Texte intégral
M. Le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Chers amis,
C'est pour moi un grand honneur que d'intervenir ce soir dans cette enceinte afin déchanger avec vous sur un sujet qui tient particulièrement à cur au ministre de la Défense et à lEuropéen convaincu que je suis : la capacité de lUE à être un acteur politique et un pourvoyeur de sécurité efficace et crédible sur la scène internationale, en un mot lEurope de la défense.
"Sans sûreté, il n'est point de liberté", écrivait il y a un peu plus de deux siècles, en 1810, le grand réformateur du système éducatif prussien, Wilhem von Humbolt. La pertinence de cette conviction, exprimée à cette période charnière de l'histoire de l'Europe, reste plus que jamais d'actualité, aujourd'hui où le monde qui nous entoure apparaît toujours aussi fragile, toujours aussi incertain.
L'intégration européenne a fait de notre continent une grande puissance économique - la deuxième mondiale. La situation de crise que nous traversons en ce moment a tendance à nous faire oublier cette réussite incontestable. Mais il n'est pas de puissance économique pérenne, sans puissance politique et stratégique. Aujourd'hui, plus que jamais, face à une mondialisation qui génère de nouvelles vulnérabilités et de nouvelles interdépendances, nous avons besoin d'une Europe politique capable d'assurer sa propre sécurité et de contribuer à la paix et la sécurité internationales.
En matière de gestion des crises, nous pouvons nous féliciter de la crédibilité que nous avons progressivement conquise et à laquelle nous avons du mal à croire depuis le sommet historique de Saint-Malo en 1998. En à peine plus d'une décennie, l'Union s'est dotée de structures politico-militaires et d'une force de réaction rapide (Groupements tactiques). L'Union européenne a lancé 28 opérations civiles et militaires et elle dispose de tous les instruments pour mettre en uvre une approche globale couvrant l'ensemble du spectre de la crise, de la prévention à la reconstruction.
Pour autant, plus de trois après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, cette réalité reste peu perceptible pour nos partenaires. Certains se refusent même à l'accepter. L'Europe de la Défense marque le pas et connaît des difficultés dont notre incapacité à utiliser nos groupements tactiques ne constitue qu'une illustration parmi d'autres. La crise financière qui contraint nos budgets de défense, bien sûr, pèse sur notre engagement. Mais, dans ce contexte, rien ne serait pire que de céder à la tentation du repli national. Une renationalisation de nos politiques de défense signifierait une diminution du rôle des Etats européens sur la scène mondiale.
L'Europe de la défense offre au contraire l'opportunité de forger de nouvelles solidarités. Solidarité entre Européens d'abord avec une Politique européenne de sécurité et de défense commune qui doit incarner une Europe politique, concrète et proche des préoccupations des citoyens. Solidarité entre les Etats européens ensuite ainsi qu'avec l'ensemble des Etats engagés en faveur de la paix et de la sécurité.
Aujourd'hui, le thème de l'Europe de la défense pose deux grandes questions : les Européens sont-ils prêts à se donner les moyens d'assurer leur sécurité, c'est-à-dire leur liberté ? Sont-ils prêts à se donner les moyens de jouer tout leur rôle sur la scène internationale, de défendre leurs intérêts et leurs valeurs ?
Je veux le croire car, en toute objectivité, ils n'ont,- nous - n'avons pas le choix. C'est pourquoi la France entend continuer à être un promoteur actif du renforcement de l'Europe de la Défense. Si, par le passé, une telle ambition a pu être perçue par certains de nos partenaires comme utopique, voire dogmatique, aujourd'hui - plus que jamais -, cet objectif s'impose à nous.
Plus encore qu'une simple question de niveau d'ambition, c'est aujourd'hui me semble-t-il une question d'obligation pour l'Union Européenne qui se pose, une obligation d'efficacité dans un contexte de crise économique forte : vis-à-vis des citoyens européens, l'UE ne peut plus se permettre de gaspiller ses ressources en conduisant des actions dispersées et aux effets trop souvent modestes et peu visibles, en s'interdisant par refus de l'action ou par méconnaissance de ses propres mécanismes, d'organiser la synergie des nombreux instruments dont elle dispose en matière de défense, de gouvernance et de développement. Son action extérieure doit être optimisée et porter des fruits tangibles si elle veut demeurer un acteur crédible, tant aux yeux de ses concitoyens que de ses grands partenaires.
Je reviendrai sur ce sujet un peu plus tard lorsque j'aborderai l'échéance cruciale que constitue le Conseil européen consacré aux questions de défense de décembre prochain.
Vous le savez, le Président de la République française, chef des armées, a rendu public le 29 avril le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et a acté les grandes priorités de la de défense de la France. Vous aurez observé, à cet égard, la novation qu'aura constitué la participation directe ou indirecte de nos principaux partenaires européens aux travaux du Livre blanc : à travers la participation de représentants de l'Allemagne et du Royaume Uni à l'ensemble des travaux ou sous forme d'auditions.
Cette façon de préparer lavenir de notre défense procède de lengagement fort en faveur dune perspective européenne pour la défense qua souhaité le Président de la République.
Je voudrais partir de la question simple, essentielle, que nous avons pris le temps de nous poser, le Président de la République et moi-même, il y a maintenant plus dun an : pourquoi un nouveau Livre blanc ?
Au-delà des évolutions nécessaires en matière d'organisation, de gestion, de financement et de programmation concernant les forces et moyens militaires nationaux, sujets sur lesquels je ne m'étendrai pas ici, il nous fallait tirer, car telle est la logique de ces exercices récurrents que mène la France depuis vingt ans, les conséquences des bouleversements importants intervenus depuis 2008 dans notre environnement.
La crise financière comme celle des dettes souveraines nempêchent pas aujourdhui lEurope de continuer à avancer sur la voie de lintégration économique mais au prix dune maîtrise sévère des dépenses publiques des principaux pays membres et dune contraction des budgets de défense. Les Etats-Unis sapprêtent à mettre fin à une décennie dengagements militaires particulièrement lourds et revoient leurs priorités dans un contexte de remise en ordre de leurs finances publiques. La Chine poursuit son affirmation économique et les budgets asiatiques de défense ne cessent de croître. La Russie persiste à ne vouloir croire quen une politique de puissance. Les risques de la faiblesse, liés à la défaillance de certains Etats, deviennent un phénomène stratégique dune ampleur nouvelle. Enfin, le monde arabe est entré dans une nouvelle phase, porteuse despoirs mais aussi hélas , à court terme, de risques et de tragédies comme nous le rappelle tous les jours le théâtre syrien et, dans une moindre mesure, libyen.
Il fallait en prendre acte et cest aussi la démarche de ce nouveau Livre blanc.
Sur ces bouleversements et sur les risques futurs pour la sécurité de la France, le Livre blanc de 2013 présente une vision clarifiée et renouvelée, en distinguant trois catégories de dangers : les menaces de la force, les risques de la faiblesse, et limpact de la mondialisation.
Les menaces dites de la force recouvrent les possibilités de résurgence de conflits entre Etats pouvant toucher la sécurité de lEurope, la prolifération nucléaire, balistique ou chimique, ou encore le développement des capacités informatiques offensives de certaines puissances.
Les risques de la faiblesse, quant à eux, rassemblent les conséquences négatives pour la stabilité et la sécurité internationale de la défaillance de certains Etats à exercer les fonctions de base de la souveraineté, favorisant le terrorisme, les trafics ou les atteintes à nos voies dapprovisionnement par exemple.
La mondialisation, enfin, intensifie la puissance dun certain nombre de menaces : prolifération; terrorisme dinspiration djihadiste ; attaques dans le cyberespace ; ou encore agressions dans lespace extra-atmosphérique.
L'interdépendance entre sécurité régionale et sécurité globale est l'une des réalités nouvelles de la mondialisation. Les menaces globales peuvent déclencher ou envenimer les crises régionales. L'insécurité d'une région et même d'un pays peut entraîner des répercussions mondiales.
Le terrorisme international se nourrit de l'instabilité au Sahel, dans la corne de l'Afrique, en Afghanistan et au Pakistan. L'insécurité des routes maritimes prospère sur le trafic de stupéfiants. Le trafic d'armes bénéficie du vide juridique des zones grises et des Etats faillis.
Face à la complexité des menaces, aucun Etat n'est à l'abri. Aucun Etat ne peut agir seul. La paix et la stabilité mondiale exigent la coopération sans faille des Etats, en charge de la protection de leurs populations. Elle suppose aussi l'émergence d'acteurs disposant de la taille critique pour faire respecter le droit international et intervenir là où la situation l'exige.
Tel est l'enjeu de l'Europe de la Défense.
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Le Livre blanc de 2013 souligne lengagement historique de la France avec ses partenaires européens dans une communauté de destin. La construction européenne en général et l'Europe de la défense en particulier constituent donc un axe majeur de notre stratégie. Jy consacre pour ma part beaucoup dénergie depuis ma prise de fonction il y a un an.
Ce Livre blanc dessine dabord avec netteté, en la clarifiant et en la renouvelant, la vision de la France sur un monde en pleine évolution. Il fait de la stabilisation de lespace situé au voisinage de lEurope, sur ses marches orientales et méridionales, une priorité géostratégique.
L'intérêt de l'Europe est d'éviter que n'émerge et ne se développe des menaces dans son voisinage immédiat. Dès lors, la sécurité des marges de l'Union européenne apparaît prioritaire. Toutes les façades de l'Europe sont concernées et doivent être prises en compte :
- les marges orientales d'abord, dans lesquels subsistent des fragilités dans des Etats issus de l'éclatement de l'URSS et de la Yougoslavie. Pour de nombreux Etats européens, la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, du Caucase et de l'Asie centrale est très importante, parfois totale. Nous devons donc veiller, notamment en renforçant les partenariats, à la stabilité de ces régions dans un contexte où les logiques de puissance et d'interdépendance se mêlent et parfois s'opposent.
- En Méditerranée ensuite, façade stratégique pour nous : avec les révolutions politiques et sociales qui se sont produites depuis deux ans dans le monde arabe, s'est ouvert une nouvelle phase historique, porteuse de promesse certes, mais aussi de risques importants, comme nous le montre quotidiennement la situation en Libye et en Syrie. Dans le contexte instable des suites de ces révolutions, le Maghreb revêt pour la France, mais aussi pour toute l'Europe, une importance particulière. Nous ne devons pas sous-estimer le risque (terrorisme, trafics illicites) que fait peser sur nos intérêts le vide sécuritaire dans certains pays, y compris dans la partie orientale de la Méditerranée.
- En Afrique enfin, à laquelle nous accordons une place particulière dans notre Livre Blanc. La crise du Mali, qui a nécessité l'intervention des forces militaires françaises, et qui mobilise aussi aujourdhui les Européens, illustre toute l'importance de la région et la gravité pour l'Europe des menaces qui s'y développent. Le Sahel, une partie de l'Afrique subsaharienne mais aussi le Golfe de Guinée et ses pays riverains, sont des zones proches d'intérêts prioritaires. L'Europe ne peut se désintéresser de l'Afrique et sa politique doit se fonder sur lespoir que dessine le formidable potentiel de croissance de ce continent, en même temps que sur la prise en compte des défis de sécurité qui sy posent.
Je souhaite que cette perception de notre voisinage puisse contribuer à faire émerger une approche commune et équilibrée, partagée par tous les membres de lUnion européenne, de leurs intérêts de sécurité. Je ne verrai que des avantages à ce que ces analyses soient le point de départ dune expression renouvelée de la vision commune par les Européens de leurs intérêts de sécurité, qui pourrait donner lieu à la rédaction dun Livre blanc européen. Il appartient aux Européens d'agir préventivement sur les foyers de crises à leurs portes, et ce d'autant plus que, comme il nous y invite avec force, notre allié américain attend de nous que prenions une part accrue de responsabilité.
Si nous souhaitons relever ce défi, il ne sagira pas de rechercher je ne sais quelle relance idéologique de lEurope de la défense, mais au contraire de mettre en uvre avec nos partenaires de lUnion européenne une démarche pragmatique, fondée sur des projets concrets, ainsi qu'une démarche politique et un souci doptimisation de la gestion de nos ressources.
Cela m'amène naturellement à aborder maintenant la question de l'étape essentielle que constituera le Conseil européen consacré aux questions de défense de décembre 2013.
Alors que les questions de sécurité et de défense sont au cur de son mandat, le Conseil européen ne sest pourtant plus exprimé sur ces sujets depuis 2008. Cette situation nest pas normale ; elle est même incompréhensible alors même que tous les sondages soulignent que nos peuples européens attendent beaucoup de l'Union européenne en matière de défense. A n'en pas douter, il faut voir là le reflet de labsence de volontarisme politique, la conséquence de la réduction des budgets de défense et de la difficulté à identifier des intérêts stratégiques partagés.
Aujourdhui, nous nous trouvons dans une conjoncture favorable à une nouvelle impulsion pour la construction de lEurope de la défense. Nous entendons profiter pleinement du rendez-vous de décembre 2013 proposé lannée dernière par le Président Van Rompuy. Cest un signal politique fort. Nous avons la responsabilité de nous inscrire dans ce mouvement et de le nourrir par un engagement politique sans faille. Cette opportunité doit être saisie.
Le cap de la France reste inchangé dans la préparation de cette échéance. Pour nous, le Conseil européen de décembre 2013 doit être l'occasion de dynamiser, en la portant au plus haut niveau, une politique qui, je le disais il y a quelques instants, a du mal à s'imposer depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Cette politique a du mal à prendre forme, non seulement du fait de la crise qui frappe nos Etats mais aussi, reconnaissons-le, en grande partie du fait de blocages institutionnels et procéduraux, qui nous empêche d'imposer une application ambitieuse de l'approche globale.
Ce Conseil européen, je veux le dire aussi, ne devra pas être un événement unique. Il doit devenir une échéance annuelle et investir l'ensemble du champ stratégique.
La Libye et le Mali ont clairement montré que lUE était en retard sur lévénement. Il est urgent quelle tire profit des moyens civils et militaires dont elle dispose pour faciliter un déploiement rapide, efficace et cohérent sur le terrain. Il est urgent d'être en mesure de privilégier une logique d'efficacité et donc de trouver des moyens pour s'affranchir de lectures trop rigides de certaines procédures (en termes de planification, de financement, de déploiement, etc.) qui nuisent trop souvent à la réactivité et l'efficacité des outils européens de gestion de crise.
Il est urgent que notre Union européenne mette enfin en uvre une véritable approche globale de la gestion des crises. Je veux le dire ici avec force, ceci ne sera pas possible tant que les institutions européennes ne seront pas capables dadapter et doptimiser leur façon de travailler, de mettre un terme, aux cloisonnements institutionnels qui persistent entre la Commission et le Service européen d'action extérieure (SEAE), et entravent la mobilisation rapide, cohérente et efficace de l'ensemble des instruments de l'UE.
Laissez-moi vous conter une anecdote à mes yeux révélatrice des incohérences dont souffre aujourdhui notre action européenne : la stabilisation du Nord Mali passe en partie par notre capacité à favoriser pour les populations le retour à une vie normale. Cest pourquoi le chef de la mission EUTM à suggéré récemment que soit financée la reconstruction du marché de la ville de Gao détruit dans les combats avec le MUJAO. 15 000 euros étaient nécessaires. L'occasion était magnifique et à moindre coût de montrer aux populations locales ce que l'Europe pouvait faire, vite, pour l'amélioration de leur vie quotidienne. Or, ni l'Instrument de stabilité, ni la Direction générale DEVCO de la Commission, sollicités par le général Lecointre, n'ont été en mesure de proposer une solution Il faut absolument remédier à ce type de dysfonctionnement.
Depuis plus d'un an, la France a attiré sans relâche l'attention de ses partenaires sur la dangerosité de la situation sécuritaire au Mali. Les faits ne nous ont pas détrompés, justifiant notre intervention nationale. Aujourdhui, nous sommes entrés dans une phase de stabilisation. La mission EUTM ne constitue pas la seule réponse à la crise malienne. J'insiste, tous les instruments de lUnion européenne, notamment lInstrument de Stabilité, doivent être mobilisés de manière cohérente afin de contribuer à la phase de transition dans les prochains mois.
Tous les volets de résolution de la crise sont importants. Le renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure et de la justice est crucial. Sans soutien européen, les forces de sécurité ne pourront pas se redéployer et permettre un retour de lEtat sur lensemble du territoire malien. Ce redéploiement des forces de gendarmerie et de la garde nationale notamment, est une pré condition essentielle au maintien de la sécurité dans le nord du pays.
Par ailleurs, lUnion européenne ne peut faire léconomie dun plan daction global face aux enjeux de la stabilisation et de la transition. Notre succès dans la mobilisation de lensemble des instruments de l'UE, de manière décloisonnée, démontrera la capacité à mettre en uvre une véritable approche globale dans la résolution dune crise multidimensionnelle.
Enfin, la dimension régionale de la gestion des frontières au Sahel ne peut être ignorée. Il nest pas concevable aujourdhui de lancer une mission PSDC de gestion des frontières en Libye qui resterait à Tripoli et ne serait pas physiquement déployée à sa frontière sud. Cette frontière est non seulement la priorité des Libyens, mais également au cur des enjeux de sécurité au Sahel.
Améliorer le volet opérationnel de la PSDC, tant dans ses aspect civils que militaires, constitue donc un enjeu majeur pour ce Conseil européen. L'autre enjeu essentiel relève du domaine du capacitaire.
Alors que les Etats-Unis et l'OTAN exhortent les Européens à se doter de capacités cohérentes et complètes au plan militaire et annoncent leur désengagement de l'Europe désengagement relatif car les Etats-Unis ne renonceront pas à leurs ambitions industrielles sur le marché européen de défense la question de l'autonomie stratégique européenne se pose avec acuité.
Nous sommes là au cur du sujet : si l'ambition de l'UE est de renforcer sa capacité à agir seule, elle n'a pas d'autre alternative que de travailler à se doter des moyens nécessaires et de s'assurer du maintien d'une industrie forte.
L'enjeu est de taille car, aujourd'hui, aucun Etat membre ne maîtrise l'ensemble du spectre capacitaire et une grande majorité des 27 ne dispose plus que d'un appareil de défense résiduel et très lacunaire. Il faut se rendre à l'évidence, nous allons assister à des effets de seuils s'agissant de la perte de capacités. Or, les abandons de savoir faire technologiques sont quasi irrémédiables : il faut des décennies pour réacquérir la maîtrise d'une technologie perdue !
Dans ce contexte, nous le savons et le répétons depuis des années, le partage, la mutualisation et la coopération sont les seuls leviers pour agir. Nous le répétons « avec la crise, la coopération capacitaire est la seule solution ». Mais en sommes-nous profondément convaincus ? Ne sommes-nous pas au contraire secrètement convaincus que les coopérations sont surtout génératrices de délais, de coûts et de bureaucratie supplémentaires, difficilement justifiables auprès de nos autorités politiques ? Avons-nous réellement conscience de ce que nous gagnerions à coopérer et surtout de ce que nous perdons à ne pas coopérer ? Sommes-nous réellement prêts à franchir le pas vers plus de dépendance intra-européenne pour maintenir nos marges de manuvre stratégiques ?
Pour être très honnête, je pense que le travail de pédagogie sur les vertus de la coopération européenne est encore devant nous n'en suis pas sûr du tout. La réalité, est qu'en dépit des contraintes budgétaires et financières, personne ne veut vraiment se coordonner. Malgré les déclarations politiques au plus haut niveau, les avancées restent très modestes : les coopérations sont nombreuses sur le papier, mais nont pas encore produit beaucoup deffets, lAgence européenne de défense est une jeune pousse largement sous-employée et sous-dotée en termes de budgets, et hormis lA400 M, il ny a plus de grands programmes darmement structurants. Nous nous comportons encore comme des nations prospères et assurées, alors quen réalité nous sommes déjà au régime sec et que nos outils de défense sont fragilisés.
Si nous nanticipons pas les difficultés et restons réticents, méfiants, à légard des processus de coopération, nos choix capacitaires seront dictés par les agendas budgétaires, déconnectés des exigences opérationnelles. Nous subirons les choix au lieu de les décider. Il nous faut donc amplifier l'élan de coopération, tout particulièrement à la lumière des opérations récentes en Libye et au Mali, qui ont mis en évidence les lacunes européennes en matière de connaissance/anticipation (certains capteurs spatiaux ; système intégré d'appréciation de la situation) et de projection (transport stratégique et tactique).
Nous devons poursuivre les travaux entamés dans le domaine du transport aérien par le biais du programme A400M, du ravitaillement en vol, et développer lEATC, exemple réussi de pooling and sharing entrepris par quelques Etats membres (France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique + Luxembourg) volontaires.
Pour amplifier les coopérations, nous devons aussi et surtout travailler à la mise en place doutils à même de les favoriser. Comment ?
- En avançant dans les domaines non stratégiques mais sources de synergies et déconomies significatives : je pense à la formation, lentraînement, le soutien logistique, la normalisation Noublions pas que lachat ne représente qu1/4 du coût global dun équipement tout au long de son cycle de vie (acquisition, maintenance, logistique, formation, démantèlement, etc.)
- En réfléchissant ensemble à la mise en place de véritables incitations financières à définir dans le cas de lacquisition ou de la mise en uvre en commun de capacités ; celles-ci pourraient, par exemple, prendre la forme dexonérations de TVA pour lacquisition, le soutien et/ou la mise en uvre communes de capacités
Le succès du développement capacitaire européen repose également sur la préservation de nos capacités industrielles, de leurs emplois et des compétences de haut niveau associées. Cette nécessité de préserver nos savoir-faire et notre avance technologique ne semble ne pas porter dans lensemble de nos pays. Certains ne se sentent pas concernés par la santé financière de lindustrie de défense. Cest une grave erreur, car lindustrie de défense, ce ne sont pas seulement des fleurons nationaux, cest une croissance économique dont tous les pays européens profitent, c'est également un tissu de PME et des emplois (450 000) partout en Europe, de la production à la sous-traitance.
Vous le savez, la Commission prépare une communication sur l'industrie et les marché de défense : il est essentiel à nos yeux qu'elle prenne en compte les spécificités de ce marché et les préserve. En effet, du fait de sa demande quasi-exclusivement étatique ; de son offre limitée ; de la forte dimension de confidentialité auquel il est soumis, le marché de défense n'est pas un marché comme les autres.
De même, l'industrie de défense se caractérise par des durées de développement importantes et une obligation de maintien en service des systèmes sur plusieurs décennies ; par un coût considérable et croissant de ces programmes qui limite souvent sa capacité dautofinancement ; par une commercialisation des produits fortement contrôlée par les autorités gouvernementales.
Nous avons fait part avec nos partenaires de la L.O.I de nos préoccupations à la Commission de nos préoccupations à la Commission. Nous espérons qu'elle saura en tenir compte. Je reste pour ma part convaincu que le parlement européen saura jouer pleinement son rôle dans la défense des intérêts européens et dans la promotion d'une action extérieure, plus cohérente, plus efficace et plus visible.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 mai 2013
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Chers amis,
C'est pour moi un grand honneur que d'intervenir ce soir dans cette enceinte afin déchanger avec vous sur un sujet qui tient particulièrement à cur au ministre de la Défense et à lEuropéen convaincu que je suis : la capacité de lUE à être un acteur politique et un pourvoyeur de sécurité efficace et crédible sur la scène internationale, en un mot lEurope de la défense.
"Sans sûreté, il n'est point de liberté", écrivait il y a un peu plus de deux siècles, en 1810, le grand réformateur du système éducatif prussien, Wilhem von Humbolt. La pertinence de cette conviction, exprimée à cette période charnière de l'histoire de l'Europe, reste plus que jamais d'actualité, aujourd'hui où le monde qui nous entoure apparaît toujours aussi fragile, toujours aussi incertain.
L'intégration européenne a fait de notre continent une grande puissance économique - la deuxième mondiale. La situation de crise que nous traversons en ce moment a tendance à nous faire oublier cette réussite incontestable. Mais il n'est pas de puissance économique pérenne, sans puissance politique et stratégique. Aujourd'hui, plus que jamais, face à une mondialisation qui génère de nouvelles vulnérabilités et de nouvelles interdépendances, nous avons besoin d'une Europe politique capable d'assurer sa propre sécurité et de contribuer à la paix et la sécurité internationales.
En matière de gestion des crises, nous pouvons nous féliciter de la crédibilité que nous avons progressivement conquise et à laquelle nous avons du mal à croire depuis le sommet historique de Saint-Malo en 1998. En à peine plus d'une décennie, l'Union s'est dotée de structures politico-militaires et d'une force de réaction rapide (Groupements tactiques). L'Union européenne a lancé 28 opérations civiles et militaires et elle dispose de tous les instruments pour mettre en uvre une approche globale couvrant l'ensemble du spectre de la crise, de la prévention à la reconstruction.
Pour autant, plus de trois après l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, cette réalité reste peu perceptible pour nos partenaires. Certains se refusent même à l'accepter. L'Europe de la Défense marque le pas et connaît des difficultés dont notre incapacité à utiliser nos groupements tactiques ne constitue qu'une illustration parmi d'autres. La crise financière qui contraint nos budgets de défense, bien sûr, pèse sur notre engagement. Mais, dans ce contexte, rien ne serait pire que de céder à la tentation du repli national. Une renationalisation de nos politiques de défense signifierait une diminution du rôle des Etats européens sur la scène mondiale.
L'Europe de la défense offre au contraire l'opportunité de forger de nouvelles solidarités. Solidarité entre Européens d'abord avec une Politique européenne de sécurité et de défense commune qui doit incarner une Europe politique, concrète et proche des préoccupations des citoyens. Solidarité entre les Etats européens ensuite ainsi qu'avec l'ensemble des Etats engagés en faveur de la paix et de la sécurité.
Aujourd'hui, le thème de l'Europe de la défense pose deux grandes questions : les Européens sont-ils prêts à se donner les moyens d'assurer leur sécurité, c'est-à-dire leur liberté ? Sont-ils prêts à se donner les moyens de jouer tout leur rôle sur la scène internationale, de défendre leurs intérêts et leurs valeurs ?
Je veux le croire car, en toute objectivité, ils n'ont,- nous - n'avons pas le choix. C'est pourquoi la France entend continuer à être un promoteur actif du renforcement de l'Europe de la Défense. Si, par le passé, une telle ambition a pu être perçue par certains de nos partenaires comme utopique, voire dogmatique, aujourd'hui - plus que jamais -, cet objectif s'impose à nous.
Plus encore qu'une simple question de niveau d'ambition, c'est aujourd'hui me semble-t-il une question d'obligation pour l'Union Européenne qui se pose, une obligation d'efficacité dans un contexte de crise économique forte : vis-à-vis des citoyens européens, l'UE ne peut plus se permettre de gaspiller ses ressources en conduisant des actions dispersées et aux effets trop souvent modestes et peu visibles, en s'interdisant par refus de l'action ou par méconnaissance de ses propres mécanismes, d'organiser la synergie des nombreux instruments dont elle dispose en matière de défense, de gouvernance et de développement. Son action extérieure doit être optimisée et porter des fruits tangibles si elle veut demeurer un acteur crédible, tant aux yeux de ses concitoyens que de ses grands partenaires.
Je reviendrai sur ce sujet un peu plus tard lorsque j'aborderai l'échéance cruciale que constitue le Conseil européen consacré aux questions de défense de décembre prochain.
Vous le savez, le Président de la République française, chef des armées, a rendu public le 29 avril le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et a acté les grandes priorités de la de défense de la France. Vous aurez observé, à cet égard, la novation qu'aura constitué la participation directe ou indirecte de nos principaux partenaires européens aux travaux du Livre blanc : à travers la participation de représentants de l'Allemagne et du Royaume Uni à l'ensemble des travaux ou sous forme d'auditions.
Cette façon de préparer lavenir de notre défense procède de lengagement fort en faveur dune perspective européenne pour la défense qua souhaité le Président de la République.
Je voudrais partir de la question simple, essentielle, que nous avons pris le temps de nous poser, le Président de la République et moi-même, il y a maintenant plus dun an : pourquoi un nouveau Livre blanc ?
Au-delà des évolutions nécessaires en matière d'organisation, de gestion, de financement et de programmation concernant les forces et moyens militaires nationaux, sujets sur lesquels je ne m'étendrai pas ici, il nous fallait tirer, car telle est la logique de ces exercices récurrents que mène la France depuis vingt ans, les conséquences des bouleversements importants intervenus depuis 2008 dans notre environnement.
La crise financière comme celle des dettes souveraines nempêchent pas aujourdhui lEurope de continuer à avancer sur la voie de lintégration économique mais au prix dune maîtrise sévère des dépenses publiques des principaux pays membres et dune contraction des budgets de défense. Les Etats-Unis sapprêtent à mettre fin à une décennie dengagements militaires particulièrement lourds et revoient leurs priorités dans un contexte de remise en ordre de leurs finances publiques. La Chine poursuit son affirmation économique et les budgets asiatiques de défense ne cessent de croître. La Russie persiste à ne vouloir croire quen une politique de puissance. Les risques de la faiblesse, liés à la défaillance de certains Etats, deviennent un phénomène stratégique dune ampleur nouvelle. Enfin, le monde arabe est entré dans une nouvelle phase, porteuse despoirs mais aussi hélas , à court terme, de risques et de tragédies comme nous le rappelle tous les jours le théâtre syrien et, dans une moindre mesure, libyen.
Il fallait en prendre acte et cest aussi la démarche de ce nouveau Livre blanc.
Sur ces bouleversements et sur les risques futurs pour la sécurité de la France, le Livre blanc de 2013 présente une vision clarifiée et renouvelée, en distinguant trois catégories de dangers : les menaces de la force, les risques de la faiblesse, et limpact de la mondialisation.
Les menaces dites de la force recouvrent les possibilités de résurgence de conflits entre Etats pouvant toucher la sécurité de lEurope, la prolifération nucléaire, balistique ou chimique, ou encore le développement des capacités informatiques offensives de certaines puissances.
Les risques de la faiblesse, quant à eux, rassemblent les conséquences négatives pour la stabilité et la sécurité internationale de la défaillance de certains Etats à exercer les fonctions de base de la souveraineté, favorisant le terrorisme, les trafics ou les atteintes à nos voies dapprovisionnement par exemple.
La mondialisation, enfin, intensifie la puissance dun certain nombre de menaces : prolifération; terrorisme dinspiration djihadiste ; attaques dans le cyberespace ; ou encore agressions dans lespace extra-atmosphérique.
L'interdépendance entre sécurité régionale et sécurité globale est l'une des réalités nouvelles de la mondialisation. Les menaces globales peuvent déclencher ou envenimer les crises régionales. L'insécurité d'une région et même d'un pays peut entraîner des répercussions mondiales.
Le terrorisme international se nourrit de l'instabilité au Sahel, dans la corne de l'Afrique, en Afghanistan et au Pakistan. L'insécurité des routes maritimes prospère sur le trafic de stupéfiants. Le trafic d'armes bénéficie du vide juridique des zones grises et des Etats faillis.
Face à la complexité des menaces, aucun Etat n'est à l'abri. Aucun Etat ne peut agir seul. La paix et la stabilité mondiale exigent la coopération sans faille des Etats, en charge de la protection de leurs populations. Elle suppose aussi l'émergence d'acteurs disposant de la taille critique pour faire respecter le droit international et intervenir là où la situation l'exige.
Tel est l'enjeu de l'Europe de la Défense.
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Le Livre blanc de 2013 souligne lengagement historique de la France avec ses partenaires européens dans une communauté de destin. La construction européenne en général et l'Europe de la défense en particulier constituent donc un axe majeur de notre stratégie. Jy consacre pour ma part beaucoup dénergie depuis ma prise de fonction il y a un an.
Ce Livre blanc dessine dabord avec netteté, en la clarifiant et en la renouvelant, la vision de la France sur un monde en pleine évolution. Il fait de la stabilisation de lespace situé au voisinage de lEurope, sur ses marches orientales et méridionales, une priorité géostratégique.
L'intérêt de l'Europe est d'éviter que n'émerge et ne se développe des menaces dans son voisinage immédiat. Dès lors, la sécurité des marges de l'Union européenne apparaît prioritaire. Toutes les façades de l'Europe sont concernées et doivent être prises en compte :
- les marges orientales d'abord, dans lesquels subsistent des fragilités dans des Etats issus de l'éclatement de l'URSS et de la Yougoslavie. Pour de nombreux Etats européens, la dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie, du Caucase et de l'Asie centrale est très importante, parfois totale. Nous devons donc veiller, notamment en renforçant les partenariats, à la stabilité de ces régions dans un contexte où les logiques de puissance et d'interdépendance se mêlent et parfois s'opposent.
- En Méditerranée ensuite, façade stratégique pour nous : avec les révolutions politiques et sociales qui se sont produites depuis deux ans dans le monde arabe, s'est ouvert une nouvelle phase historique, porteuse de promesse certes, mais aussi de risques importants, comme nous le montre quotidiennement la situation en Libye et en Syrie. Dans le contexte instable des suites de ces révolutions, le Maghreb revêt pour la France, mais aussi pour toute l'Europe, une importance particulière. Nous ne devons pas sous-estimer le risque (terrorisme, trafics illicites) que fait peser sur nos intérêts le vide sécuritaire dans certains pays, y compris dans la partie orientale de la Méditerranée.
- En Afrique enfin, à laquelle nous accordons une place particulière dans notre Livre Blanc. La crise du Mali, qui a nécessité l'intervention des forces militaires françaises, et qui mobilise aussi aujourdhui les Européens, illustre toute l'importance de la région et la gravité pour l'Europe des menaces qui s'y développent. Le Sahel, une partie de l'Afrique subsaharienne mais aussi le Golfe de Guinée et ses pays riverains, sont des zones proches d'intérêts prioritaires. L'Europe ne peut se désintéresser de l'Afrique et sa politique doit se fonder sur lespoir que dessine le formidable potentiel de croissance de ce continent, en même temps que sur la prise en compte des défis de sécurité qui sy posent.
Je souhaite que cette perception de notre voisinage puisse contribuer à faire émerger une approche commune et équilibrée, partagée par tous les membres de lUnion européenne, de leurs intérêts de sécurité. Je ne verrai que des avantages à ce que ces analyses soient le point de départ dune expression renouvelée de la vision commune par les Européens de leurs intérêts de sécurité, qui pourrait donner lieu à la rédaction dun Livre blanc européen. Il appartient aux Européens d'agir préventivement sur les foyers de crises à leurs portes, et ce d'autant plus que, comme il nous y invite avec force, notre allié américain attend de nous que prenions une part accrue de responsabilité.
Si nous souhaitons relever ce défi, il ne sagira pas de rechercher je ne sais quelle relance idéologique de lEurope de la défense, mais au contraire de mettre en uvre avec nos partenaires de lUnion européenne une démarche pragmatique, fondée sur des projets concrets, ainsi qu'une démarche politique et un souci doptimisation de la gestion de nos ressources.
Cela m'amène naturellement à aborder maintenant la question de l'étape essentielle que constituera le Conseil européen consacré aux questions de défense de décembre 2013.
Alors que les questions de sécurité et de défense sont au cur de son mandat, le Conseil européen ne sest pourtant plus exprimé sur ces sujets depuis 2008. Cette situation nest pas normale ; elle est même incompréhensible alors même que tous les sondages soulignent que nos peuples européens attendent beaucoup de l'Union européenne en matière de défense. A n'en pas douter, il faut voir là le reflet de labsence de volontarisme politique, la conséquence de la réduction des budgets de défense et de la difficulté à identifier des intérêts stratégiques partagés.
Aujourdhui, nous nous trouvons dans une conjoncture favorable à une nouvelle impulsion pour la construction de lEurope de la défense. Nous entendons profiter pleinement du rendez-vous de décembre 2013 proposé lannée dernière par le Président Van Rompuy. Cest un signal politique fort. Nous avons la responsabilité de nous inscrire dans ce mouvement et de le nourrir par un engagement politique sans faille. Cette opportunité doit être saisie.
Le cap de la France reste inchangé dans la préparation de cette échéance. Pour nous, le Conseil européen de décembre 2013 doit être l'occasion de dynamiser, en la portant au plus haut niveau, une politique qui, je le disais il y a quelques instants, a du mal à s'imposer depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
Cette politique a du mal à prendre forme, non seulement du fait de la crise qui frappe nos Etats mais aussi, reconnaissons-le, en grande partie du fait de blocages institutionnels et procéduraux, qui nous empêche d'imposer une application ambitieuse de l'approche globale.
Ce Conseil européen, je veux le dire aussi, ne devra pas être un événement unique. Il doit devenir une échéance annuelle et investir l'ensemble du champ stratégique.
La Libye et le Mali ont clairement montré que lUE était en retard sur lévénement. Il est urgent quelle tire profit des moyens civils et militaires dont elle dispose pour faciliter un déploiement rapide, efficace et cohérent sur le terrain. Il est urgent d'être en mesure de privilégier une logique d'efficacité et donc de trouver des moyens pour s'affranchir de lectures trop rigides de certaines procédures (en termes de planification, de financement, de déploiement, etc.) qui nuisent trop souvent à la réactivité et l'efficacité des outils européens de gestion de crise.
Il est urgent que notre Union européenne mette enfin en uvre une véritable approche globale de la gestion des crises. Je veux le dire ici avec force, ceci ne sera pas possible tant que les institutions européennes ne seront pas capables dadapter et doptimiser leur façon de travailler, de mettre un terme, aux cloisonnements institutionnels qui persistent entre la Commission et le Service européen d'action extérieure (SEAE), et entravent la mobilisation rapide, cohérente et efficace de l'ensemble des instruments de l'UE.
Laissez-moi vous conter une anecdote à mes yeux révélatrice des incohérences dont souffre aujourdhui notre action européenne : la stabilisation du Nord Mali passe en partie par notre capacité à favoriser pour les populations le retour à une vie normale. Cest pourquoi le chef de la mission EUTM à suggéré récemment que soit financée la reconstruction du marché de la ville de Gao détruit dans les combats avec le MUJAO. 15 000 euros étaient nécessaires. L'occasion était magnifique et à moindre coût de montrer aux populations locales ce que l'Europe pouvait faire, vite, pour l'amélioration de leur vie quotidienne. Or, ni l'Instrument de stabilité, ni la Direction générale DEVCO de la Commission, sollicités par le général Lecointre, n'ont été en mesure de proposer une solution Il faut absolument remédier à ce type de dysfonctionnement.
Depuis plus d'un an, la France a attiré sans relâche l'attention de ses partenaires sur la dangerosité de la situation sécuritaire au Mali. Les faits ne nous ont pas détrompés, justifiant notre intervention nationale. Aujourdhui, nous sommes entrés dans une phase de stabilisation. La mission EUTM ne constitue pas la seule réponse à la crise malienne. J'insiste, tous les instruments de lUnion européenne, notamment lInstrument de Stabilité, doivent être mobilisés de manière cohérente afin de contribuer à la phase de transition dans les prochains mois.
Tous les volets de résolution de la crise sont importants. Le renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure et de la justice est crucial. Sans soutien européen, les forces de sécurité ne pourront pas se redéployer et permettre un retour de lEtat sur lensemble du territoire malien. Ce redéploiement des forces de gendarmerie et de la garde nationale notamment, est une pré condition essentielle au maintien de la sécurité dans le nord du pays.
Par ailleurs, lUnion européenne ne peut faire léconomie dun plan daction global face aux enjeux de la stabilisation et de la transition. Notre succès dans la mobilisation de lensemble des instruments de l'UE, de manière décloisonnée, démontrera la capacité à mettre en uvre une véritable approche globale dans la résolution dune crise multidimensionnelle.
Enfin, la dimension régionale de la gestion des frontières au Sahel ne peut être ignorée. Il nest pas concevable aujourdhui de lancer une mission PSDC de gestion des frontières en Libye qui resterait à Tripoli et ne serait pas physiquement déployée à sa frontière sud. Cette frontière est non seulement la priorité des Libyens, mais également au cur des enjeux de sécurité au Sahel.
Améliorer le volet opérationnel de la PSDC, tant dans ses aspect civils que militaires, constitue donc un enjeu majeur pour ce Conseil européen. L'autre enjeu essentiel relève du domaine du capacitaire.
Alors que les Etats-Unis et l'OTAN exhortent les Européens à se doter de capacités cohérentes et complètes au plan militaire et annoncent leur désengagement de l'Europe désengagement relatif car les Etats-Unis ne renonceront pas à leurs ambitions industrielles sur le marché européen de défense la question de l'autonomie stratégique européenne se pose avec acuité.
Nous sommes là au cur du sujet : si l'ambition de l'UE est de renforcer sa capacité à agir seule, elle n'a pas d'autre alternative que de travailler à se doter des moyens nécessaires et de s'assurer du maintien d'une industrie forte.
L'enjeu est de taille car, aujourd'hui, aucun Etat membre ne maîtrise l'ensemble du spectre capacitaire et une grande majorité des 27 ne dispose plus que d'un appareil de défense résiduel et très lacunaire. Il faut se rendre à l'évidence, nous allons assister à des effets de seuils s'agissant de la perte de capacités. Or, les abandons de savoir faire technologiques sont quasi irrémédiables : il faut des décennies pour réacquérir la maîtrise d'une technologie perdue !
Dans ce contexte, nous le savons et le répétons depuis des années, le partage, la mutualisation et la coopération sont les seuls leviers pour agir. Nous le répétons « avec la crise, la coopération capacitaire est la seule solution ». Mais en sommes-nous profondément convaincus ? Ne sommes-nous pas au contraire secrètement convaincus que les coopérations sont surtout génératrices de délais, de coûts et de bureaucratie supplémentaires, difficilement justifiables auprès de nos autorités politiques ? Avons-nous réellement conscience de ce que nous gagnerions à coopérer et surtout de ce que nous perdons à ne pas coopérer ? Sommes-nous réellement prêts à franchir le pas vers plus de dépendance intra-européenne pour maintenir nos marges de manuvre stratégiques ?
Pour être très honnête, je pense que le travail de pédagogie sur les vertus de la coopération européenne est encore devant nous n'en suis pas sûr du tout. La réalité, est qu'en dépit des contraintes budgétaires et financières, personne ne veut vraiment se coordonner. Malgré les déclarations politiques au plus haut niveau, les avancées restent très modestes : les coopérations sont nombreuses sur le papier, mais nont pas encore produit beaucoup deffets, lAgence européenne de défense est une jeune pousse largement sous-employée et sous-dotée en termes de budgets, et hormis lA400 M, il ny a plus de grands programmes darmement structurants. Nous nous comportons encore comme des nations prospères et assurées, alors quen réalité nous sommes déjà au régime sec et que nos outils de défense sont fragilisés.
Si nous nanticipons pas les difficultés et restons réticents, méfiants, à légard des processus de coopération, nos choix capacitaires seront dictés par les agendas budgétaires, déconnectés des exigences opérationnelles. Nous subirons les choix au lieu de les décider. Il nous faut donc amplifier l'élan de coopération, tout particulièrement à la lumière des opérations récentes en Libye et au Mali, qui ont mis en évidence les lacunes européennes en matière de connaissance/anticipation (certains capteurs spatiaux ; système intégré d'appréciation de la situation) et de projection (transport stratégique et tactique).
Nous devons poursuivre les travaux entamés dans le domaine du transport aérien par le biais du programme A400M, du ravitaillement en vol, et développer lEATC, exemple réussi de pooling and sharing entrepris par quelques Etats membres (France, Allemagne, Pays-Bas, Belgique + Luxembourg) volontaires.
Pour amplifier les coopérations, nous devons aussi et surtout travailler à la mise en place doutils à même de les favoriser. Comment ?
- En avançant dans les domaines non stratégiques mais sources de synergies et déconomies significatives : je pense à la formation, lentraînement, le soutien logistique, la normalisation Noublions pas que lachat ne représente qu1/4 du coût global dun équipement tout au long de son cycle de vie (acquisition, maintenance, logistique, formation, démantèlement, etc.)
- En réfléchissant ensemble à la mise en place de véritables incitations financières à définir dans le cas de lacquisition ou de la mise en uvre en commun de capacités ; celles-ci pourraient, par exemple, prendre la forme dexonérations de TVA pour lacquisition, le soutien et/ou la mise en uvre communes de capacités
Le succès du développement capacitaire européen repose également sur la préservation de nos capacités industrielles, de leurs emplois et des compétences de haut niveau associées. Cette nécessité de préserver nos savoir-faire et notre avance technologique ne semble ne pas porter dans lensemble de nos pays. Certains ne se sentent pas concernés par la santé financière de lindustrie de défense. Cest une grave erreur, car lindustrie de défense, ce ne sont pas seulement des fleurons nationaux, cest une croissance économique dont tous les pays européens profitent, c'est également un tissu de PME et des emplois (450 000) partout en Europe, de la production à la sous-traitance.
Vous le savez, la Commission prépare une communication sur l'industrie et les marché de défense : il est essentiel à nos yeux qu'elle prenne en compte les spécificités de ce marché et les préserve. En effet, du fait de sa demande quasi-exclusivement étatique ; de son offre limitée ; de la forte dimension de confidentialité auquel il est soumis, le marché de défense n'est pas un marché comme les autres.
De même, l'industrie de défense se caractérise par des durées de développement importantes et une obligation de maintien en service des systèmes sur plusieurs décennies ; par un coût considérable et croissant de ces programmes qui limite souvent sa capacité dautofinancement ; par une commercialisation des produits fortement contrôlée par les autorités gouvernementales.
Nous avons fait part avec nos partenaires de la L.O.I de nos préoccupations à la Commission de nos préoccupations à la Commission. Nous espérons qu'elle saura en tenir compte. Je reste pour ma part convaincu que le parlement européen saura jouer pleinement son rôle dans la défense des intérêts européens et dans la promotion d'une action extérieure, plus cohérente, plus efficace et plus visible.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 mai 2013