Déclarations de MM. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, et Pascal Canfin, ministre du développement, sur la situation au Mali, à l'Assemblée nationale le 22 avril 2013.

Prononcé le

Circonstance : Débat sur la poursuite de l’engagement français au Mali, à l'Assemblée nationale le 22 avril 2013

Texte intégral


- Le ministre des affaires étrangères
Monsieur le Président, après le Premier ministre, à la suite de vos interventions, Mesdames, Messieurs les Députés, je voudrais à mon tour rendre hommage à nos armées. C'est un hommage parfaitement justifié, auquel, je pense, nos soldats seront sensibles.
Je veux aussi vous remercier toutes et tous de votre soutien à la proposition du gouvernement de prolonger la mission qui est la nôtre au Mali, même si j'ai compris qu'un groupe faisait exception - il a du reste annoncé la couleur dès la première phrase puisque son orateur, M. Candelier, a commencé son intervention par : «J'ouvre le feu». Le fait que l'Assemblée nationale à présent et le Sénat tout à l'heure apportent un soutien quasi-unanime à l'action de la France au Mali est un élément important dans le succès de cette opération.
Après moi s'exprimeront mes collègues Jean-Yves Le Drian et Pascal Canfin. Je voudrais pour l'heure répondre, en les remerciant, aux orateurs qui sont intervenus et évoquer trois sujets principaux.
Premièrement, essayons - parce qu'il faut commencer par là - de comparer, la mémoire étant parfois défaillante, la situation où nous sommes aujourd'hui avec la situation dans laquelle nous nous trouvions au début du mois de janvier de cette année. Il y a quatre mois à peine.
Au début du mois de janvier, voilà que trois groupes terroristes - AQMI, MUJAO, Ansar Dine - décident de faire mouvement vers Bamako pour prendre le contrôle de l'État malien, action imprévisible car si deux de ces groupes terroristes avaient fait connaître de longue date leurs intentions, le troisième était censé pouvoir entrer en négociation et aller dans le bon chemin. Pas du tout, en réalité. Quand les trois groupes, ayant fait alliance, marchent sur la capitale, le président Traoré s'adresse au président français en des termes qui signifient : si la France n'intervient pas immédiatement, demain, dans la meilleure des hypothèses j'irai en prison ou bien je serai mort. Le président français a donc eu quelques heures pour prendre sa décision.
Dès lors, l'argument soulevé par tel ou tel d'entre vous - argument que je comprends parfaitement - selon lequel il aurait été opportun qu'une discussion ait lieu à l'échelle européenne en vue d'une intervention de plusieurs pays européens est malheureusement sans objet. Nous avons suivi tout cela avec mon collègue et ami Jean-Yves Le Drian : c'était la décision de la France.
Vous avez bien voulu rendre hommage au fait que grâce à nos armées, les groupes terroristes ont été repoussés puis décimés. Et aujourd'hui, même si toutes les actions nécessaires sont loin d'être accomplies - soyons lucides et objectifs -, il faut voir, premièrement, que les groupes terroristes sont repoussés, deuxièmement, que les villes sont dans leur quasi-totalité sous contrôle, troisièmement, que l'intégrité territoriale du Mali est rétablie et enfin, quatrièmement, que la communauté internationale va se prononcer vraisemblablement cette semaine pour que la situation passe sous le contrôle des Nations unies.
Réaliser un tel changement en quatre mois, je pense que c'est un résultat dont nous tous qui avons soutenu ce mouvement pouvons légitimement être fiers, même si aucun d'entre nous ne peut s'en satisfaire car le processus n'est pas terminé.
Deuxièmement, j'évoquerai les trois volets selon lesquels nous avons pris l'habitude - légitime, je pense - d'aborder les questions qui se posent au Mali : la sécurité, le développement, la démocratie. Nous sommes en effet tous d'accord pour dire que ce sont ces trois volets qu'il faut réunir pour parvenir à une solution durable.
Au plan de la sécurité - question sur laquelle M. le ministre de la défense reviendra plus en détail - je voudrais dire quelques mots sur l'opération de maintien de la paix, qui nous intéresse tous.
La France a présenté il y a de cela plusieurs semaines un projet de résolution. Il est actuellement en voie de finalisation et selon toute vraisemblance - mais restons prudents, il peut toujours y avoir des retards -, il devrait être adopté mercredi ou jeudi à l'unanimité aux Nations unies. Voilà qui apporte une nuance aux reproches relatifs à l'isolement de la France : quand la totalité des membres du Conseil de sécurité - dont on connaît la diversité des positions - soutient la position de la France, on peut dire que celle-ci est assez entourée dans son isolement.
Cette opération de maintien de la paix, placée sous le chapitre VII, devrait donc être décidée. Elle prévoit une substitution de la MINUSMA - nouveau sigle qu'il va nous falloir apprendre - à la MISMA, à hauteur de 12.000 hommes environ, l'accompagnement des opérations de stabilisation - puisque c'est de cela qu'il s'agit - et un accompagnement du processus électoral, tout cela sous le contrôle d'un représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies.
Quel sera le rôle de la France ? Elle sera présente à la fois par sa participation à l'état-major directement rattaché à la MINUSMA et par l'intermédiaire d'éléments placés sous son propre commandement, dans une espèce de prolongement de l'opération Serval. Il est question, dans ce cadre, d'un millier d'hommes au total, qui, en termes clairs, pourront venir en soutien de la MINUSMA si cela est nécessaire, et qui pourront empêcher que les groupes terroristes ne reviennent. Car là est l'essentiel, Mesdames et Messieurs les Députés. Au-delà de toutes les formulations juridiques que l'on peut avoir, gardons à l'esprit qu'il faut à la fois stabiliser la situation qui prévaut aujourd'hui au Mali et empêcher que les groupes terroristes ne reviennent. Les Nations unies agiront pour une part, mais nous nous situons dans le cadre de ce que l'on appelle une opération de maintien de la paix et - on peut le regretter ou pas -, certains éléments ne peuvent être mis en action qu'en dehors de cette opération.
La France fournira donc ce que nous préférons appeler une force d'appui plutôt qu'une force parallèle - parallèle à quoi, d'ailleurs ? -, qui agira à travers les unités stationnées au Mali même et, le cas échéant, à travers les troupes prépositionnées afin qu'en aucun cas, les groupes terroristes ne puissent revenir.
Le vote interviendra donc ces jours-ci et trouvera à s'appliquer deux mois plus tard. Au début du mois de juillet, si tout se passe comme cela est souhaité et prévu, la substitution pourra donc avoir lieu.
S'agissant du développement, M. Canfin, qui suit ces questions avec beaucoup de compétence et de précision, expliquera ce qui a déjà fait - la reprise de l'aide - et ce qui est prévu dans le cadre de la conférence du 15 mai. L'un d'entre vous - M. Morin, je crois - insistait sur le fait qu'il faudrait une conférence consacrée à l'aide au développement économique du Mali. C'est précisément l'objet de cette conférence qui sera présidée à Bruxelles à la fois par le président Barroso et le président de la République française.
Il faut assurer la sécurité, il faut prévoir les conditions du développement, mais il faut aussi avancer sur la voie de la démocratie. Cela recouvre au Mali deux éléments : d'abord la commission Dialogue et réconciliation, ensuite les élections.
La commission dialogue et réconciliation, même si elle a pris un peu de retard, a été constituée : elle compte trente-trois membres, un président, une vice-présidente et un vice-président que Mme Guigou et moi-même avons rencontrés. Leur tâche, comme vous le savez, est d'établir le dialogue, non pas en trois mois seulement même s'il leur faut très vite commencer, mais bien au-delà des élections présidentielles et législatives. D'après ce qui nous a été expliqué, il y aura des déclinaisons locales. Il s'agit non pas seulement d'organiser des discussions entre Bamako et les Touaregs ou le MNLA mais de mettre en place un processus d'ensemble qui n'a pas pu jusqu'à présent voir le jour, ce qui est l'une des causes des difficultés actuelles.
Ce que nous pouvons souhaiter, non pas simplement nous, Français, mais, nous, communauté internationale, c'est que les engagements ayant été pris, la commission mise sur pied se mette effectivement au travail. C'est ce que nous avons demandé aux autorités maliennes.
J'en viens au deuxième élément : les élections. La commission électorale a été constituée, l'Assemblée nationale malienne a adopté une feuille de route à l'unanimité indiquant que les élections présidentielles, et si possibles législatives, devraient avoir lieu au mois de juillet. Lors de mon dernier déplacement à Bamako, j'ai moi-même rencontré les chefs des principaux partis politiques. S'ils ont des avis quelque peu divergents concernant les élections législatives, ils sont tous d'accord pour que l'élection présidentielle ait lieu au mois de juillet. Les dispositions techniques sont prises - nous nous en sommes assurés - pour que cela soit possible.
Il est indispensable que les élections aient lieu à cette période. Car que se passerait-il si elles étaient retardées ? Nous savons que certains le souhaiteraient au Mali, mais nous ne devons pas rentrer dans le jeu de ceux qui voudraient que le processus qui a été initié échoue. S'il y avait un retard, alors, de plus en plus de gens se demanderaient si le président n'est pas un président de transition et si l'assemblée a une légitimité aussi durable que ce l'on dit. Et, de proche en proche, alors que désormais le calendrier et la feuille de route sont clairs, se créeraient des difficultés, dont certains - avec un «s», même si d'aucuns supprimeront peut-être le pluriel - pourraient essayer de profiter. Or, il n'en est pas question !
Par conséquent, il est bon que les principaux partis politiques commencent dès maintenant leur campagne et que certains candidats se soient déjà fait connaître, car il est très important qu'une légitimité nouvelle soit établie au mois de juillet. Non sans humour, le président Traoré, président de transition, nous faisait d'ailleurs remarquer, à Mme Guigou et à moi-même, qu'il n'était pas si fréquent - et donc remarquable - qu'un président de transition souhaite que des élections se tiennent rapidement alors qu'elles signifieront la fin de son mandat. Poursuivons donc dans ce sens, et faisons en sorte que ces élections se déroulent à la date convenue et dans de bonnes conditions.
Troisième élément, sans vouloir être trop long, concernant la question posée par plusieurs d'entre vous au sujet de notre isolement et de notre enlisement supposés.
Isolement : je ne le crois pas, même si je peux regretter, comme vous l'avez fait, que sur tel ou tel point, la Politique de défense et de sécurité européenne ne soit pas plus avancée qu'elle ne l'est. Même si cela aurait été souhaitable, il aurait sans doute été un peu miraculeux que cette politique, limitée comme nous le savons, soit tout d'un coup capable d'aller aussi loin que certains l'espèrent concernant le Mali.
Par ailleurs, rappelons-nous que c'est à l'unanimité du Conseil de sécurité que la résolution 2085 a été votée au mois de décembre, tout comme le sera également, très probablement, la nouvelle résolution votée dans quelques jours.
De plus, vous l'avez tous remarqué lors de vos déplacements en Afrique, l'ensemble des pays de l'Union africaine soutiennent de manière unanime l'opération française. De même, lors du sommet du dialogue «5+5» entre le Nord et le Sud de la Méditerranée auquel la France a participé, tous les pays présents ont rendu hommage à l'opération française.
Même si, encore une fois, l'on peut regretter certaines lacunes ou certains retards, cet isolement n'existe pas : politiquement et diplomatiquement, le travail a été fait.
Cela étant, j'ai entendu les suggestions de M. Le Roux et d'autres de ses collègues, souhaitant que l'Europe prenne en considération l'effort spécifique de la France. Cet effort étant, il est vrai, très important, je pense que cette demande n'est pas illégitime.
Concernant la question de l'enlisement, je ne suis pas d'accord : le président de la République a dit très clairement, dès le début - au risque de heurter certains Maliens -, que nous n'étions pas là pour l'éternité, qu'il était très important que nous fassions le travail que nous avons à faire, mais qu'ensuite il y aurait une décrue progressive et pragmatique de nos troupes ; et c'est ce que nous faisons.
Le relais sera pris par les troupes africaines, puis par les Maliens. L'Europe est d'ailleurs en train de former l'armée malienne dans des conditions très efficaces, sous l'autorité d'un Français, le général Lecointre, formant tous les deux mois et demi un nouveau bataillon.
Si la France fait preuve de ténacité, il n'y a évidemment pas d'enlisement. Il y a un rassemblement à l'initiative de la France, mais pas d'isolement.
Pour terminer, j'aborderai trois sujets. Premier point : pourquoi la communauté internationale apporte-t-elle un tel soutien, et notamment - mais pas seulement - la communauté africaine ? C'est que tous les pays d'Afrique ont compris qu'aucun développement ne serait possible pour ce continent d'avenir si les questions de terrorisme et de narcoterrorisme n'étaient pas maîtrisées. Tous les pays - j'insiste : tous les pays - peuvent être sujets à ce mal terrible.
Dans les grottes des Ifoghas où ont pénétré nos armées, ont été trouvés des documents montrant de la façon la plus claire qu'une grande partie des terroristes de Boko Haram au nord du Nigeria étaient formés au Nord-Mali. Nous constatons malheureusement qu'il existe partout des groupes qui, si l'on ne bloque pas leur expansion, seraient capables d'endiguer totalement le développement de l'Afrique et de mettre en coupe réglée et dramatique les populations.
Si l'action de la France a été soutenue à un tel point, c'est parce que tous ces pays ont compris que si nous n'avions pas agi comme nous l'avons fait, non seulement le Mali serait devenu un État terroriste, mais ce risque aurait également pesé sur les États circonvoisins.
Deuxième point, même si ce n'était absolument pas le but de notre intervention, chacun peut se féliciter que celle-ci ait renforcé d'une façon singulière la puissance d'influence de la France.
Quand désormais nous parlons de ce que nous entendons faire ou de ce que nous sommes capables de faire sur tel ou tel point, je sens - et je ne crois pas me tromper - que la France est entendue d'une façon tout à fait particulière, tant par les États-Unis d'Amérique que par la Turquie, les pays d'Amérique du Sud, les pays d'Afrique ou la Russie. Le fait que la quasi-totalité de l'Assemblée nationale ait soutenu et s'apprête de nouveau à soutenir cette intervention renforce encore cette puissance d'influence.
Enfin, troisième et dernier point, nous avons réalisé en quatre mois, tous ensemble, un travail utile pour le Mali, pour l'Afrique et, d'une façon générale, pour la communauté internationale. La guerre, assurément, est en voie d'être gagnée ; mais, ainsi que le rappelait le Premier ministre au début de son propos, il reste à gagner la paix.
Vous avez posé des questions parfaitement légitimes : nous essayons d'y répondre et, tous ensemble, de gagner la paix.
- Le ministre de la défense
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je souhaite dire quelques mots en complément de ce que vient de dire le ministre des affaires étrangères.
Tout d'abord, en tant que ministre de la défense, je tiens à rendre un hommage à nos forces, et à vous remercier pour l'hommage que vous avez leur avez vous-mêmes rendu. Leur professionnalisme, leur courage, leur efficacité sont reconnus par tous. Chacun s'accorde à constater que le contrat opérationnel a été rempli ; chacun reconnaît le succès de l'intervention.
Je vous remercie d'avoir bien voulu évoquer la mémoire des cinq soldats français morts au cours de l'intervention. Avec votre permission, je souhaite associer également les trente-six soldats tchadiens qui ont trouvé la mort dans le combat commun que nous avons mené, et que nous menons encore, ainsi que les soldats maliens morts à Mopti, à Sévaré et à Konna : telle est en effet la réalité de ces combats qui, au début de l'intervention, ont fait ces victimes.
La détermination dont ont fait preuve nos armées a été grandement encouragée par le soutien unanime de la nation, et notamment des groupes au Parlement : c'était une des conditions du succès que nous avons remporté.
Concernant les forces armées, je souligne que ces opérations, couronnées de succès, se sont déroulées dans des conditions très éprouvantes, ainsi que certains d'entre vous l'ont rappelé. En effet, nous n'avions pas un seul adversaire, un seul ennemi au Mali : nous affrontions bien entendu les groupes armés djihadistes, mais également la distance et le climat ; ce point est un peu trop souvent oublié lorsque l'on prend acte des succès.
Ainsi, concernant la distance, engager une opération de largage de parachutistes sur Tombouctou depuis le Gabon peut être comparé à un largage de parachutistes sur Moscou au départ de Paris ; or, c'est précisément ce que nous avons fait.
L'autre adversité tenait au climat : l'on a souligné à de nombreuses reprises les conditions extrêmement difficiles que nos soldats ont dû subir. Dans l'Adrar des Ifoghas, il fallait chaque jour vingt tonnes d'eau pendant l'opération, acheminées par gros porteurs, pour assurer les dix litres d'eau par homme et par jour nécessaires pour continuer les opérations.
Les contraintes étaient donc extrêmement lourdes, et le succès dû à une manoeuvre menée avec habileté pour la rendre compatible avec les contraintes logistiques : c'est tout le sens de l'action initiée grâce à la compétence des chefs qui ont mené ces opérations.
En un peu plus de quatre-vingt dix jours, nos forces armées ont anéanti une redoutable machine militaire terroriste très structurée. Les pertes de l'adversaire ont été très significatives ; mais plus que le nombre des djihadistes neutralisés, l'important est que nous avons détruit les principaux fondements d'une puissance militaire en gestation. Des stocks d'armes, de matériels, de munitions, par centaines de tonnes, ont ainsi été éliminés, de même que des zones de ravitaillement et des camps d'entraînement.
Le bilan est donc positif : les deux objectifs fixés par le président de la République à l'opération Serval - d'abord stopper l'offensive AQMI, puis libérer le territoire malien - sont aujourd'hui quasiment atteints avec les dernières opérations que nous menons dans l'extrême nord-ouest du pays.
L'ensemble du territoire malien est libéré de la menace, celle-ci étant aujourd'hui réduite à des opérations suicidaires asymétriques dans quelques zones, qu'il convient encore de surveiller de près.
Nous avons donc franchi un pas très important dans la stratégie de libération du Mali et d'éradication des terroristes. Nous ne l'avons pas fait seuls : au-delà du soutien politique, nous avons également reçu très rapidement un soutien logistique de la part des pays européens, en particulier des Britanniques, des Belges, des Allemands, des Danois, des Espagnols et des Néerlandais : ils nous ont ainsi permis d'assurer la logistique, élément très important de l'opération menée au Mali.
Nous n'agissons pas seuls, parce que dans la mission de reconstruction de l'armée malienne, l'effort européen dépasse très largement les deux tiers de la participation au sol d'instructeurs et de protecteurs. Cette mission essentielle a ainsi commencé, permettant à l'armée malienne de prendre à terme le relais de la future MINUSMA.
Même si l'on peut considérer que l'Europe de la défense a montré qu'elle n'existait pas fondamentalement aujourd'hui - ce que nul n'ignorait -, il n'empêche que la solidarité a joué et que, dans le domaine de la logistique, du ravitaillement et du renseignement, l'appui de nos alliés et de nos amis européens a été essentiel.
Aujourd'hui, la mission des forces armées poursuit trois objectifs concrets : tout d'abord, maintenir la pression sur les groupes terroristes afin d'éviter qu'ils ne se recomposent ; ensuite, accompagner et appuyer la force de l'ONU qui va bientôt prendre le relais de notre action dans sa mission de stabilisation au Mali, ainsi que l'indiquait tout à l'heure Laurent Fabius ; enfin, accompagner la reconstruction et l'engagement opérationnel de l'armée malienne.
L'ensemble de ces trois missions concentre aujourd'hui l'action de nos forces armées. Or il n'est pas nécessaire, pour mener à bien ces missions, de conserver 4.000 hommes sur le territoire malien.
Conformément aux engagements pris, nous commençons donc une réduction progressive. Si nous avons compté jusqu'à 4.500 hommes au moment de l'opération dans l'Adrar des Ifoghas, nous avons maintenant, à la fin de la semaine, 3.850 hommes, et nous descendrons progressivement dans le courant de l'été en dessous des 2.000 hommes.
Nous conserverons une force d'environ 1.000 militaires français sur le territoire malien, qui seront présents dans la future MINUSMA, dans l'UETM Mali - la formation de l'armée malienne - et, pour l'essentiel, soit 750 à 800 militaires, dans ce que j'appellerai une «opération Serval adaptée», en accompagnement de la présence de la MINUSMA sur le territoire malien. Cet accompagnement consistera en apport, en soutien, en interventions potentielles, sur une durée qui restera à apprécier en fonction de la situation, et à laquelle il ne faut donc pas mettre un terme maintenant.
Cette force sera en outre accompagnée de forces prépositionnées tant à N'Djamena, à Niamey qu'à Ouagadougou, susceptibles d'intervenir en complément, grâce notamment à l'aéromobilité.
Telles sont les précisions que je souhaitais apporter eu égard aux questions qui ont été posées.
J'en viens aux leçons que l'on peut déjà tirer de l'opération Serval.
D'abord, la réactivité de nos forces a été très efficace et l'articulation entre la manoeuvre terrestre et la manoeuvre aérienne a été excellente.
Ensuite, le prépositionnement a montré ses avantages au tout début des opérations.
Mais il y a aussi des lacunes, et on les connaissait. Elles sont un peu historiques et ont été rappelées sur tous les bancs de cette assemblée. Il faudra certainement y remédier, que ce soit en matière de renseignement - nous manquons de drones -, de ravitaillement, de transport et s'agissant des hélicoptères de manoeuvre.
Tout cela forme un ensemble qui, j'en suis convaincu, fera l'objet de discussions et de débats entre nous dans l'avenir.
Je suis déterminé à ce que l'Europe de la défense puisse se construire. Certes, elle a montré ses insuffisances, mais cette opération a permis une prise de conscience et je suis convaincu que la décision, à la fin de l'année dernière, de réunir un Conseil européen de défense est liée à la montée de ces menaces et que, lorsqu'il se réunira à la fin du mois de décembre, il sera porteur de nouvelles orientations et d'une nouvelle crédibilité de l'Europe de la défense. En tout cas, c'est ce à quoi nous allons nous employer dès à présent.
Enfin, les succès militaires de nos forces armées ont permis de passer désormais dans une nouvelle phase, à la fois diplomatique, politique et de développement, qui concerne l'ensemble de la politique française. Le soutien que vous apportez au maintien de nos forces est un élément important pour la bonne réussite de l'intervention au sens global du terme, c'est-à-dire pour permettre au Mali de retrouver son intégrité et sa sérénité.
- Le ministre délégué chargé du développement
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Députés, comme l'a fait Laurent Fabius, je veux rappeler le triptyque qui structure notre action : le militaire, le politique et le développement. Pour ma part, je développerai davantage les modalités et les objectifs de notre politique de développement au Mali.
La première modalité concerne bien évidemment notre aide bilatérale. Nous avons annoncé la reprise de cette aide de 150 millions d'euros qui avait été gelée par le précédent gouvernement dans des conditions parfaitement légitimes dans le cadre européen. Cette somme permettra de financer des projets qui avaient été stoppés du fait de l'arrêt du financement. Je pense notamment à une station de pompage à Bamako qui permettra à 100.000 habitants d'avoir accès à l'eau potable dans les prochains mois.
D'autres exemples concrets reposent sur des réalités qui ont changé. Par exemple, il faut rétablir l'eau et l'électricité à Tombouctou. C'est aussi l'une des conditions de la sécurité puisque quand il fait nuit noire, il est plus facile de déstabiliser une ville. Il y avait zéro minute d'électricité à Tombouctou il y a quelques mois, contre six heures par jour maintenant grâce à notre aide publique au développement et à nos actions par le biais soit d'organisations non gouvernementales soit des Nations unies.
Le deuxième pilier, ce sont les collectivités locales. Nous avons organisé à Lyon, le 19 mars, une réunion à laquelle participaient plus de 100 collectivités locales. Au Mali, une ville sur six a un partenariat, une coopération avec une collectivité locale française. C'est un canal essentiel pour faire circuler notre aide publique au développement de manière efficace. Les collectivités locales visent d'abord les services publics locaux, la santé, l'éducation, au bénéfice direct et immédiat des populations.
Le troisième pilier, c'est la diaspora. Le 10 avril dernier, à Montreuil, nous avons réuni plusieurs centaines de représentants des diasporas maliennes en France, en Belgique, mais aussi ailleurs en Europe, au Canada et en Côte d'Ivoire, afin de voir comment mieux mobiliser les diasporas au service du développement du Mali. Vous le savez sans doute, l'argent des diasporas, des 120.000 Maliens ou franco-maliens qui vivent en France est, dans certaines régions, bien supérieur aux flux financiers de l'aide publique au développement. C'est donc un enjeu majeur en termes de développement économique local.
Le quatrième pilier, c'est bien évidemment l'Europe. Je tiens à saluer le fait que, la semaine dernière, nous avons réussi à nous mettre d'accord sur une aide budgétaire de 225 millions d'euros qui vient compléter les aides d'urgence. Nous en sommes déjà aujourd'hui à un paquet de 300 millions d'euros qui provient de l'Union européenne et qui sera affecté très rapidement pour le retour de l'État, le déploiement des services publics et, bien évidemment, le développement économique du Mali.
Le dernier pilier auquel plusieurs d'entre vous ont fait référence, c'est la conférence qui aura lieu le 15 mai prochain, à Bruxelles. Nous avons souhaité, avec Laurent Fabius, que cette conférence ait lieu là-bas, pour bien montrer l'engagement de l'Union européenne sur la politique de développement. Cette conférence sera coprésidée par la France et par l'Union européenne, par François Hollande et José Manuel Barroso. Nous mobilisons aujourd'hui l'ensemble de la communauté internationale pour avoir le maximum d'ambition possible le 15 mai à Bruxelles.
J'étais, la semaine dernière, à New York, pour travailler sur la mobilisation de la Banque mondiale. Je serai, ce week-end, à Bamako, pour préparer cette conférence avec la société civile malienne, de façon que le plan de développement qui sera proposé et sur lequel nous nous mettrons d'accord le 15 mai recueille le consensus le plus large dans la société malienne, qu'il ne s'agisse pas uniquement d'un exercice technocratique ou bureaucratique mais bien d'un plan d'accord politique. L'objectif de cette conférence, c'est de se mettre d'accord sur le financement des deux prochaines années s'agissant des demandes des Maliens en matière de développement économique et de services publics, de lutte contre l'extrême pauvreté, d'agriculture, d'éducation, et de santé.
L'enjeu à Bruxelles est déterminant puisque nous pouvons réussir, grâce à cette conférence, la mobilisation de la communauté internationale en faveur du Mali pour les deux prochaines années.
Au-delà des aspects quantitatifs, il y a aussi les aspects qualitatifs. Il faut le reconnaître, nous n'avons pas toujours réussi, par le passé, à faire que cette aide publique au développement lorsqu'elle était quantitativement suffisante soit qualitativement pertinente. En matière d'agriculture et de lutte contre les effets du changement climatique, nous pouvons progresser s'agissant de la qualité de notre aide publique, et c'est ce que nous avons d'ores et déjà commencé à faire au niveau bilatéral.
Il faut veiller également à ce que cette aide aille bien aux populations locales. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, dans le passé toute l'aide internationale n'est pas forcément allée à ces populations ; il a pu y avoir des pertes en ligne parfois importantes. Il est de notre responsabilité, au-delà de la mobilisation de la communauté internationale, de faire en sorte que cette aide soit bien affectée aux populations. C'est pourquoi nous adopterons - nous sommes en train d'y travailler, nous l'annoncerons mi-mai - des solutions innovantes pour s'assurer de la traçabilité et du contrôle de l'aide publique. Nous le devons aux citoyens maliens, pour qu'ils voient le bénéfice de cette aide, mais aussi aux contribuables français parce que dans les temps de contraintes budgétaires que nous connaissons tous, il faut montrer en permanence l'efficacité, l'utilité, la légitimité de cette aide publique.
Je conclurai sur une équation qui a déjà été évoquée par certains et derrière laquelle nous pouvons tous nous retrouver : pas de développement sans sécurité, pas de sécurité sans développement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 30 avril 2013