Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur le rôle des régions au sein de l'Union européenne, à Paris le 16 mai 2013.

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Circonstance : Clôture du sommet de l’Assemblée des régions d’Europe, à Paris le 16 mai 2013

Texte intégral


Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
La crise et les régions, je vais faire mon miel des propositions que, Madame la Présidente, vous avez promis de me remettre mais que vous avez gardées. J'espère que je vais les avoir, j'en ai eu connaissance parce que, même les choses les plus secrètes sont connues. Je me retrouve tout à fait dans les propositions que vous faites. J'ai d'autant plus de facilités à m'y retrouver que moi-même j'ai été président de région, que je continue à suivre très attentivement les activités de ma région normande. Le cas échéant, j'ai demandé à mon voisin des subsides lorsque, comme vous le faites dans vos régions, nous avons besoin de toutes les structures européennes.
Je ferai deux ou trois remarques décousues et rapides. J'espère que vous pardonnerez leur caractère décousu, compte tenu de leur rapidité.
Quitte à contester une partie de l'intitulé que vous avez choisi, je pense que nous n'avons pas affaire à une crise. Oui, bien sûr il y a une crise - on ne va pas nier l'évidence ? mais, sous la crise, il y a la mutation. Je pense que si l'Europe en général ou nos États en particulier, ou encore nos régions laissaient entendre que, ce dont il s'agit pour nous en Europe, c'est d'une crise, ils se tromperaient et ils tromperaient. Car, dans l'esprit public, une crise sous-entend que c'est un mauvais moment à passer et qu'ensuite cela va revenir comme avant. C'est faux et nous le savons tous.
Bien sûr, la crise financière s'ajoute à la crise économique qui elle-même débouche sur une crise sociale et politique mais le fond, le substrat, une fois que nous aurons surmonté cette crise, restera la mutation. Et la mutation, elle est bien là. Elle est là parce que tout simplement la hiérarchie des puissances n'est pas ce qu'elle était auparavant. L'Europe a été habituée à être le centre du monde, impériale, parfois impérialiste. C'est terminé parce qu'aujourd'hui, si sur les six premières puissances du monde, trois sont européenne, ce ne sera plus vrai dans quelques années. Ceci parce que les modes de régulation ne sont pas les mêmes, les modes de communication, le rapport au travail, parce que nous sommes à l'époque des pays continents. Toutes choses que vous savez comme moi et que la population, même si on lui raconte le contraire, sait ou pressent. Votre tâche en tant que région, ce n'est pas seulement de faire face à la crise, mais à la crise et aux mutations.
Je vous dis cela non pas parce que je m'adresse aux régions et que, par captatio benevolancie, je voudrais vous faire plaisir. Parmi les éléments de cette mutation, il y a le fait qu'une politique qui serait simplement continentale - mais ce serait déjà pas si mal qu'elle le soit - ou simplement nationale ne peut pas être suffisamment efficace pour répondre à cette mutation. Elle ne peut pas être suffisamment efficace en amont parce que l'on a besoin de percevoir réellement les besoins et les réalités. Ce que j'ai vu dans ma région, une région qui ressemble aux vôtres, c'est que la région est l'échelon le plus pertinent pour percevoir ces mutations, notamment sur le plan économique. La région est aussi l'échelon le plus efficace ou en tout cas un échelon absolument indispensable pas seulement pour percevoir en amont ce qu'il faut faire mais, ensuite, pour faire et pour appliquer.
Quelle que soit la façon dont on prend le problème de cette grande mutation et de ces crises qui s'y surajoutent, vous devez être au premier rang. J'en suis tellement persuadé que dans ma capacité actuelle de ministre des affaires étrangères, j'ai pris l'initiative et je ne sais d'ailleurs pas si elle est prise ailleurs, je ne sais pas non plus si elle sera efficace parce que je l'ai prise il y a moins de six mois. Comme chef de la diplomatie française, je suis à la tête des ambassadeurs et j'ai décidé de proposer aux présidents de régions des ambassadeurs. Je les paie, ce sont des diplomates de carrière qui ont grand réseau diplomatique et une grande expérience. Je propose aux présidents de régions de les mettre à leurs côtés, à leur disposition, avec une tâche bien particulière qui est d'aider les régions et leurs présidents à faire monter à l'international le réseau des petites et moyennes entreprises. Il y a déjà beaucoup de choses qui existent et qui souvent fonctionnent bien.
J'ai pensé, en tout cas s'agissant de la France - cela peut peut-être valoir pour d'autres -, que nous devons aller chercher la croissance là où elle est, à l'extérieur de l'Europe ou en Europe mais ailleurs que dans nos pays nationaux et que, mélanger l'expérience diplomatique avec la réalité régionale et avec la nécessité d'avoir un soutien aux PME, c'était assez intéressant pour décloisonner. Je soumets cela à votre sagacité, je ne peux pas vous dire encore que ce sera efficace mais je crois que cela illustre la réalité selon laquelle les régions, les États, l'Europe et les entreprises sont attelées à la même tâche.
Voilà ma première remarque après ce que je vous ai dit sur la crise et sur la mutation.
Par ailleurs, je souhaite faire écho à ce qui a été dit, il y a un instant. La France va se porter candidate pour accueillir en 2015 ce que l'on appelle la «Cop-Climat», c'est-à-dire la conférence qui doit, après Copenhague, Kyoto et d'autres, essayer d'apporter des réponses à la grande question du changement climatique. Nous avons une chance d'être retenus puisque nous sommes les seuls candidats, ce qui d'ailleurs n'est pas simplement dû au hasard mais probablement à la difficulté de la tâche qui fait que l'on ne se bouscule pas pour accueillir cette grande conférence alors que c'est nécessaire. Pourquoi ne se bouscule-t-on pas ? Parce que le problème est très difficile et les indications que prochainement va nous donner le GIEC sur la réalité climatique vont être encore bien plus mauvaises que ce qui était déjà malheureusement escompté. Et puis on ne se bouscule pas parce que c'est très difficile d'obtenir un consensus.
La dernière réunion a eu lieu au Qatar, à Doha, et le président de cette réunion qui a été d'ailleurs extrêmement efficace, a terminé la rencontre alors qu'il y avait encore beaucoup de divergences, en demandant aux uns et aux autres : «êtes-vous d'accord ?» «Que ceux qui sont en désaccord lèvent la main». Il y a eu des gens qui ont levé la main. Le président de séance a dit : «je vois que tout le monde est d'accord et l'accord va être approuvé à l'unanimité». Mais cela va être plus difficile à faire en 2015.
Pourquoi parler de cela ? Parce que je compte sur les régions pour préparer cette conférence. Je ne suis pas un spécialiste du sujet - je vais certainement le devenir - mais on m'explique que si nous voulons avoir un accord sur cette grande question, grande question à la fois du point de vue de l'existence de l'humanité, grande question économique, puisque l'on va chercher la croissance dans la transition écologique, on le sait tous... Si nous voulons obtenir un accord, il va falloir peut être non pas chercher une espèce de norme juridique internationale, identique pour tous, parce que l'on me dit que l'on n'y arrivera pas, mais il va falloir partir de la réalité du terrain, régional, national, international pour qu'une série de réussites, d'expériences, de conseils, soit telle que, compte tenu de la pression des pairs on puisse arriver à ce qu'il y ait des engagements de tous les pays et vous, les régions, vous allez être sollicitées, si vous l'acceptez, pour que peut-être, si vous faites votre réunion en 2014, vous nous permettiez l'année suivante, de dire : voilà les régions,, voilà ce qui a été fait, donc c'est possible, et donc on avance dans ce sens là.
La quatrième chose que je voulais vous dire, c'est à propos du Mali. Hier, se tenait à Bruxelles une conférence sous l'ombrelle à la fois de l'Europe et de la France pour réunir des dons, pour engager la phase de reconstruction économique du Mali et cela a été une très bonne réunion puisque nous avons recueilli beaucoup plus de promesses de dons - après il faut que les promesses se réalisent - que ce que nous anticipions et que ce dont nous avions besoin.
À cette occasion, il a été montré que les changements ne peuvent plus se faire simplement à un niveau international ou national mais qu'ils doivent partir du terrain.
C'est vrai pour le Mali comme pour beaucoup d'autres pays. Les régions s'impliquent de plus en plus dans les questions internationales, elles ont bien raison de le faire. 30 % je crois, des sommes qui ont été promises devront passer par des collectivités territoriales et notamment par les régions.
Je lance donc un appel, cela concerne le Mali -mais demain, cela concernera un autre pays d'Afrique et cela peut concerner bien sûr d'autres pays dans le monde -pour que vous saisissiez vraiment de plus en plus, de ce que j'appelle non pas la coopération décentralisée, mais que vous assumiez pleinement vos responsabilités extérieures. Vous avez des responsabilités intérieures, vous avez des responsabilités extérieures et la diplomatie mondiale et nationale doit être de plus en plus territorialisée et régionalisée. Bien sûr, il n'y a pas une diplomatie par région, mais ce qu'on doit essayer de faire au niveau international, européen et national doit passer par les réalités locales.
Enfin, le dernier point, la vision que vous avez de l'Europe rejoint vraiment tout à fait la vision que nous, gouvernement français, nous avons des changements à opérer en Europe. L'Europe est notre perspective, c'est une évidence, mais ça doit être une Europe qui soit orientée assez différemment où le budgétaire bien sûr soit là, et vraiment là, mais que l'économique soit là, que le social soit aussi là, que l'environnemental soit aussi là, et que les peuples soient aussi là. Les peuples croient de plus en plus dans la réalité régionale et, au lieu de se renvoyer la balle, en disant «c'est la faute à l'Europe, c'est la faute aux régions, etc...» il faut que nous montrions tous ensemble et que surtout nous convainquions nos populations que ces échelons doivent se renforcer vers une politique à finalité humaine. Je pense que cette vision des choses, qui est la vôtre, nous la partageons pleinement.
Au nom du gouvernement français, c'est un grand plaisir de vous avoir ici. Ne croyez pas tout ce que vous lisez parfois dans les journaux anglo-saxon. La France est un pays accueillant, qui aime l'Europe, qui aime les régions d'Europe et qui ne demande qu'une chose : c'est de travailler étroitement avec vous. Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2013