Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Députés,
Chers Amis,
Je vais me conformer au souhait de Mme Guigou et de vous-mêmes. Plutôt que de faire une longue introduction, je vais donner quelques coups de projecteur pour répondre à vos questions parce que ce sont des questions précises que vous avez soulevées. Et puis ensuite, si je comprends bien, il y aura un jeu de questions et de réponses.
En Syrie, la situation humanitaire est dramatique. Vous connaissez les chiffres qui restent, bien sûr, toujours à préciser. D'après beaucoup d'informations que nous avons, on compte maintenant près de cent mille morts si on ne les a dépassés. Et puis, il y a beaucoup de personnes qui ont dû se déplacer à l'intérieur de la Syrie et davantage encore qui sont parties pour les pays voisins. En Jordanie, où je me trouvais l'autre jour, un quart ou un cinquième de la population est composée de réfugiés. Vous voyez ce que cela représente sur le plan humanitaire. Dans le camp de Zaatari, que j'avais visité au mois d'août dernier, il y avait quinze mille personnes ; maintenant, il y en a plus de cent trente mille ! Et c'est un camp qui se trouve dans le désert.
La situation est également extrêmement grave au Liban, où évidemment, l'afflux de Syriens, provoque un déséquilibre de la population dans un pays qui est lui-même très fragile. Il y a aussi des problèmes massifs en Turquie, des problèmes très difficiles en Irak sur lesquels il faut continuer d'avoir un oeil attentif. Si vous suivez tout cela de près, vous avez vu qu'en Irak, maintenant, il y a des semaines où il y a quasiment autant de morts qu'en Syrie par affrontement des clans, exacerbation de l'opposition entre les chiites et les sunnites.
Bref, la situation humanitaire est extrêmement difficile. Par rapport à cela, l'attitude de la France, qui se traduira d'ailleurs concrètement dans les jours qui viennent, c'est de continuer à apporter des vivres et des médicaments. Bien sûr, ce n'est pas le seul canal mais nous allons livrer, la semaine prochaine encore, des cargaisons massives. Mon cabinet m'indique que nous serions sur le point de livrer seize tonnes de produits médicaux. Ce sont des chiffres énormes mais qui, d'une part, ne sont pas à la mesure des besoins et qui sont dans la tradition de ce que doit faire la France.
La deuxième série de questions porte sur l'utilisation des armes chimique. C'est là aussi une question complexe. Nous suivons cela en liaison avec les Américains, les Anglais, les Canadiens. Il y a toute une série de réunions. Vous savez d'autre part que nous avons introduit, avec d'autres, une demande pour que les Nations unies puissent enquêter sur place. Le secrétaire général, M. Ban Ki-moon, a désigné une personnalité pour animer cette enquête mais, malheureusement, pour le moment, elle n'a pas pu avoir lieu, en particulier parce que les Syriens ont refusé qu'elle ait lieu avec des arguties. Ce qui est tout de même un indicateur extrêmement préoccupant du fait que, s'ils ne veulent pas qu'il y ait des enquêtes en Syrie, c'est que, probablement, il y a des choses qu'ils ne veulent pas révéler.
Nous allons procéder à un certain nombre de prélèvements, les autres pays que j'ai cités aussi ; nous échangeons nos informations. J'ai employé l'autre jour à Bruxelles l'expression suivante : «Il y a des présomptions d'utilisation des armes chimiques qui sont de plus en plus étayées». Dans le même ordre d'idée, les journalistes du «Monde» ont fait une enquête extrêmement fouillée et ils ont ramené des prélèvements. Mme la directrice du «Monde» nous a d'abord remerciés parce que nous avons aidé les journalistes - comme c'est normal - à passer la frontière et elle nous a demandé si nous pouvions procéder à l'analyse de ces prélèvements ; c'est ce que nous faisons, c'est une affaire de jours. Voilà où nous en sommes. Il faut procéder à cette vérification.
Après, quelles conséquences ? Nous avons déjà des concertations avec nos partenaires, bien évidemment, puisque vous savez que l'expression «ligne rouge» avait été utilisée et que même si toute mort est évidemment désastreuse, une utilisation des armes chimiques est particulièrement grave et d'une autre nature, puisqu'elle est contraire à ce que j'appellerais le droit de la guerre. C'est la raison pour laquelle il faut être très attentif à cela.
L'attitude des différentes puissances par rapport aux armes chimiques n'est pas la même que l'attitude des différentes puissances par rapport au conflit en Syrie puisque les Russes eux-mêmes, par leurs plus hautes autorités, ont dit - il restera à voir quelle est le résultat de la vérification - qu'ils considéraient que l'utilisation des armes chimiques ne pouvait pas être acceptée. Je crois - je parle de mémoire - que la position des Chinois est la même, ainsi que la position de beaucoup d'autres pays.
Sans trahir de secret, l'autre jour, à l'occasion d'un dîner de travail avec les ministres des affaires étrangères américain et russe, nous avons parlé de cela et, bien évidemment, la position des Russes sur cette question n'est pas la même que la position qu'ils ont sur la Syrie en général et sur le conflit syrien.
Il faut donc rassembler des indices, avancer, continuer à soutenir l'action des Nations unies pour pouvoir pénétrer sur place et vérifier tout cela.
Par ailleurs - je n'entrerai pas davantage dans les détails -, il y a des concertations entre toute une série de pays pour répondre à la question que vous avez soulevée, c'est-à-dire, si les choses étaient avérées, quelles seraient concrètement les conséquences ?
Pour notre part, nous considérons que si ces pratiques étaient avérées, elles ne pourraient pas rester sans conséquence. On peut discuter sur la nature de la réplique qui devrait avoir lieu et à quel moment puisque, dans le même temps, il y a la conférence de Genève. Évidemment, tout cela est assez complexe mais on ne peut pas, d'un côté, dénoncer l'utilisation des armes chimiques et, si cette utilisation était avérée, ne pas avoir de réponse.
Le dernier point que vous soulevez, Madame la Présidente, est le plus compliqué parce qu'évidemment tous les problèmes s'enchaînent. La solution politique, c'est celle que nous recherchons tous et je pense qu'il n'y a pas de différence ici quelque soit la sensibilité que l'on peut avoir. Je pense que nous serons d'accord, du moins je l'espère, pour dire qu'il n'y a pas d'un côté la solution politique et, de l'autre, ce qui se passe sur le terrain parce qu'on sait bien que les choses sont liées. Si on veut aboutir à une solution politique, il faut créer une situation sur le terrain qui permette cette solution politique.
La vision un peu simple et schématique selon laquelle il y aurait ou bien une solution politique, ou bien on s'intéresse à la question des armements, ce n'est pas, évidemment, comme cela que cela se passe. Il faut créer une situation sur le terrain qui encourage à la solution politique. De ce point de vue-là, quels sont les éléments nouveaux ? Eh bien, la décision qui a été prise par les pays européens, lundi soir à Bruxelles, est une solution très proche, voire conforme, de celle que nous souhaitions, nous, Français.
Vous avez eu raison de dire qu'il n'y a pas de décision de livrer des armes. Jamais il n'a été question que l'Europe en tant que telle livre des armes. Ce qui a été décidé, c'est une faculté qui est ouverte aux différents pays alors que, auparavant, cette faculté était fermée. Pourquoi considérons-nous que c'est positif ? Parce qu'il y a toujours sur le terrain un déséquilibre considérable puisque vous avez un camp, celui de M. Bachar Al-Assad, soutenu par les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, qui dispose d'armes très puissantes et d'avions qui bombarde les résistants, alors qu'ils ne peuvent pas faire face aux avions et aux chars qui les agressent.
La faculté est donc ouverte. Je n'entrerai pas - sauf s'il y a des questions là-dessus - dans les subtilités de la rédaction mais cela signifie que nous maintenons les sanctions économiques, financières - ce qui est la moindre des choses - et que l'interdiction des livraisons d'armes est levée sous certaines conditions, à partir du 1er août, sauf s'il y avait des modifications radicales de situation. Les conditions sont d'ailleurs celles que nous proposions nous-mêmes, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait une certaine traçabilité, il faut que ce soit décidé au cas par cas. Il faut par ailleurs que ces conditions soient conformes à ce qu'est la législation de la France parce qu'on ne peut pas exporter des armes sans qu'il y ait un certain contrôle. Voilà pour la livraison d'armes.
Pour ce qui concerne Genève 2 - c'est la formule qu'on utilise pour différencier de Genève 1 -, je résumerais la position qui est à la fois celle de la France et, je crois, qui traduit la situation objective en disant que Genève 2 est extrêmement souhaitable mais extrêmement difficile. Souhaitable pourquoi ? Parce que si on veut une solution politique, il faut qu'il y ait discussion. Mais, immédiatement, on voit les difficultés : qui vont être les participants ? Quel va être l'ordre du jour ? Sur quoi cela peut-il déboucher ? Et tout cela, ce sont des questions ouvertes. Les Américains et les Russes en ont discuté. Nous-mêmes - François Hollande et moi-même -, lorsque le président de la République avait été invité à Moscou en visite officielle, avons évoqué ce sujet. Les Russes et les Américains ont lancé cette idée. Nous en avons discuté longuement l'autre soir.
Évidemment, il y a encore beaucoup de questions à régler, aussi bien du côté des représentants du régime, qui doivent tout de même avoir une capacité de décision et être des gens avec qui on peut discuter, que du côté de l'opposition puisqu'en ce moment même, l'opposition est réunie.
Enfin, il a été souhaité que la Coalition nationale s'élargisse mais c'est très difficile. À l'heure où je parle, elle ne s'est pas mise d'accord ; du même coup, des questions très importantes se posent : qui va devenir président pour succéder à Moaz Al-Khatib ? Le Premier ministre qui a été désigné, M. Hitto, va-t-il pouvoir former ou non un gouvernement ? Et quelle sera finalement la décision qui sera prise par cette coalition éventuellement étendue de venir ou pas à Genève ? Ces questions sont ouvertes. À l'heure où nous parlons, elles ne sont pas résolues. C'est très difficile.
Nous avons un observateur, M. Chevallier, qu'un certain nombre d'entre vous connaissent, qui est notre ancien ambassadeur en Syrie, auquel j'ai demandé de suivre tout cela parce qu'il est très compétent. Mais ce sont des questions qui ne sont pas réglées.
De même, la question des pays participants : peut-être poserez-vous des questions sur l'Arabie saoudite, l'Iran et d'autres pays. La question posée est de savoir si, oui ou non, il est opportun qu'ils participent à cette conférence. Il y a aussi la question de l'ordre du jour ; une conférence, oui, c'est très souhaitable, mais quel est l'ordre du jour ?
Je terminerai sur un dernier point - c'est assez complexe mais, dans cette commission, je pense qu'il faut aller au fond des choses. Vous vous rappelez qu'à Genève 1 dont nous faisions partie - j'étais moi-même un des participants à Genève 1 -, nous nous étions mis d'accord sur un texte et puis, finalement, cela n'a pas pu déboucher. Pourquoi ? Nous nous étions mis d'accord sur un texte que vous connaissez, qui est tout à fait consultable. Le point essentiel de ce texte, c'était de dire qu'il y aurait un gouvernement de transition qui serait composé par consentement mutuel - cela veut dire par le côté «soutien du régime» si on peut dire et le côté «opposition» - et que ce gouvernement de transition serait doté de tous les pouvoirs exécutifs - «full executive power». C'était une formule que nous avions beaucoup discutée qui était très importante parce qu'elle signifiait que, si ce gouvernement de transition est doté de tous les pouvoirs, cela veut dire que M. Bachar Al-Assad ne dispose plus de pouvoirs puisque c'est lui qui a le pouvoir exécutif ; c'était une avancée considérable ! Simplement, cela n'avait pas pu, sur le moment, déboucher parce qu'il y avait deux interprétations contradictoires. De notre côté, nous disions : «Cela signifie que M. Bachar Al-Assad s'en va.» Et les Russes, après consultation, avaient dit : «Non, cela ne signifie pas que M. Bachar Al-Assad s'en va. On verra.»
Évidemment, à partir de ce moment-là, on ne pouvait plus avancer. Là où il y a eu, compte tenu de la gravité de la situation, un pas en avant qui permet peut-être de faire Genève 2, c'est que les Russes, les Américains, nous-mêmes, d'autres, nous nous sommes mis d'accord sur la signification de ce membre de phrase. Il n'y a plus, pour les uns, l'exigence qu'il parte avant la conférence, pour les autres, l'exigence qu'il soit dit qu'en tout état de cause, il va rester. Il y a simplement la réaffirmation de l'objet de la conférence, c'est de permettre la constitution de ce gouvernement de transition qui aura les pleins pouvoirs. Cela permet de sortir, si on est de bonne foi, de la difficulté parce que, du même coup, la question de M. Bachar Al-Assad est traitée d'elle-même. Il n'est pas décisif qu'il soit présent ou absent puisque nous sommes tous d'accord pour dire : désormais, ce sera le gouvernement de transition qui aura tous les pouvoirs. Évidemment, c'est un point très important.
Je ne dis pas qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans l'acceptation de ce point par les uns ou par les autres, mais c'est cela qui permet d'envisager Genève 2 à condition que les participants reconnaissent cet élément de phrase sans lequel il ne peut pas y avoir de conférence.
Voilà où nous en sommes. Évidemment, il reste énormément de questions à régler pour que Genève 2 puisse se tenir. J'en cite quelques-unes et pas des moindres : que se passe-t-il - puisque le gouvernement de transition doit être composé par consentement mutuel - s'il n'y a pas de consentement mutuel ? Intervention de l'ONU ? Intervention de M. Brahmi ? M. Brahimi va-t-il jouer un rôle ? Que se passe-t-il du point de vue du cessez-le-feu ? On voit bien que, d'un côté, on ne sait pas comment, aujourd'hui, on pourrait arrêter la bataille, mais, d'un autre côté, on ne peut pas non plus conclure une conférence si les uns et les autres continuent à s'entretuer.
Comment procède-t-on ultérieurement aux élections ? Évidemment, il y a un problème du point de vue sur les possibilités de transition. Il y a une série de questions sur lesquelles il y a déjà du travail. Avec nos amis britanniques, américains et quelques autres en particulier, nous avons travaillé là-dessus, bien sûr, et les Nations unies ont travaillé également là-dessus, les Russes également. Il y a donc toute une série de travaux préparatoires mais, pour l'instant, les morts continuent de s'accumuler sur le terrain et nous n'avons pas - et de loin - tous les éléments qui permettraient de dire : Genève 2, cela va avoir lieu demain. Cela dit, il y a du travail. Du côté américain, russe, français et quelques autres, il y a certainement une volonté d'en sortir, mais chez d'autres, c'est beaucoup moins clair.
Je terminerai en disant qu'en ce qui concerne Américains, Russes et Français - parce que c'est un peu autour de cela que beaucoup de choses tournent -, nous avons un point d'analyse commun et qui est fondamental, c'est que nous sommes tous convaincus que si nous ne trouvons pas rapidement une solution politique, qui va l'emporter ? Ce sont les deux aspects extrémistes de ce conflit. Quand je dis les deux aspects extrémistes, c'est, d'un côté - je simplifie - le côté chiite iranien et, de l'autre, le côté sunnite extrémiste, c'est-à-dire Al-Qaïda. Cette partie exprimée par Al-Nosra et quelques autres formations, est en train de se renforcer. Comme toujours, quand il y a des conflits qui durent, qui sont des conflits sanglants, ce sont les côtés extrêmes qui se renforcent. Évidemment, c'est extrêmement dangereux parce que c'est totalement contraire aux intérêts de la Syrie. Cela veut dire une Syrie, de toutes les manières, coupée en deux, en trois et devenue sectaire, c'est-à-dire une Syrie de sectes qui, dans une région déjà éruptive, comporterait des conséquences désastreuses.
C'est pourquoi nous avons fait mouvement d'un point de vue diplomatique sur deux aspects : d'une part, nous avons demandé que le front Al-Nosra soit déclaré organisation terroriste à l'ONU car Al-Qaïda a revendiqué Al-Nosra comme étant un des siens. Et cela a une autre conséquence importante, c'est qu'on observe que, malheureusement, il y a un certain nombre d'Européens, et notamment de Français, qui sont là-bas et qui se battent. Or, vous savez que, dans notre droit pénal qui vient d'être récemment changé pour qu'on puisse, si ces gens-là reviennent en France, les interpeller et les condamner, il faut soit établir un certain nombre d'éléments de preuve - ce qui est compliqué -, soit établir qu'ils ont combattu pour une organisation terroriste. À partir du moment où Al-Nosra est classé comme organisation terroriste, cela permet de faire des choses qui, juridiquement, auraient été impossibles.
Parallèlement, compte tenu de l'engagement plein et entier du Hezbollah dans le conflit syrien et compte tenu par ailleurs d'éléments, d'indications qui nous sont données sur son rôle dans une série d'attentats, notamment en Bulgarie et ailleurs, nous avons dit - c'est une procédure européenne et non pas aux Nations unies - que la branche armée du Hezbollah devait pouvoir être considérée, au sens européen cette fois-ci, comme une organisation terroriste, en établissant une distinction entre le Hezbollah armé et le Hezbollah politique, notamment parce que nous ne voulons pas, dans toute la mesure du possible, que ceci entraîne des conséquences désastreuses sur la situation du Liban. Au Liban, vous savez l'équilibre fragile et donc les précautions qu'il faut prendre.
Voilà où nous en sommes. Les objectifs de la France sont toujours les mêmes, c'est-à-dire essayer d'arrêter - mais c'est extraordinairement difficile - ce conflit, en tout cas d'aboutir à une solution politique pour aller vers une Syrie qui soit conforme à ce que nous pouvons en attendre, c'est-à-dire une Syrie qui, je dirais, recouvre son intégrité territoriale et qui respecte les différentes communautés. Mais plus le conflit s'envenime, plus le temps passe et plus ceci devient épouvantablement difficile.
(Interventions des parlementaires)
Merci beaucoup, et merci à tous ceux qui se sont exprimés. D'abord, merci d'avoir souligné ma disponibilité, mais elle est tout à fait normale.
Les questions que vous vous posez, que vous me posez, je me les pose moi-même. Plus profondément, ce sont des sujets sur lesquels il faut évidemment qu'il y ait un dialogue avec la représentation nationale, nous le faisons les uns, les autres en toute responsabilité, et j'apprécie beaucoup de mon côté vraiment l'attitude qui est celle de tous les groupes parlementaires.
Il y a beaucoup de choses qui sont convergentes dans les questions que vous avez soulevées. L'analyse de M. Dufau est juste : le conflit auparavant était local, il est devenu régional, international. C'était à la fois un immense danger, et en même temps, on comprend bien que c'est peut-être, maintenant, par l'intervention des puissances internationales, qu'on va pouvoir essayer de trouver une solution.
Je ne veux pas faire de grandes envolées stratégiques à propos de ce conflit, mais cela permet tout de même de voir où nous en sommes, cela serait une grande discussion, du point de vue de l'équilibre ou du déséquilibre mondial.
Pendant longtemps, nous étions dans une situation bipolaire, au temps de l'URSS et des États-Unis, on pouvait le regretter. La France d'ailleurs refusait, cf. le général de Gaulle, ce condominium, mais enfin, c'est ce condominium qui réglait beaucoup de questions.
Ensuite, il y a eu une période assez brève, après la chute du Mur, où on a eu un monde unipolaire, parce que les États-Unis étaient dominants, ils avaient tous les éléments de la technique, de la puissance militaire, de la puissance politique, mais cela a duré peu de temps.
On dit que, maintenant, c'est un monde multipolaire ; je ne le crois pas. Ce serait une bonne chose que nous allions vers un monde multipolaire, avec des pôles qui prendraient des décisions en commun, et pourquoi pas, correspondant à ce qu'est le Conseil de sécurité des Nations unies modifié. Mais là, nous sommes plutôt dans un monde, j'ose ce néologisme, apolaire, c'est-à-dire qu'il y a toute une série de conflits sur lesquels, malheureusement, il n'y a pas de puissances qui puissent s'accorder pour dire : quelle est la solution. Et c'est ce qui explique la paralysie du Conseil de sécurité. Nous sommes dans ce type de situation. Alors, espérons qu'il y a tout de même un certain nombre de puissances suffisamment raisonnables pour trouver une solution, mais ce sera difficile.
Plusieurs d'entre vous sont intervenus pour dire qu'il il y a quelques mois, on leur disait que Bachar Al-Assad, c'était une question de jours ou de semaines. On s'aperçoit aujourd'hui qu'il est plus établi que ce que l'on pensait. C'est effectivement ce que nous disent tous ceux qui observent la situation, en particulier les militaires. Alors, pourquoi ? Parce que, du côté de Bachar Al-Assad, il y a eu un renforcement, l'Iran est entré beaucoup plus fortement dans le conflit. Même si beaucoup d'éléments qui se battent sont des Syriens, l'encadrement est souvent assuré par des responsables iraniens.
Et en ce qui concerne le Hezbollah, puisqu'une question m'a été posée sur l'estimation qui peut être faite des chiffres des militants Hezbollah présents dans la bataille, les chiffres hésitent entre 3.000 et 10.000. Notre estimation est autour de 3 à 4.000, mais quand vous avez des combattants très solidement armés, qui sont prêts à mourir et qui sont plusieurs milliers, cela fait une différence importante.
Donc, il y a eu des changements : d'abord, vraiment, l'implication totale de l'Iran, l'implication du Hezbollah, le fait que les Russes ont continué à livrer des armes, ça, c'est d'un côté ; de l'autre côté, vous avez le fait que, même si la Coalition, à certains égards, a pu s'unir, il y a des divisions qui demeurent ; on les voit en ce moment à travers la réunion d'Istanbul et l'impossibilité pour le moment de se mettre d'accord, ce qui est regrettable.
Un autre élément nouveau, c'est qu'il y a une «extrémisation», y compris du côté de ceux qui sont opposés à Bachar Al-Assad, et vous savez que, y compris d'ailleurs parmi des combattants d'origine européenne, y compris parmi des combattants d'origine française, c'est un phénomène nouveau, que nous n'avions pas, il y a de cela une année.
Il y a eu aussi une certaine dégradation de la situation dans les pays voisins : j'ai parlé de la Jordanie, du Liban, de l'Irak, de la Turquie. Tout cela fait que le régime, à la fois, a voulu «sectariser» - au sens donner une dimension religieuse à tout cela et, malheureusement, il y est parvenu pour une part -, et internationaliser, au moment même où les Libanais, très justement, disaient que ce conflit était l'affaire de la Syrie, où nous-mêmes disions la même chose. Mais il y a une telle porosité des frontières que c'est ce qui explique aussi la dégradation.
Alors, M. Dufau pose la question sur les participants à Genève et la feuille de route de la France.
Pour les participants à Genève, les invitations seront sans doute lancées par les Nations unies. Mais, évidemment, les Nations unies et son secrétaire général, écoutent ce qui se dit. Il y a des participants qui ne posent aucun problème, ce sont ceux qui étaient présents à Genève 1. Il y en a d'autres qui sont beaucoup plus problématiques. D'abord, qui va venir du côté du régime ? Il y a des noms qui ont été proposés, vous avez vu quelques noms, mais est-ce que ce seront ceux-là ? Est-ce qu'ils ont l'autorité et sont-ils acceptables ?
Il y a, du côté de l'opposition, la Coalition plus certains éléments, même si cela n'est pas encore fixé. Je pense à Michel Kilo, à Moaz Al-Khatib - ont dit qu'ils étaient favorables - mais il n'y a pas de décision de la Coalition nationale. Et puis, il y a des pays qui posent encore plus de problèmes. Il y a la question de l'Iran et, là-dessus, je voudrais être assez clair pour expliquer quelle est la position de la France et pourquoi un certain nombre de pays et d'observateurs, y compris de bons esprits, disent : «l'Iran doit être partie prenante, puisque, comme l'Iran est en train de faire la guerre, on fait la paix avec les gens avec qui sont en guerre, donc l'Iran doit être là». Cette thèse est défendue par les Russes et par quelques autres au sein des Nations unies. Il y a un tropisme général qu'on peut comprendre en disant : «quand on fait des conférences, il faut mettre tout le monde autour de la table».
Et puis, il y a une variété de points de vue. L'autre jour, nous avions une réunion en Jordanie avec les principaux appuis de la Coalition. Nous avons discuté de cela et je suis intervenu en donnant les arguments que je vais vous donner dans un instant. L'orientation de tous ceux qui étaient là était de dire : «il ne faut pas que l'Iran y soit». Alors, quels sont les arguments ? Premier argument, qui est extrêmement fort, c'est que parmi les participants d'une conférence comme celle-ci il y a les belligérants, mais il faut quand même que ces derniers acceptent que le but de la conférence soit un succès. Or, jusqu'à présent, jamais les Iraniens n'ont dit qu'ils souhaitaient une solution politique, encore moins une solution politique qui serait la désignation d'un gouvernement de coalition, qui prendrait les pouvoirs - de fait - de M. Al-Assad. Quand vous observez les déclarations des autorités iraniennes, c'est pour dire : «si M. Bachar Al-Assad veut se présenter aux élections de 2014, ce sera très bien, et ce sera à ce moment-là qu'on verra les choses».
Et les Iraniens, jusqu'à présent - ils peuvent changer de point de vue - n'ont jamais reconnu les termes de Genève 1, que je vous ai exposés tout à l'heure. Or, c'est simplement si on reconnaît les termes de Genève 1 qu'il peut y avoir un accord pour aller vers Genève 2. C'est le premier élément important. Faire venir dans une conférence de ce type un pays qui n'était pas à Genève 1, et dont l'objectif, me semble-t-il, c'est qu'on ne trouve pas de solution, ce n'est quand même pas beaucoup favoriser la solution.
Deuxièmement, et c'est un argument évidemment très fort, nous craignons qu'il y ait une collision entre la question syrienne et la question du nucléaire iranien. La question du nucléaire iranien n'a pas disparu. Simplement, elle a été retardée, pour les raisons que l'on sait. Pendant longtemps, on a pensé qu'il y aurait une situation vraiment où il faudrait prendre une décision avant les élections iraniennes, et puis, pour différentes raisons, les problèmes techniques ont été modifiés, l'élection iranienne va avoir lieu au mois de juin. Et donc beaucoup estiment que c'est vers la fin de l'année 2013 ou au cours de l'année 2014 que la question vraiment sera posée à l'ensemble des Nations, et d'abord à l'Iran : l'arme nucléaire, oui ou non ?
Or, beaucoup d'entre nous craignent que si l'Iran est partie prenante de la conférence sur la Syrie, toute sa tactique sera de faire traîner la conférence sur la Syrie, pour arriver à faire jonction entre l'affaire du nucléaire et l'affaire syrienne et dire le moment venu : «sur la question syrienne, il y a peut-être des possibilités, mais à condition que sur le nucléaire, vous nous laissiez faire la bombe». À ce moment-là, vous voyez la difficulté immense où nous nous trouverions. Quand nous disons cela, ce n'est pas un produit de notre imagination, cela fait deux ans et plus qu'il y a une discussion entre le P6 - c'est-à-dire les 5 plus l'Allemagne - et l'Iran. Ce dernier, pendant plusieurs séances, a demandé, alors que l'objectif est de discuter du nucléaire iranien, qu'on commence d'abord par discuter de la Syrie.
Donc, là, c'est offrir sur un plateau ce qu'ils demandent en anticipant ce qui risque de poser un problème redoutable. Évidemment, si l'Iran accédait au nucléaire, vous voyez ce que cela signifie en ce qui concerne l'Égypte, l'Arabie Saoudite, la Turquie et le reste. Sans compter qu'accepter la dissimulation nucléaire avec un régime de ce type...
Donc pour des raisons de fond nous pensons que jusqu'à présent, il peut toujours y avoir des évolutions. L'Iran n'a jamais dit clairement qu'il était pour un gouvernement. D'autre part, il risque d'y avoir jonction entre les deux affaires. Nous, nous disons très clairement que ce serait une erreur. Mais nous ne sommes pas, à nous seuls, maîtres de la décision. Et c'est une question que nous discutons en ce moment et qui n'est pas une mince question.
La feuille de route de la France. Évidemment, la question principale, c'est la constitution de ce gouvernement syrien. L'idée initiale, que cette conférence ait lieu. Le point essentiel, c'est que vous avez, d'un côté, des représentants de l'opposition, et de l'autre, des représentants du régime. On les met ensemble et il faut qu'ils sortent un gouvernement de transition». Les Nations unies, nous-mêmes, ceux qui sont présents, aident à cela. Et cela, ce serait le produit principal.
Maintenant, il y a d'autres conceptions. Certains disent : «mais non, il faut des groupes de travail sur les différentes questions dont celles du cessez-le-feu». Cela peut présenter des intérêts, mais en même temps, il ne faut pas perdre de vue l'essentiel.
Et puis, enfin, il y a beaucoup de choses. Il y a toute une série de réflexions qui ont commencé, à la fois du côté du P3, et aussi un petit peu avec les Russes, pour regarder comment les choses pourraient se faire. Mais la question essentielle, c'est d'abord qu'on soit d'accord sur les participants et sur l'ordre du jour.
Je remercie M. Terrot de son intervention. Vous avez dit : guerre de religions, malheureusement, je crains que vous n'ayez raison. Alors, évidemment, guerre de religions, il faudrait mettre un «s» à religion, parce qu'il y a des religions, et j'allais dire, des sous-groupes à l'intérieur de chaque religion. Car vous avez la grande opposition fondatrice entre chiites et sunnites, mais aussi, à l'intérieur, vous avez encore beaucoup d'évolutions. Si vous avez l'occasion de rencontrer et de demander à l'Aga Khan, qui est un chiite, ce qu'il pense du régime iranien, vous verrez ce qu'il vous répondra. À l'intérieur des sunnites, je n'ai pas eu l'impression que la position de l'Arabie Saoudite était exactement la même que la position du Qatar, et celle de la Turquie exactement la même que la position des Émirats Arabes Unis. Et que dire lorsqu'on les entend parler d'Al-Qaïda, qui se réclame aussi du sunnisme ! Vous avez donc ce problème. À la limite, je dirais que c'était déjà vrai au Moyen-âge, mais à cette époque, on n'avait pas les armes que l'on a maintenant. Et cette question est un énorme problème, ne transformons pas cela en un sujet pour l'Académie des sciences morales des politiques.
Mais la relation religions et politique étrangère est une question, je ne dis pas que c'est «la» question, absolument fondamentale, notamment lorsqu'il s'agit du Proche et du Moyen-Orient. Et on ne peut pas avoir de lecture si on n'a pas cet élément à l'esprit, vous avez mille fois raisons.
Sur les Hezbollah, je vous ai répondu. Sur les minorités chrétiennes, je ne saurais pas donner un nom, vous avez raison, il y en a beaucoup qui sont partis vers d'autres territoires. Alors, nous insistons beaucoup auprès de la Coalition, qui est d'accord sur ce point, pour dire que la Syrie vers laquelle nous voulons aller, c'est une Syrie qui respecte toutes les communautés.
Pour être très concret, ces communautés bénéficient, comme les autres, de l'aide française et de l'aide européenne, il n'y a aucune raison d'avoir une discrimination. Nous sommes en relation avec les chefs d'église. J'ai eu l'occasion d'en recevoir plusieurs, et il y a une politique française et européenne d'aide à l'accueil. Je ne sais lequel d'entre vous disait que nous étions plus réticents que d'autres à la venue de Syriens. Non, nous avons beaucoup de Syriens, qui ont fait défection, qui sont chez nous et dont un certain nombre sont très connus.
Mes collaborateurs me disent que l'Allemagne et la Suède sont en pointe avec 6.000 syriens pour l'Allemagne, et 7.800 pour la Suède. Et en France, on en a plusieurs centaines de demandes d'asile qui ont été traitées depuis 2011. Mais en tout cas, il n'y a, de notre part, ni appel d'air ni volonté de refus, pas du tout.
Sur la traçabilité des armes. Plusieurs d'entre vous ont posé la question, mais j'y reviendrai lorsque je traiterai de la levée de l'embargo. M. Giacobbi, ce qu'il a dit est malheureusement terrible sur la question du nombre des morts et à partir de quel moment ce nombre de morts devient une catastrophe. Il est vrai que, dans notre langage courant, nous disons qu'une tragédie, nous la faisons commencer parfois plutôt lorsque ce sont des pays plus proches de nous. Enfin, vous pourriez faire...
Intervenant - ... Guerre mondiale en Russie...
R - Oui, et en même temps, ce n'est pas pour autant que la Syrie n'est pas une tragédie. Donc vous voyez bien qu'on ne peut pas entrer dans une comptabilité de ce type.
La ligne rouge de l'utilisation des armes chimiques. Quelle est la situation ? Je le disais un petit peu en répondant à Mme Guigou, il y a toute une série d'indices. Les techniciens disent que ce n'est pas facile de passer du stade de l'indice au stade de la preuve, parce qu'il faut avoir toute une série de renseignements précis sur le moment et l'endroit de leur utilisation. Et je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions, je crois qu'au bout d'un certain temps les traces s'évaporent. Mais, les Anglais ont fait un travail sur ce point, les Américains, les Canadiens et nous-mêmes avons fait un certain nombre de travaux. Ce qui m'a permis de dire que les présomptions étaient de plus en plus étayées. Nous échangeons nos informations, et nous réfléchissons aussi, bien sûr, aux conséquences à en tirer. Par ailleurs, il y a les éléments précis que nous ont donnés l'autre jour les journalistes du quotidien Le Monde.
Une idée est aussi de pouvoir nous mettre en rapport avec le représentant qui a été désigné par M. Ban Ki-moon, qui malheureusement ne peut pas procéder totalement à son enquête. Et puis, à partir de tout cela, il y a un moment où il faut que l'on en tire des conséquences. Et nous étudions cela.
Je ne peux pas vous dire aujourd'hui : voilà exactement quelles seront les conséquences que nous en tirerons. Ce qui me paraît acquis dans les conversations que j'ai avec mes homologues, c'est qu'en tout cas, un certain nombre de grands pays qui en ont la possibilité matérielle, en tireront des conséquences si l'utilisation d'armes chimiques est avérée.
Alors, on peut discuter de ces dernières, on peut discuter du calendrier, mais cela ne peut pas rester sans conséquences en raison de la gravité de l'utilisation. Et parce que, comme vous le soulignez, un certain nombre de grands pays, sans préciser les facteurs déterminants, - ligne rouge, ligne jaune -, ont quand même procédé à une affirmation de principe. Et je précise aussi - ce qui ne simplifie pas les choses - que cette notion de ligne rouge, si c'est celle qu'il faut utiliser, est la même qui a été utilisée à propos du nucléaire iranien. Et évidemment, on voit bien le problème de crédibilité que cela pose. Donc voilà les données à l'instant où je m'exprime.
Il y avait beaucoup de points de l'intervention de M. Mamère avec lesquels j'étais d'accord. Il a quand même posé la question pertinente : levée de l'embargo. Mais pour quelles armes ? Vous avez bien étudié ce que nous avons décidé, qui est d'ailleurs conforme à ce que nous, Français, demandions depuis longtemps, mais qui n'était pas possible, parce qu'il faut que ce soit une décision européenne. Je pense qu'il faut laisser une certaine marge d'ouverture et d'appréciation sur la façon dont nous réagirons. Disons que, là, il y a une faculté qui est ouverte, qui auparavant était fermée, mais comme vous l'avez souligné, de toutes les manières, même si cette faculté est ouverte, il y a des règles auxquelles il faudra que nous nous conformions.
(Interventions des parlementaires)
Alors, plusieurs questions, notamment celles de Mme Saugues, portent sur la traçabilité des armes. Ce n'est pas une question évidemment facile. Il y a dans certains cas une possibilité technique, parce qu'il y a tel ou tel type d'armement qui peut être déclenché sous certaines conditions et neutralisé sous d'autres conditions. C'est une réponse technique, mais cela ne joue pas pour toutes les armes. Il y a, et c'est un autre élément, le fait que lorsqu'il y a des armes sophistiquées, il faut qu'il y ait des gens pour utiliser ces armes. La question, à ce moment-là, n'est pas seulement «est-ce qu'on les désarme» mais «comment se fait le service?», et vous avez vu peut-être que, dans l'amendement qui avait été adopté sur l'embargo, - non pas il y a deux jours, mais il y a trois mois -, y avait été ajoutée une petite phrase qui disait qu'il était autorisé une assistance technique. Sujets sur lesquels les diplomates discutent encore pour savoir exactement ce que cela veut dire. Et l'assistance technique passe par l'assistance humaine.
D'autre part, il est évident que, au-delà des dispositifs techniques qui peuvent exister, et des choses complexes qu'on peut mettre en place, ce qui est tout à fait décisif, c'est le degré de confiance qu'on peut accorder à ceux auxquels on remet des armes, et, donc, de l'analyse qu'on fait du terrain. C'est pourquoi, même si cela peut décevoir certains d'entre nous, je répète que ce que nous avons obtenu lundi, c'est une faculté. Mais pour passer de la faculté à la réalité, il faut quand même que nous fassions une analyse politique extrêmement précise sur la base d'un terrain qui évolue tous les jours, vous l'avez dit vous-même. Certains d'entre vous ont cité telle ou telle anecdote, en disant : ce sera le 22 que tel événement se produira. La réalité n'est pas celle-là. Donc il y a une faculté qui est ouverte, mais je dirais, que lever l'embargo, ce n'est pas livrer des armes, c'est ouvrir une faculté.
En ce qui concerne M. Myard, je n'ai pas à porter de jugement psychologique, je ne me permettrais pas, mais je trouve à la fois que vous êtes extrêmement déterminé et en même temps extrêmement défaitiste, l'Iran aura sa bombe, oui, mais ça, c'est un décret...
(Intervention des parlementaires)
Nous n'avons pas la même conception de la politique. Si vous me dites : de toutes les manières, les Chinois seront plus d'un milliard, oui, là, d'accord, ils le sont déjà. Mais l'Iran aura sa bombe, cela dépend d'un côté, des décisions qui seront prises par l'Iran, et de l'autre côté, des décisions qui seront prises par ceux qui ne veulent pas que l'Iran ait sa bombe. Parce que sinon, de quoi discutons-nous ? Et à quoi sert la politique ? On peut même aller plus loin dans votre raisonnement, en disant : mais de toutes les manières, l'Europe sera ceci ou ne sera pas ceci. De toutes les manières, la France sera ceci. Évidemment, nous sommes déterminés par de grandes forces mais il y a une partie qui appartient à la décision politique. Et le fait que l'Iran aura ou pas sa bombe, je regrette, pour nous, cela relève de la décision politique.
(Intervention des parlementaires)
Sur les djihadistes européens et français. Nous travaillons là-dessus, bien sûr, avec mes collègues Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian. Aucun d'entre nous ne peut vous dire combien ils sont à l'unité près. Mais je crois que Manuel Valls a donné des ordres de grandeur qui relèvent des éléments que nous avons -, cela se chiffre à plusieurs dizaines, c'est déjà beaucoup. Et quand on élargit le phénomène aux Européens, par exemple, il est indiqué, et je n'ai pas vérifié moi-même, que nos amis belges - pourtant la Belgique est un pays qui n'est pas immense - ont probablement plus de personnes là-bas. Alors, la question est : que vont-ils y faire et qu'est-ce qu'ils deviennent ? Il y en a qui, comme dans toute guerre, perdent la vie, d'autres qui, à l'issue de cette «expérience» s'orientent vers d'autres chemins, ou bien vont sur d'autres terrains ou bien reviennent. Et donc il y a un suivi à faire avant, pendant - c'est difficile - et après, et nos services évidemment le font très, très attentivement. Mais c'est un phénomène qui, par son ampleur, est tout de même nouveau.
Alors, si vous posez la question : pourquoi est-ce que l'ampleur est plus grande qu'avant ? Les réponses qui sont données sont de dire : par exemple, on pourrait comparer avec l'Afghanistan, pourquoi y a-t-il beaucoup plus d'Européens en Syrie qu'en Afghanistan ? D'abord, c'est beaucoup plus accessible. Quand vous regardez la géographie, ce n'est pas très difficile d'aller là-bas, et deuxièmement - et c'est là le danger par exemple de groupes comme Al-Qaïda - c'est qu'Al-Qaïda, enfin le front Al-Nosra dit : «nous combattons ce tyran qui est M. Bachar Al-Assad». Et c'est vrai que M. Bachar Al-Assad est un tyran. Mais ce n'est pas pour autant que les méthodes et la finalité d'Al-Qaïda sont acceptables. Donc quand vous avez un terrain, un territoire qui est à proximité, avec une cause qui, en apparence, est l'hostilité à quelqu'un de dictatorial, cela permet finalement de faire toutes les synthèses, c'est extrêmement dangereux. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui, et c'est pourquoi il faut que nous soyons extrêmement actifs et vigilants.
M. Mariani a posé beaucoup de questions, alors, j'ai compris ce vers quoi il voulait aller à travers la question qu'il posait : «est-ce exact sur l'utilisation d'armes chimiques ou est-ce qu'il ne va pas y avoir la même chose que pour les armes de destruction massive ?». La réponse vous sera apportée lorsque les rapports seront publiés. Mais quand j'ai dit l'autre jour que les présomptions d'utilisations localisées d'armes chimiques étaient de plus en plus étayées, je n'ai pas prononcé cette phrase au hasard. Il a été aussi imputé à l'opposition. Nous, nous n'avons pas trace du tout en ce sens. Mais c'est quelque chose qui a été dit, notamment devant les Nations unies, mais là aussi, il faut apporter des éléments, là, nous n'en avons pas.
Vous avez dit, enfin, beaucoup de choses, et notamment : succès russe. La diplomatie russe, on peut essayer de réfléchir aux raisons pour lesquelles le président Poutine a adopté l'attitude qu'il a adoptée, lorsque nous en discutons avec les décideurs russes. L'argument qui revient le plus souvent, au bout de la discussion, c'est : «mais si Bachar n'est plus là, ce sera le chaos». Vous avez entendu cet argument, parce que les autres arguments, l'importance du port de Tartous, honnêtement, ne résistent pas beaucoup à l'analyse. À quoi nous répondons aux Russes, qui y sont aussi sensibles sinon ils n'auraient pas bougé de position : «Mais le chaos, Messieurs les Russes, ce n'est pas demain, c'est aujourd'hui. Et il faut donc se préoccuper de l'organisation de tout cela. Il faut tirer les leçons de l'Irak». Et là, nous sommes d'accord avec les Russes.
Quand il y a, à la fois, le renversement d'un dictateur et la destruction des institutions du régime, ce qui est arrivé en Irak, cela pose des problèmes terribles pendant des années. Donc, toute la difficulté est là, et c'est le sens de ce que nous essayons de faire. M. Bachar Al-Assad, bien évidemment, il n'a pas sa place là où il est, mais il faut qu'un certain nombre de piliers du régime, je pense à l'armée et à d'autres, ne soient pas détruits en même temps. Et c'est là toute la difficulté, et c'est la raison pour laquelle nous soutenons l'idée d'un gouvernement de transition où il y aura, à la fois, les représentants de l'opposition et des représentants du régime. Prenez l'exemple de l'armée, qui est composée essentiellement d'alaouites, nous n'allons pas dire : «voilà, l'armée, elle n'existe plus, les alaouites n'existent plus». Les alaouites ont parfaitement leur place dans la Syrie du futur. C'est toute la difficulté.
Sur la question d'Israël et des S-300, questions compliquées sur lesquelles je ne serai peut-être pas très prolixe. Les S-300, vous savez ce que c'est, ce sont des armes sol/air, et les Russes disent qu'ils ont signé un contrat il y a pas mal d'années, et ils n'ont pas encore livré. Mais lorsqu'ils ont été interrogés publiquement, ils dont dit : «Nous avons signé un contrat, nous allons livrer ces armes». Évidemment, cela pose beaucoup de problèmes. Alors, les Israéliens, enfin certains membres du gouvernement israéliens ont réagi, en disant : «nous ne le permettrons pas». Et je viens d'apprendre que le Premier ministre Israélien, M. Netanyahou, a demandé à ceux qui avaient réagi en ces termes de ne plus réagir en ces termes, et donc de faire silence sur ce point. Je précise aussi que M. Netanyahou s'est rendu l'autre jour à Moscou, et qu'il a vu le président Poutine. Ils ont certainement eu l'occasion de discuter de tout cela. Donc laissons de côté les Israéliens.
Mais, en ce qui concerne évidemment à la fois l'opposition syrienne et nous-mêmes, - dans la mesure où nous pourrions vouloir livrer des armes -, cela pose une autre question. Les missiles sol/air, sont faits - comme leur nom l'indique - pour intercepter des éléments qui seraient dans l'air, donc les Russes disent : «cela veut dire que nous ne voulons pas qu'il y ait d'attaque». Oui, mais c'est un peu plus compliqué que cela, parce que, admettez qu'il soit décidé qu'il y ait une zone d'exclusion aérienne, les missiles sol/air peuvent, en théorie, frapper les avions qui n'auraient pas pour objet d'attaquer la Syrie, mais qui auraient pour objet de défendre telle zone. Donc sont-ils ou ne sont-ils pas contradictoires avec la possibilité d'avoir une zone d'exclusion aérienne ? C'est la raison pour laquelle nous souhaitons vraiment qu'il ne soit pas procédé à des éléments qui pourraient, si vous voulez, rendre le conflit encore plus vif.
À propos de la question précise : «est-ce qu'il n'y aurait pas un accord possible avec l'organisation politique du Hezbollah...»
En ce qui concerne le Hezbollah, c'est clair. Maintenant, la position de la France, est qu'il n'est pas acceptable qu'ils envoient des milliers de personnes -... ils sont Libanais - en Syrie, pour faire la guerre aux résistants. Maintenant, en ce qui concerne l'organisation politique Hezbollah, il y a des contacts avec le Hezbollah. Par exemple, notre ambassadeur au Liban parle avec le Hezbollah, et pas seulement d'ailleurs avec le Hezbollah. Nous avons des positions fermes vis-à-vis de l'Iran, mais j'ai autorisé mon directeur ANMO à aller dire quelle était notre position, parce qu'il vaut mieux toujours dire les choses aux Iraniens. Voilà où nous en sommes.
Quant à Taëf, c'est vrai que ça a du sens, à partir de la situation sur le terrain qui est épouvantable, que nous avons décrite et sur laquelle nous avons discuté pendant maintenant une heure et demie. C'est très difficile d'imaginer qu'on va avoir une République syrienne à la française, parce que quand vous voyez les forces qui sont engagées...
Ce qu'il faut, si c'est possible, c'est arriver à trouver un accord politique, à faire descendre la pression, à faire que beaucoup de ces gens-là puissent coexister pour qu'on retrouve une Syrie qui ait un sens, et ce ne sera pas nécessairement très cartésien, ce sera plus compliqué que cela.
Alors, ce n'est pas Taëf au pied de la lettre, mais l'idée que, dans un pays composite, il faut à la fois respecter la diversité et en même temps avoir une unité, ce qui était ça finalement l'idée. C'est une idée qui a du sens. Mais quand vous regardez la difficulté qu'on a eue à faire Taëf, vous imaginez ce que cela signifie pour la question syrienne.
Voilà, Mesdames et Messieurs ce que je pouvais dire. Madame la Présidente, je résumerai l'analyse de la diplomatie française, notamment sur cette affaire de Genève. Évidemment, nous voulons une solution politique et nous travaillons pour cela. Nous sommes vraiment parmi les parties prenantes, et en même temps, notre conversation l'a montré, c'est quelque chose de très difficile. Mais ce n'est pas parce que les choses sont difficiles qu'il ne faut pas les tenter, c'est parce qu'on ne les tente pas, qu'elles sont difficiles.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juin 2013
Chers Amis,
Je vais me conformer au souhait de Mme Guigou et de vous-mêmes. Plutôt que de faire une longue introduction, je vais donner quelques coups de projecteur pour répondre à vos questions parce que ce sont des questions précises que vous avez soulevées. Et puis ensuite, si je comprends bien, il y aura un jeu de questions et de réponses.
En Syrie, la situation humanitaire est dramatique. Vous connaissez les chiffres qui restent, bien sûr, toujours à préciser. D'après beaucoup d'informations que nous avons, on compte maintenant près de cent mille morts si on ne les a dépassés. Et puis, il y a beaucoup de personnes qui ont dû se déplacer à l'intérieur de la Syrie et davantage encore qui sont parties pour les pays voisins. En Jordanie, où je me trouvais l'autre jour, un quart ou un cinquième de la population est composée de réfugiés. Vous voyez ce que cela représente sur le plan humanitaire. Dans le camp de Zaatari, que j'avais visité au mois d'août dernier, il y avait quinze mille personnes ; maintenant, il y en a plus de cent trente mille ! Et c'est un camp qui se trouve dans le désert.
La situation est également extrêmement grave au Liban, où évidemment, l'afflux de Syriens, provoque un déséquilibre de la population dans un pays qui est lui-même très fragile. Il y a aussi des problèmes massifs en Turquie, des problèmes très difficiles en Irak sur lesquels il faut continuer d'avoir un oeil attentif. Si vous suivez tout cela de près, vous avez vu qu'en Irak, maintenant, il y a des semaines où il y a quasiment autant de morts qu'en Syrie par affrontement des clans, exacerbation de l'opposition entre les chiites et les sunnites.
Bref, la situation humanitaire est extrêmement difficile. Par rapport à cela, l'attitude de la France, qui se traduira d'ailleurs concrètement dans les jours qui viennent, c'est de continuer à apporter des vivres et des médicaments. Bien sûr, ce n'est pas le seul canal mais nous allons livrer, la semaine prochaine encore, des cargaisons massives. Mon cabinet m'indique que nous serions sur le point de livrer seize tonnes de produits médicaux. Ce sont des chiffres énormes mais qui, d'une part, ne sont pas à la mesure des besoins et qui sont dans la tradition de ce que doit faire la France.
La deuxième série de questions porte sur l'utilisation des armes chimique. C'est là aussi une question complexe. Nous suivons cela en liaison avec les Américains, les Anglais, les Canadiens. Il y a toute une série de réunions. Vous savez d'autre part que nous avons introduit, avec d'autres, une demande pour que les Nations unies puissent enquêter sur place. Le secrétaire général, M. Ban Ki-moon, a désigné une personnalité pour animer cette enquête mais, malheureusement, pour le moment, elle n'a pas pu avoir lieu, en particulier parce que les Syriens ont refusé qu'elle ait lieu avec des arguties. Ce qui est tout de même un indicateur extrêmement préoccupant du fait que, s'ils ne veulent pas qu'il y ait des enquêtes en Syrie, c'est que, probablement, il y a des choses qu'ils ne veulent pas révéler.
Nous allons procéder à un certain nombre de prélèvements, les autres pays que j'ai cités aussi ; nous échangeons nos informations. J'ai employé l'autre jour à Bruxelles l'expression suivante : «Il y a des présomptions d'utilisation des armes chimiques qui sont de plus en plus étayées». Dans le même ordre d'idée, les journalistes du «Monde» ont fait une enquête extrêmement fouillée et ils ont ramené des prélèvements. Mme la directrice du «Monde» nous a d'abord remerciés parce que nous avons aidé les journalistes - comme c'est normal - à passer la frontière et elle nous a demandé si nous pouvions procéder à l'analyse de ces prélèvements ; c'est ce que nous faisons, c'est une affaire de jours. Voilà où nous en sommes. Il faut procéder à cette vérification.
Après, quelles conséquences ? Nous avons déjà des concertations avec nos partenaires, bien évidemment, puisque vous savez que l'expression «ligne rouge» avait été utilisée et que même si toute mort est évidemment désastreuse, une utilisation des armes chimiques est particulièrement grave et d'une autre nature, puisqu'elle est contraire à ce que j'appellerais le droit de la guerre. C'est la raison pour laquelle il faut être très attentif à cela.
L'attitude des différentes puissances par rapport aux armes chimiques n'est pas la même que l'attitude des différentes puissances par rapport au conflit en Syrie puisque les Russes eux-mêmes, par leurs plus hautes autorités, ont dit - il restera à voir quelle est le résultat de la vérification - qu'ils considéraient que l'utilisation des armes chimiques ne pouvait pas être acceptée. Je crois - je parle de mémoire - que la position des Chinois est la même, ainsi que la position de beaucoup d'autres pays.
Sans trahir de secret, l'autre jour, à l'occasion d'un dîner de travail avec les ministres des affaires étrangères américain et russe, nous avons parlé de cela et, bien évidemment, la position des Russes sur cette question n'est pas la même que la position qu'ils ont sur la Syrie en général et sur le conflit syrien.
Il faut donc rassembler des indices, avancer, continuer à soutenir l'action des Nations unies pour pouvoir pénétrer sur place et vérifier tout cela.
Par ailleurs - je n'entrerai pas davantage dans les détails -, il y a des concertations entre toute une série de pays pour répondre à la question que vous avez soulevée, c'est-à-dire, si les choses étaient avérées, quelles seraient concrètement les conséquences ?
Pour notre part, nous considérons que si ces pratiques étaient avérées, elles ne pourraient pas rester sans conséquence. On peut discuter sur la nature de la réplique qui devrait avoir lieu et à quel moment puisque, dans le même temps, il y a la conférence de Genève. Évidemment, tout cela est assez complexe mais on ne peut pas, d'un côté, dénoncer l'utilisation des armes chimiques et, si cette utilisation était avérée, ne pas avoir de réponse.
Le dernier point que vous soulevez, Madame la Présidente, est le plus compliqué parce qu'évidemment tous les problèmes s'enchaînent. La solution politique, c'est celle que nous recherchons tous et je pense qu'il n'y a pas de différence ici quelque soit la sensibilité que l'on peut avoir. Je pense que nous serons d'accord, du moins je l'espère, pour dire qu'il n'y a pas d'un côté la solution politique et, de l'autre, ce qui se passe sur le terrain parce qu'on sait bien que les choses sont liées. Si on veut aboutir à une solution politique, il faut créer une situation sur le terrain qui permette cette solution politique.
La vision un peu simple et schématique selon laquelle il y aurait ou bien une solution politique, ou bien on s'intéresse à la question des armements, ce n'est pas, évidemment, comme cela que cela se passe. Il faut créer une situation sur le terrain qui encourage à la solution politique. De ce point de vue-là, quels sont les éléments nouveaux ? Eh bien, la décision qui a été prise par les pays européens, lundi soir à Bruxelles, est une solution très proche, voire conforme, de celle que nous souhaitions, nous, Français.
Vous avez eu raison de dire qu'il n'y a pas de décision de livrer des armes. Jamais il n'a été question que l'Europe en tant que telle livre des armes. Ce qui a été décidé, c'est une faculté qui est ouverte aux différents pays alors que, auparavant, cette faculté était fermée. Pourquoi considérons-nous que c'est positif ? Parce qu'il y a toujours sur le terrain un déséquilibre considérable puisque vous avez un camp, celui de M. Bachar Al-Assad, soutenu par les Russes, les Iraniens, le Hezbollah, qui dispose d'armes très puissantes et d'avions qui bombarde les résistants, alors qu'ils ne peuvent pas faire face aux avions et aux chars qui les agressent.
La faculté est donc ouverte. Je n'entrerai pas - sauf s'il y a des questions là-dessus - dans les subtilités de la rédaction mais cela signifie que nous maintenons les sanctions économiques, financières - ce qui est la moindre des choses - et que l'interdiction des livraisons d'armes est levée sous certaines conditions, à partir du 1er août, sauf s'il y avait des modifications radicales de situation. Les conditions sont d'ailleurs celles que nous proposions nous-mêmes, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait une certaine traçabilité, il faut que ce soit décidé au cas par cas. Il faut par ailleurs que ces conditions soient conformes à ce qu'est la législation de la France parce qu'on ne peut pas exporter des armes sans qu'il y ait un certain contrôle. Voilà pour la livraison d'armes.
Pour ce qui concerne Genève 2 - c'est la formule qu'on utilise pour différencier de Genève 1 -, je résumerais la position qui est à la fois celle de la France et, je crois, qui traduit la situation objective en disant que Genève 2 est extrêmement souhaitable mais extrêmement difficile. Souhaitable pourquoi ? Parce que si on veut une solution politique, il faut qu'il y ait discussion. Mais, immédiatement, on voit les difficultés : qui vont être les participants ? Quel va être l'ordre du jour ? Sur quoi cela peut-il déboucher ? Et tout cela, ce sont des questions ouvertes. Les Américains et les Russes en ont discuté. Nous-mêmes - François Hollande et moi-même -, lorsque le président de la République avait été invité à Moscou en visite officielle, avons évoqué ce sujet. Les Russes et les Américains ont lancé cette idée. Nous en avons discuté longuement l'autre soir.
Évidemment, il y a encore beaucoup de questions à régler, aussi bien du côté des représentants du régime, qui doivent tout de même avoir une capacité de décision et être des gens avec qui on peut discuter, que du côté de l'opposition puisqu'en ce moment même, l'opposition est réunie.
Enfin, il a été souhaité que la Coalition nationale s'élargisse mais c'est très difficile. À l'heure où je parle, elle ne s'est pas mise d'accord ; du même coup, des questions très importantes se posent : qui va devenir président pour succéder à Moaz Al-Khatib ? Le Premier ministre qui a été désigné, M. Hitto, va-t-il pouvoir former ou non un gouvernement ? Et quelle sera finalement la décision qui sera prise par cette coalition éventuellement étendue de venir ou pas à Genève ? Ces questions sont ouvertes. À l'heure où nous parlons, elles ne sont pas résolues. C'est très difficile.
Nous avons un observateur, M. Chevallier, qu'un certain nombre d'entre vous connaissent, qui est notre ancien ambassadeur en Syrie, auquel j'ai demandé de suivre tout cela parce qu'il est très compétent. Mais ce sont des questions qui ne sont pas réglées.
De même, la question des pays participants : peut-être poserez-vous des questions sur l'Arabie saoudite, l'Iran et d'autres pays. La question posée est de savoir si, oui ou non, il est opportun qu'ils participent à cette conférence. Il y a aussi la question de l'ordre du jour ; une conférence, oui, c'est très souhaitable, mais quel est l'ordre du jour ?
Je terminerai sur un dernier point - c'est assez complexe mais, dans cette commission, je pense qu'il faut aller au fond des choses. Vous vous rappelez qu'à Genève 1 dont nous faisions partie - j'étais moi-même un des participants à Genève 1 -, nous nous étions mis d'accord sur un texte et puis, finalement, cela n'a pas pu déboucher. Pourquoi ? Nous nous étions mis d'accord sur un texte que vous connaissez, qui est tout à fait consultable. Le point essentiel de ce texte, c'était de dire qu'il y aurait un gouvernement de transition qui serait composé par consentement mutuel - cela veut dire par le côté «soutien du régime» si on peut dire et le côté «opposition» - et que ce gouvernement de transition serait doté de tous les pouvoirs exécutifs - «full executive power». C'était une formule que nous avions beaucoup discutée qui était très importante parce qu'elle signifiait que, si ce gouvernement de transition est doté de tous les pouvoirs, cela veut dire que M. Bachar Al-Assad ne dispose plus de pouvoirs puisque c'est lui qui a le pouvoir exécutif ; c'était une avancée considérable ! Simplement, cela n'avait pas pu, sur le moment, déboucher parce qu'il y avait deux interprétations contradictoires. De notre côté, nous disions : «Cela signifie que M. Bachar Al-Assad s'en va.» Et les Russes, après consultation, avaient dit : «Non, cela ne signifie pas que M. Bachar Al-Assad s'en va. On verra.»
Évidemment, à partir de ce moment-là, on ne pouvait plus avancer. Là où il y a eu, compte tenu de la gravité de la situation, un pas en avant qui permet peut-être de faire Genève 2, c'est que les Russes, les Américains, nous-mêmes, d'autres, nous nous sommes mis d'accord sur la signification de ce membre de phrase. Il n'y a plus, pour les uns, l'exigence qu'il parte avant la conférence, pour les autres, l'exigence qu'il soit dit qu'en tout état de cause, il va rester. Il y a simplement la réaffirmation de l'objet de la conférence, c'est de permettre la constitution de ce gouvernement de transition qui aura les pleins pouvoirs. Cela permet de sortir, si on est de bonne foi, de la difficulté parce que, du même coup, la question de M. Bachar Al-Assad est traitée d'elle-même. Il n'est pas décisif qu'il soit présent ou absent puisque nous sommes tous d'accord pour dire : désormais, ce sera le gouvernement de transition qui aura tous les pouvoirs. Évidemment, c'est un point très important.
Je ne dis pas qu'il n'y ait pas d'ambiguïté dans l'acceptation de ce point par les uns ou par les autres, mais c'est cela qui permet d'envisager Genève 2 à condition que les participants reconnaissent cet élément de phrase sans lequel il ne peut pas y avoir de conférence.
Voilà où nous en sommes. Évidemment, il reste énormément de questions à régler pour que Genève 2 puisse se tenir. J'en cite quelques-unes et pas des moindres : que se passe-t-il - puisque le gouvernement de transition doit être composé par consentement mutuel - s'il n'y a pas de consentement mutuel ? Intervention de l'ONU ? Intervention de M. Brahmi ? M. Brahimi va-t-il jouer un rôle ? Que se passe-t-il du point de vue du cessez-le-feu ? On voit bien que, d'un côté, on ne sait pas comment, aujourd'hui, on pourrait arrêter la bataille, mais, d'un autre côté, on ne peut pas non plus conclure une conférence si les uns et les autres continuent à s'entretuer.
Comment procède-t-on ultérieurement aux élections ? Évidemment, il y a un problème du point de vue sur les possibilités de transition. Il y a une série de questions sur lesquelles il y a déjà du travail. Avec nos amis britanniques, américains et quelques autres en particulier, nous avons travaillé là-dessus, bien sûr, et les Nations unies ont travaillé également là-dessus, les Russes également. Il y a donc toute une série de travaux préparatoires mais, pour l'instant, les morts continuent de s'accumuler sur le terrain et nous n'avons pas - et de loin - tous les éléments qui permettraient de dire : Genève 2, cela va avoir lieu demain. Cela dit, il y a du travail. Du côté américain, russe, français et quelques autres, il y a certainement une volonté d'en sortir, mais chez d'autres, c'est beaucoup moins clair.
Je terminerai en disant qu'en ce qui concerne Américains, Russes et Français - parce que c'est un peu autour de cela que beaucoup de choses tournent -, nous avons un point d'analyse commun et qui est fondamental, c'est que nous sommes tous convaincus que si nous ne trouvons pas rapidement une solution politique, qui va l'emporter ? Ce sont les deux aspects extrémistes de ce conflit. Quand je dis les deux aspects extrémistes, c'est, d'un côté - je simplifie - le côté chiite iranien et, de l'autre, le côté sunnite extrémiste, c'est-à-dire Al-Qaïda. Cette partie exprimée par Al-Nosra et quelques autres formations, est en train de se renforcer. Comme toujours, quand il y a des conflits qui durent, qui sont des conflits sanglants, ce sont les côtés extrêmes qui se renforcent. Évidemment, c'est extrêmement dangereux parce que c'est totalement contraire aux intérêts de la Syrie. Cela veut dire une Syrie, de toutes les manières, coupée en deux, en trois et devenue sectaire, c'est-à-dire une Syrie de sectes qui, dans une région déjà éruptive, comporterait des conséquences désastreuses.
C'est pourquoi nous avons fait mouvement d'un point de vue diplomatique sur deux aspects : d'une part, nous avons demandé que le front Al-Nosra soit déclaré organisation terroriste à l'ONU car Al-Qaïda a revendiqué Al-Nosra comme étant un des siens. Et cela a une autre conséquence importante, c'est qu'on observe que, malheureusement, il y a un certain nombre d'Européens, et notamment de Français, qui sont là-bas et qui se battent. Or, vous savez que, dans notre droit pénal qui vient d'être récemment changé pour qu'on puisse, si ces gens-là reviennent en France, les interpeller et les condamner, il faut soit établir un certain nombre d'éléments de preuve - ce qui est compliqué -, soit établir qu'ils ont combattu pour une organisation terroriste. À partir du moment où Al-Nosra est classé comme organisation terroriste, cela permet de faire des choses qui, juridiquement, auraient été impossibles.
Parallèlement, compte tenu de l'engagement plein et entier du Hezbollah dans le conflit syrien et compte tenu par ailleurs d'éléments, d'indications qui nous sont données sur son rôle dans une série d'attentats, notamment en Bulgarie et ailleurs, nous avons dit - c'est une procédure européenne et non pas aux Nations unies - que la branche armée du Hezbollah devait pouvoir être considérée, au sens européen cette fois-ci, comme une organisation terroriste, en établissant une distinction entre le Hezbollah armé et le Hezbollah politique, notamment parce que nous ne voulons pas, dans toute la mesure du possible, que ceci entraîne des conséquences désastreuses sur la situation du Liban. Au Liban, vous savez l'équilibre fragile et donc les précautions qu'il faut prendre.
Voilà où nous en sommes. Les objectifs de la France sont toujours les mêmes, c'est-à-dire essayer d'arrêter - mais c'est extraordinairement difficile - ce conflit, en tout cas d'aboutir à une solution politique pour aller vers une Syrie qui soit conforme à ce que nous pouvons en attendre, c'est-à-dire une Syrie qui, je dirais, recouvre son intégrité territoriale et qui respecte les différentes communautés. Mais plus le conflit s'envenime, plus le temps passe et plus ceci devient épouvantablement difficile.
(Interventions des parlementaires)
Merci beaucoup, et merci à tous ceux qui se sont exprimés. D'abord, merci d'avoir souligné ma disponibilité, mais elle est tout à fait normale.
Les questions que vous vous posez, que vous me posez, je me les pose moi-même. Plus profondément, ce sont des sujets sur lesquels il faut évidemment qu'il y ait un dialogue avec la représentation nationale, nous le faisons les uns, les autres en toute responsabilité, et j'apprécie beaucoup de mon côté vraiment l'attitude qui est celle de tous les groupes parlementaires.
Il y a beaucoup de choses qui sont convergentes dans les questions que vous avez soulevées. L'analyse de M. Dufau est juste : le conflit auparavant était local, il est devenu régional, international. C'était à la fois un immense danger, et en même temps, on comprend bien que c'est peut-être, maintenant, par l'intervention des puissances internationales, qu'on va pouvoir essayer de trouver une solution.
Je ne veux pas faire de grandes envolées stratégiques à propos de ce conflit, mais cela permet tout de même de voir où nous en sommes, cela serait une grande discussion, du point de vue de l'équilibre ou du déséquilibre mondial.
Pendant longtemps, nous étions dans une situation bipolaire, au temps de l'URSS et des États-Unis, on pouvait le regretter. La France d'ailleurs refusait, cf. le général de Gaulle, ce condominium, mais enfin, c'est ce condominium qui réglait beaucoup de questions.
Ensuite, il y a eu une période assez brève, après la chute du Mur, où on a eu un monde unipolaire, parce que les États-Unis étaient dominants, ils avaient tous les éléments de la technique, de la puissance militaire, de la puissance politique, mais cela a duré peu de temps.
On dit que, maintenant, c'est un monde multipolaire ; je ne le crois pas. Ce serait une bonne chose que nous allions vers un monde multipolaire, avec des pôles qui prendraient des décisions en commun, et pourquoi pas, correspondant à ce qu'est le Conseil de sécurité des Nations unies modifié. Mais là, nous sommes plutôt dans un monde, j'ose ce néologisme, apolaire, c'est-à-dire qu'il y a toute une série de conflits sur lesquels, malheureusement, il n'y a pas de puissances qui puissent s'accorder pour dire : quelle est la solution. Et c'est ce qui explique la paralysie du Conseil de sécurité. Nous sommes dans ce type de situation. Alors, espérons qu'il y a tout de même un certain nombre de puissances suffisamment raisonnables pour trouver une solution, mais ce sera difficile.
Plusieurs d'entre vous sont intervenus pour dire qu'il il y a quelques mois, on leur disait que Bachar Al-Assad, c'était une question de jours ou de semaines. On s'aperçoit aujourd'hui qu'il est plus établi que ce que l'on pensait. C'est effectivement ce que nous disent tous ceux qui observent la situation, en particulier les militaires. Alors, pourquoi ? Parce que, du côté de Bachar Al-Assad, il y a eu un renforcement, l'Iran est entré beaucoup plus fortement dans le conflit. Même si beaucoup d'éléments qui se battent sont des Syriens, l'encadrement est souvent assuré par des responsables iraniens.
Et en ce qui concerne le Hezbollah, puisqu'une question m'a été posée sur l'estimation qui peut être faite des chiffres des militants Hezbollah présents dans la bataille, les chiffres hésitent entre 3.000 et 10.000. Notre estimation est autour de 3 à 4.000, mais quand vous avez des combattants très solidement armés, qui sont prêts à mourir et qui sont plusieurs milliers, cela fait une différence importante.
Donc, il y a eu des changements : d'abord, vraiment, l'implication totale de l'Iran, l'implication du Hezbollah, le fait que les Russes ont continué à livrer des armes, ça, c'est d'un côté ; de l'autre côté, vous avez le fait que, même si la Coalition, à certains égards, a pu s'unir, il y a des divisions qui demeurent ; on les voit en ce moment à travers la réunion d'Istanbul et l'impossibilité pour le moment de se mettre d'accord, ce qui est regrettable.
Un autre élément nouveau, c'est qu'il y a une «extrémisation», y compris du côté de ceux qui sont opposés à Bachar Al-Assad, et vous savez que, y compris d'ailleurs parmi des combattants d'origine européenne, y compris parmi des combattants d'origine française, c'est un phénomène nouveau, que nous n'avions pas, il y a de cela une année.
Il y a eu aussi une certaine dégradation de la situation dans les pays voisins : j'ai parlé de la Jordanie, du Liban, de l'Irak, de la Turquie. Tout cela fait que le régime, à la fois, a voulu «sectariser» - au sens donner une dimension religieuse à tout cela et, malheureusement, il y est parvenu pour une part -, et internationaliser, au moment même où les Libanais, très justement, disaient que ce conflit était l'affaire de la Syrie, où nous-mêmes disions la même chose. Mais il y a une telle porosité des frontières que c'est ce qui explique aussi la dégradation.
Alors, M. Dufau pose la question sur les participants à Genève et la feuille de route de la France.
Pour les participants à Genève, les invitations seront sans doute lancées par les Nations unies. Mais, évidemment, les Nations unies et son secrétaire général, écoutent ce qui se dit. Il y a des participants qui ne posent aucun problème, ce sont ceux qui étaient présents à Genève 1. Il y en a d'autres qui sont beaucoup plus problématiques. D'abord, qui va venir du côté du régime ? Il y a des noms qui ont été proposés, vous avez vu quelques noms, mais est-ce que ce seront ceux-là ? Est-ce qu'ils ont l'autorité et sont-ils acceptables ?
Il y a, du côté de l'opposition, la Coalition plus certains éléments, même si cela n'est pas encore fixé. Je pense à Michel Kilo, à Moaz Al-Khatib - ont dit qu'ils étaient favorables - mais il n'y a pas de décision de la Coalition nationale. Et puis, il y a des pays qui posent encore plus de problèmes. Il y a la question de l'Iran et, là-dessus, je voudrais être assez clair pour expliquer quelle est la position de la France et pourquoi un certain nombre de pays et d'observateurs, y compris de bons esprits, disent : «l'Iran doit être partie prenante, puisque, comme l'Iran est en train de faire la guerre, on fait la paix avec les gens avec qui sont en guerre, donc l'Iran doit être là». Cette thèse est défendue par les Russes et par quelques autres au sein des Nations unies. Il y a un tropisme général qu'on peut comprendre en disant : «quand on fait des conférences, il faut mettre tout le monde autour de la table».
Et puis, il y a une variété de points de vue. L'autre jour, nous avions une réunion en Jordanie avec les principaux appuis de la Coalition. Nous avons discuté de cela et je suis intervenu en donnant les arguments que je vais vous donner dans un instant. L'orientation de tous ceux qui étaient là était de dire : «il ne faut pas que l'Iran y soit». Alors, quels sont les arguments ? Premier argument, qui est extrêmement fort, c'est que parmi les participants d'une conférence comme celle-ci il y a les belligérants, mais il faut quand même que ces derniers acceptent que le but de la conférence soit un succès. Or, jusqu'à présent, jamais les Iraniens n'ont dit qu'ils souhaitaient une solution politique, encore moins une solution politique qui serait la désignation d'un gouvernement de coalition, qui prendrait les pouvoirs - de fait - de M. Al-Assad. Quand vous observez les déclarations des autorités iraniennes, c'est pour dire : «si M. Bachar Al-Assad veut se présenter aux élections de 2014, ce sera très bien, et ce sera à ce moment-là qu'on verra les choses».
Et les Iraniens, jusqu'à présent - ils peuvent changer de point de vue - n'ont jamais reconnu les termes de Genève 1, que je vous ai exposés tout à l'heure. Or, c'est simplement si on reconnaît les termes de Genève 1 qu'il peut y avoir un accord pour aller vers Genève 2. C'est le premier élément important. Faire venir dans une conférence de ce type un pays qui n'était pas à Genève 1, et dont l'objectif, me semble-t-il, c'est qu'on ne trouve pas de solution, ce n'est quand même pas beaucoup favoriser la solution.
Deuxièmement, et c'est un argument évidemment très fort, nous craignons qu'il y ait une collision entre la question syrienne et la question du nucléaire iranien. La question du nucléaire iranien n'a pas disparu. Simplement, elle a été retardée, pour les raisons que l'on sait. Pendant longtemps, on a pensé qu'il y aurait une situation vraiment où il faudrait prendre une décision avant les élections iraniennes, et puis, pour différentes raisons, les problèmes techniques ont été modifiés, l'élection iranienne va avoir lieu au mois de juin. Et donc beaucoup estiment que c'est vers la fin de l'année 2013 ou au cours de l'année 2014 que la question vraiment sera posée à l'ensemble des Nations, et d'abord à l'Iran : l'arme nucléaire, oui ou non ?
Or, beaucoup d'entre nous craignent que si l'Iran est partie prenante de la conférence sur la Syrie, toute sa tactique sera de faire traîner la conférence sur la Syrie, pour arriver à faire jonction entre l'affaire du nucléaire et l'affaire syrienne et dire le moment venu : «sur la question syrienne, il y a peut-être des possibilités, mais à condition que sur le nucléaire, vous nous laissiez faire la bombe». À ce moment-là, vous voyez la difficulté immense où nous nous trouverions. Quand nous disons cela, ce n'est pas un produit de notre imagination, cela fait deux ans et plus qu'il y a une discussion entre le P6 - c'est-à-dire les 5 plus l'Allemagne - et l'Iran. Ce dernier, pendant plusieurs séances, a demandé, alors que l'objectif est de discuter du nucléaire iranien, qu'on commence d'abord par discuter de la Syrie.
Donc, là, c'est offrir sur un plateau ce qu'ils demandent en anticipant ce qui risque de poser un problème redoutable. Évidemment, si l'Iran accédait au nucléaire, vous voyez ce que cela signifie en ce qui concerne l'Égypte, l'Arabie Saoudite, la Turquie et le reste. Sans compter qu'accepter la dissimulation nucléaire avec un régime de ce type...
Donc pour des raisons de fond nous pensons que jusqu'à présent, il peut toujours y avoir des évolutions. L'Iran n'a jamais dit clairement qu'il était pour un gouvernement. D'autre part, il risque d'y avoir jonction entre les deux affaires. Nous, nous disons très clairement que ce serait une erreur. Mais nous ne sommes pas, à nous seuls, maîtres de la décision. Et c'est une question que nous discutons en ce moment et qui n'est pas une mince question.
La feuille de route de la France. Évidemment, la question principale, c'est la constitution de ce gouvernement syrien. L'idée initiale, que cette conférence ait lieu. Le point essentiel, c'est que vous avez, d'un côté, des représentants de l'opposition, et de l'autre, des représentants du régime. On les met ensemble et il faut qu'ils sortent un gouvernement de transition». Les Nations unies, nous-mêmes, ceux qui sont présents, aident à cela. Et cela, ce serait le produit principal.
Maintenant, il y a d'autres conceptions. Certains disent : «mais non, il faut des groupes de travail sur les différentes questions dont celles du cessez-le-feu». Cela peut présenter des intérêts, mais en même temps, il ne faut pas perdre de vue l'essentiel.
Et puis, enfin, il y a beaucoup de choses. Il y a toute une série de réflexions qui ont commencé, à la fois du côté du P3, et aussi un petit peu avec les Russes, pour regarder comment les choses pourraient se faire. Mais la question essentielle, c'est d'abord qu'on soit d'accord sur les participants et sur l'ordre du jour.
Je remercie M. Terrot de son intervention. Vous avez dit : guerre de religions, malheureusement, je crains que vous n'ayez raison. Alors, évidemment, guerre de religions, il faudrait mettre un «s» à religion, parce qu'il y a des religions, et j'allais dire, des sous-groupes à l'intérieur de chaque religion. Car vous avez la grande opposition fondatrice entre chiites et sunnites, mais aussi, à l'intérieur, vous avez encore beaucoup d'évolutions. Si vous avez l'occasion de rencontrer et de demander à l'Aga Khan, qui est un chiite, ce qu'il pense du régime iranien, vous verrez ce qu'il vous répondra. À l'intérieur des sunnites, je n'ai pas eu l'impression que la position de l'Arabie Saoudite était exactement la même que la position du Qatar, et celle de la Turquie exactement la même que la position des Émirats Arabes Unis. Et que dire lorsqu'on les entend parler d'Al-Qaïda, qui se réclame aussi du sunnisme ! Vous avez donc ce problème. À la limite, je dirais que c'était déjà vrai au Moyen-âge, mais à cette époque, on n'avait pas les armes que l'on a maintenant. Et cette question est un énorme problème, ne transformons pas cela en un sujet pour l'Académie des sciences morales des politiques.
Mais la relation religions et politique étrangère est une question, je ne dis pas que c'est «la» question, absolument fondamentale, notamment lorsqu'il s'agit du Proche et du Moyen-Orient. Et on ne peut pas avoir de lecture si on n'a pas cet élément à l'esprit, vous avez mille fois raisons.
Sur les Hezbollah, je vous ai répondu. Sur les minorités chrétiennes, je ne saurais pas donner un nom, vous avez raison, il y en a beaucoup qui sont partis vers d'autres territoires. Alors, nous insistons beaucoup auprès de la Coalition, qui est d'accord sur ce point, pour dire que la Syrie vers laquelle nous voulons aller, c'est une Syrie qui respecte toutes les communautés.
Pour être très concret, ces communautés bénéficient, comme les autres, de l'aide française et de l'aide européenne, il n'y a aucune raison d'avoir une discrimination. Nous sommes en relation avec les chefs d'église. J'ai eu l'occasion d'en recevoir plusieurs, et il y a une politique française et européenne d'aide à l'accueil. Je ne sais lequel d'entre vous disait que nous étions plus réticents que d'autres à la venue de Syriens. Non, nous avons beaucoup de Syriens, qui ont fait défection, qui sont chez nous et dont un certain nombre sont très connus.
Mes collaborateurs me disent que l'Allemagne et la Suède sont en pointe avec 6.000 syriens pour l'Allemagne, et 7.800 pour la Suède. Et en France, on en a plusieurs centaines de demandes d'asile qui ont été traitées depuis 2011. Mais en tout cas, il n'y a, de notre part, ni appel d'air ni volonté de refus, pas du tout.
Sur la traçabilité des armes. Plusieurs d'entre vous ont posé la question, mais j'y reviendrai lorsque je traiterai de la levée de l'embargo. M. Giacobbi, ce qu'il a dit est malheureusement terrible sur la question du nombre des morts et à partir de quel moment ce nombre de morts devient une catastrophe. Il est vrai que, dans notre langage courant, nous disons qu'une tragédie, nous la faisons commencer parfois plutôt lorsque ce sont des pays plus proches de nous. Enfin, vous pourriez faire...
Intervenant - ... Guerre mondiale en Russie...
R - Oui, et en même temps, ce n'est pas pour autant que la Syrie n'est pas une tragédie. Donc vous voyez bien qu'on ne peut pas entrer dans une comptabilité de ce type.
La ligne rouge de l'utilisation des armes chimiques. Quelle est la situation ? Je le disais un petit peu en répondant à Mme Guigou, il y a toute une série d'indices. Les techniciens disent que ce n'est pas facile de passer du stade de l'indice au stade de la preuve, parce qu'il faut avoir toute une série de renseignements précis sur le moment et l'endroit de leur utilisation. Et je ne suis pas du tout spécialiste de ces questions, je crois qu'au bout d'un certain temps les traces s'évaporent. Mais, les Anglais ont fait un travail sur ce point, les Américains, les Canadiens et nous-mêmes avons fait un certain nombre de travaux. Ce qui m'a permis de dire que les présomptions étaient de plus en plus étayées. Nous échangeons nos informations, et nous réfléchissons aussi, bien sûr, aux conséquences à en tirer. Par ailleurs, il y a les éléments précis que nous ont donnés l'autre jour les journalistes du quotidien Le Monde.
Une idée est aussi de pouvoir nous mettre en rapport avec le représentant qui a été désigné par M. Ban Ki-moon, qui malheureusement ne peut pas procéder totalement à son enquête. Et puis, à partir de tout cela, il y a un moment où il faut que l'on en tire des conséquences. Et nous étudions cela.
Je ne peux pas vous dire aujourd'hui : voilà exactement quelles seront les conséquences que nous en tirerons. Ce qui me paraît acquis dans les conversations que j'ai avec mes homologues, c'est qu'en tout cas, un certain nombre de grands pays qui en ont la possibilité matérielle, en tireront des conséquences si l'utilisation d'armes chimiques est avérée.
Alors, on peut discuter de ces dernières, on peut discuter du calendrier, mais cela ne peut pas rester sans conséquences en raison de la gravité de l'utilisation. Et parce que, comme vous le soulignez, un certain nombre de grands pays, sans préciser les facteurs déterminants, - ligne rouge, ligne jaune -, ont quand même procédé à une affirmation de principe. Et je précise aussi - ce qui ne simplifie pas les choses - que cette notion de ligne rouge, si c'est celle qu'il faut utiliser, est la même qui a été utilisée à propos du nucléaire iranien. Et évidemment, on voit bien le problème de crédibilité que cela pose. Donc voilà les données à l'instant où je m'exprime.
Il y avait beaucoup de points de l'intervention de M. Mamère avec lesquels j'étais d'accord. Il a quand même posé la question pertinente : levée de l'embargo. Mais pour quelles armes ? Vous avez bien étudié ce que nous avons décidé, qui est d'ailleurs conforme à ce que nous, Français, demandions depuis longtemps, mais qui n'était pas possible, parce qu'il faut que ce soit une décision européenne. Je pense qu'il faut laisser une certaine marge d'ouverture et d'appréciation sur la façon dont nous réagirons. Disons que, là, il y a une faculté qui est ouverte, qui auparavant était fermée, mais comme vous l'avez souligné, de toutes les manières, même si cette faculté est ouverte, il y a des règles auxquelles il faudra que nous nous conformions.
(Interventions des parlementaires)
Alors, plusieurs questions, notamment celles de Mme Saugues, portent sur la traçabilité des armes. Ce n'est pas une question évidemment facile. Il y a dans certains cas une possibilité technique, parce qu'il y a tel ou tel type d'armement qui peut être déclenché sous certaines conditions et neutralisé sous d'autres conditions. C'est une réponse technique, mais cela ne joue pas pour toutes les armes. Il y a, et c'est un autre élément, le fait que lorsqu'il y a des armes sophistiquées, il faut qu'il y ait des gens pour utiliser ces armes. La question, à ce moment-là, n'est pas seulement «est-ce qu'on les désarme» mais «comment se fait le service?», et vous avez vu peut-être que, dans l'amendement qui avait été adopté sur l'embargo, - non pas il y a deux jours, mais il y a trois mois -, y avait été ajoutée une petite phrase qui disait qu'il était autorisé une assistance technique. Sujets sur lesquels les diplomates discutent encore pour savoir exactement ce que cela veut dire. Et l'assistance technique passe par l'assistance humaine.
D'autre part, il est évident que, au-delà des dispositifs techniques qui peuvent exister, et des choses complexes qu'on peut mettre en place, ce qui est tout à fait décisif, c'est le degré de confiance qu'on peut accorder à ceux auxquels on remet des armes, et, donc, de l'analyse qu'on fait du terrain. C'est pourquoi, même si cela peut décevoir certains d'entre nous, je répète que ce que nous avons obtenu lundi, c'est une faculté. Mais pour passer de la faculté à la réalité, il faut quand même que nous fassions une analyse politique extrêmement précise sur la base d'un terrain qui évolue tous les jours, vous l'avez dit vous-même. Certains d'entre vous ont cité telle ou telle anecdote, en disant : ce sera le 22 que tel événement se produira. La réalité n'est pas celle-là. Donc il y a une faculté qui est ouverte, mais je dirais, que lever l'embargo, ce n'est pas livrer des armes, c'est ouvrir une faculté.
En ce qui concerne M. Myard, je n'ai pas à porter de jugement psychologique, je ne me permettrais pas, mais je trouve à la fois que vous êtes extrêmement déterminé et en même temps extrêmement défaitiste, l'Iran aura sa bombe, oui, mais ça, c'est un décret...
(Intervention des parlementaires)
Nous n'avons pas la même conception de la politique. Si vous me dites : de toutes les manières, les Chinois seront plus d'un milliard, oui, là, d'accord, ils le sont déjà. Mais l'Iran aura sa bombe, cela dépend d'un côté, des décisions qui seront prises par l'Iran, et de l'autre côté, des décisions qui seront prises par ceux qui ne veulent pas que l'Iran ait sa bombe. Parce que sinon, de quoi discutons-nous ? Et à quoi sert la politique ? On peut même aller plus loin dans votre raisonnement, en disant : mais de toutes les manières, l'Europe sera ceci ou ne sera pas ceci. De toutes les manières, la France sera ceci. Évidemment, nous sommes déterminés par de grandes forces mais il y a une partie qui appartient à la décision politique. Et le fait que l'Iran aura ou pas sa bombe, je regrette, pour nous, cela relève de la décision politique.
(Intervention des parlementaires)
Sur les djihadistes européens et français. Nous travaillons là-dessus, bien sûr, avec mes collègues Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian. Aucun d'entre nous ne peut vous dire combien ils sont à l'unité près. Mais je crois que Manuel Valls a donné des ordres de grandeur qui relèvent des éléments que nous avons -, cela se chiffre à plusieurs dizaines, c'est déjà beaucoup. Et quand on élargit le phénomène aux Européens, par exemple, il est indiqué, et je n'ai pas vérifié moi-même, que nos amis belges - pourtant la Belgique est un pays qui n'est pas immense - ont probablement plus de personnes là-bas. Alors, la question est : que vont-ils y faire et qu'est-ce qu'ils deviennent ? Il y en a qui, comme dans toute guerre, perdent la vie, d'autres qui, à l'issue de cette «expérience» s'orientent vers d'autres chemins, ou bien vont sur d'autres terrains ou bien reviennent. Et donc il y a un suivi à faire avant, pendant - c'est difficile - et après, et nos services évidemment le font très, très attentivement. Mais c'est un phénomène qui, par son ampleur, est tout de même nouveau.
Alors, si vous posez la question : pourquoi est-ce que l'ampleur est plus grande qu'avant ? Les réponses qui sont données sont de dire : par exemple, on pourrait comparer avec l'Afghanistan, pourquoi y a-t-il beaucoup plus d'Européens en Syrie qu'en Afghanistan ? D'abord, c'est beaucoup plus accessible. Quand vous regardez la géographie, ce n'est pas très difficile d'aller là-bas, et deuxièmement - et c'est là le danger par exemple de groupes comme Al-Qaïda - c'est qu'Al-Qaïda, enfin le front Al-Nosra dit : «nous combattons ce tyran qui est M. Bachar Al-Assad». Et c'est vrai que M. Bachar Al-Assad est un tyran. Mais ce n'est pas pour autant que les méthodes et la finalité d'Al-Qaïda sont acceptables. Donc quand vous avez un terrain, un territoire qui est à proximité, avec une cause qui, en apparence, est l'hostilité à quelqu'un de dictatorial, cela permet finalement de faire toutes les synthèses, c'est extrêmement dangereux. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui, et c'est pourquoi il faut que nous soyons extrêmement actifs et vigilants.
M. Mariani a posé beaucoup de questions, alors, j'ai compris ce vers quoi il voulait aller à travers la question qu'il posait : «est-ce exact sur l'utilisation d'armes chimiques ou est-ce qu'il ne va pas y avoir la même chose que pour les armes de destruction massive ?». La réponse vous sera apportée lorsque les rapports seront publiés. Mais quand j'ai dit l'autre jour que les présomptions d'utilisations localisées d'armes chimiques étaient de plus en plus étayées, je n'ai pas prononcé cette phrase au hasard. Il a été aussi imputé à l'opposition. Nous, nous n'avons pas trace du tout en ce sens. Mais c'est quelque chose qui a été dit, notamment devant les Nations unies, mais là aussi, il faut apporter des éléments, là, nous n'en avons pas.
Vous avez dit, enfin, beaucoup de choses, et notamment : succès russe. La diplomatie russe, on peut essayer de réfléchir aux raisons pour lesquelles le président Poutine a adopté l'attitude qu'il a adoptée, lorsque nous en discutons avec les décideurs russes. L'argument qui revient le plus souvent, au bout de la discussion, c'est : «mais si Bachar n'est plus là, ce sera le chaos». Vous avez entendu cet argument, parce que les autres arguments, l'importance du port de Tartous, honnêtement, ne résistent pas beaucoup à l'analyse. À quoi nous répondons aux Russes, qui y sont aussi sensibles sinon ils n'auraient pas bougé de position : «Mais le chaos, Messieurs les Russes, ce n'est pas demain, c'est aujourd'hui. Et il faut donc se préoccuper de l'organisation de tout cela. Il faut tirer les leçons de l'Irak». Et là, nous sommes d'accord avec les Russes.
Quand il y a, à la fois, le renversement d'un dictateur et la destruction des institutions du régime, ce qui est arrivé en Irak, cela pose des problèmes terribles pendant des années. Donc, toute la difficulté est là, et c'est le sens de ce que nous essayons de faire. M. Bachar Al-Assad, bien évidemment, il n'a pas sa place là où il est, mais il faut qu'un certain nombre de piliers du régime, je pense à l'armée et à d'autres, ne soient pas détruits en même temps. Et c'est là toute la difficulté, et c'est la raison pour laquelle nous soutenons l'idée d'un gouvernement de transition où il y aura, à la fois, les représentants de l'opposition et des représentants du régime. Prenez l'exemple de l'armée, qui est composée essentiellement d'alaouites, nous n'allons pas dire : «voilà, l'armée, elle n'existe plus, les alaouites n'existent plus». Les alaouites ont parfaitement leur place dans la Syrie du futur. C'est toute la difficulté.
Sur la question d'Israël et des S-300, questions compliquées sur lesquelles je ne serai peut-être pas très prolixe. Les S-300, vous savez ce que c'est, ce sont des armes sol/air, et les Russes disent qu'ils ont signé un contrat il y a pas mal d'années, et ils n'ont pas encore livré. Mais lorsqu'ils ont été interrogés publiquement, ils dont dit : «Nous avons signé un contrat, nous allons livrer ces armes». Évidemment, cela pose beaucoup de problèmes. Alors, les Israéliens, enfin certains membres du gouvernement israéliens ont réagi, en disant : «nous ne le permettrons pas». Et je viens d'apprendre que le Premier ministre Israélien, M. Netanyahou, a demandé à ceux qui avaient réagi en ces termes de ne plus réagir en ces termes, et donc de faire silence sur ce point. Je précise aussi que M. Netanyahou s'est rendu l'autre jour à Moscou, et qu'il a vu le président Poutine. Ils ont certainement eu l'occasion de discuter de tout cela. Donc laissons de côté les Israéliens.
Mais, en ce qui concerne évidemment à la fois l'opposition syrienne et nous-mêmes, - dans la mesure où nous pourrions vouloir livrer des armes -, cela pose une autre question. Les missiles sol/air, sont faits - comme leur nom l'indique - pour intercepter des éléments qui seraient dans l'air, donc les Russes disent : «cela veut dire que nous ne voulons pas qu'il y ait d'attaque». Oui, mais c'est un peu plus compliqué que cela, parce que, admettez qu'il soit décidé qu'il y ait une zone d'exclusion aérienne, les missiles sol/air peuvent, en théorie, frapper les avions qui n'auraient pas pour objet d'attaquer la Syrie, mais qui auraient pour objet de défendre telle zone. Donc sont-ils ou ne sont-ils pas contradictoires avec la possibilité d'avoir une zone d'exclusion aérienne ? C'est la raison pour laquelle nous souhaitons vraiment qu'il ne soit pas procédé à des éléments qui pourraient, si vous voulez, rendre le conflit encore plus vif.
À propos de la question précise : «est-ce qu'il n'y aurait pas un accord possible avec l'organisation politique du Hezbollah...»
En ce qui concerne le Hezbollah, c'est clair. Maintenant, la position de la France, est qu'il n'est pas acceptable qu'ils envoient des milliers de personnes -... ils sont Libanais - en Syrie, pour faire la guerre aux résistants. Maintenant, en ce qui concerne l'organisation politique Hezbollah, il y a des contacts avec le Hezbollah. Par exemple, notre ambassadeur au Liban parle avec le Hezbollah, et pas seulement d'ailleurs avec le Hezbollah. Nous avons des positions fermes vis-à-vis de l'Iran, mais j'ai autorisé mon directeur ANMO à aller dire quelle était notre position, parce qu'il vaut mieux toujours dire les choses aux Iraniens. Voilà où nous en sommes.
Quant à Taëf, c'est vrai que ça a du sens, à partir de la situation sur le terrain qui est épouvantable, que nous avons décrite et sur laquelle nous avons discuté pendant maintenant une heure et demie. C'est très difficile d'imaginer qu'on va avoir une République syrienne à la française, parce que quand vous voyez les forces qui sont engagées...
Ce qu'il faut, si c'est possible, c'est arriver à trouver un accord politique, à faire descendre la pression, à faire que beaucoup de ces gens-là puissent coexister pour qu'on retrouve une Syrie qui ait un sens, et ce ne sera pas nécessairement très cartésien, ce sera plus compliqué que cela.
Alors, ce n'est pas Taëf au pied de la lettre, mais l'idée que, dans un pays composite, il faut à la fois respecter la diversité et en même temps avoir une unité, ce qui était ça finalement l'idée. C'est une idée qui a du sens. Mais quand vous regardez la difficulté qu'on a eue à faire Taëf, vous imaginez ce que cela signifie pour la question syrienne.
Voilà, Mesdames et Messieurs ce que je pouvais dire. Madame la Présidente, je résumerai l'analyse de la diplomatie française, notamment sur cette affaire de Genève. Évidemment, nous voulons une solution politique et nous travaillons pour cela. Nous sommes vraiment parmi les parties prenantes, et en même temps, notre conversation l'a montré, c'est quelque chose de très difficile. Mais ce n'est pas parce que les choses sont difficiles qu'il ne faut pas les tenter, c'est parce qu'on ne les tente pas, qu'elles sont difficiles.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 juin 2013