Déclaration de Mme Marie-Arlette Carlotti, ministre des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion, sur la politique sociale et la notion d'assistance, Paris le 16 mai 2013.

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Circonstance : Remise du rapport annuel del'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) sur le thème "Penser l'assistance" à, Paris le 16 mai 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
La mise en perspective historique de la notion d'assistance, et par là-même de notre système de solidarité, que vous avez entreprise dans ce rapport, doit être saluée. Saluée parce que salutaire.
A travers ce travail, vous participez d'une bataille culturelle qu'il était urgent et nécessaire de mener. Une bataille à laquelle j'ai pris part dès ma prise de fonction, qui a orienté la « Conférence Nationale de Lutte contre la Pauvreté et pour l'Inclusion Sociale » et qui a trouvé sa traduction dans le « Plan Pluriannuel de Lutte contre la Pauvreté ». Cette bataille, c'est celle du refus du discours sur l'assistanat.
Ce discours a été imposé, avec violence et morgue, par les gouvernements précédents. Un discours qui a ancré dans les têtes que les politiques de solidarité étaient la source de tous les abus. C'est-à-dire d'une supposée complaisance des personnes bénéficiaires de la solidarité nationale, qui auraient décidé de vivre de cette solidarité plutôt que de leur activité propre.
Lors de la « Conférence Nationale de Lutte contre la Pauvreté et pour l'Inclusion Sociale », je l'ai dit, je le répète à chaque étape du tour de France de la solidarité que j'ai engagé : la pauvreté, on ne la choisit pas, on n'en profite pas, on la subit.
Et c'est cette évidence qui avait fini par s'estomper, sous les coups des propos démagogiques et populistes. Des propos qui flattent nos sentiments les plus vils : l'égoïsme, la suspicion, la défiance. Ces propos ont particulièrement d'audience dans les périodes économiques tendues comme celle que nous vivons. Il est de la responsabilité de tous, et en premier lieu des représentants politiques de ne pas y céder.
Concrètement, je veux lutter contre le non-recours avec autant de force que la droite en a déployée pour traquer la fraude. Je le ferai avec discernement. Le discernement qui aurait permis de voir que la fraude sociale représente infiniment moins que la fraude fiscale ; le discernement pour constater que le non-recours concerne bien plus de personnes que la fraude ; le discernement pour distinguer le désarroi de l'abus.
68% des personnes qui auraient droit au RSA activité ne le demandent pas ; c'est 60% pour l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS), 35% pour le RSA socle… Nous rétablirons la justice en permettant aux personnes qui ont un droit d'y accéder.
Le discours sur l'assistanat est un discours sur l'abus. Il est aussi un discours sur l'absence d'autonomie. Vous mobilisez l'état des connaissances pour mettre à bas le mythe selon lequel la solidarité retient les personnes dans leur condition, les empêche d'évoluer notamment d'un point de vue professionnel.
Ce risque existe mais c'est justement la noblesse de la solidarité que de ne jamais considérer la personne comme incapable ; ne jamais l'enferme dans un statut dont elle ne pourrait sortir. La solidarité mise au contraire sur son autonomie, sur ses compétences, et son aptitude à rebondir.
On n'émancipe pas, on s'émancipe. L'emploi est évidemment central dans ce processus. Or, nul n'est inemployable. Il s'agit de former et éventuellement d'adapter le poste de travail à ce que la personne est capable de fournir, voire d'adapter les contrats de travail.
J'ai en tête une visite que j'ai faite sur un site de l'association « Emmaus défi ». J'étais avec le Président de la République et on nous a expliqué comment des personnes très éloignées de l'emploi étaient accompagnées dans une reprise progressive d'activité grâce à des « contrats premières heures », c'est-à-dire des contrats adaptés aux capacités de travail de la personne. Une capacité qui a évidemment vocation à évoluer avec le temps. Nous nous sommes inspirés de cette expérience dans l'élaboration du « Plan Pluriannuel de Lutte contre la Pauvreté ».
Une autre manière de stimuler et de respecter l'autonomie des personnes démunies, c'est d'organiser leur participation aux politiques qui les concernent. La préparation du plan a laissé une grande place aux personnes bénéficiaires des aides sociales. Ce fut incontestablement un succès. Leurs propos ont bousculé les certitudes des acteurs institutionnels et mis en lumière, de manière pratique et concrète, les défaillances de certains dispositifs de l'action sociale. Pour améliorer l'efficacité de nos politiques publiques mais aussi favoriser l'estime de soi des personnes aidées, je suis convaincue que leur parole doit continuer à être entendue.
La politique de solidarité que nous menons est une politique de dignité, une politique du respect. Et notamment du respect de la parole des personnes démunies. Car, quelle que soit sa situation, chacun a des choses à dire sur ce qu'il veut pour lui-même et pour la société.
Le discours sur l'assistanat a été un discours de stigmatisation. Stigmatisation des personnes démunies, stigmatisation des politiques de solidarité, et stigmatisation de ceux qui les mettait en œuvre. J'ai dit aux travailleurs sociaux, toute la gratitude que leur devait notre Nation. Ce sont eux qui sont en première ligne, confrontés à la détresse humaine, et qui quotidiennement participe à faire appliquer les principes de la République.
Ce message de gratitude ne signifie pas que le travail social ne peut être repensé. Comme vous le pointez dans le rapport, de sérieuses difficultés sont posés à a profession qui se retrouve selon vos mots « entre le marteau et l'enclume ». Pour sortir de cette position particulièrement inconfortable, nous tiendrons en 2014 des Assises du Travail Social où tous les sujets sensibles seront traités.
Je ne veux pas être plus longue. Je vous remercie une nouvelle fois pour ce rapport d'une grande exigence intellectuelle. Avec ce rapport, vous procédez en fait à la réhabilitation de la Solidarité et de l'Assistance comme fondements du lien social. Ce lien est fragile, ce lien est précieux ; il doit être préservé et nourri. Il est ce qui fonde notre appartenance à une même communauté, la communauté humaine, et plus spécifiquement, à celle de la République française, dont l'Assistance est l'un des socles.
Je vous remercie.Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 21 mai 2013