Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à Europe 1 le 7 mai 2013, sur la situation économique et la bilan d'un an de gouvernement socialiste.

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Média : Europe 1

Texte intégral


CAROLINE ROUX
Est-ce que vous faites le pont du 8 mai ?
MICHEL SAPIN
Je prendrai quelques jours de repos !
CAROLINE ROUX
Vous savez que la France va s’arrêter pendant 4 jours, est-ce que vous connaissez le coût des ponts du mois de mai pour l’économie française ?
MICHEL SAPIN
Eh bien vous le serinez depuis le début de la matinée, donc effectivement…
CAROLINE ROUX
Serinez, c’est comme ça que vous dites ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Eh bien parce que ce n’est pas nouveau, parce qu’on a l’impression que ceci a un coût alors qu’il s’agit de prendre des RTT, que les RTT on les prendrait de toute façon, bref il faut peut-être relativiser ce genre de chiffres.
CAROLINE ROUX
Alors ce sont des chiffres qui viennent de l’INSEE, on ne les a pas sortis comme ça de notre tête, 2 milliards d’euros, 0,1 point de PIB, est-ce que vous considérez que ce mois de mai est une difficulté pour les entreprises ?
MICHEL SAPIN
Mais non ! Pourquoi êtes-vous le nez sur un mois de mai et pas un autre. Donc, puisqu’on est dans les anniversaires – c’était la même difficulté le mois de mai précédent ou l’autre mois de mai - puisque c’est comme ça, c’est ainsi et, chaque année, on a exactement les mêmes propos. Et alors il faut faire quoi ?
CAROLINE ROUX
C’est juste que la situation économique de la France a un peu changé ou pas ?
MICHEL SAPIN
Et, compte tenu de cela, on supprime le 1er mai, on supprime le 8 mai, on supprime le 9 mai, oui ? Eh bien vous allez voir ce que ça va donner ! Donc, non, soyons un peu plus raisonnables, ça n’empêche pas de reprendre des forces pour travailler plus encore après.
CAROLINE ROUX
Un sondage IFOP : 1 Français actif sur 2 serait d’accord pour renoncer à des jours fériés pour améliorer la situation du pays, c’est un chiffre que vous prenez au sérieux ou vous dites encore que ce n’est pas un sujet ?
MICHEL SAPIN
Je pense qu’il serait d’accord que son voisin renonce aux jours fériés.
CAROLINE ROUX
Est-ce que le travailler plus fait partie des leviers selon vous qui permettent de gagner en compétitivité ?
MICHEL SAPIN
Non ! Le travailler mieux, le travailler de manière plus organisée, le travailler avec une capacité d’investissement qui soi elle-même productrice d’emplois, le travailler pour mieux préparer l’avenir, oui ça c’est possible, mais le travailler plus c’est quelque chose qui a été dit auparavant et qui a mené à l’échec dans lequel nous avons trouvé la France il y a un an.
CAROLINE ROUX
Alors le travailler mieux ça va aussi être un sujet pour les membres du gouvernement, hier, pour marquer son premier anniversaire à l’Elysée, François HOLLANDE vous a mis la pression, il a annoncé que l’année prochaine doit être l’année des résultats. Alors en fait on se dit que cette année qu’on vient de passer comptait pour du beurre, vous n’aviez pas d’exigence de résultats ?
MICHEL SAPIN
Non ! Là aussi vous caricaturez, parce que d’abord ce n’est pas ce qu’il a dit et ce n’est pas ce que vous pensez. Mais quand on lance une politique nouvelle, il y a une première année qui est une année pendant laquelle on construit, pendant laquelle on invente une politique, on la fait débattre, on la discute, elle passe à l’Assemblée, ça met 3 mois, ça met 6 mois, on discute avec les partenaires sociaux, ça met aussi du temps, donc il faut un certain temps pour poser les bases d’une politique. Bien sûr tout le monde, vous la première, vous voudriez qu’il y ait des résultats la veille du jour où on a…
CAROLINE ROUX
Les Français ! Les Français tout simplement.
MICHEL SAPIN
La veille du jour où on a lancé la nouvelle politique, non ce n’est pas la veille du jour où on la lance, c’est plusieurs mois après que les résultats sont là, et donc c’est la deuxième année…
CAROLINE ROUX
Alors elle va ressembler à quoi cette année justement…
MICHEL SAPIN
C’est l’année des résultats effectivement.
CAROLINE ROUX
On va attendre les résultats ? Comment ça va se passer ? Prenons un exemple, qui est votre dossier et qui concerne en priorité les Français et qui est la priorité du chef de l’Etat - il l’a redit hier – l’emploi, comment ça va se passer cette année ? On attend les résultats…
MICHEL SAPIN
Non ! Non…
CAROLINE ROUX
Qu’on aurait semés l’année précédente ?
MICHEL SAPIN
Mais à vous écouter on serait là avec les bras ballants juste à compter les chômeurs chaque mois, vous savez bien qu’il n’en est rien, que ce n’est pas comme ça, ni aujourd’hui, ni hier, simplement depuis 5 ans il y a des chômeurs en plus tous les mois - ce n’est pas nouveau, ça ne date pas de notre arrivée au pouvoir, ce n’est pas pour autant que tout est la faute aux autres, nous sommes en responsabilité aujourd’hui - mais ça fait 5 ans que chaque mois les Français entendent qu’il y a des chômeurs en plus.
CAROLINE ROUX
Qu’est-ce qui change cette année ? Michel SAPIN ! Qu’est-ce qui change pour l’emploi ?
MICHEL SAPIN
Deuxième chose, nous avons mis en place des politiques nouvelles, que ce soit des politiques de croissance pour la France d’investissement, la Banque Publique d’Investissement, pour ce qui me concerne les Emplois d’avenir, les Contrats de génération, la sécurisation…
CAROLINE ROUX
Les outils sont là ?
MICHEL SAPIN
Eh bien oui ! Eh bien quand les outils sont là, pour reprendre une métaphore que tout le monde a beaucoup commentée, ensuite il faut que ces outils portent leurs fruits, il faut qu’on les utilise.
CAROLINE ROUX
Donc on attend les résultats, c’était ma question ?
MICHEL SAPIN
Mais non on n’attend pas ! On met en oeuvre, mettre en oeuvre une politique ça demande encore plus de travail que concevoir cette politique et, donc, nous sommes dans cette période-là.
CAROLINE ROUX
Un exemple précis pour que les choses soient bien claires, les Emplois d’avenir…
MICHEL SAPIN
Oui ! Eh bien…
CAROLINE ROUX
L’objectif c’est toujours le même : 100.000 à la fin de l’année ?
MICHEL SAPIN
Toujours le même, 100.000 à la fin de l’année.
CAROLINE ROUX
Vous y serez 100.000 à la fin de l’année ?
MICHEL SAPIN
Nous y serons.
CAROLINE ROUX
Est-ce que l’idée d’élargir le champ d’applications des Emplois d’avenir est prévu pour l’année qui doit être l’année des résultats ?
MICHEL SAPIN
Non ! Les Emplois d’avenir c’est fait pour les jeunes qui sont les plus en difficulté, jamais la France n’a eu autant de jeunes sans emploi et sans formation, 500.000 jeunes, c’est à ceux-là que les Emplois d’avenir sont destinés. Deuxième chose, il faut faciliter la montée en puissance de ces Emplois d’avenir parce que ça va au rythme normal jusqu’à présent mais il faut que ça accélère beaucoup pour la deuxième partie de l’année, donc là-dessus j’ai donné des ordres aux préfets, à POLE EMPLOI pour qu’on facilite les choses et, par exemple, je suis favorable à ce qu’on puisse étendre plus qu’aujourd’hui au secteur privé mais sans changer la cible, ceux à qui sont destinés les Emplois d’avenir ce sont les jeunes les plus en difficulté, ceux qui restent toujours au bord du chemin si on ne s’occupe pas d’eux.
CAROLINE ROUX
Alors le président a annoncé également un plan d’investissement pour les 10 ans qui viennent, axé sur les nouvelles technologies, alors là on se dit c’est nouveau, on a de l’argent pour investir. Auparavant les marges de manoeuvre c’était pour désendetter le pays, désormais c’est pour investir, c’est un changement de cap ?
MICHEL SAPIN
On va corriger cette vision caricaturale et… les choses.
CAROLINE ROUX
Eh bien décidément !
MICHEL SAPIN
La question - eh bien c’est comme l’histoire du travailler mieux ou travailler plus - la question ce n’est pas : est-ce qu’il y a plus d’argent qu’on peut dépenser en plus ? Non ! On ne va pas dépenser plus, au contraire, nous continuerons avec le sérieux budgétaire qui est nécessaire pour maîtriser la dépense publique, pour maîtriser les déficits et diminuer l’endettement de la France. Mais est-ce que l’argent d’aujourd'hui est bien utilisé ? Il y a de l’argent, l’Etat possède par exemple des participations dans un certain nombre d’entreprises…
CAROLINE ROUX
50 milliards d’euros !
MICHEL SAPIN
Eh bien ces 50 milliards est-ce qu’ils sont aujourd’hui au meilleur endroit du point de vue de la production, du point de vue de la création d’emplois ? Est-ce que ça ne pourrait pas être utilisé par exemple dans les petites et moyennes entreprises pour les aider à se développer et à créer des emplois ? C’est ça la question qui est posée, ce n’est pas dépenser plus, c’est là encore une fois de plus dépenser mieux avec plus d’efficacité sur le tissu économique français.
CAROLINE ROUX
Mais on découvre que la France a des marges de manoeuvre pour investir ?
MICHEL SAPIN
Oui ! On a des marges de manoeuvre dans la qualité de la politique, nous n’avons aucune marge de manoeuvre du point de vue budgétaire. Autrefois, on disait : « Voilà ! Il faut un plan de relance », il n’y a pas longtemps d’ailleurs, en 2009 – 2010 il y a eu des milliards et des milliards qui ont été dépensées et c’est comme ça qu’on a au bout du compte 600 milliards de dettes, d’endettement supplémentaire. Donc, ce n’est pas comme ça qu’il faut faire, il faut faire avec intelligence, avec finesse, avec pertinence, utiliser au mieux les moyens de notre ambition.
CAROLINE ROUX
Alors vous entendez, vous entendez beaucoup ce matin : « on va céder les bijoux de famille, l’Etat stratège brade » dit L’HUMANITE, est-ce que toutes les entreprises publiques sont concernées ou est-ce qu’il y a des secteurs qu’il faut écarter, ou est-ce qu’il y a des entreprises qui sont trop fragiles qu’il faut écarter ?
MICHEL SAPIN
Mais il y a des secteurs stratégiques, chacun sait bien que par exemple le secteur de l’énergie est un secteur stratégique dans lequel il est absolument indispensable que l’Etat soit extrêmement présent, mais est-ce qu’il est nécessaire qu’il soit présent à ce niveau ? Est-ce qu’il est nécessaire qu’il soit présent de cette manière-là ? C’est toutes ces questions-là qui sont sur la table. Je ne vais pas vous donner les réponses détaillées…
CAROLINE ROUX
Et pourquoi ?
MICHEL SAPIN
Et que les Français comprennent… Parce que ce n’est pas à moi de le faire aujourd’hui ! Parce que c’est aussi un travail fin, intelligent, qui doit être fait, pertinent, il ne faut pas vendre n’importe comment et à n’importe qui…
CAROLINE ROUX
Et… (Incompréhensible)…
MICHEL SAPIN
Il faut le faire dans les meilleures conditions possibles, il faut protéger le patrimoine des Français, mais pour l’utiliser le mieux possible au service des Français.
CAROLINE ROUX
Ce plan d’investissement pour 10 ans, vous avez une échelle, une fourchette du montant que ça peut représenter ? On a…
MICHEL SAPIN
Non ! Non. Mais…
CAROLINE ROUX
Parce que ça nous rappelle vaguement, vous savez…
MICHEL SAPIN
Vous voulez le…
CAROLINE ROUX
Le grand emprunt…
MICHEL SAPIN
Vous voulez toujours…
CAROLINE ROUX
23 milliards ?
MICHEL SAPIN
Oui ! Le grand emprunt c’était d’abord un grand déficit, c’est toute la différence avec ce que nous faisons, un grand emprunt ça fait bien mais c’est un grand déficit, c’était autant de milliards de déficit. Nous ce n’est pas la question que nous posons, nous c’est : est-ce qu’on utilise le mieux aujourd’hui les milliards qui appartiennent à l’Etat ? La réponse est non ! Peut-on faire mieux ? Oui ! Et c’est ce que nous allons faire. Donc voilà comment on travaille avec les marges qui sont les nôtres en le faisant au service de l’emploi et au service de l’investissement, et au service de l’avenir.
CAROLINE ROUX
Est-ce que vous attendez de la reprise d’activités de ce plan d’investissement ?
MICHEL SAPIN
Ca ! Plus d’autres choses. Aucun outil, aucune politique à elle seule suffit pour relancer la croissance dans un pays comme le nôtre, c’est cela, c’est l’Europe qui gouge, c’est des investissements au niveau européen, c’est la Banque Publique d’Investissement qui va aider les entreprises…
CAROLINE ROUX
Alors justement…
MICHEL SAPIN
C’est la politique de l’emploi qui va aider à la création d’emplois, c’est tout cela qui va permettre d’ici la fin de l’année que la croissance reprenne en France…
CAROLINE ROUX
Justement…
MICHEL SAPIN
Et, avec la croissance, il y a des emplois.
CAROLINE ROUX
Vous avez parlé, vous avez parlé de l’Europe, est-ce que ce sont les 2 ans de sursis d’une certaine manière accordés à la France par la Commission européenne qui nous permettent de reparler d’investissement ? C’est 2 ans de plus - qu’on a également accordés à l’Espagne - alors je ne sais pas si c’est une très bonne nouvelle pour la France ? Quelle est la contrepartie ?
MICHEL SAPIN
Mais ce n’est pas 2 ans de sursis ! Là aussi c’est une manière de présenter les choses qui est inexacte, c’est d’ailleurs pas comme ça que la Commission l’a pensé, ce n’est pas 2 ans pour dépenser plus, c’est 2 ans pour continuer avec le sérieux budgétaire sans pour autant être prisonnier d’un autre élément, les 3%, qui est la croissance elle-même. Puisque la croissance n’est pas là aujourd’hui, eh bien ce n’est pas la peine de se lancer dans ces plans qu’on a connus en Grèce, au Portugal ou en Espagne, qui sont des plans qui emmènent tout le temps vers plus de récession. Nous, nous voulons le sérieux budgétaire et la croissance, et le retour à la croissance…
CAROLINE ROUX
Et il y a un mot que vous n’avez pas prononcé…
MICHEL SAPIN
Et c’est ce que nous permet, c’est ce qui nous permet la décision de la Commission qui est une décision sage, adaptée à la situation de la France.
CAROLINE ROUX
Michel SAPIN ! Il y a un mot que vous n’avez pas prononcé, réforme, est-ce que ces 2 années-là doivent servir aussi…
MICHEL SAPIN
Mais vous ne m’avez pas interrogé !
CAROLINE ROUX
Doivent servir aussi à faire des réformes ? Vous avez eu quelques petits messages dans la presse, notamment du ministre des Finances Allemand, il dit : « tout report des objectifs doit s’accompagner d’engagement clair sur les réformes », est-ce que cette année qui vient sera l’année du courage sur les réformes ?
MICHEL SAPIN
Mais d’abord ce n’est pas l’année des réformes après une année qui n’aurait pas été de réformes, la première année a été une année de réformes profondes : la réforme du financement de l’économie, ce n’est pas rien ; la réforme du marché du travail, la sécurisation de l’emploi, que j’ai menée avec les partenaires sociaux dans le dialogue sans qu’il y ait des millions de personnes dans la rue, une des plus grandes réformes que la France ait connue - et dont elle avait besoin - donc nous menons ces réformes ; il y a la réforme des retraites qu’il faut bien entendu mettre en place ; il y a la réforme de la formation professionnelle, c’est fondamental, ce n’est pas si spectaculaire que ça la formation professionnelle mais il faut que l’argent de la formation professionnelle aille vers ceux qui en ont le plus besoin : les chômeurs, les jeunes sans formation et ceux qui, dans les entreprises, ont une faible qualification et qui sont toujours les premières victimes de la crise.
CAROLINE ROUX
Jean-François COPE, vous avez dit : « sans personne dans la rue », Jean-François COPE vous prédit un Printemps des cons, c’est comme ça qu’il s’est exprimé hier soir, qu’est-ce que vous…
MICHEL SAPIN
Moi je lui prédis un avenir noir, parce qu’à vouloir utiliser les pires mots du populisme, à vouloir donner dans la grossièreté et dans la vulgarité, il n’ira pas loin ce monsieur COPE.
CAROLINE ROUX
Un dernier mot pour terminer cette interview ! Jérôme CAHUZAC, selon une information d’EUROPE 1, envisage encore de se présenter à Villeneuve-sur-Lot, est-ce que vous pensez que le suffrage universel pour laver son honneur ?
MICHEL SAPIN
Je ne lui conseille pas ! Parce que son honneur aujourd’hui est tellement atteint que rien ne le lavera.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 mai 2013