Interview de M. Bernard Cazeneuve, ministre du budget, à "Radio classique" le 30 avril 2013, sur la politique budgétaire de rétablissement des comptes publics, et le débat sur une réorientation vers plus de croissance de la politique de l'Union européenne.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Alors, enchaînons sur ce que vient de raconter évidemment Guillaume TABARD, comment vous expliquez cette volonté d’une partie des socialistes de mettre la barre à gauche toute et surtout, vous qui avez été ministre des Affaires européennes, d’installer une sorte de gigantesque désordre entre la France, l’Allemagne, et finalement à l’intérieur de l’Union européenne, mais qu’est-ce qu’ils veulent exactement ?
BERNARD CAZENEUVE
On n’a pas besoin, pour être à gauche, de vouloir la confrontation avec l’Allemagne.
GUILLAUME DURAND
Mais qu’est-ce qu’ils veulent, eux ?
BERNARD CAZENEUVE
Eh bien posez-leur la question. Ce que je peux vous dire c’est ce que le gouvernement fait, ce que le président de la République a défini comme orientation, les objectifs que nous voulons atteindre. Ce que nous voulons faire c’est d’abord faire notre devoir, parce que c’est l’engagement que nous avons pris devant les Français, rétablir nos comptes, non pas parce que l’Europe nous l’impose, mais parce que si nous ne faisons pas ce travail de rétablissement de nos comptes nous devront affronter, comme d’autres pays sur les marchés, des taux d’intérêts qui obèreront les chances de croissance. donc, le premier point sur lequel je voudrais insister, c’est que le rétablissement des comptes, qui est le travail qui m’a été confié, dans un contexte économique très difficile, est un objectif que nous nous sommes assigné à nous-mêmes parce que c’est bon la croissance, c’est nécessaire pour notre pays. Deuxièmement, nous serons d’autant plus forts, en faisant ce travail, en faisant les réformes structurelles, et nous aurons plus d’audience, en Europe, pour changer une politique, au sein de l’Union européenne, qui ne nous convient pas. il faut aller plus loin dans la mise en oeuvre de l’Union bancaire, il faut davantage d’initiatives pour des investissements structurants de compétitivité qui permettraient dès à présent de faire de la croissance, nous devons aller plus loin, plus vite, dans la lutte contre les paradis fiscaux, cette réorientation de l’Europe nous l’appelons de nos voeux. Et troisièmement, nous n’avons pas besoin, pour faire tout cela, d’une confrontation avec l’Allemagne, nous avons besoin, au contraire, avec l’Allemagne, d’initiatives communes, je pense par exemple que la politique énergétique, où l’Allemagne a décidé de sortir du nucléaire avec des investissements très coûteux à faire, nous avons nous-mêmes une transition énergétique à mener, nous pouvons redonner à l’Europe du souffle, du sens, et de la force politique, c’est cela notre agenda.
GUILLAUME DURAND
Gilles LECLERC.
GILLES LECLERC
Justement, quand même, dans ce contexte il y a un débat chez les socialistes, mais quand même, quand un ministre, qui cohabite avec vous à Bercy déclare…
GUILLAUME DURAND
Arnaud MONTEBOURG.
GILLES LECLERC
Arnaud MONTEBOURG déclare dans LE POINT, qui sort ce matin, je le cite : « il faut ouvrir les hostilités, non pas avec l’Allemagne » dit-il, « mais avec l’Union européenne en se comparant à un toréro. » C’est quand même un ministre important du gouvernement, vous en pensez quoi ?
BERNARD CAZENEUVE
Je pense qu’il faut vraiment que nous comprenions que si nous voulons atteindre l’objectif de la réorientation de l’Europe, il faut changer de vocabulaire, ce vocabulaire-là est un vocabulaire qui aboutit à l’exact contraire de ce à quoi on prétend, c'est-à-dire la réorientation de l’Europe. La réorientation de l’Europe elle se fait dans un climat de confiance, elle se fait dans la crédibilité, elle se fait dans la volonté d’une vision pour l’Europe qui s’exprime…
GILLES LECLERC
Des propos comme ça, ça porte tort au gouvernement et à François HOLLANDE ?
BERNARD CAZENEUVE
Je pense que, je l’ai dit d’ailleurs à Arnaud MONTEBOURG, nous avons des relations amicales et franches, je pense que ce type de propos ne sont pas des propos qui aident à la réorientation de l’Europe. Si nous voulons une réorientation de l’Europe…
GUILLAUME DURAND
Et pourquoi on ne les sanctionne pas ? Pardonnez-moi.
BERNARD CAZENEUVE
Chacun a son tempérament, nous ne sommes pas non plus un gouvernement monolithique, il y a des caractères qui s’expriment, il y a des sensibilités qui disent ce qu’elles ont à dire, moi je ne suis pas non plus favorable à ce qu’il y ait un gouvernement où il n’y aurait que des ministres disant la même chose, sur le même ton, de la même manière. Ce qui compte c’est la cohérence de la politique que nous menons, et la cohérence de la politique que nous menons c’est ce que je viens de vous dire. Un, rétablir nos comptes, deux, réorienter l’Europe, trois, le faire dans une relation franco-allemande refondée autour d’un agenda qui soit un agenda porteur d’avenir. J’ai parlé de la transition énergétique, je pourrai parler de la lutte contre les paradis fiscaux, nous sommes ensemble, sur la taxe sur les transactions financières, nous sommes ensemble, sur l’Union bancaire, bien que des désaccords se soient fait jour au début, nous sommes aujourd’hui plutôt dans le compromis, il faut accélérer la mise en oeuvre de l’Union bancaire. Moi je suis résolument européen et je considère que dans le contexte qui prévaut nous devons être non seulement déterminés à changer l’Europe, mais responsables et crédibles dans les voies que nous choisissons pour le faire.
GILLES LECLERC
Est-ce que le débat, tout de même, sur le fond, rigueur/ relance, est-ce que c’est un vrai et un débat que vous estimez utile… ?
BERNARD CAZENEUVE
C’est surtout un faux débat, et je vais vous dire pourquoi. Parce que, parmi les ministres qui, comme moi, souhaitent que nous maintenions notre trajectoire de rétablissement des comptes, parce que c’est un engagement que nous avons pris, et que c’est bon pour l’économie, vous ne trouverez pas un ministre qui ne soit pas désireux de réorienter l’Europe sur le chemin de la croissance, et parmi ceux qui souhaitent la réorientation de l’Europe vers davantage de croissance, vous n’en trouverez pas un qui préconise qu’on abandonne la stratégie de redressement. Donc, il y a dans tout cela beaucoup de postures, beaucoup, parfois de manifestations narcissiques, et beaucoup moins de politique qu’on ne le pense.
GILLES LECLERC
Mais c’est ce qui mine cette première année de la présidence ?
GUILLAUME DURAND
C’est notamment ce qui mine la première année de la présidence de François HOLLANDE.
BERNARD CAZENEUVE
Je pense, Monsieur DURAND, et je vous le dis de façon extrêmement franche, que lorsque l’on est investi d’une responsabilité ministérielle dans un contexte de crise et de tempête comme celui qui prévaut, il faut qu’on ait chacun à l’esprit, chaque jour, que ce que nous sommes est infiniment moins important que la mission qui nous a été confiée, et qu’il ne serait pas mauvais que nos petites personnes s’effacent parfois devant la mission qui nous a été confiée. En tous les cas c’est ma déontologie de l’action publique, c’est la manière dont je vis le travail qui est le mien aujourd’hui, et je pense que les Français n’attendent pas des manifestations de narcissisme, ils n’attendent pas des états d’âme, ils attendent des états de service.
GUILLAUME DURAND
Alors deux questions sur la journée d’hier à l’Elysée vis-à-vis des chefs d’entreprise, et sur les sondages qui sont défavorables. D’abord sur la journée d’hier, est-ce que vous considérez que ce qui a été annoncé est de nature à rassurer les chefs d’entreprise qui sont quand même, LE MONDE l’a écrit hier, dans une situation de défiance à l’égard du chef de l’Etat ?
BERNARD CAZENEUVE
Oui mais, regardons les faits. Il peut y avoir des campagnes de presse, il peut y avoir des émotions, regardons les faits, ce qui compte ce sont les faits. Ce que nous faisons, depuis maintenant 10 mois, c’est le rétablissement des comptes de notre pays avec des premiers résultats. Lorsque le déficit structurel diminue de 1,2% en 2012, que nous nous proposons de le faire diminuer de 1,8% en 2013, alors qu’entre 2007 et 2012 il avait augmenté de près de 2 points. Lorsque pour la première fois, depuis quasiment le début de la Vème République, les dépenses de l’Etat diminuent de 300 millions d’euros en 2012, et que je suis en train d’élaborer un budget pour 2014 qui conduira les dépenses de l’Etat à diminuer de 1,5 milliard. Lorsque que j’indique que, pour 2014, nous voulons équilibrer le budget par les économies et l’ajuster marginalement par l’impôt si c’est nécessaire. En faisant de cette doctrine de l’équilibrage des budgets par les économies, celle qui prévaudra pour les années qui viennent, et lorsque…
GUILLAUME DURAND
Oui, mais vous savez Bernard CAZENEUVE, vous savez que les chefs d’entreprise, ce qu’ils vous reprochent, c’est de considérer que justement, pour rééquilibrer ce budget, ce qu’ils vous reprochent depuis le début et depuis l’affaire des 75%, plus les « Pigeons », c’est que vous allez leur – c’est ce qu’ils disent – vous allez leur faire les poches pour rééquilibrer le budget de la France.
BERNARD CAZENEUVE
Je poursuis le raisonnement. Nous faisons 20 milliards d’effort pour les entreprises à travers le crédit d’impôt compétitivité emploi, nous mettons en place l’accord sur la sécurisation des parcours professionnels. Ce qu’a annoncé le président de la République, au terme des Assises de l’entreprenariat hier, est majeur pour la réconciliation de ce pays avec l’entreprise, car que les gouvernements soient de droite…
GILLES LECLERC
Vous dites vous-même « réconciliation », donc il y avait besoin de se réconcilier ? Est-ce que ce discours, au fond, n’arrive pas un peu tard ?
BERNARD CAZENEUVE
Non, mais ce besoin de réconciliation il ne date pas de la gauche. Ce pays est un pays qui n’a jamais vraiment aimé ses entreprises. La droite a souvent réduit le discours sur l’entreprise à un discours sur le profit, et la gauche l’a parfois réduit à un discours sur l’exploitation, il est rare qu’on tombe amoureux d’une entreprise dans laquelle le profit est le seul sujet, et d’un lieu dans lequel l’exploitation est la seule question. Donc, il faut qu’on réhabilite l’entreprise, il faut qu’on réconcilie les Français avec l’entreprise, c’est fondamental. Pourquoi est-ce que l’Allemagne arrive à faire de bons compromis sociaux, tout simplement parce que les forces sociales et patronales allemandes considèrent qu’autour de la défense de l’entreprise, en Allemagne, il n’y a pas de concession à faire, que c’est fondamental pour le pays. Il faut que nous arrivions à réconcilier les Français avec l’entreprise. Et ce qui a été décidé hier, par le président de la République, c'est-à-dire faire en sorte qu’il puisse y avoir à l’université, en accompagnent les jeunes qui le veulent, une possibilité offerte de créer une entreprise. Lorsque nous décidons de mettre en place une fiscalité simplifiée, pour ceux qui prennent des risques afin de créer des entreprises et de les développer, c’est la mise en place d’un dispositif extrêmement simple, qui vise à imposer les plus-values à partir du barème de l’impôt sur le revenu, en mettant en place des abattements très incitatifs selon la durée de détention des actions. Lorsque le président de la République annonce la création, avec la CAISSE DES DEPOTS ET CONSIGNATIONS, d’un fonds pour les entreprises socialement innovantes, nous sommes dans la volonté de faire en sorte que la croissance soit possible par des réformes structurelles, par un rééquilibrage de nos comptes, par une réconciliation des Français avec l’entreprise. Et cela nous voulons le faire pourquoi ? nous voulons le faire parce que nous devons créer les conditions d’un redressement qui ne peut pas se réduire au rétablissement des comptes, il faut qu’il y ait aussi, de la croissance, de l’innovation, du transfert de technologies, et nous étions hier, avec Pierre MOSCOVICI, Fleur PELLERIN, Arnaud MONTEBOURG, ensemble aux côtés du président de la République, pour défendre cette orientation, et par ailleurs nous devons faire aussi en sorte, au sein de l’Union Européenne, qu’il y ait une politique industrielle qui permette de promouvoir nos filières d’excellence et de faire en sorte que ce que nous faisons pour l’entreprise, en France, puisse aussi, dans la relation franco-allemande, au sein de l’Union Européenne, trouver une déclinaison ambitieuse et pertinente.
GUILLAUME DURAND
Alors deux questions pour terminer, malheureusement il nous manque beaucoup de temps. Le fait que les sondages et les simulations de premier tour, aujourd’hui, montrent l’élimination de François HOLLANDE au premier tour derrière le Front national, derrière Nicolas SARKOZY, est-ce que ce n’est quand même pas une source d’inquiétude, non pas économique, mais politique, forte ? Est-ce qu’il est possible qu’il y ait un redressement politique ?
BERNARD CAZENEUVE
D’abord je n’ai pas compris qu’il y avait une élection…
GUILLAUME DURAND
Oui, mais c’est une simulation, c’est une photo.
BERNARD CAZENEUVE
Et deuxièmement, je pense que nous menons une politique, dans un contexte extraordinairement difficile, qui nous a été légué, qui est une politique qui vise à redresser le pays et qui n’est pas une politique qui vise à plaire.
GUILLAUME DURAND
Et ce n’est pas de la défiance des Français à l’égard de François HOLLANDE ?
BERNARD CAZENEUVE
Mais, le courage politique, dans un contexte de crise, ça suscite peut-être, au début, des interrogations, avant que les résultats ne commencent à susciter de l’adhésion. Et moi je pense qu’il vaut mieux être courageux, sans chercher à plaire au début du quinquennat, plutôt que de vouloir plaire en oubliant d’être courageux, et en laissant le pays continuer à aller à la dérive. Encore une fois je veux rappeler que la situation qui nous a été laissée, doublement de la dette, creusement des déficits, effondrement de notre compétitivité avec 75 milliards de déficit du commerce extérieur, un pays profondément divisé, tout cela ne se répare pas en quelques mois.
GUILLAUME DURAND
On va prendre une minute supplémentaire Gilles, car vous vouliez poser une question sur l’impôt.
GILLES LECLERC
Oui, une dernière question sur la fiscalité. A votre place, Bruno LE ROUX il y a quelques jours, disait que finalement il faut remettre sur la table une vraie réforme fiscale, disait-il, et notamment la fameuse fusion IR/ CSG. Vous en pensez quoi ?
GUILLAUME DURAND
Ce que je pense c’est que la réforme fiscale nous l’avons engagée. Lorsque nous rétablissons la progressivité de l’impôt sur la fortune, lorsque nous créons une nouvelle tranche à 45% de l’impôt sur le revenu, lorsque nous alignons la fiscalité du travail sur la fiscalité du capital, lorsque nous modifions les plafonds s’appliquant aux droits de succession, lorsque nous essayons de faire converger la fiscalité des grands groupes sur celle des PME pour faire en sorte que les PME qui innovent soient davantage aidées que les grands groupes, cela s’appelle comment ? J’appelle cela une réforme fiscale. Est-ce qu’il y a un Grand soir fiscal au lendemain duquel tout s’arrête ? Non, la réforme fiscale c’est quelque chose de continu, c’est un processus constant, c’est un effort d’adaptation en permanence du droit fiscal aux réalités de la société et de l’économie pour que l’économie soit plus performante. Donc la réforme fiscale c’est en permanence, elle a commencé, elle a été ample, nous allons la poursuivre, et nous allons la poursuivre en essayant de faire en sorte que la réforme fiscale ne signifie pas plus d’impôts, parce que demain, si nous voulons redresser l’économie, il faut faire davantage d’économies.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 mai 2013