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Le sport est affaire de passion, dengagement, de volonté. Je veux donc ouvrir mon propos par un mot dhommage à un homme passionné par la cause du sport féminin, Pierre Fosset, qui fête cette année ses 20 ans à la tête du Tango Bourges Basket. Avec 13 titres de champion de France et 2 Euroligues, le Tango Bourges Basket symbolise parfaitement lexcellence du sport féminin français. Mais le basket est un sport déquipe, et je serais bien injuste si je ne remerciais également pas les équipes, les élus, les cadres, les joueuses qui ont forgé la destinée de ce club exceptionnel et qui nous accueillent aujourdhui.
Il existe peu de lieux en France qui symbolisent mieux la réussite du sport féminin que la ville de Bourges, avec son club de basket. Au volleyball, on oublie trop que la ville de Cannes nest pas seulement la ville du cinéma mais aussi la ville quinze fois championne de France et finaliste du championnat dEurope. En football, nous avons également Juvisy et Lyon, une ville qui me tient à cur et pour laquelle jaurais une pensée toute particulière la semaine prochaine quand notre équipe jouera la finale de la Champions League.
Le choix de la ville de Bourges comme hôte de ces états généraux est un symbole fort et je dois encore remercier les élus locaux qui accompagnent le sport féminin. Je leur dis de poursuivre encore et toujours leurs efforts pour soutenir et porter au plus haut nos équipes de sport féminin. Je vois encore trop de villes, de collectivités locales qui proposent des montants de subventions affreusement déséquilibrés entre clubs féminins et clubs masculins. Etant moi-même élue locale à Lyon, je sais combien il est dur de maintenir un soutien constant aux sportives quand les temps sont à lassainissement des finances publiques.
Le rôle dappui des collectivités locales est indispensable. Le rôle dimpulsion des fédérations, des clubs, du Comité National Olympique est fondamental. On joue en équipe, on gagne en équipe et on réussira la promotion du sport féminin en équipe. Le gouvernement doit gagner ce match avec le mouvement sportif ce et cest ce que je suis venue vous dire aujourdhui. Jai coutume de dire que lEtat ne peut aller loin tout seul. En démocratie, les lois, les règlements, les décisions ne sont pleinement compris et acceptés que lorsquils sont précédés et suivis dintenses débats.
Le débat autour de la place des femmes dans notre société ne sera fructueux que si la société civile sen empare pleinement, dans toutes ses composantes. Ces Etats Généraux sont une initiative admirable car ils créent les conditions du débat et rassemblent en un seul lieu des acteurs épars. Nous connaissons bien le monde sportif, cest un petit monde, mais également un monde où les différentes familles nont pas toujours loccasion de débattre ensemble : les médias sportifs, les fédérations, les pouvoirs publics, les associations, les pratiquants, les professionnels, les licenciés ont besoin de temps forts comme ces Etats Généraux pour se rencontrer et faire vivre la flamme du mouvement sportif. Lexpression « Etats Généraux » est une expression forte, particulièrement pertinente, chargée par le poids de lHistoire. Les Etats Généraux libèrent la parole, font naitre des propositions et aboutissent parfois à la Révolution. Rassurez-vous, la comparaison sarrête là.
Ces Etats Généraux naboutiront pas à un serment du Jeu de Paume et personne ne nous sortira par la force des baïonnettes. Je ne suis pas non plus venue ici pour mener une Révolution, mais plutôt pour accompagner une évolution. Par contre, je ne verrai que des avantages à avoir lecture de vos cahiers des doléances et à ce que nous dressions un constat complet et exhaustif des raisons pour lesquelles le monde du sport reste un monde de domination masculine.
Je le crois sincèrement, les inégalités entre sportifs et sportives ne se résorberont pas en un jour. Nous le savons, je le sais depuis que jai accepté les responsabilités qui sont les miennes. Le Ministère des Droits des Femmes, cest le Ministère du temps long. Nos actions impactent directement les mentalités, les préjugés, les inégalités, et elles ne produisent des effets que si nous savons faire preuve de conviction et de pédagogie. En regardant le chemin parcouru ces derniers siècles, je me console sur le chemin quil nous reste à parcourir ces prochaines décennies. Jai retrouvé récemment cette citation croustillante de Pierre De Coubertin, qui disait au début du siècle : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. » Ces charmants propos reflètent lesprit dun siècle révolu mais illustrent bien le chemin parcouru depuis. Pierre De Coubertin était un visionnaire à bien des points de vue, mais lavenir lui a donné tort sur la place des femmes dans le sport. Aux derniers Jeux Olympiques, les Françaises ont fait mentir le fondateur des Jeux. Les Braqueuses sont là pour en témoigner et peuvent arborer fièrement leur médaille dargent. Nos footballeuses peuvent également rentrer la tête haute après une demi-finale endiablée. Que dire également de lengouement populaire pour des figures comme la judokate Lucie Decosse ou la nageuse Camille Muffat?
Aujourdhui, jémets le souhait que les voix qui sexprimeront dans ce forum apportent chacune leur pierre au bel édifice du sport féminin. Les questions posées dans les ateliers sont fondamentales : Comment donner plus de visibilité au sport féminin dans les médias ? Comment encourager les femmes à prendre leur licence sportive ? Comment les inciter à exercer plus de responsabilités dans les fédérations ?
Sans préjuger des débats qui auront lieu aujourdhui et demain, je peux vous dire la détermination sans failles du gouvernement de promouvoir la pratique du sport féminin, sa promotion et sa place dans la société ainsi que notre volonté datteindre lobjectif de parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives. Les moyens datteindre ces objectifs de modernisation, de changements des mentalités et des représentations archaïques, cest avec vous, avec lensemble du monde sportif et de ses acteurs et actrices que nous les trouverons.
Nous ne voulons pas plaquer une décision den haut. Nous voulons mettre légalité au cur du monde sportif et reconstruire les politiques sportives à partir de cette valeur qui est à la base même de la compétition. Cest pourquoi jaimerais avec V Fourneyron que nous prenions ensemble dans les prochaines semaines le temps dune large concertation avec tous les acteurs du monde du sport sur les moyens de promouvoir légalité à court, moyen et long terme.
La parité doit petit à petit, étape par étape, devenir une évidence. Je ne pense pas que les évidences puissent simposer sans un objectif clair, des échéances et, à termes, des obligations. Les femmes ont trop attendues pour savoir que si la perspective de la parité nest jamais fixée dans la loi, elle ne se réalise jamais. Cette volonté qui est la mienne et celle de V Fourneyron sera très prochainement devra se traduire dans le projet de loi-cadre sur les droits des femmes que je présenterai en Conseil des Ministres dans les prochaines semaines. Elle sera aussi un ferment du projet de loi sur le sport que prépare ma collègue V Fourneyron. Nos valeurs sarticulent autour dun principe fort, celui de lEgalité. Aujourdhui le sport est dautant plus beau quil est divers et embrasse toute la société.
Légalité ce nest pas une valeur parmi dautre dans le sport, cest la valeur cardinale. Nous devons en faire le vecteur numéro un de renouveau de notre politique du sport.
LEgalité dans le monde du sport doit se faire sur les terrains, sur les écrans et dans les instances dirigeantes.
Sur les terrains dabord. On ne dit pas assez le potentiel incroyable que représente la féminisation de la pratique sportive pour les clubs et les fédérations. Aujourdhui, la moitié des femmes déclarent pratiquer une activité sportive, mais seul un tiers des licences sportives sont détenues par des femmes. Ce paradoxe doit être levé si nous voulons élargir un peu plus la base du mouvement sportif et lenraciner un peu plus profondément dans notre société. Certaines fédérations ont compris cet enjeu. Je dois saluer la fédération française de football qui sest fixée des objectifs ambitieux avec un plan de féminisation de grande ampleur: depuis deux ans, 13 000 femmes ont pris leur licence. La Fédération ne compte pas sarrêter en si bon chemin et souhaite atteindre lobjectif de 100 000 licenciées supplémentaires dici 2016.
Ces initiatives de féminisation de la pratique sportive méritent dêtre généralisées. Avec la Ministre des Sports Valérie Fourneyron, nous souhaitons désormais rendre obligatoires les plans de féminisation dans chaque Fédération. Avant la fin de lannée, chaque fédération devra présenter un plan de féminisation, expliquant en détails comment elle compte développer la pratique du sport féminin, comment elle souhaite augmenter le nombre de femmes présentes dans larbitrage et dans lencadrement technique et surtout comment elle envisage de développer le sport féminin de haut niveau. La féminisation du sport, jen ai conscience, cest à la fois une chance et un défi.
Jai déjà pu constater dans mes contacts avec les responsables des fédérations combien chacun avait pris la mesure de lenjeu. Ne nous y trompons pas, il y a une forte attente et de vrais soutiens dans ce projet pour légalité, et pas seulement du côté des femmes. Plus quune question de principe, la féminisation du sport renforce nos fédérations, tant dans la pratique quà linternational. Face aux Allemandes, aux Scandinaves, aux Américaines, aux Chinoises, la France ne doit pas être le parent pauvre des grandes compétitions internationales de sport féminin. Je place tous mes espoirs dans lEuro de basket féminin qui débute le 15 juin prochain à Trélazé, ou sur lEuro de foot féminin du mois de juillet, pour prouver le contraire et pour montrer à tous ceux qui en doutent encore que le sport féminin est une source de fierté nationale.
LEgalité, cest aussi sur nos écrans et dans nos médias quelle doit se réaliser.
Les résultats sportifs du dimanche soir peuvent être sources de grandes joies pour les supporters chanceux mais aussi sources de profondes frustrations pour les amateurs de sport féminin. Parmi les longues litanies de résultats ânonnées par les présentateurs, limpasse est souvent faite sur les résultats des équipes féminines. Une récente étude a montré que plus de 85% de la couverture médiatique est dédiée à des sportifs masculins et seulement 8% des articles de presse sportive sont signés par des journalistes de sexe féminin. Ce manque de visibilité du sport féminin dans nos médias est un handicap majeur, tous en ont conscience. Les trois quarts des Français considèrent ainsi que les écarts de pratique sportive entre hommes et femmes sont dus à la faible médiatisation du sport féminin.
Jen suis intimement convaincue, cest là le cur du problème. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus un sport attire de licenciés. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus un sport attire des sponsors. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus il va influencer limaginaire collectif. Le compte ny est pas. Aujourdhui, qui sait quil y a en France plus de footballeuses que de danseuses ? Personne. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres, ils influencent la représentation du sport féminin et nous devrons les inciter à représenter les performances sportives des femmes à égalité avec celles des hommes.
Nous devons ainsi créer les conditions pour développer la diffusion du sport féminin à la télévision et pas seulement sur les chaînes payantes. Nous avancerons tout dabord avec une mesure symbolique, à savoir la reconnaissance des principales compétitions du football féminin et du rugby féminin comme événements sportifs dimportance majeure. Il existe en France un décret, le décret TSF, qui liste les manifestations sportives devant obligatoirement faire lobjet dun accès gratuit, même si un opérateur en a acheté les droits. Aujourdhui, cette liste ne comporte que cinq événements féminins. Nous avons soumis à la Commission européenne un nouveau projet de décret, en vue dy ajouter les sept principaux événements sportifs du football féminin et du rugby féminin.
La loi que je présenterai le mois prochain proposera également que soient renforcés les pouvoirs du CSA en matière dégalité. Le Conseil Supérieur de lAudiovisuel veillera désormais à une juste représentation des femmes dans les programmes des services de communication audiovisuelle, et, dautre part, à limage des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les préjugés sexistes. Ces nouveaux pouvoirs permettront au CSA de sassurer que sport féminin et sport masculin sont traités avec équité. La loi rappellera également les obligations des chaines publiques en la matière, elles doivent contribuer à la lutte contre les préjugés sexistes en diffusant des programmes relatifs à ces sujets.
Légalité, enfin, doit être parachevée au sommet, dans les instances dirigeantes. Depuis que le nouveau gouvernement est en responsabilités, nous nous sommes engagés à réaliser la parité dans les conseils généraux, dans les conseils dadministration des grandes entreprises, dans les chambres de commerce. Louverture de laccès aux responsabilités dans le monde sportif participe de ce même mouvement. Quelles pratiquent un sport, entraînent une équipe ou participent à la gestion dune fédération, les femmes se heurtent à un plafond de verre, de la même façon que dans le monde du travail En regardant les derniers résultats des renouvellements des instances fédérales, jai constaté que des progrès indéniables avaient été réalisés en matière de représentativité. La représentativité des femmes au sein des comités directeurs est, aujourdhui, assurée dans 52% des fédérations, contre 39% en 2009. En revanche, sagissant de la parité, seules 12 fédérations, sur un total de 121, présentent des comités directeurs qui en sont proches (entre 40 et 60%). Jen profite ainsi pour saluer les fédérations de natation ou de gymnastique, qui sont parvenues à la parité dans leurs comités directeurs.
Avec la Ministre Valérie Fourneyron, nous souhaitons amplifier ce mouvement. La loi-cadre sur les droits des femmes que je présenterai le mois prochain fixera un objectif simple, la parité, car il aucun autre objectif nest acceptable. Nous faisons la parité dans le gouvernement, au parlement. Nous la faisons à luniversité. Nous la faisons dans les entreprises. Comment expliquer quelle ne se fasse pas dans le sport alors que légalité est la valeur numéro cardinale du sport. Je pense donc que nous devons avoir un moment franc et constructif déchange sur les moyens datteindre la parité dans toutes les instances dirigeantes du monde sportif. Je sais que cela implique beaucoup dajustements. Nous ne voulons pas nous précipiter. Notre objectif sera dêtre près avant la fin de la prochaine olympiade, cest-à-dire 2020. Mes premiers contacts avec les dirigeants du monde sportif montrent un enthousiasme sincère et je sais quils relèveront le défi.
Dans un entretien au grand quotidien LEquipe, javais eu loccasion de le dire : « je veux faire du sport un outil de changement social ». Cette phrase a été prononcée pour la première fois en 1973 par une grande championne de tennis américaine, Billie Jean King, qui avait eu le culot pour lépoque de défier le très macho champion de tennis Bobby Riggs et de le battre à plate couture au cours dun match mémorable. Sa victoire eut un tel écho que le nombre de licenciées de fédération de tennis féminin américaine avait alors explosé.
Le sport a un rôle social. Le sport est un espace de citoyenneté, un espace dégalité. Le temps dune partie, dun match, dune compétition, les barrières sociales peuvent tomber, les différences dâge peuvent seffacer, les origines peuvent être oubliées. Cet esprit sportif ne sarrête pas à la sortie des vestiaires. Lesprit sportif vit bien au-delà. Les clubs français forment un maillage dense sur nos territoires. Les parents se retrouvent autour des terrains, les sportifs sont des modèles pour des milliers de jeunes, les clubs font travailler près de 7.4 millions de personnes en Europe.
Lesprit sportif infuse dans la société. Il est donc essentiel que le sport soit considéré comme un des vecteurs de légalité entre les femmes et les hommes. Beaucoup lont oublié, mais le monde sportif a été un des pionniers du combat pour légalité entre les hommes et les femmes. Cest notamment à travers la pratique du sport que les femmes ont pu faire évoluer le débat sur la mixité puis revendiquer le droit à disposer de leur corps.
La féminisation du sport est une chance pour le mouvement sportif et pour la société. Le monde sportif est et sera plus encore et grâce à vous, un puissant accélérateur de lEgalité. Avec vous, nous avons le moyen dagir sur le quotidien, nous pouvons réaliser légalité pour des millions de femmes, pour des millions de sportives licenciées dans un club.
Vous lavez compris, ensemble nous entamons un marathon vers la parité, le chemin est long, nous nous entrainons ensemble, nous courrons ensemble et cest ensemble que nous le gagnerons.
Je vous souhaite une belle journée déchanges. Je sais que ce colloque fera naitre de nombreuses propositions et je les attends, que le bouillonnement des intelligences fera émerger des solutions concrètes , innovantes voire audacieuses dont nous avons besoin. Je compte sur vous, jai besoin de votre énergie, de votre détermination et cest avec vous que je veux construire le chemin vers légalité entre les femmes et les hommes dans le mouvement sportif.
Bonne journée à toutes et à tous.
Source http://femmes.gouv.fr, le 24 mai 2013