Interview de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, à "BFM" le 23 mai 2013, sur le cadre à l'exportation fourni par le gouvernement, notamment avec la Banque publique d'investissement (BPI).

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Média : BFM

Texte intégral

Q - On ne va pas se cacher les choses, les fondamentaux de l'économie ne sont pas bons, notamment en ce qui concerne l'Europe - et c'est peut-être d'ailleurs au coeur de votre stratégie Nicole Bricq. Le cahier «économies et entreprises» du Monde sortira avec les tous derniers chiffres de procédure de sauvegarde et du nombre d'entreprises qui doivent se mettre en procédure de sauvegarde, ça vient totalement valider votre stratégie, c'est-à-dire la clé de ce que vous faites. Disons-le ! Vous n'êtes pas la première ministre du commerce extérieur à essayer de le faire, Madame Bricq mais c'est bel et bien de dire à nos entreprises, quelle que soit leur taille, que leur avenir est dans l'exportation et dans la projection ?
R - L'exportation apporte quelques dixièmes de point à la croissance ; donc, elle est fondamentale. Je crois que le tocsin a sonné quand nous sommes arrivés à un déficit de 74 millions d'euros - tout le monde a pris conscience de l'importance de ce facteur - et les entreprises c'est vrai, notamment les PME et les ETI, se portent de plus en plus vers des marchés lointains. Il vaut mieux les accompagner, parce qu'il y a deux chiffres qui sont quand même parlant : 30 000 entreprises exportent, PME, mais autant s'arrêtent d'exporter, donc tout le monde n'est pas propre...
Q - Commencent à exporter...
R - À aller à l'exportation.
Q - Commencent à exporter sur une campagne, c'est ça que vous voulez dire Madame ?
R - Oui !
Q - Et puis...
R - S'arrêtent.
Q - Butent sur quoi ? Parce qu'ils se sont fait roulés dans la farine ? Parce qu'ils n'ont pas été payés dans les délais ? Parce que ça leur coûte trop cher ?
R - Parce qu'on ne les a peut-être pas assez accompagnés, jusqu'à l'exportation et, surtout, on ne les a pas forcément accompagnés dans la durée une fois qu'elles avaient réussi un premier contrat.
Q - Il y a une image, vous allez me dire ce que vous en pensez, mais c'est vrai. Mme Christine Lagarde elle-même avait fait énormément en tant que ministre du commerce extérieur et c'est vrai que sa grande idée c'était : chasser en meute, à l'allemande d'ailleurs disait-elle beaucoup, on part entre Allemands pour aller chasser en meute - à l'allemande - et elle parlait des escadres.
R - Oui ! Les Allemands et les Français sont différents, vous avez remarqué...
Q - Oui ! Mais vous voulez vous assurer...
R - Ce que je veux, c'est que les entreprises puissent aller à l'exportation - et l'État est là pour leur fournir le cadre le plus favorable - et, en même temps qu'elles puissent y rester longtemps. Il ne faut pas avoir ces échecs qui découragent et je pense qu'il faut aussi être capable de regrouper une offre commerciale française. C'est ce que j'ai fait autour de quatre familles de services et de produits qui vont correspondre et qui correspondent à la demande mondiale et, la demande mondiale, qui est en croissance dans 47 pays, des pays européens bien sûr, des pays développés comme les États-Unis mais aussi des pays lointains comme tous ceux d'Asie du Sud-est où je me suis rendue et je me rends encore bientôt.
Q - Alors c'est quoi quatre gammes de produits et de services, très concrètement ?
R - Très concrètement c'est tout ce qui va exploser dans la demande mondiale, dans ces pays en croissance : la santé, mieux se soigner ; la manière de vivre en ville, dans des villes plus durables, dans des villes avec l'efficacité énergétique, dans des villes où la mobilité urbaine est assurée, c'est le mieux-vivre en ville. C'est aussi tout ce qui se développe dans les techniques de communication, c'est le mieux communiquer. Et c'est aussi mieux se nourrir, les besoins en agroalimentaire vont exploser dans de nombreux pays qui, eux, sont en croissance.
Q - Donc là vous nous dites : voilà la demande mondiale et voilà comment nous on voit la demande mondiale. Alors comment est-ce que moi entreprise, PME aujourd'hui en France, je vais aller rejoindre cette demande mondiale. La Banque publique d'Investissement a un rôle à jouer ?
R - Oui ! Hier, avec Pierre Moscovici, nous avons affiné la présentation, autour de BPI France Export, de toute l'offre française pour accompagner les entreprises, c'est-à-dire un intitulé unique, des lieux régionalisés, proches des entreprises, en s'appuyant bien sûr sur les Régions et sur les Chambres de commerce qui sont aussi à l'international, en fédérant les acteurs localement et en les fédérant à l'étranger.
Q - Mais il s'agit d'essayer de détecter celles qui pourraient aller à l'export et qui ne le font pas ou il s'agit d'essayer de leur donner une sorte de manuel de savoir-faire ?
R - Les deux ! C'est-à-dire qu'il faut pouvoir les détecter. Et je crois que les Régions, qui ont déjà cette compétence économique et qui vont avoir le rôle de chef de file à l'international, de par la Loi de décentralisation, sont particulièrement bien placées avec tout le tissu des Chambres de commerce et d'industrie. Pour les PME, bien sûr, nous les accompagnons avec Ubifrance, nous les accompagnons aussi avec nos services régaliens à l'étranger. Il faut que tout le monde travaille dans le même sens, donc être regroupé, oui c'est vrai, il vaut mieux l'être, mais au niveau de l'offre.
Q - Mais les postes d'expansion économique ne font pas déjà ça dans tous les pays ? J'ai l'impression de couches qui se superposent ?
R - Il y a beaucoup de monde à l'exportation. C'est pour cela que le Premier ministre m'a demandé d'évaluer le dispositif français à l'exportation, ce que je fais, je réunis le dernier comité de pilotage - essentiellement composé de chefs d'entreprise du reste, dont les deux missionnés sont des chefs d'entreprise - et nous allons proposer au Premier ministre une réorganisation de l'appareil français à l'exportation parce qu'il y a beaucoup de monde et quelquefois les complémentarités ne sont pas assurées. Il peut y avoir des chevauchements.
Q - Oui ! C'est ça, et on peut enlever des couches, l'idée qu'il faut essayer d'enlever des couches quand même ?
R - Eh bien l'idée c'est de regrouper.
Q - Voilà ! L'idée c'est de regrouper.
R - Elle est juste cette idée.
Q - Et la BPI vous semble le bon creuset pour regrouper finalement ?
R - Elle va proposer tous les financements à l'exportation, notamment elle a la vocation internationale. Ça veut dire quoi pour une entreprise ?
Q - Cela veut dire qu'on a un interlocuteur !
R - Voilà ! On a un interlocuteur. Avec en plus, dans la Banque Publique Régionale, ils aient un chargé d'affaires qui vient d'Ubifrance, qui est mis à disposition pour le conseil, un Coface aussi pour la sécurisation du contrat. Donc, nous pourrons offrir des prêts pour que l'entreprise ait des fonds de roulement pour tenir le coup et puis aussi des fonds propres de manière à ce que, quand elle veut investir ça arrive, elle a besoin de trouver un partenaire. Elle a besoin de faire une joint-venture, il faut qu'elle ait la capacité...
Q - Mais l'évaluation de l'offre est faite par toutes les entreprises qui vont être derrière du fonds de roulement et derrière des prêts supplémentaires, mais il faut être sûr de la qualité de l'offre ...
R - Et puis aussi de la prospection. Assurer la prospection pour les premiers contrats, mais il ne suffit pas d'en avoir un, il faut tenir le coup.
Q - On dit un mot de ce qui se joue autour du Bangladesh, Madame Bricq, parce que c'est l'autre gros dossier...
R - Je pense que ce tragique évènement montre que le commerce a une responsabilité qui n'est pas justement que commerciale, il a responsabilité sociale, voire environnemental et je pense que les donneurs d'ordre doivent s'assurer que leurs sous-traitants respectent un minimum de règles sociales ; voilà qui me parait le plus important. Une charte sécurité a été proposée, Carrefour l'a signée du reste puisqu'il est impliqué dans l'affaire du Bangladesh. Je réunis cet après-midi le point national de contacts où il y a des entreprises de la grande distribution notamment, des ONG et des organisations syndicales pour faire des propositions. Je suis aux côtés aussi de ma collègue néerlandaise ; les Pays-Bas sont le pays qui mène le groupe des donateurs.
Q - Deux grands syndicats internationaux ont proposé et fait signer d'ailleurs aux premières grandes marques internationales les tous premiers textes...
R - Oui !
Q - Soixante-dix millions de travailleurs représentés par ces syndicats, donc ce sont de vraies puissances...
R - La politique commerciale est européenne et j'ai saisi le commissaire européen au commerce Karel De Gucht pour que le Bangladesh, qui bénéficie du système de préférence généralisé avec l'Union européenne s'engage sur une feuille de route et qu'il la respecte du point de vue notamment des normes sociales. On ne demande pas au Bangladesh d'être aux standards les plus élevés mais on lui demande de faire respecter ces normes sociales. Il n'est pas normal de faire travailler des humains comme des bêtes.
Q - C'est très intéressant ! Parce que c'est un peu ce que disait Michel-Edouard Leclerc «je ne voudrais pas que les États s'exonèrent de leur responsabilité dans cette affaire». On est d'accord ?
R - Oui ! Absolument, mais on ne s'en exonère pas. Je m'en préoccupe, je vous dis que j'ai trois actions en cours et cela fait partie des engagements que j'ai pris quand le Premier ministre a demandé de constituer une plateforme sur la responsabilité sociale et environnementale.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mai 2013