Texte intégral
Bonjour à tous et merci dêtre venus si nombreux à cet échange.
Ce nest pas le premier débat que je fais sur ce sujet avec mon homologue, avec mon ami, Wolfgang Schäuble: nous étions déjà tous les deux à Strasbourg le mois dernier, pour évoquer ensemble lavenir du couple franco-allemand.
Je me prête de nouveau avec plaisir à cet exercice, dans un contexte légèrement différent toutefois, compte tenu de lévolution du débat mondial et européen sur léquilibre entre la consolidation budgétaire et la croissance. Je voudrais rappeler ici quelle est la réalité de la coopération entre nos deux pays, dire aussi ma vision des combats que le couple franco-allemand doit porter pour lavenir de lEurope.
Un mot tout dabord pour remettre un peu cette coopération en perspective. Il y a, dans lhistoire de ce couple, de grandes constantes, qui le structurent encore jusquà aujourdhui, et qui doivent continuer à le structurer toujours.
La première, cest une vraie capacité à penser lintérêt commun, en dépassant les clivages politiques. Les formations politiques, de part et dautre du Rhin, peuvent débattre et commenter librement la situation, les politiques menées en France et en Allemagne. Cest la démocratie, avec ses forces et ses faiblesses : il est toujours préférable que lexpression partisane soit responsable, sensée, respectueuse de la mission historique de nos deux pays.
Les gouvernants, eux, nont jamais oublié cette histoire. Leur rôle, au contraire est de lécrire : ils ny ont jamais manqué hier, cest notre tâche plus que jamais aujourdhui. Depuis les débuts de la Vème République française, nos chefs dEtat et de gouvernement ont toujours entretenu une relation forte et féconde. Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ont jeté les bases de la réconciliation de nos pays. Depuis lors, cette relation a été sans cesse validée et approfondie par leurs successeurs. Willy Brandt et Georges Pompidou, saccordèrent, par-delà leurs préférences partisanes, pour donner une impulsion décisive à léducation, avec les premières sections franco-allemandes dans les lycées. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, aussi issus de formations politiques différentes, ont aussi dépassé leurs divergences politiques pour poser les bases du Système monétaire européen, ancêtre de l'euro. François Mitterrand et Helmut Kohl ont profondément marqué notre histoire, en lançant la création de lunion économique monétaire, au moment où l'Allemagne se réunifiait. Jacques Chirac et Gerhard Schröder ont, ensemble, accompagné la réunification de lEurope et se sont opposés de concert à la guerre en Irak. Et cest dans cette continuité que sinscrit aujourdhui laction de la Chancelière Merkel et du président de la République, François Hollande. Lui-même a rappelé il y a quelques jours son engagement pour que nos pays « travaillent ensemble, quelles que soient les conjonctures, quelles que soient les personnalités qui les dirigent, quelles que soient les sensibilités ». Cest aussi au service de ce grand dessein que nous travaillons constamment, Wolfgang Schäuble et moi.
La seconde de ces constantes, cest la conscience dune responsabilité particulière, au coeur de lEurope et tout particulièrement dans lunion économique et monétaire. Ensemble, la France et lAllemagne, représentent en gros la moitié de la population de la zone euro, et la moitié de son PIB. Toute notre capacité à être un moteur pour lEurope apparaît ici. Toute notre responsabilité aussi: lEurope avance quand la France et lAllemagne sentendent. Là où lEurope a fait des progrès décisifs ces derniers mois, et singulièrement en matière économique et financière, cest lorsque les astres allemand et français se sont alignés : sur lintégrité de la zone euro, sur les assistances financières fournies aux Etats vulnérables, sur la Taxe sur les Transactions Financières, sur la supervision bancaire européenne intégrée, sur la lutte contre lérosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices des entreprises multinationales, sur léchange automatique dinformations pour lutter contre la fraude fiscale, sur la lutte contre le blanchiment dargent A chaque fois, leffet dentraînement du couple franco-allemand aura été déterminant. Ce bilan, nous pouvons le présenter avec fierté.
Comment cette relation doit-elle se décliner aujourdhui, pour tracer le futur de la zone euro ?
Ma conviction est que dans limmédiat, elle devrait être toute entière tournée vers un même but : faire de la zone euro, au sein de lEurope, le coeur de la relance. Cest, je crois, attendu des citoyens européens, de notre jeunesse en particulier.
Faire de la zone euro le coeur dun espace de croissance européen : cest notre intérêt commun, mais comment y parvenir ?
Les solutions simplistes sont des mirages, la relance budgétaire isolée ou sans discipline comme la réduction des déficits à marche forcée sont des voies de garage. Certains pays sont affaiblis, appauvris même, par leur niveau dendettement : il faut bien sûr que leurs finances publiques se redressent, mais en cadrant lexercice avec précision, cest-à-dire en définissant le bon rythme, pour préserver les perspectives de croissance.
Si je devais formuler une doctrine du désendettement positif, je dirais quelle devrait sarticuler autour de trois principes :
- Le premier est de mettre laccent sur le respect de stratégies de moyen terme ancrées dans des cibles de réduction du déficit structurel - cest-à-dire corrigé des aléas de la conjoncture. Car cest là, somme toute, que se joue la réalité du désendettement.
- Le second principe est de juger ensemble réduction des déficits et réformes de structure. Prenons la France : en un an, nous avons baissé le coût du travail de 20 milliards deuros, réformé le marché du travail, lancé de nouveaux types de contrats pour favoriser lentrée des jeunes sur le marché du travail, élaboré un arsenal sans précédent de réformes pour fluidifier le financement de léconomie, mis au point un plan quinquennal de simplification de lenvironnement règlementaire des entreprises, ou encore développé un processus pour détecter les poches dinefficacité dans laction publique. Ma conviction, cest que ces réformes de structure, qui permettent de recréer les conditions de la croissance, de la compétitivité et de la productivité, sont tout aussi importantes que le redressement des comptes, et même quen réalité elles sont les deux faces dune médaille, les réformes donnent du sens à la réduction des déficits.
- Le dernier de ces principes doit être la coordination au sein de la zone euro. Nos économies sont profondément imbriquées les unes aux autres: le premier fournisseur de la France, cest lAllemagne.
Le premier pays dexportation de la France, cest aussi lAllemagne ! Nos économies sont dans une situation dinterdépendance totale. Cest lun des grands succès de la construction communautaire, cest aussi une puissante incitation à définir ensemble lintérêt commun et à se coordonner pour latteindre, chacun dans son rôle. Réduction des déficits et réformes de structure dun côté dans certains pays, soutien à la demande interne dans dautres : coordonner, cest multiplier nos chances de succès.
Cette approche est sérieuse la remise en ordre des finances publiques reste un impératif mais en même temps, elle permet de mieux prendre en compte la croissance. Elle donne une vraie chance aux économies européennes de rebondir. Je note que la décision de la Commission Européenne, la semaine dernière, daccorder un délai à plusieurs pays en Europe pour quils redressent leurs finances, mais à un rythme qui soit compatible avec le retour de la croissance, est plutôt en ligne avec les principes que je viens dévoquer. Il y a en tout cas, derrière cette décision, une inflexion majeure que je veux saluer, pour laquelle la France a plaidée, qui prend bien davantage en compte limpératif de croissance en Europe, dont nous bénéficierons tous.
Je sais quelle suscite des interrogations, ici en Allemagne : je les comprends, je veux y répondre. Nous avons, évidemment, beaucoup parlé de cela en amont avec Wolfgang Schäuble. Je le remercie de son écoute, de sa compréhension : il sait, comme la chancelière Angela Merkel, que lAllemagne a besoin dune France forte, dune France qui réussit, il sait aussi que nous réformons notre économie, notre société pour y parvenir. Ce délai de 2 ans maximum décidé par la Commission européenne, nétait peut être pas, sans doute pas même, la position spontanée de lAllemagne. Mais, je veux vous assurer que cette souplesse, ce recul de laustérité, nest pas pour nous, pour le Président de la République et pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, une incitation au relâchement ou à la paresse : nous poursuivrons notre effort de réduction des déficits structurants, de maîtrise des dépenses publiques. Comme Ministre de léconomie et des finances, jen suis le garant. La France est un pays sérieux, qui mène une politique crédible : nous ny renoncerons pas !
Il y a un deuxième chantier sur lequel la croissance et lavenir de la zone euro se jouent, et sur lequel à mes yeux le couple franco-allemand doit être moteur : cest celui de lUnion bancaire.
Quest-ce que lUnion bancaire ? Dans sa dimension financière, il sagit dun ensemble doutils pour mieux anticiper, contrôler et gérer les risques, et empêcher quune crise financière ne devienne une crise budgétaire puis une crise économique. Elle repose sur plusieurs piliers : la supervision intégrée, qui sera une réalité dans moins dun an, mais aussi un instrument de recapitalisation directe des banques par le MES dans les Etats fragiles, le renforcement de la garantie des dépôts, des règles harmonisées sur la prévention et la résolution des crises bancaires et, pour finir, une autorité intégrée chargée de les appliquer.
Mais il y a une deuxième dimension, plus « économique », à lUnion bancaire. On rejoint là ce que je disais il y a quelques instants sur la croissance : lUnion bancaire doit permettre de recoller les morceaux dun système financier européen qui est aujourdhui atomisé, au détriment de léconomie réelle. Comment se traduit, concrètement, cette fragmentation ? Eh bien, aujourdhui, une PME italienne na absolument pas la même capacité de développement quune PME allemande, parce quelle paie beaucoup plus cher son financement. En clair, de nombreuses entreprises ne tirent pas bénéfice des taux dintérêt très bas pratiqués aujourdhui en zone euro je rappelle que des taux bas favorisent linvestissement et donc le développement des entreprises et la croissance en raison de la fragmentation financière. LUnion bancaire doit aider à remédier à cette situation. Elle est donc un chantier très concret, dabord au bénéfice des épargnants, du financement des entreprises de la zone euro, et de la croissance.
Enfin, et je marrête là, nous avons besoin de nouveaux instruments pour soutenir la croissance en zone euro et compléter un volet « solidarité » encore largement atrophié en son sein :
- Wolfgang Schäuble connaît mes positions ; Cela pourrait passer par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, et elle aurait une véritable fonction de stabilisation macroéconomique. Cette capacité budgétaire pourrait aussi servir de base, à terme, à lémission de dette en commun dans la zone euro.
- Enfin, notre action politique devrait trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel fonctionne mal, et nos citoyens ne le comprennent pas. Je suggère donc que le Parlement européen constitue en son sein une commission des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les Parlements nationaux devraient également être informés et associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro. Mais il faudra aussi à moyen terme incarner le rôle de l'exécutif de la zone euro dans un «Ministre », chargé de la politique économique et financière et de la gestion de ces nouveaux instruments, qui doit pouvoir affronter la sanction du vote populaire.
Mais la priorité immédiate doit être dengranger un maximum de résultats, dans le champ économique, pour retrouver ladhésion et la confiance des citoyens européens, pour que lEurope apparaisse comme une solution et non pas comme une menace, comme un espoir et non comme une punition.
Quand nous aurons fédéré de nouveau autour du projet communautaire, grâce à des résultats économiques tangibles je pense au premier chef à une croissance plus forte, à une réduction du chômage, à commencer par le chômage des jeunes - , le soutien des peuples européens, alors nous aurons atteint le degré de maturité nécessaire pour faire évoluer nos institutions et nos Traités. Cest lune des conclusions que Jean Monnet tirait dans ses Mémoires : « Cest au fur et à mesure que laction des Communautés saffirmera que les liens entre les hommes et la solidarité qui se dessinent déjà se renforceront et sétendront. [ ] Les réalités elles-mêmes permettront de dégager lunion politique. Lidée est claire : lEurope politique sera créée, le moment venu, à partir des réalités».
Cette idée, cette conception, était au coeur de la démarche des « pères fondateurs » qui ont créé notre Europe, fondée, ne loublions jamais, sur la réconciliation entre nos deux pays. Elle na pas perdu son actualité, sa profondeur. Je la fais mienne.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 13 mai 2013
Ce nest pas le premier débat que je fais sur ce sujet avec mon homologue, avec mon ami, Wolfgang Schäuble: nous étions déjà tous les deux à Strasbourg le mois dernier, pour évoquer ensemble lavenir du couple franco-allemand.
Je me prête de nouveau avec plaisir à cet exercice, dans un contexte légèrement différent toutefois, compte tenu de lévolution du débat mondial et européen sur léquilibre entre la consolidation budgétaire et la croissance. Je voudrais rappeler ici quelle est la réalité de la coopération entre nos deux pays, dire aussi ma vision des combats que le couple franco-allemand doit porter pour lavenir de lEurope.
Un mot tout dabord pour remettre un peu cette coopération en perspective. Il y a, dans lhistoire de ce couple, de grandes constantes, qui le structurent encore jusquà aujourdhui, et qui doivent continuer à le structurer toujours.
La première, cest une vraie capacité à penser lintérêt commun, en dépassant les clivages politiques. Les formations politiques, de part et dautre du Rhin, peuvent débattre et commenter librement la situation, les politiques menées en France et en Allemagne. Cest la démocratie, avec ses forces et ses faiblesses : il est toujours préférable que lexpression partisane soit responsable, sensée, respectueuse de la mission historique de nos deux pays.
Les gouvernants, eux, nont jamais oublié cette histoire. Leur rôle, au contraire est de lécrire : ils ny ont jamais manqué hier, cest notre tâche plus que jamais aujourdhui. Depuis les débuts de la Vème République française, nos chefs dEtat et de gouvernement ont toujours entretenu une relation forte et féconde. Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ont jeté les bases de la réconciliation de nos pays. Depuis lors, cette relation a été sans cesse validée et approfondie par leurs successeurs. Willy Brandt et Georges Pompidou, saccordèrent, par-delà leurs préférences partisanes, pour donner une impulsion décisive à léducation, avec les premières sections franco-allemandes dans les lycées. Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt, aussi issus de formations politiques différentes, ont aussi dépassé leurs divergences politiques pour poser les bases du Système monétaire européen, ancêtre de l'euro. François Mitterrand et Helmut Kohl ont profondément marqué notre histoire, en lançant la création de lunion économique monétaire, au moment où l'Allemagne se réunifiait. Jacques Chirac et Gerhard Schröder ont, ensemble, accompagné la réunification de lEurope et se sont opposés de concert à la guerre en Irak. Et cest dans cette continuité que sinscrit aujourdhui laction de la Chancelière Merkel et du président de la République, François Hollande. Lui-même a rappelé il y a quelques jours son engagement pour que nos pays « travaillent ensemble, quelles que soient les conjonctures, quelles que soient les personnalités qui les dirigent, quelles que soient les sensibilités ». Cest aussi au service de ce grand dessein que nous travaillons constamment, Wolfgang Schäuble et moi.
La seconde de ces constantes, cest la conscience dune responsabilité particulière, au coeur de lEurope et tout particulièrement dans lunion économique et monétaire. Ensemble, la France et lAllemagne, représentent en gros la moitié de la population de la zone euro, et la moitié de son PIB. Toute notre capacité à être un moteur pour lEurope apparaît ici. Toute notre responsabilité aussi: lEurope avance quand la France et lAllemagne sentendent. Là où lEurope a fait des progrès décisifs ces derniers mois, et singulièrement en matière économique et financière, cest lorsque les astres allemand et français se sont alignés : sur lintégrité de la zone euro, sur les assistances financières fournies aux Etats vulnérables, sur la Taxe sur les Transactions Financières, sur la supervision bancaire européenne intégrée, sur la lutte contre lérosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices des entreprises multinationales, sur léchange automatique dinformations pour lutter contre la fraude fiscale, sur la lutte contre le blanchiment dargent A chaque fois, leffet dentraînement du couple franco-allemand aura été déterminant. Ce bilan, nous pouvons le présenter avec fierté.
Comment cette relation doit-elle se décliner aujourdhui, pour tracer le futur de la zone euro ?
Ma conviction est que dans limmédiat, elle devrait être toute entière tournée vers un même but : faire de la zone euro, au sein de lEurope, le coeur de la relance. Cest, je crois, attendu des citoyens européens, de notre jeunesse en particulier.
Faire de la zone euro le coeur dun espace de croissance européen : cest notre intérêt commun, mais comment y parvenir ?
Les solutions simplistes sont des mirages, la relance budgétaire isolée ou sans discipline comme la réduction des déficits à marche forcée sont des voies de garage. Certains pays sont affaiblis, appauvris même, par leur niveau dendettement : il faut bien sûr que leurs finances publiques se redressent, mais en cadrant lexercice avec précision, cest-à-dire en définissant le bon rythme, pour préserver les perspectives de croissance.
Si je devais formuler une doctrine du désendettement positif, je dirais quelle devrait sarticuler autour de trois principes :
- Le premier est de mettre laccent sur le respect de stratégies de moyen terme ancrées dans des cibles de réduction du déficit structurel - cest-à-dire corrigé des aléas de la conjoncture. Car cest là, somme toute, que se joue la réalité du désendettement.
- Le second principe est de juger ensemble réduction des déficits et réformes de structure. Prenons la France : en un an, nous avons baissé le coût du travail de 20 milliards deuros, réformé le marché du travail, lancé de nouveaux types de contrats pour favoriser lentrée des jeunes sur le marché du travail, élaboré un arsenal sans précédent de réformes pour fluidifier le financement de léconomie, mis au point un plan quinquennal de simplification de lenvironnement règlementaire des entreprises, ou encore développé un processus pour détecter les poches dinefficacité dans laction publique. Ma conviction, cest que ces réformes de structure, qui permettent de recréer les conditions de la croissance, de la compétitivité et de la productivité, sont tout aussi importantes que le redressement des comptes, et même quen réalité elles sont les deux faces dune médaille, les réformes donnent du sens à la réduction des déficits.
- Le dernier de ces principes doit être la coordination au sein de la zone euro. Nos économies sont profondément imbriquées les unes aux autres: le premier fournisseur de la France, cest lAllemagne.
Le premier pays dexportation de la France, cest aussi lAllemagne ! Nos économies sont dans une situation dinterdépendance totale. Cest lun des grands succès de la construction communautaire, cest aussi une puissante incitation à définir ensemble lintérêt commun et à se coordonner pour latteindre, chacun dans son rôle. Réduction des déficits et réformes de structure dun côté dans certains pays, soutien à la demande interne dans dautres : coordonner, cest multiplier nos chances de succès.
Cette approche est sérieuse la remise en ordre des finances publiques reste un impératif mais en même temps, elle permet de mieux prendre en compte la croissance. Elle donne une vraie chance aux économies européennes de rebondir. Je note que la décision de la Commission Européenne, la semaine dernière, daccorder un délai à plusieurs pays en Europe pour quils redressent leurs finances, mais à un rythme qui soit compatible avec le retour de la croissance, est plutôt en ligne avec les principes que je viens dévoquer. Il y a en tout cas, derrière cette décision, une inflexion majeure que je veux saluer, pour laquelle la France a plaidée, qui prend bien davantage en compte limpératif de croissance en Europe, dont nous bénéficierons tous.
Je sais quelle suscite des interrogations, ici en Allemagne : je les comprends, je veux y répondre. Nous avons, évidemment, beaucoup parlé de cela en amont avec Wolfgang Schäuble. Je le remercie de son écoute, de sa compréhension : il sait, comme la chancelière Angela Merkel, que lAllemagne a besoin dune France forte, dune France qui réussit, il sait aussi que nous réformons notre économie, notre société pour y parvenir. Ce délai de 2 ans maximum décidé par la Commission européenne, nétait peut être pas, sans doute pas même, la position spontanée de lAllemagne. Mais, je veux vous assurer que cette souplesse, ce recul de laustérité, nest pas pour nous, pour le Président de la République et pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, une incitation au relâchement ou à la paresse : nous poursuivrons notre effort de réduction des déficits structurants, de maîtrise des dépenses publiques. Comme Ministre de léconomie et des finances, jen suis le garant. La France est un pays sérieux, qui mène une politique crédible : nous ny renoncerons pas !
Il y a un deuxième chantier sur lequel la croissance et lavenir de la zone euro se jouent, et sur lequel à mes yeux le couple franco-allemand doit être moteur : cest celui de lUnion bancaire.
Quest-ce que lUnion bancaire ? Dans sa dimension financière, il sagit dun ensemble doutils pour mieux anticiper, contrôler et gérer les risques, et empêcher quune crise financière ne devienne une crise budgétaire puis une crise économique. Elle repose sur plusieurs piliers : la supervision intégrée, qui sera une réalité dans moins dun an, mais aussi un instrument de recapitalisation directe des banques par le MES dans les Etats fragiles, le renforcement de la garantie des dépôts, des règles harmonisées sur la prévention et la résolution des crises bancaires et, pour finir, une autorité intégrée chargée de les appliquer.
Mais il y a une deuxième dimension, plus « économique », à lUnion bancaire. On rejoint là ce que je disais il y a quelques instants sur la croissance : lUnion bancaire doit permettre de recoller les morceaux dun système financier européen qui est aujourdhui atomisé, au détriment de léconomie réelle. Comment se traduit, concrètement, cette fragmentation ? Eh bien, aujourdhui, une PME italienne na absolument pas la même capacité de développement quune PME allemande, parce quelle paie beaucoup plus cher son financement. En clair, de nombreuses entreprises ne tirent pas bénéfice des taux dintérêt très bas pratiqués aujourdhui en zone euro je rappelle que des taux bas favorisent linvestissement et donc le développement des entreprises et la croissance en raison de la fragmentation financière. LUnion bancaire doit aider à remédier à cette situation. Elle est donc un chantier très concret, dabord au bénéfice des épargnants, du financement des entreprises de la zone euro, et de la croissance.
Enfin, et je marrête là, nous avons besoin de nouveaux instruments pour soutenir la croissance en zone euro et compléter un volet « solidarité » encore largement atrophié en son sein :
- Wolfgang Schäuble connaît mes positions ; Cela pourrait passer par une capacité budgétaire propre à la zone euro, distincte du budget des 27 et financée sur des ressources autonomes. Elle permettrait ainsi de financer des actions dans les domaines clés de la protection sociale et de la compétitivité, et elle aurait une véritable fonction de stabilisation macroéconomique. Cette capacité budgétaire pourrait aussi servir de base, à terme, à lémission de dette en commun dans la zone euro.
- Enfin, notre action politique devrait trouver un prolongement logique dans le renforcement du contrôle démocratique des décisions prises pour la zone euro. Le modèle actuel fonctionne mal, et nos citoyens ne le comprennent pas. Je suggère donc que le Parlement européen constitue en son sein une commission des membres élus par les citoyens de la zone euro, pour jouer un véritable rôle de co-législateur dans la définition de la politique économique en zone euro, aux côtés de lEurogroupe. Les Parlements nationaux devraient également être informés et associés de façon plus transparente, afin de prendre toute la mesure des intérêts communs que nous partageons en zone euro. Mais il faudra aussi à moyen terme incarner le rôle de l'exécutif de la zone euro dans un «Ministre », chargé de la politique économique et financière et de la gestion de ces nouveaux instruments, qui doit pouvoir affronter la sanction du vote populaire.
Mais la priorité immédiate doit être dengranger un maximum de résultats, dans le champ économique, pour retrouver ladhésion et la confiance des citoyens européens, pour que lEurope apparaisse comme une solution et non pas comme une menace, comme un espoir et non comme une punition.
Quand nous aurons fédéré de nouveau autour du projet communautaire, grâce à des résultats économiques tangibles je pense au premier chef à une croissance plus forte, à une réduction du chômage, à commencer par le chômage des jeunes - , le soutien des peuples européens, alors nous aurons atteint le degré de maturité nécessaire pour faire évoluer nos institutions et nos Traités. Cest lune des conclusions que Jean Monnet tirait dans ses Mémoires : « Cest au fur et à mesure que laction des Communautés saffirmera que les liens entre les hommes et la solidarité qui se dessinent déjà se renforceront et sétendront. [ ] Les réalités elles-mêmes permettront de dégager lunion politique. Lidée est claire : lEurope politique sera créée, le moment venu, à partir des réalités».
Cette idée, cette conception, était au coeur de la démarche des « pères fondateurs » qui ont créé notre Europe, fondée, ne loublions jamais, sur la réconciliation entre nos deux pays. Elle na pas perdu son actualité, sa profondeur. Je la fais mienne.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 13 mai 2013