Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur la politique de défense de la France et la zone Asie-Pacifique, à Singapour le 2 juin 2013.

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Circonstance : Déplacement à Singapour à l’occasion de la 12e édition du Dialogue Shangri-La sur la sécurité et la Défense en Asie-Pacifique, les 1er et 2 juin 2013

Texte intégral


Cher John Chipman,
Cher Dr Ng,
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs,
Vous me permettrez d’adresser mes premiers mots de remerciement à nos hôtes, à vous John, à l’Institut International d’Etudes stratégiques mais avant tout, au gouvernement de Singapour, pour son hospitalité. Je souhaiterais également vous adresser mes félicitations pour le succès de cette douzième édition du Dialogue du Shangri-La.
Deux décennies après la fin de la guerre froide, le temps où certains pouvaient croire à l’avènement d’un monde unipolaire est révolu. Il reste urgent d’en tirer toutes les conclusions. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, aucune nation, si puissante soit-elle, ne peut espérer régler seule les problèmes. Notre époque, qui est celle des puissances relatives, nous invite à prendre conscience de nos intérêts communs de sécurité.
1. – Car nos Etats, européens, américains ou asiatiques, sont confrontés à des menaces similaires, qui n’ont plus de frontières : le terrorisme, comme l’ont montré les événements de la bande sahélienne ; la prolifération des armes de destruction massive dont l’Iran et la Corée du Nord nous rappellent tous les jours l’acuité ; les cyber-attaques, voire les attaques antisatellites ; mais aussi la piraterie, l’insécurité énergétique, la grande criminalité organisée et les trafics de stupéfiants dont l’ampleur nous impose d’adopter une conception de la sécurité infiniment plus large qu’auparavant.
Principal foyer de croissance économique du monde au cours des trente dernières années, l’Asie-Pacifique demeure un enjeu stratégique pour la France, par les facteurs de tension qu’elle recèle au-delà de son objectif affiché de stabilité. La France, puissance riveraine de l’Océan indien et du Pacifique, liée à nombre de ses Etats par des relations singulières, la France ne peut s’en détourner, quelles que soient les contraintes de la géographie, l’impact de la contrainte budgétaire ou les présupposés erronés sur la dimension économique exclusive que revêtirait la relation euro-asiatique.
Ce constat, le nouveau livre blanc français sur la défense et la sécurité nationale voulu par le Président François Hollande, le formule à nouveau. La formidable dynamique de la zone Asie-pacifique, dont tous les acteurs sont fiers à juste titre, reste vulnérable. L’Asie-Pacifique, tout comme l’Europe, fait face à trois grands types de menaces et de risques.
- Tout d’abord les menaces de la force, car les risques de conflits entre Etats n'ont pas disparu, notamment dans cette région où des contentieux géopolitiques, parfois anciens, nourrissent des tensions ou des conflits. De nombreux pays ont augmenté leurs dépenses de défense et modernisé leurs forces armées, alors même que l’architecture régionale de sécurité peine à se mettre en place. Dans les années à venir, les mers d’Asie verront la présence de très nombreux bâtiments militaires, notamment des sous-marins. Il faut d’ores et déjà travailler à mettre en place les mesures de confiance nécessaires.
Plus important peut-être, les revendications nationalistes, qui résonnent tristement pour nous Européens qui en avons tant souffert, ces revendications apparaissent aujourd’hui comme autant de menaces de conflits et d’entraves à des principes aussi souverains que la liberté de circulation maritime et, de façon plus générale, à l’économie globale.
Face à ces menaces, il faut pouvoir compter sur ses propres forces mais aussi être en mesure d’élaborer des instruments de prévention et de sécurité collective.
- Le deuxième type de menaces, ce sont celles engendrées par les risques de la faiblesse. Comme nous l'avons vu au Mali, en Somalie ou en Afghanistan, l'incapacité de certains Etats à contrôler leur territoire peut renforcer l'insécurité régionale, en favorisant l'implantation de groupes terroristes, sur fond de piraterie ou trafics illicites de tous types.
- Enfin, les menaces et les risques transverses amplifiés par la mondialisation. Ces menaces peuvent recouvrir la tentation de la prolifération nucléaire balistique ou chimique ou, encore, le développement des capacités informatiques offensives de certaines puissances. Il y a, en tout cas, nécessité urgente de mieux contrôler, à titre national et ensemble, les flux matériels et immatériels qui sont susceptibles d'affecter notre sécurité : terrorisme, piraterie, criminalité organisée, trafics illicites de drogue et d'armes.
Dans cette perspective, l’Asie est nécessairement une, car les problèmes qui l’affectent ne peuvent être contenus par les frontières terrestres ou maritimes. Ces problèmes, par-là même, ont un impact direct sur les intérêts de l’Europe dans son ensemble et de la France en particulier. Nous sommes à l’ère de l’interdépendance. Les enjeux stratégiques relatifs aux mers de Chine sont liés à ceux de l’océan Indien. La prospérité du Pacifique dépend pour partie de la stabilité de l’océan Indien. Le Livre blanc français pour la défense et la sécurité nationale de 2013 le reconnaît : les tensions géopolitiques, les rivalités nationalistes, mais aussi la prospérité et la croissance de l’Asie nous concernent directement ; une crise majeure en Asie aurait des conséquences très sérieuses pour l’Europe. Notre sécurité se joue aussi en Asie-Pacifique.
Mesdames et Messieurs,
2. – C’est pour cet ensemble de raisons que la France entend rester résolument engagée en faveur de la sécurité de la zone Asie-Pacifique. Vos intérêts de sécurité sont également nos intérêts de sécurité.
A enjeu global, réponse globale. En termes de sécurité, la France entend rester un acteur à part entière, sans exclusive. C’est la conclusion de notre Livre blanc, qui insiste sur l’importance de l’Asie-Pacifique pour notre politique de défense.
La France est une puissance de l’Océan indien et du Pacifique. Elle y dispose de territoires – dont certains viennent de rappeler récemment leur souhait de demeurer dans la communauté nationale – et de ressortissants en nombre croissant qui nécessitent sécurité et protection. Mais au-delà, la France, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, nation fidèle à ses engagements, entend contribuer, à la mesure de ses moyens, aux côtés de ses alliés et partenaires à la sécurité régionale dans toutes ses dimensions.
a) C’est dans cet esprit que nous nous sommes engagés de façon résolue depuis dix ans en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme. La décision de retrait de nos troupes combattantes fin 2012, accompagné d’un traité d’amitié et de coopération avec les autorités de Kaboul pour les décennies à venir, ne diminue en rien notre combat résolu contre le terrorisme. La lutte contre Al Qaida et ses filières, aujourd’hui actives au cœur de l’Afrique sahélienne, demeure aujourd’hui une priorité pour nous et pour la sécurité de l’Europe comme l’a clairement montré notre intervention au Mali.
b) Lutter contre la proliférationdes armes de destruction massive constitue également l’une de nos priorités pour la région. La Corée du Nord s’est illustrée par de nouvelles provocations balistiques et un nouveau test nucléaire, encore aggravés par un inquiétant programme d’enrichissement.
Comme avec l’Iran dont les silences ne font que renforcer les lourds soupçons sur la vocation militaire de son programme nucléaire. La communauté internationale ne peut accepter la poursuite de ces activités proliférantes comme leur dissémination potentielle à des pays tiers. La Corée du Nord porte seule aujourd’hui la responsabilité des sanctions qui la touche. Notre coopération, qui vise à priver la Corée du Nord de débouchés pour ses matériels proliférants, doit être renforcée. Certains pays riverains peuvent ici jouer un rôle fondamental. Sur ce point, notre coopération peut être bilatérale ou s’intégrer dans des cadres plus larges tels que celui, particulièrement fructueux, de l’initiative PSI.
c) A ces menaces du terrorisme et de la prolifération, s’ajoute l’ampleur désormais prise par les risques posés par la menace cybernétique. C’est là l’une des priorités majeures de notre nouveau Livre blanc et personne ne doit douter de la détermination de la France à protéger ses intérêts et ses réseaux, y compris par des capacités informatiques offensives lorsque le besoin s’en fait sentir. Nous sommes dans ce domaine disposés à renforcer nos coopérations pour protéger nos systèmes mais aussi combattre et identifier les agresseurs étatiques et non-étatiques, dont les actions menacent nos institutions comme nos sociétés.
d) La piraterie demeure quant à elle un mal endémique sur de nombreuses mers du monde. La France a depuis longtemps pris sa part de responsabilité en Océan indien, à l’image de la coopération exemplaire menée par les pays riverains du détroit de Malacca. Je sais également que les Etats d’Asie du Sud entreprennent des efforts pour lutter contre cette menace portée à la libre circulation maritime. Plus largement, la liberté de circulation sur les mers doit être pleinement assurée, conformément au droit international.
Face aux risques et aux menaces qui nous entourent, la première condition du succès demeure bien la volonté déterminée d’y faire face - dans le strict respect du droit international - en consentant l’effort nécessaire. Comme au Mali, comme en Libye, comme en Afghanistan, cette même volonté et détermination à agir, la France n’a eu de cesse de la mettre en œuvre. Elle vient encore de le prouver en décidant de maintenir son effort de défense à des niveaux importants, malgré les crises financière et budgétaire. La France ne baisse pas la garde.
C’est aussi à ce titre que la France entend participer au renforcement des capacités de souveraineté des Etats en Asie Pacifique. Comme le souligne notre dernier Livre blanc, "l'ordre international requiert de chaque Etat qu'il assure la garde du territoire sur lequel il exerce sa souveraineté, non seulement pour le compte de son peuple, mais aussi pour celui de la communauté internationale. Face aux menaces comme aux risques, l'Etat est la première ligne de défense, le premier échelon de réponse. Que cet échelon soit inefficace, qu'il soit bousculé, et le problème à traiter prend aussitôt une dimension nouvelle et beaucoup moins maîtrisable".
3. – La Francearticule ainsi sa politique de coopération de défense autour de plusieurs axes :
- tout d’abord, l’intensification de ses dialogues politico-militaires à travers lesquels nous pouvons construire des relations de confiance, échanger nos expériences et nos connaissances sur le contexte régional et international ;
- la coopération militaire, afin d’aider nos partenaires à disposer d'un outil de défense efficace, et faciliter ainsi des actions coordonnées avec nos forces, y compris sous la forme d’exercices conjoints ;
- la coopération en matière d'armement et d’équipements de défense, y compris dans ses aspects technologiques et industriels. Cette coopération que la France entend renforcer avec les pays qui partagent nos valeurs de façon durable et constante, dans la confiance, doit contribuer à l'autonomie d'action et aux capacités de défense de nos partenaires.
- La promotion d’une architecture de sécurité régionale enfin et la promotion de mesures de confiance : à cet égard, la volonté politique d’institutionnalisation d’une structure de coopération régionale telle que l’ASEAN nous paraît constituer un axe fondamental. Si le chemin reste long, l’ASEAN, pionnière du multilatéralisme et de la sécurité collective en Asie, montre l’exemple. La France souhaite, à cet égard, la finalisation rapide du Code de conduite de l’ASEAN sur la sécurité maritime.
La France encourage cette initiative pragmatique. C’est pourquoi elle est disponible pour toute initiative visant à développer la confiance entre les Etats, qui, au-delà de leurs intérêts communs, restent trop souvent prisonniers de contentieux bilatéraux. La France entend développer des partenariats de long terme, avec toutes les institutions, comme l’ADMM+, qui contribuent à garantir la sécurité régionale, mais également avec leurs Etats membres.
A ce titre, plusieurs pistes pourraient, me semble-t-il, être explorées :
- En termes de maîtrise des armements, la grande avancée a été l'adoption du Traité sur le commerce des armes. Pour la première fois, les Etats ont accepté un instrument qui crée des normes de contrôle des transferts d'armes et de lutte contre les trafics illicites.
- Deuxièmement, de nombreux pays participent aujourd'hui à la lutte contre la piraterie maritime, et donc à la sécurisation des flux. Dans cette perspective, la France étudie aujourd'hui une candidature à l’accord de coopération régionale de lutte contre la piraterie navale en Asie (ReCAAP).
- En ce qui concerne la cybersécurité, la France souhaite pouvoir engager ou renforcer, avec ses grands partenaires de la zone Asie Pacifique, le dialogue que cette menace rend plus que jamais indispensable.
- Nous ne pouvons enfin oublier que le renforcement dans la zone Asie Pacifique de la coopération de défense doit intégrer le renforcement de notre capacité d’interopérabilité pour des opérations d’assistance humanitaire et d’assistance en cas de catastrophe naturelle. Des avancées importantes ont été réalisées dans le Pacifique sud. La France, forte de son expérience, est prête à contribuer à toute réflexion supplémentaire sur ce thème fondamental.
Mesdames et Messieurs,
C’est par le dialogue, bilatéral et multilatéral, que la politique fonde sa légitimité. Raymond Aron a dit de la guerre froide qu’elle était une « ère de guerre improbable et de paix impossible ». Je reste convaincu que, si les guerres et les crises demeurent toujours une possibilité, en Asie peut-être plus qu'ailleurs, la paix et le développement n’en constituent pas moins une exigence. Notre responsabilité, la responsabilité de la France, comme de celles des Nations ici, à travers le renforcement de la coopération de défense, est d’encourager nos échanges pour transformer les risques de conflit en réassurances, pour prévenir, et circonscrire les facteurs de déstabilisation. Incontestablement le Dialogue du Shangri-La apporte une pierre essentielle à cet édifice.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 4 juin 2013