Déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du gouvernement, sur le sport féminin et le mouvement sportif, Bourges le 16 mai 2013.

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Circonstance : Etats généraux du sport féminin à Bourges le 16 mai 2013

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Le sport est affaire de passion, d’engagement, de volonté. Je veux donc ouvrir mon propos par un mot d’hommage à un homme passionné par la cause du sport féminin, Pierre Fosset, qui fête cette année ses 20 ans à la tête du Tango Bourges Basket. Avec 13 titres de champion de France et 2 Euroligues, le Tango Bourges Basket symbolise parfaitement l’excellence du sport féminin français. Mais le basket est un sport d’équipe, et je serais bien injuste si je ne remerciais également pas les équipes, les élus, les cadres, les joueuses qui ont forgé la destinée de ce club exceptionnel et qui nous accueillent aujourd’hui.
Il existe peu de lieux en France qui symbolisent mieux la réussite du sport féminin que la ville de Bourges, avec son club de basket. Au volleyball, on oublie trop que la ville de Cannes n’est pas seulement la ville du cinéma mais aussi la ville quinze fois championne de France et finaliste du championnat d’Europe. En football, nous avons également Juvisy et Lyon, une ville qui me tient à cœur et pour laquelle j’aurais une pensée toute particulière la semaine prochaine quand notre équipe jouera la finale de la Champions League.
Le choix de la ville de Bourges comme hôte de ces états généraux est un symbole fort et je dois encore remercier les élus locaux qui accompagnent le sport féminin. Je leur dis de poursuivre encore et toujours leurs efforts pour soutenir et porter au plus haut nos équipes de sport féminin. Je vois encore trop de villes, de collectivités locales qui proposent des montants de subventions affreusement déséquilibrés entre clubs féminins et clubs masculins. Etant moi-même élue locale à Lyon, je sais combien il est dur de maintenir un soutien constant aux sportives quand les temps sont à l’assainissement des finances publiques.
Le rôle d’appui des collectivités locales est indispensable. Le rôle d’impulsion des fédérations, des clubs, du Comité National Olympique est fondamental. On joue en équipe, on gagne en équipe et on réussira la promotion du sport féminin en équipe. Le gouvernement doit gagner ce match avec le mouvement sportif ce et c’est ce que je suis venue vous dire aujourd’hui. J’ai coutume de dire que l’Etat ne peut aller loin tout seul. En démocratie, les lois, les règlements, les décisions ne sont pleinement compris et acceptés que lorsqu’ils sont précédés et suivis d’intenses débats.
Le débat autour de la place des femmes dans notre société ne sera fructueux que si la société civile s’en empare pleinement, dans toutes ses composantes. Ces Etats Généraux sont une initiative admirable car ils créent les conditions du débat et rassemblent en un seul lieu des acteurs épars. Nous connaissons bien le monde sportif, c’est un petit monde, mais également un monde où les différentes familles n’ont pas toujours l’occasion de débattre ensemble : les médias sportifs, les fédérations, les pouvoirs publics, les associations, les pratiquants, les professionnels, les licenciés ont besoin de temps forts comme ces Etats Généraux pour se rencontrer et faire vivre la flamme du mouvement sportif. L’expression « Etats Généraux » est une expression forte, particulièrement pertinente, chargée par le poids de l’Histoire. Les Etats Généraux libèrent la parole, font naitre des propositions et aboutissent parfois à la Révolution. Rassurez-vous, la comparaison s’arrête là.
Ces Etats Généraux n’aboutiront pas à un serment du Jeu de Paume et personne ne nous sortira par la force des baïonnettes. Je ne suis pas non plus venue ici pour mener une Révolution, mais plutôt pour accompagner une évolution. Par contre, je ne verrai que des avantages à avoir lecture de vos cahiers des doléances et à ce que nous dressions un constat complet et exhaustif des raisons pour lesquelles le monde du sport reste un monde de domination masculine.
Je le crois sincèrement, les inégalités entre sportifs et sportives ne se résorberont pas en un jour. Nous le savons, je le sais depuis que j’ai accepté les responsabilités qui sont les miennes. Le Ministère des Droits des Femmes, c’est le Ministère du temps long. Nos actions impactent directement les mentalités, les préjugés, les inégalités, et elles ne produisent des effets que si nous savons faire preuve de conviction et de pédagogie. En regardant le chemin parcouru ces derniers siècles, je me console sur le chemin qu’il nous reste à parcourir ces prochaines décennies. J’ai retrouvé récemment cette citation croustillante de Pierre De Coubertin, qui disait au début du siècle : « Une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. » Ces charmants propos reflètent l’esprit d’un siècle révolu mais illustrent bien le chemin parcouru depuis. Pierre De Coubertin était un visionnaire à bien des points de vue, mais l’avenir lui a donné tort sur la place des femmes dans le sport. Aux derniers Jeux Olympiques, les Françaises ont fait mentir le fondateur des Jeux. Les Braqueuses sont là pour en témoigner et peuvent arborer fièrement leur médaille d’argent. Nos footballeuses peuvent également rentrer la tête haute après une demi-finale endiablée. Que dire également de l’engouement populaire pour des figures comme la judokate Lucie Decosse ou la nageuse Camille Muffat?
Aujourd’hui, j’émets le souhait que les voix qui s’exprimeront dans ce forum apportent chacune leur pierre au bel édifice du sport féminin. Les questions posées dans les ateliers sont fondamentales : Comment donner plus de visibilité au sport féminin dans les médias ? Comment encourager les femmes à prendre leur licence sportive ? Comment les inciter à exercer plus de responsabilités dans les fédérations ?
Sans préjuger des débats qui auront lieu aujourd’hui et demain, je peux vous dire la détermination sans failles du gouvernement de promouvoir la pratique du sport féminin, sa promotion et sa place dans la société ainsi que notre volonté d’atteindre l’objectif de parité dans les instances dirigeantes des fédérations sportives. Les moyens d’atteindre ces objectifs de modernisation, de changements des mentalités et des représentations archaïques, c’est avec vous, avec l’ensemble du monde sportif et de ses acteurs et actrices que nous les trouverons.
Nous ne voulons pas plaquer une décision d’en haut. Nous voulons mettre l’égalité au cœur du monde sportif et reconstruire les politiques sportives à partir de cette valeur qui est à la base même de la compétition. C’est pourquoi j’aimerais avec V Fourneyron que nous prenions ensemble dans les prochaines semaines le temps d’une large concertation avec tous les acteurs du monde du sport sur les moyens de promouvoir l’égalité à court, moyen et long terme.
La parité doit petit à petit, étape par étape, devenir une évidence. Je ne pense pas que les évidences puissent s’imposer sans un objectif clair, des échéances et, à termes, des obligations. Les femmes ont trop attendues pour savoir que si la perspective de la parité n’est jamais fixée dans la loi, elle ne se réalise jamais. Cette volonté qui est la mienne et celle de V Fourneyron sera très prochainement devra se traduire dans le projet de loi-cadre sur les droits des femmes que je présenterai en Conseil des Ministres dans les prochaines semaines. Elle sera aussi un ferment du projet de loi sur le sport que prépare ma collègue V Fourneyron. Nos valeurs s’articulent autour d’un principe fort, celui de l’Egalité. Aujourd’hui le sport est d’autant plus beau qu’il est divers et embrasse toute la société.
L’égalité ce n’est pas une valeur parmi d’autre dans le sport, c’est la valeur cardinale. Nous devons en faire le vecteur numéro un de renouveau de notre politique du sport.
L’Egalité dans le monde du sport doit se faire sur les terrains, sur les écrans et dans les instances dirigeantes.
Sur les terrains d’abord. On ne dit pas assez le potentiel incroyable que représente la féminisation de la pratique sportive pour les clubs et les fédérations. Aujourd’hui, la moitié des femmes déclarent pratiquer une activité sportive, mais seul un tiers des licences sportives sont détenues par des femmes. Ce paradoxe doit être levé si nous voulons élargir un peu plus la base du mouvement sportif et l’enraciner un peu plus profondément dans notre société. Certaines fédérations ont compris cet enjeu. Je dois saluer la fédération française de football qui s’est fixée des objectifs ambitieux avec un plan de féminisation de grande ampleur: depuis deux ans, 13 000 femmes ont pris leur licence. La Fédération ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et souhaite atteindre l’objectif de 100 000 licenciées supplémentaires d’ici 2016.
Ces initiatives de féminisation de la pratique sportive méritent d’être généralisées. Avec la Ministre des Sports Valérie Fourneyron, nous souhaitons désormais rendre obligatoires les plans de féminisation dans chaque Fédération. Avant la fin de l’année, chaque fédération devra présenter un plan de féminisation, expliquant en détails comment elle compte développer la pratique du sport féminin, comment elle souhaite augmenter le nombre de femmes présentes dans l’arbitrage et dans l’encadrement technique et surtout comment elle envisage de développer le sport féminin de haut niveau. La féminisation du sport, j’en ai conscience, c’est à la fois une chance et un défi.
J’ai déjà pu constater dans mes contacts avec les responsables des fédérations combien chacun avait pris la mesure de l’enjeu. Ne nous y trompons pas, il y a une forte attente et de vrais soutiens dans ce projet pour l’égalité, et pas seulement du côté des femmes. Plus qu’une question de principe, la féminisation du sport renforce nos fédérations, tant dans la pratique qu’à l’international. Face aux Allemandes, aux Scandinaves, aux Américaines, aux Chinoises, la France ne doit pas être le parent pauvre des grandes compétitions internationales de sport féminin. Je place tous mes espoirs dans l’Euro de basket féminin qui débute le 15 juin prochain à Trélazé, ou sur l’Euro de foot féminin du mois de juillet, pour prouver le contraire et pour montrer à tous ceux qui en doutent encore que le sport féminin est une source de fierté nationale.
L’Egalité, c’est aussi sur nos écrans et dans nos médias qu’elle doit se réaliser.
Les résultats sportifs du dimanche soir peuvent être sources de grandes joies pour les supporters chanceux mais aussi sources de profondes frustrations pour les amateurs de sport féminin. Parmi les longues litanies de résultats ânonnées par les présentateurs, l’impasse est souvent faite sur les résultats des équipes féminines. Une récente étude a montré que plus de 85% de la couverture médiatique est dédiée à des sportifs masculins et seulement 8% des articles de presse sportive sont signés par des journalistes de sexe féminin. Ce manque de visibilité du sport féminin dans nos médias est un handicap majeur, tous en ont conscience. Les trois quarts des Français considèrent ainsi que les écarts de pratique sportive entre hommes et femmes sont dus à la faible médiatisation du sport féminin.
J’en suis intimement convaincue, c’est là le cœur du problème. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus un sport attire de licenciés. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus un sport attire des sponsors. Plus un sport est exposé médiatiquement, plus il va influencer l’imaginaire collectif. Le compte n’y est pas. Aujourd’hui, qui sait qu’il y a en France plus de footballeuses que de danseuses ? Personne. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres, ils influencent la représentation du sport féminin et nous devrons les inciter à représenter les performances sportives des femmes à égalité avec celles des hommes.
Nous devons ainsi créer les conditions pour développer la diffusion du sport féminin à la télévision et pas seulement sur les chaînes payantes. Nous avancerons tout d’abord avec une mesure symbolique, à savoir la reconnaissance des principales compétitions du football féminin et du rugby féminin comme événements sportifs d’importance majeure. Il existe en France un décret, le décret TSF, qui liste les manifestations sportives devant obligatoirement faire l’objet d’un accès gratuit, même si un opérateur en a acheté les droits. Aujourd’hui, cette liste ne comporte que cinq événements féminins. Nous avons soumis à la Commission européenne un nouveau projet de décret, en vue d’y ajouter les sept principaux événements sportifs du football féminin et du rugby féminin.
La loi que je présenterai le mois prochain proposera également que soient renforcés les pouvoirs du CSA en matière d’égalité. Le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel veillera désormais à une juste représentation des femmes dans les programmes des services de communication audiovisuelle, et, d’autre part, à l’image des femmes qui apparaît dans ces programmes, notamment en luttant contre les préjugés sexistes. Ces nouveaux pouvoirs permettront au CSA de s’assurer que sport féminin et sport masculin sont traités avec équité. La loi rappellera également les obligations des chaines publiques en la matière, elles doivent contribuer à la lutte contre les préjugés sexistes en diffusant des programmes relatifs à ces sujets.
L’égalité, enfin, doit être parachevée au sommet, dans les instances dirigeantes. Depuis que le nouveau gouvernement est en responsabilités, nous nous sommes engagés à réaliser la parité dans les conseils généraux, dans les conseils d’administration des grandes entreprises, dans les chambres de commerce. L’ouverture de l’accès aux responsabilités dans le monde sportif participe de ce même mouvement. Qu’elles pratiquent un sport, entraînent une équipe ou participent à la gestion d’une fédération, les femmes se heurtent à un plafond de verre, de la même façon que dans le monde du travail En regardant les derniers résultats des renouvellements des instances fédérales, j’ai constaté que des progrès indéniables avaient été réalisés en matière de représentativité. La représentativité des femmes au sein des comités directeurs est, aujourd’hui, assurée dans 52% des fédérations, contre 39% en 2009. En revanche, s’agissant de la parité, seules 12 fédérations, sur un total de 121, présentent des comités directeurs qui en sont proches (entre 40 et 60%). J’en profite ainsi pour saluer les fédérations de natation ou de gymnastique, qui sont parvenues à la parité dans leurs comités directeurs.
Avec la Ministre Valérie Fourneyron, nous souhaitons amplifier ce mouvement. La loi-cadre sur les droits des femmes que je présenterai le mois prochain fixera un objectif simple, la parité, car il aucun autre objectif n’est acceptable. Nous faisons la parité dans le gouvernement, au parlement. Nous la faisons à l’université. Nous la faisons dans les entreprises. Comment expliquer qu’elle ne se fasse pas dans le sport alors que l’égalité est la valeur numéro cardinale du sport. Je pense donc que nous devons avoir un moment franc et constructif d’échange sur les moyens d’atteindre la parité dans toutes les instances dirigeantes du monde sportif. Je sais que cela implique beaucoup d’ajustements. Nous ne voulons pas nous précipiter. Notre objectif sera d’être près avant la fin de la prochaine olympiade, c’est-à-dire 2020. Mes premiers contacts avec les dirigeants du monde sportif montrent un enthousiasme sincère et je sais qu’ils relèveront le défi.
Dans un entretien au grand quotidien L’Equipe, j’avais eu l’occasion de le dire : « je veux faire du sport un outil de changement social ». Cette phrase a été prononcée pour la première fois en 1973 par une grande championne de tennis américaine, Billie Jean King, qui avait eu le culot pour l’époque de défier le très macho champion de tennis Bobby Riggs et de le battre à plate couture au cours d’un match mémorable. Sa victoire eut un tel écho que le nombre de licenciées de fédération de tennis féminin américaine avait alors explosé.
Le sport a un rôle social. Le sport est un espace de citoyenneté, un espace d’égalité. Le temps d’une partie, d’un match, d’une compétition, les barrières sociales peuvent tomber, les différences d’âge peuvent s’effacer, les origines peuvent être oubliées. Cet esprit sportif ne s’arrête pas à la sortie des vestiaires. L’esprit sportif vit bien au-delà. Les clubs français forment un maillage dense sur nos territoires. Les parents se retrouvent autour des terrains, les sportifs sont des modèles pour des milliers de jeunes, les clubs font travailler près de 7.4 millions de personnes en Europe.
L’esprit sportif infuse dans la société. Il est donc essentiel que le sport soit considéré comme un des vecteurs de l’égalité entre les femmes et les hommes. Beaucoup l’ont oublié, mais le monde sportif a été un des pionniers du combat pour l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est notamment à travers la pratique du sport que les femmes ont pu faire évoluer le débat sur la mixité puis revendiquer le droit à disposer de leur corps.
La féminisation du sport est une chance pour le mouvement sportif et pour la société. Le monde sportif est et sera plus encore et grâce à vous, un puissant accélérateur de l’Egalité. Avec vous, nous avons le moyen d’agir sur le quotidien, nous pouvons réaliser l’égalité pour des millions de femmes, pour des millions de sportives licenciées dans un club.
Vous l’avez compris, ensemble nous entamons un marathon vers la parité, le chemin est long, nous nous entrainons ensemble, nous courrons ensemble et c’est ensemble que nous le gagnerons.
Je vous souhaite une belle journée d’échanges. Je sais que ce colloque fera naitre de nombreuses propositions et je les attends, que le bouillonnement des intelligences fera émerger des solutions concrètes , innovantes voire audacieuses dont nous avons besoin. Je compte sur vous, j’ai besoin de votre énergie, de votre détermination et c’est avec vous que je veux construire le chemin vers l’égalité entre les femmes et les hommes dans le mouvement sportif.
Bonne journée à toutes et à tous.
Source http://femmes.gouv.fr, le 24 mai 2013