aux droits sociaux qui obéit à des seuils : indemnités journalières en cas de maladie, couverture chômage, formation professionnelle, validation au titre de la retraite. Désormais le « petit » temps partiel ne sera possible quà titre dérogatoire, à la demande du salarié ou par accord de branche si, et seulement si, lorganisation du travail est revue pour éviter les horaires dispersés. Ce progrès profitera tout particulièrement aux femmes, premières touchées par le temps partiel subi.
Bien sûr un tel changement nest pas simple dans un certain nombre de secteurs dactivité qui reposent intrinsèquement sur du temps partiel, nous aurons à en débattre, mais les partenaires sociaux se sont montrés ambitieux, suivons-les !
Au passage, je ne résiste pas à souligner les points communs mais aussi les différences avec la reforme du marché du travail en Allemagne, que daucuns citent en exemple. Aux côtés dactions remarquables de sauvegarde de lemploi dont nous pouvons nous inspirer, nos amis allemands ont développé une stratégie de « petits boulots » précaires et sans droits, ce qui a créé une dualité insupportable sur laquelle dailleurs ils sefforcent de revenir. Laccord et le projet de loi tournent le dos à cette approche de précarisation absolue et, au contraire, renforcent les droits des précaires, tirant les leçons de lAllemagne.
** Sécuriser lemploi passe aussi par des droits nouveaux pour les salariés qui en sont privés, notamment les précaires ou les salariés des PME.
Et le premier de ces droits, cest le droit à la santé via la généralisation de la couverture complémentaire collective et sa portabilité. 4 millions de salariés navaient pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur, et plus de 400 000 salariés sen passaient totalement faute de pouvoir y souscrire individuellement. Ce nétait pas admissible !
Ces salariés, qui sont-ils ? Pas des cadres ou des salariés de grandes entreprises, non, ce sont les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits boulots et chômage. Cest pour eux que nous agissons et cest pour eux que la complémentaire obligatoire qui nest ni un gadget ni un luxe a du sens.
La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette complémentaire mais, si aucun accord de branche puis dentreprise nest trouvé dici là, sa mise en place sera effective au 1er janvier 2016. Elle na donc rien de virtuel, pas plus quelle ne sera une manne pour les assurances privées : les branches pourront émettre des recommandations sur le choix de lorganisme et désigner des organismes assurant un régime mutualisé au sein de la branche.
Oui, demain, les salariés auront une meilleure protection face à la maladie
Autre avancée importante : le compte personnel de formation transférable. Ce compte suivra le salarié tout au long de son parcours, fût-il fait de multiples changements. Aujourdhui quitter son emploi occasionne souvent une perte de ses droits à la formation, alors que cest à ce moment que la formation est la plus nécessaire. Voilà une réponse par le haut, en phase avec de nouvelles réalités du travail, la fin de la carrière à vie, « les 40 ans dans la même boîte ».
Cette approche, nous sommes nombreux à en rêver depuis des années. Objet de colloques innombrables et de revendication de tous les syndicats, attente de nos concitoyens : ce sera demain, grâce à vous, une réalité. La loi pose les principes. Sur ce socle lédifice à construire va mobiliser les partenaires sociaux, lEtat et les régions, pour aller vers ce compte personnel universel, pilier central de la « sécurité sociale professionnelle ». Un chantier désormais bien engagé.
Dans ce même esprit de sécurisation des parcours, le texte crée un droit à la mobilité professionnelle sécurisée, pour pouvoir tenter une expérience dans une autre entreprise et revenir ou rester selon le souhait du salarié ; ou encore un conseil en évolution professionnelle.
Oui, demain, nous aurons de quoi permettre la mobilité dans la sécurité
*** Au-delà de ces progrès évidents, la profonde nouveauté de ce texte, est de donner aux acteurs économiques et sociaux, la capacité de préserver ensemble lemploi. Cest le point dur du texte. Nous en débattrons, non pas sur les slogans et fantasmes, mais sur le contenu réel de la loi.
Aujourdhui, faute danticipation suffisante des évolutions de lactivité et des compétences, faute dinformation satisfaisante des salariés, faute de négociations avec les partenaires sociaux dans les entreprises, celles-ci nanticipent pas assez les crises, ou cachent leur situation jusquà ce quil soit trop tard. Alors, au pied du mur, il ny a quune seule solution : licencier. La faiblesse de notre marché du travail est beaucoup là : lemploi est trop souvent la variable dajustement. Cest ce que jappelle « la préférence française pour le licenciement ».
Le sens de la loi, cest de changer cette donne qui ne sert au fond personne, ni les entreprises, ni les travailleurs. Elle offre des alternatives au licenciement : accords de maintien de lemploi, activité partielle, mobilité.
Voilà jetées les bases du nouveau modèle français, un modèle capable de rechercher plus de compétitivité en combattant linsécurité juridique et la peur dembaucher, mais qui le fait non pas en précarisant davantage, mais en anticipant davantage, en sécurisant davantage les parcours professionnels, tout en apportant des garanties collectives nouvelles.
A ceux qui rêvent dun « big bang » social, je dis que la réalité sest dérobée sous leurs pieds, ce soir du 11 janvier 2013. Ils croyaient incarner la modernité, ils sont en vérité terriblement archaïques, si loin de ce que le patronat et les syndicats sont capables de construire ensemble. Ils croyaient que notre pays ne pouvait pas se réformer par le dialogue. Ils avaient tort. Les entreprises ne cherchent pas la flexibilité à tout prix, elles ont besoin de stabilité juridique. Elles ne cherchent pas tant à licencier facilement quà gérer leurs talents et leurs compétences avec des capacités dadaptation et de mobilité. Elles ne cherchent pas une main doeuvre corvéable à merci, mais comprennent lintérêt davoir des salariés mieux formés et protégés. Cest tout cela que nous dit, aussi, laccord du 11 janvier. La France est un pays qui a patiemment construit son modèle social. Cest une part de notre identité. On ne raye pas dun trait de plume un siècle et demi de combats sociaux pour le dernier terme à la mode. Non, la France doit tracer sa route, affirmer son modèle. Un modèle social « made in France », et sa caractéristique, cest quil est négocié. Alors jen viens naturellement aux pouvoirs de négociation qui seront donnés, demain, aux acteurs pour anticiper et accompagner les mutations économiques et in fine sauver et développer les emplois. Je le dis à tous prenez ce pouvoir de négocier ! Prenez ce pouvoir déviter, par la négociation, que des emplois soient détruits.
Les accords de maintien de lemploi permettront demain de trouver une alternative au licenciement, tout en apportant des garanties solides aux salariés :
- Dabord, première garantie, la difficulté conjoncturelle de lentreprise doit être avérée, appuyée sur un diagnostic dressé avec les organisations syndicales représentatives dans lentreprise,
- Ensuite, deuxième garantie, laccord devra être signé par des syndicats représentant la majorité des salariés. Ce qui veut dire que si le chef dentreprise veut un accord, il devra convaincre la majorité de sengager ! Cest une garantie particulièrement forte.
- Troisième garantie, ces accords auront une durée ne dépassant pas 2 ans et, dans ce temps imparti, lentreprise ne pourra pas licencier.
- Quatrième garantie : les plus bas salaires (ceux qui se situent en deçà de 1,2 SMIC) ne pourront pas, même temporairement, être concernés et aucun salaire ne sera diminué en-dessous de 1,2 SMIC.
- Cinquième garantie à laquelle je tiens particulièrement : sils demandent des efforts aux salariés, les dirigeants et actionnaires devront en faire aussi, notamment en termes de rémunération.
- Enfin, sixième garantie, tout salarié qui refuserait de se voir appliquer personnellement un tel accord collectif ne pourra être considéré comme « démissionnaire » ou licencié pour motif personnel. Il sagira dun licenciement économique avec accès aux mesures de reclassement comme le contrat de sécurisation professionnelle.
Voilà qui tranche avec « feu » les accords compétitivité emploi ! Outre les accords de maintien de lemploi, lactivité partielle sera simplifiée et fondue dans un dispositif unique et lisible. Nous avons besoin dutiliser davantage ce type de dispositif pour passer les moments difficiles sans sacrifier les compétences accumulées. Dautres que nous ont su le faire mieux que nous ailleurs en Europe : à notre tour nous pouvons faire mieux !
Autre grande innovation de ce texte, la capacité danticipation renforcée dans les Institutions Représentatives du Personnel (IRP) et vis-à-vis des représentants du personnel. Les salariés seront désormais mieux informés et consultés, en disposant dune base de données qui rassemble et actualise toutes les informations utiles. Et ils débattront des orientations stratégiques de lentreprise. Si chacun joue le jeu, et se saisit loyalement de ces nouvelles dispositions, la nature du dialogue social interne en sera changée.
Enfin, des représentants des salariés feront leur entrée dans les conseils dadministration des grandes entreprises (5000 salariés en France et 10 000 dans le monde), et participeront, pleinement, comme administrateur, à la gouvernance. Environ 1 salarié sur 4 est concerné. Je sais les craintes que génère cette révolution pour les Conseils dAdministration ou de Surveillance dentreprises cotées, avec parfois des actionnaires étrangers au conseil, mais je certifie que dans quelques années chacun trouvera cette présence naturelle. Je sais aussi limpatience dune partie dentre vous qui souhaiterait aller encore plus loin. Mesurez dores et déjà lavancée majeure que représente cette entrée des salariés dans les conseils dadministration. Ce nest pas un modeste premier pas, cest une percée décisive. Après la lutte contre la précarité, après les droits nouveaux, après la mobilité, après les outils de maintien de lemploi, après lanticipation et la gouvernance, jen viens à la façon de gérer les restructurations lorsque, hélas, il nest plus possible déviter des suppressions demploi.
Le projet de loi refonde radicalement la procédure du licenciement collectif.
Demain, pour mettre en place un PSE, deux options et deux options seulement souvriront :
- Soit un accord majoritaire vaudra PSE, ce qui signifie que lentreprise mettra les moyens pour convaincre les organisations représentant plus de 50% des salariés à sengager sur le plan négocié,
- Soit une homologation par lEtat du PSE proposé par lentreprise. LEtat sassure alors que lentreprise consacre les moyens nécessaires, proportionnés à sa situation, au plan social et respecte ses obligations.
- Dun côté, toujours cette logique privilégiée du dialogue social, avec la garantie renforcée de laccord majoritaire. Et en échange bien sûr une plus grande simplicité, rapidité et sécurité du plan.
De lautre le retour de lEtat, près de 30 ans après la suppression de lautorisation administrative de licenciement, un Etat garant qui va sassurer que lentreprise agit pour minimiser les impacts du PSE pour les salariés.
LEtat ira vite pour rendre sa décision, parce que dans ce type de situation ce qui compte ce nest pas de « gagner du temps », de retarder le plus possible les décisions, cest de peser sur ces décisions pour que celles-ci prennent mieux en compte le reclassement, laccompagnement, la réindustrialisation.
Cest cela quattendent les salariés, pas des victoires hypothétiques devant un juge 3 ans après, quand lusine a disparu ; cest cela quattendent les entreprises qui préfèrent un effort supplémentaire contractualisé à une incertitude totale.
Il est faux de prétendre que le licenciement sera plus facile. Tout comme laccord majoritaire, lhomologation administrative est une avancée pour les salariés. LEtat ne pouvait jusqualors que donner un avis. Demain, sans sa décision dhomologation, rien ne pourra se faire. Pour les entreprises, les procédures seront cadrées juridiquement et dans le temps. Cest la condition pour trouver des terrains dentente.
Je récuse par ailleurs lexpression de « déjudiciarisation » utilisée à propos de ce texte, car elle est trompeuse si elle est assimilée à la suppression de la possibilité de faire appel au juge pour faire valoir ses droits. Ce nest pas de cela dont il sagit ici, mais de lencouragement à trouver par le dialogue social une autre voie, plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge, juge qui restera un droit pour chacun qui voudra contester laccord, lhomologation ou le refus dhomologation, comme pour chaque salarié à lissue dun licenciement sil veut en contester le motif. Dans notre société démocratique chacun, évidemment, a droit à un juge !
Voilà pourquoi les nouveaux pouvoirs de négocier ont du sens, à la condition ultime que lEtat dune part et notre système judiciaire dautre part, restent, au final, garants du respect de lordre public social et de la faculté de chacun de faire valoir ses droits devant un juge.
Mais jentends parfois mise en doute la capacité de mon administration, les Direcctes, à remplir cette nouvelle mission. Je veux vous rassurer sur ce point, et rendre justice au professionnalisme des hommes et des femmes de ces services :
- ils suivront la nouvelle procédure dès son démarrage et pas à la fin,
- ils seront prêts, ils se seront formés, ils se seront organisés,
- ils seront exigeants vis-à-vis des projets de PSE qui leur seront soumis.
- Il ny aura pas dhomologation « tacite » pour non-réponse au bout de 21 jours. Chaque demande sera instruite et fera lobjet dune décision motivée et explicite, en référence à des orientations que je donnerai par voie de circulaire aux Direcctes.
- Je veux conclure en saluant le travail du Parlement qui a amélioré ce texte de progrès. Mesdames et messieurs les sénateurs, vous comprenez maintenant ma détermination farouche à vous demander dadopter un texte de loi qui porte la sève nouvelle de la démocratie sociale en entreprise, un grand texte de progrès social qui apporte des réponses concrètes et équilibrées à lurgence de lheure : sécuriser lemploi. Sécuriser pour éviter les licenciements ; sécuriser pour anticiper sans drame les mutations, sécuriser pour être prêts à saisir demain la croissance qui repartira. Et je mautorise un dernier mot.
Je crois que notre société est fatiguée de la défiance et que cette loi ouvre un cycle de confiance. Je crois que les acteurs ne sont pas des enfants, mais au contraire des gens remarquables et capables dêtre responsables pour peu quils aient des responsabilités. Pourquoi faudrait-il toujours se situer dans lunivers de la suspicion, de la dérive, du vice, du travers ou de la régression pour craindre, et craindre encore à défaut dessayer de trouver des solutions et les voies la liberté, voire du bonheur.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 19 avril 2013