Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi, Paris le 17 avril 2013.

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Circonstance : Présentation du projet de loi sur la sécurisation de l'emploi au Sénat le 17 avril 2013

Texte intégral


J’ai l’honneur de vous présenter le texte portant sur la sécurisation de l’emploi, un texte issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, un grand texte de progrès. Oui de progrès,
- car il changera certains aspects de la vie de millions de salariés, et de milliers d’entreprises
- car il porte des avancées – parfois grandes.
- car il rompt avec la folie française qui consiste à préférer le licenciement à d’autres formes d’adaptation, de quelque côté que l’on soit.
- car il donne la possibilité de protéger ensemble l’emploi et l’activité dans le respect des intérêts de chacun.
Oui, mesdames et messieurs les sénateurs, c’est bien de progrès dont il s’agit. C’est pour cela que je demande votre confiance ; une confiance ni aveugle, ni légère, sans ignorer les vices et les travers ; une confiance qui sait que le progrès n’est pas, comme disait une voix qui nous est chère, « une illumination soudaine et totale, mais seulement une lente série d’aurores incertaines ».
Nous allons avoir, et j’en suis heureux, une discussion sur le contenu de tous les articles. Elle permettra de dissiper les malentendus ou de récuser des interprétations erronées de ce projet.
Mais nous sommes d’abord des politiques et je veux commencer par vous parler du sens politique de ce texte de progrès. D’aucuns promettent du sang, de la sueur et de larmes ; moi, je suis venu pour proposer du sens, des lueurs d’espoir et des armes, des armes nouvelles contre le chômage.
Mesdames et messieurs les sénateurs, vous avez dans les mains un de ces textes qui laissent leur empreinte dans une mandature. Je ne sais si l’accord qui inspire cette loi est historique. Mieux vaut rester modestes, mais il est de ces grands accords qui ne se produisent que 3 ou 4 fois par siècle. Pour preuve, le dernier accord au périmètre aussi vaste remonte en vérité à 1968. L’accord du 11 janvier fera date lui aussi, dans son histoire propre, celle d’une conjoncture difficile par-dessus laquelle les partenaires sociaux ont su s’élever.
Et que l’on se souvienne aussi de la dernière tentative d’une réforme globale du marché du travail. C’était en 1984 et ce fut un cuisant échec, plongeant la négociation dans une longue phase de glaciation, la rendant incapable de traiter à nouveau ensemble tous les enjeux de l’emploi, n’avançant plus que par petits pas.
Mesdames et messieurs, je vous propose aujourd’hui une réussite !
L’accord national du 11 janvier 2013 montre que notre pays n’a pas eu peur de prendre à bras le corps les principaux enjeux de notre marché du travail – la lutte contre la précarité du travail, la déshérence du CDI, les droits individuels et collectifs, l’anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l’emploi dans une conjoncture difficile, la refonte des procédures de licenciements collectifs – pour fonder un équilibre neuf. Un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n’est pas ce que les autres perdent, mais qui ouvre un nouveau champ de possibles. Qui apporte –enfin – une réponse pour concilier le besoin d’adaptation des entreprises et l’aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi. Oui, mesdames et messieurs les députés, la France est capable de se réformer et de le faire par le dialogue. Car derrière l’accord, derrière la loi, il y a une méthode : le dialogue social à la française. « A la française » j’insiste particulièrement et c’est par là que je veux commencer.
Le dialogue social, c’est donner la parole à ceux qui sont les mieux à même de savoir ce qu’ils veulent, ce qu’ils sont prêts à concéder, et ce sur quoi ils ne cèderont jamais. Là était déjà l’inspiration des lois Auroux dont nous avons fêté les 30 ans. Jeune député à l’époque, j’ai fait partie de ceux qui ont vécu ce moment historique où nous avons ouvert des droits collectifs nouveaux dans les entreprises, et en particulier celui de négocier pour que les travailleurs pèsent sur leur destin, par leur capacité non seulement à résister mais aussi à construire. C’est aujourd’hui de l’affermissement de ce pouvoir dont il s’agit.
Je suis heureux et fier, 30 ans après les lois Auroux, de porter devant vous ce texte né du dialogue social, pour des nouveaux droits des salariés et pour un pouvoir renforcé des travailleurs.
Quand beaucoup s’effrayaient, il y a 30 ans, les plus éclairés des dirigeants d’entreprise avaient déjà perçu la modernité de ces avancées pour la performance de l’entreprise. La signature des organisations patronales en bas de l’accord du 11 janvier montre le chemin parcouru pour reconnaître la négociation d’entreprise comme un levier du changement, plus sûr que le conflit, plus juste que l’exercice solitaire du pouvoir patronal.
Dans le monde patronal, syndical, politique, je sais que tous ne partagent pas cette vision ; tous ne croient pas au dialogue social, à sa force, à sa légitimité. Il y a ceux qui contestent aux syndicats – mêmes majoritaires – cette capacité et cette légitimité, qui les voient comme des idéologues irresponsables et archaïques. Ceux-là combattront cette loi et en appelleront au « big-bang » libéral, dans l’absolutisme patronal érigé en modèle et dans la flexibilité jusqu’à l’overdose. Symétriquement, il y a ceux qui contestent aux syndicats – mêmes majoritaires – cette capacité et cette légitimité, pour d’autres raisons : parce qu’ils les voient comme « des marionnettes » dans les mains des patrons, ou de faibles petites choses incapables d’affirmer un rapport de force. Ceux-là aussi combattront cette loi qui fait la part belle à la négociation encadrée, eux qui ne jurent que par la contrainte et la norme ou par le juge et le contentieux.
Ce sont les mêmes, les uns et les autres, qui combattaient hier les lois Auroux ! Si nous les suivons, la notion même d’accord d’entreprise est caduque ; les salariés n’ont plus qu’à attendre tout de la loi, ou les patrons qu’à exercer librement leur force. Cette vision qui laisse le choix entre la dure main invisible du marché et la froide rigueur étatique n’est pas nôtre vision ! Nous croyons qu’un troisième acteur doit entrer en jeu : la société, les acteurs eux-mêmes, pour qu’ils façonnent leur destin dans un espace de droits garantis.
Soyons clairs : je ne suis pas un « bisounours », comme le disait avec le sourire Bernard Thibault, à qui je dis mon estime. Je comprends que certains aient des craintes car des forces contraires s’exercent dans l’entreprise. Je sais que nous avons besoin d’un « ordre public social » et d’une hiérarchie des normes. Ils ne sont en rien remis en cause par le projet de loi. Je n’ai jamais cédé à cette illusion naïve de l’égalité des forces. Au contraire, c’est parce que des intérêts différents existent que l’on doit chercher et trouver des compromis.
La négociation n’est pas l’effacement des divergences, elle en est le dépassement ! Et je prétends que cet accord et cette loi aideront ce dépassement
C’est cela le « dialogue social à la française », un dialogue social qui ne nie pas la différence des forces et qui sera demain consacré par la Constitution, sous le titre « Du dialogue social préalable à la loi ». Voilà de quoi reconnaître pleinement le rôle des acteurs qui concourent à la souveraineté de la loi dans le champ du social ; voilà qui fera de la démocratie sociale la soeur cadette de la démocratie politique, unies par le sang d’une même filiation : la République.
Nous sommes aujourd’hui à l’avant-garde de cette reconnaissance constitutionnelle ! Mesdames et messieurs les sénateurs, la démocratie sociale frappe à notre porte, elle demande la confiance des représentants de la Nation. Accordez-la-lui. Mais donner toute sa place à la démocratie sociale n’est pas renoncer à la démocratie politique. Nous ne sommes pas un pays scandinave ! Dans notre France, c’est d’abord une impulsion politique qui a donné l’élan au dialogue social. Je veux parler ici de la grande conférence sociale de juillet dernier. Elle a rassemblé les acteurs sociaux pour fixer une feuille de route commune dont le sens a été donné par le Président de la République : « mobiliser les forces vives de notre pays vers des solutions nouvelles pour l’emploi ».
Il y a eu ensuite un document d’orientation du gouvernement pour cette négociation, acte politique qui engageait les partenaires sociaux à rechercher un accord « gagnant-gagnant », dans un cahier des charges ambitieux ; et qui engageait aussi l’Etat dans la mise en oeuvre des changements réglementaires qui découleraient d’un accord. Ce double engagement fonde l’articulation de la démocratie politique et de la démocratie sociale : un pacte de confiance. Alors est venu le temps du dialogue social. 4 mois de négociation intense, pour parvenir à l’accord du 11 janvier.
La balle est ensuite revenue dans notre camp, celui des acteurs politiques pour l’une de nos plus belles missions : écrire la loi. Nous avons alors, gouvernement comme parlement – et je m’adresse à vous Sénateurs comme hier aux Députés, d’un bord à l’autre de l’hémicycle – un double devoir politique : Un devoir de loyauté vis-à-vis des signataires de l’accord, qui se sont engagés en apposant leur signature sur un compromis âprement négocié.
Cet équilibre doit être respecté, même si chacun selon sa sensibilité peut penser que telle disposition va trop loin ou pas assez. Exactement comme le MEDEF, la CFDT, la CGPME, la CFE-CGC, l’UPA ou la CFTC peuvent chacun regretter que la totalité de son cahier revendicatif n’ait pas été repris dans l’accord. C’est cela un compromis social.
Cet équilibre doit être respecté sous peine de tuer toute démarche future fondée sur le dialogue social : si l’accord ne vaut rien, à quoi bon négocier et signer ? Votre responsabilité sur ce point est immense.
Second devoir, écoute et transparence vis-à-vis des non signataires, CGT et FO, qui ont participé à la négociation et qui y ont apporté leur contribution même s’ils n’adhèrent pas à l’équilibre final.
Le fait que les non-signataires soient minoritaires, au regard des règles de représentativité fondées sur les mesures d’audience ne change rien à cette écoute. Mais – pardon de le dire – le fait d’être minoritaire ne confère pas à ces organisations une légitimité supérieure à celle des organisations majoritaires qui ont pris le risque du compromis en considérant qu’il faisait avancer les droits des salariés et l’emploi. Nous savons dans cette enceinte ce que veut dire le respect des minorités mais aussi ce que veut dire la légitimité de la majorité à imprimer ses choix.
C’est ce principe de loyauté et d’écoute qui a guidé le passage de l’accord à la loi. Comment aurais-je pu me présenter devant le Parlement, en tant que ministre du dialogue social, avec un projet défaisant un accord valablement conclu ? Pour avoir été parlementaire de longues années, je sais la difficulté de faire la loi. Peut-être certains se demandent « à quoi bon un accord quand on peut faire par la loi ? » Ma réponse est la suivante : je suis intimement convaincu que le dialogue social donne une force différente mais considérable à la loi.
- parce que l’accord est le plus à même de trouver le bon point d’équilibre,
- parce que l’accord fait des parties-prenantes non les exécutants d’une loi mais les acteurs d’un changement désiré et décidé par eux-mêmes, un changement qui entrera plus vite dans les faits,
- parce que les compromis que trouve l’accord sont plus durables,
- mais plus encore parce que l’accord est tout simplement légitime ! L’accord du 11 janvier n’était cependant pas parfait, et c’est normal compte tenu de son ampleur, de la complexité des sujets traités dans des délais courts, et de certaines ambiguïtés conservées à dessein pour assurer une signature.
Là où l’accord laissait ces ambiguïtés ou incertitudes, là où il était silencieux, des choix clairs ont donc été opérés par le Gouvernement, le Conseil d’Etat assurant la pertinence juridique de la quasi-totalité des dispositions du projet.
Un certain nombre de précisions ont donc été apportées dès le projet de loi adopté en Conseil des Ministres – sur la complémentaire santé, sur les modalités de désignation des salariés dans les conseils d’administration, sur les accords de mobilité. Elles l’ont été en toute transparence et en cherchant l’option la plus conforme à l’intérêt général.
Les Députés, au terme d’un important travail en commission et de longues heures de débat en séance, ont aussi apporté une pierre décisive à l’édifice apportant au texte du Gouvernement des améliorations. Des améliorations soigneusement pesées à l’aune des deux principes que j’évoquais plus haut.
Ainsi, en respectant l’équilibre de l’accord, des compléments ou des précisions utiles ont été apportées : sur la généralisation de la complémentaire santé et sur le lien avec les contrats responsables et solidaires sur le contenu et la méthode de mise en oeuvre du compte personnel de formation : comptabilisation en heures, transférabilité intégrale des droits, possibilité d’articulation avec les autres dispositifs de formation, intégration des droits acquis au titre du DIF, accompagnement du bénéficiaire dans le cadre du service public de l’orientation sur l’intégration d’informations de nature environnementale au sein de la base de données économiques et sociales, ainsi que la mention des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel. Et c’est dans cette même optique qu’a été ajouté un droit à la formation des administrateurs représentant désormais les salariés dans les CA des grands groupes.
- sur les droits et la protection des représentants des salariés dans les conseils d’administration sur le régime des coupures au sein de la journée de travail dans le cadre du temps partiel sur la prise en compte des contrats précaires, stages et emplois à temps partiel dans la consultation sur les orientations stratégiques et dans la négociation sur la GPEC sur les accords de mobilité interne et la protection de la vie personnelle et familiale des salariés, notamment des mesures de limite géographique et d’accompagnement sur les efforts demandés aux dirigeants et aux actionnaires en cas d’accords de maintien de l’emploi, avec la notion de proportionnalité sur la procédure de validation par l’administration des accords valant plan de sauvegarde de l’emploi : l’accord majoritaire conclu ne pourra pas déroger aux principes généraux de consultation du comité d’entreprise et la priorité sera donnée à la négociation, avec pour but de sécuriser un dialogue anticipé avec les syndicats en évitant le délit d’entrave. sur la suspension du délai de prescription postérieurement au licenciement.
Vous êtes désormais saisis du projet de loi, et c’est maintenant la souveraineté nationale qui va s’exprimer, dans sa plénitude.
- Pas réduite par l’apport du dialogue social, mais au contraire enrichie.
- Pas contrainte, mais guidée par cette démarche de loyauté et d’écoute.
- Pas amputée de son pouvoir, mais au contraire dotée d’un pouvoir plus fort de changer la société, parce qu’appuyé sur les forces de la société.
Avant d’aller au fond des choses, je tiens à rendre hommage au travail du rapporteur de la commission des affaires sociales, Claude Jeannerot, pour la qualité de son travail et la gentillesse qui l’accompagne toujours. Je remercie aussi Gaétan Gorce, rapporteur pour avis de la commission des lois pour le minutieux examen de l’article 5 et les améliorations qu’il a pu amener. Des remerciements aussi pour Catherine Génisson, rapporteure pour la délégation aux droits des femmes, qui a notamment examiné l’article 8 sur le temps partiel puisque celui-ci touche 3,7 millions de Françaises, soit 1/3 des femmes au travail ; et naturellement pour Annie David, présidente de la commission, pour avoir piloté ces travaux. J’en viens maintenant au contenu du projet de loi en lui-même. Posons-nous une question, la seule qui vaille, la seule que se posent et que nous posent nos concitoyens : comment sécuriser l’emploi ?
Le projet de loi apporte trois types de réponses avec des dispositions :
* Pour faire reculer la précarité ;
** Pour créer des droits nouveaux, individuels et collectifs, pour les salariés ;
*** Pour développer des outils de préservation de l’emploi dans un contexte économique difficile.
* Mesdames et messieurs les sénateurs, aujourd’hui 8 embauches sur 10 se font sur un contrat précaire. Jamais cette proportion n’a été aussi élevée. Le nombre de CDD très courts, de moins d’un mois, a doublé depuis 10 ans. Le CDI a cessé d’être la norme. Un véritable dualisme s’est installé dans notre marché du travail, dont les premières victimes sont les jeunes, et les femmes.
C’est la première des insécurités de l’emploi, et donc le premier défi d’un projet de loi pour la sécurisation de l’emploi.
Agir contre la précarité, c’est d’abord encourager le recours au CDI en modulant les cotisations d’assurance chômage : augmentation dès le 1er juillet pour les CDD en particulier les CDD courts ; diminution pour les embauches de jeunes en CDI. Les partenaires sociaux au sein de l’UNEDIC fixeront les taux de cette modulation qui pourra évoluer à l’usage.
Oui, demain, embaucher en CDD très court sera plus cher qu’embaucher un jeune en CDI. Je mets au défi quiconque de le contester.
Agir contre la précarité, c’est également instaurer des droits rechargeables à l’assurance chômage qui seront mis en place dans la prochaine convention d’assurance chômage. Pour les salariés aux parcours heurtés, ceux qui passent trop souvent par la « case » chômage, c’est une amélioration substantielle.
- Prenons un exemple. Aujourd’hui, après 10 ans au sein de la même entreprise, un salarié licencié se voit ouvrir un droit à indemnisation de 2 ans. Après un an et demi de recherche, il décroche un CDD de 6 mois, moins bien payé. Que faire ? L’accepter ? Mais s’il n’est pas reconduit, les 6 mois restants d’indemnisation ouverts par son premier emploi risquent d’être perdus. Demain, ces droits seront conservés.
Agir contre la précarité c’est prendre des mesures relatives au temps partiel, trop souvent subi. Le projet de loi est un pas en avant puisqu’il fixe une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, limite les horaires dispersés et crée une majoration salariale dès la première heure complémentaire effectuée. Le revenu des personnes concernées s’en ressentira mais aussi leur accès aux droits sociaux qui obéit à des seuils : indemnités journalières en cas de maladie, couverture chômage, formation professionnelle, validation au titre de la retraite. Désormais le « petit » temps partiel ne sera possible qu’à titre dérogatoire, à la demande du salarié ou par accord de branche si, et seulement si, l’organisation du travail est revue pour éviter les horaires dispersés. Ce progrès profitera tout particulièrement aux femmes, premières touchées par le temps partiel subi.
Bien sûr un tel changement n’est pas simple dans un certain nombre de secteurs d’activité qui reposent intrinsèquement sur du temps partiel, nous aurons à en débattre, mais les partenaires sociaux se sont montrés ambitieux, suivons-les !
Au passage, je ne résiste pas à souligner les points communs mais aussi les différences avec la reforme du marché du travail en Allemagne, que d’aucuns citent en exemple. Aux côtés d’actions remarquables de sauvegarde de l’emploi dont nous pouvons nous inspirer, nos amis allemands ont développé une stratégie de « petits boulots » précaires et sans droits, ce qui a créé une dualité insupportable sur laquelle d’ailleurs ils s’efforcent de revenir. L’accord et le projet de loi tournent le dos à cette approche de précarisation absolue et, au contraire, renforcent les droits des précaires, tirant les leçons de l’Allemagne.
** Sécuriser l’emploi passe aussi par des droits nouveaux pour les salariés qui en sont privés, notamment les précaires ou les salariés des PME.
Et le premier de ces droits, c’est le droit à la santé via la généralisation de la couverture complémentaire collective et sa portabilité. 4 millions de salariés n’avaient pas accès à une complémentaire collective cofinancée par leur employeur, et plus de 400 000 salariés s’en passaient totalement faute de pouvoir y souscrire individuellement. Ce n’était pas admissible !
Ces salariés, qui sont-ils ? Pas des cadres ou des salariés de grandes entreprises, non, ce sont les précaires, les mères célibataires, ceux qui alternent petits boulots et chômage. C’est pour eux que nous agissons et c’est pour eux que la complémentaire obligatoire – qui n’est ni un gadget ni un luxe – a du sens.
La négociation sera privilégiée pour mettre en place cette complémentaire mais, si aucun accord de branche puis d’entreprise n’est trouvé d’ici là, sa mise en place sera effective au 1er janvier 2016. Elle n’a donc rien de virtuel, pas plus qu’elle ne sera une manne pour les assurances privées : les branches pourront émettre des recommandations sur le choix de l’organisme et désigner des organismes assurant un régime mutualisé au sein de la branche.
Oui, demain, les salariés auront une meilleure protection face à la maladie
Autre avancée importante : le compte personnel de formation transférable. Ce compte suivra le salarié tout au long de son parcours, fût-il fait de multiples changements. Aujourd’hui quitter son emploi occasionne souvent une perte de ses droits à la formation, alors que c’est à ce moment que la formation est la plus nécessaire. Voilà une réponse par le haut, en phase avec de nouvelles réalités du travail, la fin de la carrière à vie, « les 40 ans dans la même boîte ».
Cette approche, nous sommes nombreux à en rêver depuis des années. Objet de colloques innombrables et de revendication de tous les syndicats, attente de nos concitoyens : ce sera demain, grâce à vous, une réalité. La loi pose les principes. Sur ce socle l’édifice à construire va mobiliser les partenaires sociaux, l’Etat et les régions, pour aller vers ce compte personnel universel, pilier central de la « sécurité sociale professionnelle ». Un chantier désormais bien engagé.
Dans ce même esprit de sécurisation des parcours, le texte crée un droit à la mobilité professionnelle sécurisée, pour pouvoir tenter une expérience dans une autre entreprise et revenir ou rester selon le souhait du salarié ; ou encore un conseil en évolution professionnelle.
Oui, demain, nous aurons de quoi permettre la mobilité dans la sécurité
*** Au-delà de ces progrès évidents, la profonde nouveauté de ce texte, est de donner aux acteurs économiques et sociaux, la capacité de préserver ensemble l’emploi. C’est le point dur du texte. Nous en débattrons, non pas sur les slogans et fantasmes, mais sur le contenu réel de la loi.
Aujourd’hui, faute d’anticipation suffisante des évolutions de l’activité et des compétences, faute d’information satisfaisante des salariés, faute de négociations avec les partenaires sociaux dans les entreprises, celles-ci n’anticipent pas assez les crises, ou cachent leur situation jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Alors, au pied du mur, il n’y a qu’une seule solution : licencier. La faiblesse de notre marché du travail est beaucoup là : l’emploi est trop souvent la variable d’ajustement. C’est ce que j’appelle « la préférence française pour le licenciement ».
Le sens de la loi, c’est de changer cette donne qui ne sert au fond personne, ni les entreprises, ni les travailleurs. Elle offre des alternatives au licenciement : accords de maintien de l’emploi, activité partielle, mobilité.
Voilà jetées les bases du nouveau modèle français, un modèle capable de rechercher plus de compétitivité en combattant l’insécurité juridique et la peur d’embaucher, mais qui le fait non pas en précarisant davantage, mais en anticipant davantage, en sécurisant davantage les parcours professionnels, tout en apportant des garanties collectives nouvelles.
A ceux qui rêvent d’un « big bang » social, je dis que la réalité s’est dérobée sous leurs pieds, ce soir du 11 janvier 2013. Ils croyaient incarner la modernité, ils sont en vérité terriblement archaïques, si loin de ce que le patronat et les syndicats sont capables de construire ensemble. Ils croyaient que notre pays ne pouvait pas se réformer par le dialogue. Ils avaient tort. Les entreprises ne cherchent pas la flexibilité à tout prix, elles ont besoin de stabilité juridique. Elles ne cherchent pas tant à licencier facilement qu’à gérer leurs talents et leurs compétences avec des capacités d’adaptation et de mobilité. Elles ne cherchent pas une main d’oeuvre corvéable à merci, mais comprennent l’intérêt d’avoir des salariés mieux formés et protégés. C’est tout cela que nous dit, aussi, l’accord du 11 janvier. La France est un pays qui a patiemment construit son modèle social. C’est une part de notre identité. On ne raye pas d’un trait de plume un siècle et demi de combats sociaux pour le dernier terme à la mode. Non, la France doit tracer sa route, affirmer son modèle. Un modèle social « made in France », et sa caractéristique, c’est qu’il est négocié. Alors j’en viens naturellement aux pouvoirs de négociation qui seront donnés, demain, aux acteurs pour anticiper et accompagner les mutations économiques et in fine sauver et développer les emplois. Je le dis à tous prenez ce pouvoir de négocier ! Prenez ce pouvoir d’éviter, par la négociation, que des emplois soient détruits.
Les accords de maintien de l’emploi permettront demain de trouver une alternative au licenciement, tout en apportant des garanties solides aux salariés :
- D’abord, première garantie, la difficulté conjoncturelle de l’entreprise doit être avérée, appuyée sur un diagnostic dressé avec les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise,
- Ensuite, deuxième garantie, l’accord devra être signé par des syndicats représentant la majorité des salariés. Ce qui veut dire que si le chef d’entreprise veut un accord, il devra convaincre la majorité de s’engager ! C’est une garantie particulièrement forte.
- Troisième garantie, ces accords auront une durée ne dépassant pas 2 ans et, dans ce temps imparti, l’entreprise ne pourra pas licencier.
- Quatrième garantie : les plus bas salaires (ceux qui se situent en deçà de 1,2 SMIC) ne pourront pas, même temporairement, être concernés et aucun salaire ne sera diminué en-dessous de 1,2 SMIC.
- Cinquième garantie à laquelle je tiens particulièrement : s’ils demandent des efforts aux salariés, les dirigeants et actionnaires devront en faire aussi, notamment en termes de rémunération.
- Enfin, sixième garantie, tout salarié qui refuserait de se voir appliquer personnellement un tel accord collectif ne pourra être considéré comme « démissionnaire » ou licencié pour motif personnel. Il s’agira d’un licenciement économique avec accès aux mesures de reclassement comme le contrat de sécurisation professionnelle.
Voilà qui tranche avec « feu » les accords compétitivité emploi ! Outre les accords de maintien de l’emploi, l’activité partielle sera simplifiée et fondue dans un dispositif unique et lisible. Nous avons besoin d’utiliser davantage ce type de dispositif pour passer les moments difficiles sans sacrifier les compétences accumulées. D’autres que nous ont su le faire mieux que nous ailleurs en Europe : à notre tour nous pouvons faire mieux !
Autre grande innovation de ce texte, la capacité d’anticipation renforcée dans les Institutions Représentatives du Personnel (IRP) et vis-à-vis des représentants du personnel. Les salariés seront désormais mieux informés et consultés, en disposant d’une base de données qui rassemble et actualise toutes les informations utiles. Et ils débattront des orientations stratégiques de l’entreprise. Si chacun joue le jeu, et se saisit loyalement de ces nouvelles dispositions, la nature du dialogue social interne en sera changée.
Enfin, des représentants des salariés feront leur entrée dans les conseils d’administration des grandes entreprises (5000 salariés en France et 10 000 dans le monde), et participeront, pleinement, comme administrateur, à la gouvernance. Environ 1 salarié sur 4 est concerné. Je sais les craintes que génère cette révolution pour les Conseils d’Administration ou de Surveillance d’entreprises cotées, avec parfois des actionnaires étrangers au conseil, mais je certifie que dans quelques années chacun trouvera cette présence naturelle. Je sais aussi l’impatience d’une partie d’entre vous qui souhaiterait aller encore plus loin. Mesurez d’ores et déjà l’avancée majeure que représente cette entrée des salariés dans les conseils d’administration. Ce n’est pas un modeste premier pas, c’est une percée décisive. Après la lutte contre la précarité, après les droits nouveaux, après la mobilité, après les outils de maintien de l’emploi, après l’anticipation et la gouvernance, j’en viens à la façon de gérer les restructurations lorsque, hélas, il n’est plus possible d’éviter des suppressions d’emploi.
Le projet de loi refonde radicalement la procédure du licenciement collectif.
Demain, pour mettre en place un PSE, deux options et deux options seulement s’ouvriront :
- Soit un accord majoritaire vaudra PSE, ce qui signifie que l’entreprise mettra les moyens pour convaincre les organisations représentant plus de 50% des salariés à s’engager sur le plan négocié,
- Soit une homologation par l’Etat du PSE proposé par l’entreprise. L’Etat s’assure alors que l’entreprise consacre les moyens nécessaires, proportionnés à sa situation, au plan social et respecte ses obligations.
- D’un côté, toujours cette logique privilégiée du dialogue social, avec la garantie renforcée de l’accord majoritaire. Et en échange bien sûr une plus grande simplicité, rapidité et sécurité du plan.
De l’autre le retour de l’Etat, près de 30 ans après la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, un Etat garant qui va s’assurer que l’entreprise agit pour minimiser les impacts du PSE pour les salariés.
L’Etat ira vite pour rendre sa décision, parce que dans ce type de situation ce qui compte ce n’est pas de « gagner du temps », de retarder le plus possible les décisions, c’est de peser sur ces décisions pour que celles-ci prennent mieux en compte le reclassement, l’accompagnement, la réindustrialisation.
C’est cela qu’attendent les salariés, pas des victoires hypothétiques devant un juge 3 ans après, quand l’usine a disparu ; c’est cela qu’attendent les entreprises qui préfèrent un effort supplémentaire contractualisé à une incertitude totale.
Il est faux de prétendre que le licenciement sera plus facile. Tout comme l’accord majoritaire, l’homologation administrative est une avancée pour les salariés. L’Etat ne pouvait jusqu’alors que donner un avis. Demain, sans sa décision d’homologation, rien ne pourra se faire. Pour les entreprises, les procédures seront cadrées juridiquement et dans le temps. C’est la condition pour trouver des terrains d’entente.
Je récuse par ailleurs l’expression de « déjudiciarisation » utilisée à propos de ce texte, car elle est trompeuse si elle est assimilée à la suppression de la possibilité de faire appel au juge pour faire valoir ses droits. Ce n’est pas de cela dont il s’agit ici, mais de l’encouragement à trouver par le dialogue social une autre voie, plus sûre et plus équilibrée, qui rende aussi inutile que possible le recours au juge, juge qui restera un droit pour chacun qui voudra contester l’accord, l’homologation ou le refus d’homologation, comme pour chaque salarié à l’issue d’un licenciement s’il veut en contester le motif. Dans notre société démocratique chacun, évidemment, a droit à un juge !
Voilà pourquoi les nouveaux pouvoirs de négocier ont du sens, à la condition ultime que l’Etat d’une part et notre système judiciaire d’autre part, restent, au final, garants du respect de l’ordre public social et de la faculté de chacun de faire valoir ses droits devant un juge.
Mais j’entends parfois mise en doute la capacité de mon administration, les Direcctes, à remplir cette nouvelle mission. Je veux vous rassurer sur ce point, et rendre justice au professionnalisme des hommes et des femmes de ces services :
- ils suivront la nouvelle procédure dès son démarrage et pas à la fin,
- ils seront prêts, ils se seront formés, ils se seront organisés,
- ils seront exigeants vis-à-vis des projets de PSE qui leur seront soumis.
- Il n’y aura pas d’homologation « tacite » pour non-réponse au bout de 21 jours. Chaque demande sera instruite et fera l’objet d’une décision motivée et explicite, en référence à des orientations que je donnerai par voie de circulaire aux Direcctes.
- Je veux conclure en saluant le travail du Parlement qui a amélioré ce texte de progrès. Mesdames et messieurs les sénateurs, vous comprenez maintenant ma détermination farouche à vous demander d’adopter un texte de loi qui porte la sève nouvelle de la démocratie sociale en entreprise, un grand texte de progrès social qui apporte des réponses concrètes et équilibrées à l’urgence de l’heure : sécuriser l’emploi. Sécuriser pour éviter les licenciements ; sécuriser pour anticiper sans drame les mutations, sécuriser pour être prêts à saisir demain la croissance qui repartira. Et je m’autorise un dernier mot.
Je crois que notre société est fatiguée de la défiance et que cette loi ouvre un cycle de confiance. Je crois que les acteurs ne sont pas des enfants, mais au contraire des gens remarquables et capables d’être responsables pour peu qu’ils aient des responsabilités. Pourquoi faudrait-il toujours se situer dans l’univers de la suspicion, de la dérive, du vice, du travers ou de la régression pour craindre, et craindre encore à défaut d’essayer de trouver des solutions et les voies la liberté, voire du bonheur.
Je vous remercie.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 19 avril 2013