Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à Canal plus le 17 mai 2013, sur les chiffres du chômage et la croissance économique.

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Média : Canal Plus

Texte intégral


APOLLINE DE MALHERBE
Hier François HOLLANDE a dit : « La courbe du chômage peut s’inverser d’ici la fin de l’année. » C'est un petit changement de vocabulaire. Peut s’inverser, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’au fond, vous n’y croyez plus trop.
MICHEL SAPIN
Oh là là ! Vous êtes dans la subtilité sur les mots !
APOLLINE DE MALHERBE
Oh, mais c’est ça la politique.
MICHEL SAPIN
L’objectif est le même et ça ne peut être que le seul objectif de l’ensemble du gouvernement parce que c’est la préoccupation fondamentale des Français. Ils sont préoccupés certes de leur pouvoir d’achat, mais ils sont préoccupés d’abord et avant toute chose parce que leurs enfants ne trouvent pas de boulot, ou parce qu’ils sont inquiets dans leur famille ou parce que tel ou tel se pose des questions sur : « Qu’est-ce qui va se passer si mon entreprise ferme ». C’est ça la préoccupation principale.
NATHALIE IANNETTA
Donc ça va s’inverser alors.
APOLLINE DE MALHERBE
« Peut-être bien que oui… »
MICHEL SAPIN
Non, non, non ! Je ne vais pas dans votre « peut-être bien que oui, peut-être bien que non » ! On prend des décisions, on met en oeuvre ces décisions et ce que le président de la République dans ce domaine comme dans d’autres a affirmé hier, c’est qu’il faut accélérer, il faut être à l’offensive. On sera encore plus à l’offensive sur le front du chômage pour faire reculer le chômage à la fin de cette année.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais il a aussi dit que l’important dans cette baisse du chômage, c’était surtout son effet psychologique. Il a dit deux fois ce mot-là. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire quand même qu’au fond, le plus important c’est surtout qu’on y croit.
MICHEL SAPIN
Vous savez, on cite beaucoup de chiffres. On dit, je ne sais pas quoi, trois pourcents de déficit par rapport au PIB, on parle d’un déficit commercial mais ça, personne ne le rencontre au coin de la rue, ce déficit, ce pourcentage. Le chômeur, on le rencontre au coin de la rue ou on le connait dans sa famille. C’est pour ça que c’est à la fois quelque chose de socialement nécessaire, mais de psychologiquement, au sens où ça redonne confiance. Disons-le à l’inverse. Quand le chômage augmente tous les mois depuis cinq ans, ça plombe.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça déprime tout le monde.
MICHEL SAPIN
Et donc le jour où le chômage va reculer, ça redonnera un espoir et ça démontrera surtout ce que nous cherchons aujourd'hui : c’est que nos politiques, même si au départ il faut les poser, il faut les concevoir et ça prend du temps, elles vont avoir des résultats et des résultats positifs.
APOLLINE DE MALHERBE
Alors il y a un autre truc qui a quand même un effet psychologique assez désastreux, c’est toujours les augmentations d’impôts. La phrase de François HOLLANDE, là encore c’est des mots, mais il y a quand même un petit flou. Il dit : « L’idéal, ce serait de ne pas augmenter les impôts en 2014 ».
MICHEL SAPIN
Il a dit quelque chose de très net, de très clair et qui n’est pas du tout dans le flou ; c’est : « L’année prochaine, nous aurons à ce point maîtrisé les dépenses de l’État qu’elles diminueront ». Donc l’objectif fondamental, les décisions que nous prenons, c’est de faire diminuer les dépenses de l’État.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais bon, « l’idéal » ça veut dire quoi ?
MICHEL SAPIN
C’est parce que c’est par la diminution des dépenses de l’État et par le retour de la croissance que nous réglerons le problème des déficits et le problème de l’endettement de la France.
APOLLINE DE MALHERBE
Sinon, ça monte.
MICHEL SAPIN
Mais non ! ce n’est pas : « Sinon, ça monte », puisque justement la Commission européenne, l’Europe avec intelligence, avec pertinence et parce qu’ils peuvent nous faire confiance, ont dit : « Pas la peine d’augmenter les impôts comme ça pour aller courir après les trois pourcents de déficit vis-à-vis du PIB, vis-à-vis de la richesse nationale, vous avez deux ans pour rééquilibrer les choses, sans faire appel à la contribution des Français ». Écoutez, ils ont été déjà beaucoup sollicités, les Français, et d’abord et avant toute chose par les décisions appliquées en 2012 – mais on ne pouvait pas faire autrement – qui avaient été prises en 2011.
APOLLINE DE MALHERBE
Oui, il l’a dit François HOLLANDE hier. Il a dit : « Je prends quatre milliards, je laisse douze à mon prédécesseur ».
MICHEL SAPIN
Voilà. Ça fait déjà beaucoup douze pour le prédécesseur, même si on prend comme on le disait lui-même la France telle que nous l’avons trouvée, et c’est à celle-là qu’aujourd'hui nous essayons d’apporter des solutions.
APOLLINE DE MALHERBE
Si je vous entends bien, vous dites : « L’idéal, c’est parce que quand même ça dépend de la croissance ». Justement, parlons-en de la croissance.
MICHEL SAPIN
Je veux juste prendre un exemple sur ce point-là. Les partenaires sociaux ont décidé – les partenaires sociaux, c’est les syndicats et les patronats – ont décidé s’agissant des retraites complémentaires. Il n’y a pas que la retraite de base – les mille deux cent cinquante – il y a ce qui est au-dessus. Ils ont décidé une légère augmentation des cotisations, c’est eux qui l’ont décidée.
APOLLINE DE MALHERBE
C’est une forme d’impôt.
MICHEL SAPIN
C’est eux qui l’ont décidée. Ce n’est pas l’État qui l’a décidée, c’est eux qui l’ont décidée. Ils ont eu raison de le faire. Ils ont pris leurs responsabilités. Voilà, l’idéal c’est ça. Il y a parfois des nécessités pour équilibrer un régime social, d’avoir une légère augmentation des cotisations, mais ce n’est pas l’objectif, ce n’est pas la mesure principale. La mesure principale, c’est la maîtrise des dépenses.
APOLLINE DE MALHERBE
Mais on s’adapte à cette croissance et cette croissance justement il y a six mois, elle était la perspective de 0,8 pourcent, maintenant on est en récession. On sait que chaque point après la virgule, c’est un milliard à trouver. Ça veut dire que là, en six mois, il y a huit milliards de moins.
MICHEL SAPIN
Oui, mais ce n’est pas le plus grave.
APOLLINE DE MALHERBE
Vous allez faire quoi avec ces huit milliards ? Ce n’est pas grave ? Huit milliards, on les trouve…
MICHEL SAPIN
Je le répète : la Commission européenne a eu l’intelligence de dire : « Ne courrez pas derrière cela ». Il faut recréer les conditions de la croissance, mais pourquoi ? D’abord et avant toute chose parce que c’est avec la croissance qu’on crée des emplois, qu’on lutte contre le chômage. Ça reste l’objectif fondamental et c’est pour ça qu’il faut de la croissance supplémentaire.
APOLLINE DE MALHERBE
Les emplois, les emplois d’avenir.
MICHEL SAPIN
J’entends souvent dire, vous ne m’avez pas posé la question comme ça mais j’entends souvent dire : « La France entre en récession ». Non. La France a été en récession et la France va sortir de la récession et la France va recréer de la croissance et donc va recréer des emplois.
APOLLINE DE MALHERBE
Via les emplois. Vous, justement, vous étiez à l’honneur hier. On se disait avec Nathalie, tout ce dont le président s’est félicité, il a dit que les réformes les plus importantes c’étaient les emplois d’avenir, la réforme du marché du travail, la compétitivité des entreprises. Tout ça, c’est vous. Sauf qu’il ajuste ; sur les emplois d’avenir par exemple, il élargit au secteur privé. Ça veut dire que c’est un cadeau aux entreprises.
MICHEL SAPIN
Il n’élargit pas, d’ailleurs il ne l’a pas dit comme ça : c’est déjà ouvert au secteur privé. Ce que nous souhaitons, c’est que les partenaires dans les régions, les préfets, les élus, disent dans tel ou tel domaine. Il a cité ces domaines. Par exemple, dans le domaine du tourisme, dans le domaine d’accueil des touristes. Il a dit : « Il faut ouvrir plus qu’aujourd'hui ». Oui ! J’ai d’ailleurs donné des directives aux préfets pour qu’on ouvre plus aujourd'hui. Il ne s’agit pas de faire un cadeau mais je veux juste prendre un exemple.
APOLLINE DE MALHERBE
C’est un peu un cadeau quand même, attendez. C’est un peu un cadeau : ça veut dire que pour les entreprises privées, il y aura moins de charges s’ils embauchent sous cette forme-là.
MICHEL SAPIN
Oui, mais comme dans les associations privées qui font la même chose, c’est pour ça. Vous prenez tous les services à domicile ; ils sont très importants et ils sont extrêmement utiles. Ils sont beaucoup portés par des associations aujourd'hui. Vous avez des associations dans les départements, dans les quartiers, qui mettent à disposition des personnes âgées ou des personnes handicapées de l’aide à domicile et il y en a parfois d’autres qui n’ont pas une structure associative mais une structure d’entreprise. Ce n’est pas pour autant qu’ils font des bénéfices en quantités mais pourquoi faire une telle différence ? Non. On veut qu’il y ait le même traitement pour deux types d’activités même si elles sont portées par deux types d’entreprises.
APOLLINE DE MALHERBE
Ça vous arrange aussi parce que pour l’instant, ça ne prend pas beaucoup, les emplois d’avenir.
MICHEL SAPIN
Je n’ai pas d’inquiétude de ce point de vue-là. J’ai toujours dit, et c’est ainsi que je l’avais programmé, qu’un tiers des emplois d’avenir serait mis en oeuvre au cours du premier semestre et deux tiers au cours du deuxième semestre. Nous aurons atteint le tiers au premier semestre et nous mettrons en oeuvre les deux tiers. Et c’est ainsi que nous arriverons aux cent mille.
APOLLINE DE MALHERBE
Et vous arriverez aux cent mille à la fin de l’année, comme à la baisse de la courbe du chômage.
MICHEL SAPIN
Et c'est un élément qui contribue aussi à la baisse du chômage.
APOLLINE DE MALHERBE
Il se passera plein de trucs à la fin de l’année, dites donc !
MICHEL SAPIN
Mais oui, mais c’est la difficulté entre le moment où on décide d’une politique, le moment où on la met en oeuvre et le moment où elle porte ses fruits. Il y a malheureusement un certain temps et pour celui qui est au chômage, c’est insupportable.
NATHALIE IANNETTA
C’est l’heure du normal/pas normal. Jérôme CAHUZAC qui continuerait – on va mettre ça au conditionnel – de percevoir ses indemnités de ministre, c’est normal ou ce n’est pas normal ?
MICHEL SAPIN
C’est totalement anormal et même, c’est rajouter une culpabilité à la précédente.
APOLLINE DE MALHERBE
Alors, qu’est-ce que vous allez faire ? On peut l’interdire ? on peut stopper ? couper le robinet ?
MICHEL SAPIN
Rien On ne peut pas interdire à quelqu'un d’être candidat. On peut essayer de lui expliquer s’il est accessible au raisonnement et à l’honneur. Difficile compte tenu de ce qu’il a fait. Il vaudrait mieux qu’il s’abstienne.
APOLLINE DE MALHERBE
François HOLLANDE et vous-même qui êtes caricaturés dans une bande dessinée, ça devient des personnages de fiction. Regardez.
MICHEL SAPIN
Il paraît que c’est moi ! Je vais vous rassurer : j’avais la même coiffure qu’aujourd'hui donc là, on m’a rajouté des cheveux.
NATHALIE IANNETTA
Et alors, vous vous préférez avec ou sans cheveux ?
MICHEL SAPIN
Je me suis presque toujours connu sans cheveux !
APOLLINE DE MALHERBE
Vous en pensez quoi de l’idée que vous soyez dans des BD ? Vous trouvez ça plutôt sympathique ?
MICHEL SAPIN
Ça dépend du rôle qu’on nous fait jouer. Jusqu’à présent, mon rôle n’est pas trop antipathique.
NATHALIE IANNETTA
Samir NASRI qui revient en équipe de France, lui qui avait été mis au ban après les insultes qu’il avait proférées pendant l’Euro 2012 notamment à l’encontre des journalistes, c’est normal ou ce n’est pas normal qu’il revienne ?
MICHEL SAPIN
Il y a un moment donné où il est normal de passer sur les fautes qui ont été commises.
NATHALIE IANNETTA
Ah ! C’est valable pour Samir NASRI, pas pour Jérôme CAHUZAC donc.
MICHEL SAPIN
Ce n’est pas le même type de faute.
APOLLINE DE MALHERBE
La sécurité sociale à la carte remboursée en fonction des revenus, c’est ce que propose une étude de l’INSEE qui est sortie aujourd'hui. Est-ce que c’est normal ou pas normal ?
MICHEL SAPIN
Je dirais à ce stade-là pas normal parce que tout est dans la manière de dire les choses et de les faire. Je ferai simplement remarquer qu’aujourd'hui il y a quand même une très grande différence de soins entre ceux qui ont de l’argent, qui peuvent se payer des soins, et ceux qui n’en ont pas et qui ont de la difficulté à y accéder.
APOLLINE DE MALHERBE
Et du coup, la sécurité sociale doit s’adapter aussi.
MICHEL SAPIN
La sécurité sociale doit être une sécurité sociale dans le domaine de la santé universelle. C'est la beauté de notre dispositif et c’est d’ailleurs son efficacité. Tout le monde doit être soigné de la même manière, qu’il ait de l’argent ou qu’il n’en ait pas.
NATHALIE IANNETTA
Soigné mais pas remboursé alors de la même manière, ça, ça ne vous choquerait pas éventuellement.
MICHEL SAPIN
Ça me choquerait beaucoup moins qu’une situation qu’on retrouve trop aujourd'hui où ceux qui ont beaucoup d’argent sont très bien soignés et où ceux qui n’en ont pas sont beaucoup moins bien soignés.
NATHALIE IANNETTA
Merci d’avoir été notre invité politique et bonne année donc parce que c’est la vôtre.
MICHEL SAPIN
Jusqu’à Noël comme on dit.
NATHALIE IANNETTA
Oui, au moins Noël !
MICHEL SAPIN
Et forcément pour un sapin !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 mai 2013