Extraits d'un entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, avec France 24 le 5 juin 2013, notamment sur la situation en Syrie et au Mali.

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Média : France 24

Texte intégral

Q - En un an, vous avez fait douze fois le tour du monde avec, bien sûr, des dossiers brûlants, lourds : le Sahel et la Syrie. Et, bien sûr, c'est l'actualité avec laquelle nous allons commencer. Donc les Russes viennent d'annoncer que la conférence de Genève n'aurait pas lieu. Alors, pourquoi selon vous ? Est-ce que c'est une question sur les participants à cette conférence ?
R - Non, je ne crois que ce qui a été annoncé, à savoir que la conférence de Genève devrait aura lieu plus tard que la date du 10 juin qu'on avait pu voir dans certains articles de presse. On a parlé de juillet. Cela se comprend parce qu'il est d'abord extrêmement nécessaire que la réunion de Genève se tienne. Nous souhaitons une solution politique en Syrie et si on veut une solution politique, il faut se parler. Mais, évidemment, c'est compliqué parce qu'il faut mettre autour de la même table des représentants du régime, des opposants, les grands pays membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, d'autres pays encore. Il faut se mettre d'accord sur l'ordre du jour. Tout cela n'est pas facile. Donc, je pense qu'il ne faut pas en tirer de conséquences excessives. Simplement, cela demande une préparation soignée et c'est la raison pour laquelle cela aura lieu probablement en juillet.
Q - Vous êtes optimiste...
R - Je suis surtout volontariste ! J'ai eu au téléphone, avant-hier, Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères et John Kerry, le ministre américain. Et puis j'ai vu M. Brahimi qui, pour l'ONU, travaille sur ces sujets. Tout le monde essaye d'avancer dans une direction positive mais c'est compliqué.
Q - La France, avec certitude a des preuves de l'utilisation de gaz sarin en Syrie et elle est la première à l'annoncer. D'autres pays comme la Grande-Bretagne avaient des preuves mais ils ne les ont pas rendues publiques. Pourquoi la France l'a fait ? On va dire, par souci de transparence ou reprendre l'initiative et modifier peut-être les règles du jeu ?
R - C'est la première hypothèse qui est la bonne. D'ailleurs, la Grande-Bretagne, aujourd'hui, a dit qu'elle avait aussi des preuves biologiques qui vont dans le même sens que nous.
Les choses sont tout à fait simples. Nous avons reçu récemment deux séries de prélèvements. D'une part, vos collègues du «Monde» - dont il faut saluer d'ailleurs le courage et le professionnalisme - avaient rapporté d'un événement qui a eu lieu à Jobar, dans la banlieue est de Damas, des prélèvements et ils nous ont demandé de les analyser. Nous leur avons dit oui. D'autre part, par nos propres canaux, il y avait une autre série de prélèvements qui a eu lieu à Saraqeb, au nord de la Syrie.
Les services compétents, qui sont incontestés, ont analysé ces prélèvements et ils ont conclu à deux choses. Premièrement, à la présence de gaz sarin, gaz extrêmement dangereux, qui possède cinq cents fois la capacité toxique du cyanure. D'autre part, les circonstances, la traçabilité permettent, dans le cas de Saraqeb de conclure avec certitude que c'est le régime qui est à l'origine de l'utilisation de ce gaz.
Immédiatement, dès que ces prélèvements ont été soumis et opérés, j'ai demandé à M. Sellström, qui est dirige la commission d'enquête des Nations unies sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, de venir à Paris - ce qu'il a fait hier -. JE lui ai remis, au nom de la France, la totalité des documents pour qu'il y ait transparence, voilà.
Q - Vous aviez prévenu les Américains et les Russes que vous alliez rendre public ?
R - J'ai prévenu quelques heures avant pour être très exact à la fois mes collègues américain, russe, britannique, allemand et le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-Moon. C'est tout à fait normal. . On travaille en liaison les uns les autres. Je leur ai dit : «Voilà les éléments dont on nous a informé».
Q - Les États-Unis ont réagi avec une certaine prudence en demandant des preuves supplémentaires. À quoi correspond cette prudence selon vous ? Est-ce que ce n'est pas, au fond, la peur d'être placés devant leurs responsabilités dans la mesure où ce sont eux qui employaient le terme de ligne rouge ?
R - D'abord, les États-Unis, bien sûr, par la bouche de John Kerry, m'ont remercié de les informer et, en même temps, ils souhaitent que les informations, les enquêtes se poursuivent. Ils demandent aussi comme nous que la commission compétente de l'ONU puisse se rendre en Syrie.
Q - Oui, parce qu'elle est bloquée à Chypre.
R - Elle est en effet bloquée. Il faut qu'elle puisse se rendre en Syrie parce qu'évidemment, si on veut confirmer tout cela, il faut pouvoir effectuer des prélèvements sur le terrain. Et la Syrie, pour le moment, a refusé. Or - c'est un vieux principe -, s'il n'avait rien à se reprocher, le régime de Bachar Al-Assad n'aurait rien à refuser. Donc, c'est l'attitude des Américains qui n'ont pas une attitude fermée mais qui disent : «Nous voudrions plus de preuves».
Q - Mais pour les États-Unis, quand même, il n'y a pas une ligne rouge dans la ligne rouge, c'est-à-dire considérer qu'il faudrait qu'il y ait l'utilisation massive d'armes chimiques peut-être comme ça s'est passé avec Saddam Hussein et les Kurdes ?
R - Non, ça n'a pas été précisé.
Q - Voilà, non, mais est-ce que la ligne rouge, maintenant, ...
R - La comparaison avec Saddam Hussein n'est pas bonne puisque Saddam Hussein, c'étaient des fausses armes de destruction massive. Tandis que là...
Q - Oui, enfin quand il a gazé les Kurdes, ce n'étaient pas des fausses...
R - Oui, mais c'était autre chose. Cela n'était pas la cause de l'intervention. Non, là, la réalité est avérée. Alors la question que vous posez en fait, c'est : qu'est-ce qu'on fait à partir de maintenant ?
Premièrement, nous demandons, avec les Britanniques et avec d'autres, que la commission Sellström puisse aller en Syrie. Nous verrons quelle réponse sera apportée. À partir de ce moment-là, on peut saisir le Conseil de sécurité des Nations unies. D'autre part, nous nous réservons - c'est la formule qui a été utilisée à la fois par les Américains, par nous-mêmes et par d'autres - : «Toutes les options sont sur la table.»
Q - Ça ne veut rien dire.
R - Si, cela veut dire pas mal de choses...
Q - Le président de la République est plus explicite, lui. Il vient de dire il y a quelques instants que la situation obligeait à l'action. Cela nous oblige à agir. Ce n'est pas : «on a le droit», c'est : «on doit» !
R - Oui, mais d'une manière concertée ! Il ne s'agit pas que la France seule décide quelque chose. Nous travaillons avec nos partenaires. Et quand je dis des partenaires, ce sont non seulement, comme traditionnellement, les Américains, les Britanniques, etc., mais aussi les Russes car les Russes ont déclaré qu'ils considéraient de manière générale que l'utilisation des armes chimiques était inacceptable. Donc vous n'avez pas la même divergence sur la question des armes chimiques que vous avez sur la question du sort de Bachar Al-Assad.
Q - Alors, la question qui se pose - revenons au terrain diplomatique -, c'est : qu'est-ce qui est cherché par la France comme objectif en maniant cet argument de l'arme chimique ?
R - Deux ou trois choses. Premièrement, un devoir de vérité. Nous avons ces informations, nous devons les publier. Deuxièmement, nous espérons que ces résultats vont permettre à la commission Sellström d'être autorisée à aller en Syrie. Troisièmement, il est évident qu'en révélant la vérité dès que nous l'avons, c'est-à-dire que Bachar Al-Assad est l'origine de drames et de l'utilisation d'armes chimiques, c'est une pression que nous exerçons...
Q - Sur les Russes...
R - Sur Bachar Al-Assad et tous ceux qui le soutiennent. Revenons à l'essentiel, les armes chimiques, c'est quelque chose d'inacceptable ! Toute la communauté internationale le considère comme tel.
Et je serai même plus précis. Là, nous avons les preuves que c'est Bachar Al-Assad qui est à l'origine. Mais on a dit : «Mais les rebelles ont peut-être utilisé ça.» Nous n'avons aucune preuve allant dans ce sens.
Ce n'est pas seulement pour Bachar Al-Assad. En l'occurrence, c'est pour Bachar Al-Assad, contre lui-même. Nous disons : «Ce type de pratique est inacceptable et donc il faut là-dessus qu'une pression soit exercée à la fois pour que vous rendiez des comptes et que vous n'utilisiez plus ces armes.»
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pensez que le gaz sarin dont vous venez de parler il y a quelques instants est utilisé aussi par l'opposition et pas seulement par le régime syrien ?
R - Nous n'avons aucune preuve de cela. Je vous réponds très clairement. Si cela était avéré, ce serait condamnable !
Q - Si c'était le cas ?
R - Mais nous n'avons aucune preuve là-dessus.
Q - Qu'est-ce que cela changerait à la donne diplomatique s'il était avéré que l'opposition y a aussi recours ?
R - Non, ça ne l'est pas. Ça ne l'est pas...
Q - Oui, mais c'est une hypothèse qui ne peut pas être exclue pour l'instant.
R - Écoutez, cela a été mis en avant et n'a jamais été prouvé. Tandis que dans le cas inverse, cela a été prouvé. Et puis je vous donnerai un argument de bon sens : qui est-ce qui est à l'origine de ces armes chimiques ? C'est M. Bachar Al-Assad. Qui est-ce qui les détient ? C'est M. Bachar Al-Assad. Et en l'occurrence, à Saraqeb, qui est-ce qui les utilise ? C'est M. Bachar Al-Assad. Donc je dis que notre condamnation est de principe. Mais en l'occurrence, l'utilisation a été faite par M. Bachar Al-Assad.
Q - Monsieur Fabius, est-ce qu'il n'y aurait pas un paradoxe de l'histoire ? Les États-Unis sont intervenus en Irak pour des hypothétiques armes chimiques qui n'existaient pas et aujourd'hui, les États-Unis sont réticents à agir alors qu'il y a la preuve d'armes chimiques. Est-ce que tout cela n'est pas paradoxal ? Parce qu'on sent bien que les Américains n'ont pas envie d'y aller.
R - Mais l'histoire est souvent faite, de paradoxes et, en même temps, comparaison n'est pas raison.
Q - Alors, juste une question, Monsieur Fabius. On fait pression sur les Russes parce qu'il y a une asymétrie à cette conférence de Genève si elle a lieu. Ce qui est très possible et - vous nous le dites - souhaitable.
R - Souhaitable ! Souhaitable !
Q - C'est très souhaitable, évidemment. Il y a une asymétrie : les Russes collent au régime de Bachar Al-Assad et les alliés d'Assad aussi. Il y a un bloc. Nous, de l'autre côté, les Occidentaux, apparaissons beaucoup plus divisés. La coalition syrienne est mal représentée et tout à fait hétéroclite, il y a des discordances entre les Européens et, pour finir, les Européens n'arrivent pas à faire suffisamment pression sur les Américains. Est-ce que vous pensez que c'est aussi susceptible de débloquer les Américains ?
R - Alors, d'abord, vous qui connaissez très bien ces problèmes, la diplomatie consiste avant tout à être lucide. Donc, nous prenons les situations telles qu'elles sont. Nous essayons de les améliorer, d'aller vers une solution politique parce que c'est cela qui est souhaitable. Côté Bachar Al-Assad, il y a l'Iran qui le soutient. Il y a également le Hezbollah qui est maintenant dans la partie.
Les Russes sont plus nuancés ! Dans beaucoup de conversations privées et de déclarations publiques, ils disent : «Nous ne sommes pas mariés avec M. Bachar Al-Assad. Nous voulons simplement éviter le chaos.» À quoi nous répondons : « Mais le chaos, ce n'est pas pour demain, c'est pour aujourd'hui.» Les Russes ont évolué parce que si la conférence de Genève 2 peut avoir lieu - ce que je souhaite -, c'est parce que nous nous sommes mis d'accord pour dire que les futurs participants à la conférence de Genève doivent être d'accord sur au moins un point de Genève 1 qui dit : «Il faut qu'il y ait un gouvernement de coalition composé de part et d'autre par consentement mutuel. Et ce gouvernement de coalition, de transition aura tous les pouvoirs.» Ce qui signifie que ce gouvernement de transition aura de fait les pouvoirs de M. Bachar Al-Assad. Nous sommes d'accord là-dessus. Ce qui nécessite de part et d'autre un certain nombre de concessions.
Maintenant, vous parlez aussi de l'autre côté, c'est-à-dire du côté américain, français, britannique et la coalition. Vous aurez noté que cette coalition a décidé de s'élargir- ce qui est une très bonne chose - au cours du week-end dernier pour devenir vraiment totalement représentative avec des gens de l'intérieur, avec des libéraux. Dans quelques jours, ils vont désigner un nouveau président, proposer leurs positions. Nous travaillons pour que tout cela soit unifié. Il y a non pas une asymétrie, mais une différence d'approche et nous essayons de faire en sorte que chacun soit représenté et que la conférence de Genève puisse démarrer et aboutir. Tout cela est difficile alors que la Syrie vit sous les bombes.
Q - Vous parliez du Hezbollah. Donc, aidée par le Hezbollah, l'armée syrienne a repris la ville stratégique de Qousseir, repoussant donc les rebelles. Est-ce que là, Bachar Al-Assad est-il en train de gagner une forte partie ?
R - Il a marqué un point, c'est incontestable. Maintenant, dans l'histoire de ce conflit, on voit aussi qu'un certain nombre de villes qui avaient été prises ont été reprises en sens inverse. Mais il est vrai que pour Bachar Al-Assad, c'était un objectif très important parce que, cela permet d'avoir une certaine continuité dans ce que, dans un langage horrible, ils appellent la Syrie utile.
Cela dit, les résistants ont résisté mais il y a en cette occurrence un déséquilibre des armes puisque M. Bachar Al-Assad a des avions, etc. et les résistants n'ont pas les mêmes moyens. C'est ce qui explique, malgré leur courage, que Qousseir soit tombée. Mais il faut - et, bien sûr, chacun s'en préoccupe - qu'autant nous travaillions pour aller vers une solution politique, autant sur le terrain, il faudrait que les choses soient rééquilibrées.
Q - Est-ce qu'une solution politique est vraiment envisageable sans y associer l'Iran ?
R - Il y a un argument qui a l'air d'être de bon sens qui est de dire, l'Iran...
Q - La France a dit non. François Hollande a dit non.
R - Oui, les Iraniens sont des belligérants donc il faut les mettre dans la conférence parce qu'on fait la paix avec des gens avec qui on est en guerre. Donc j'entends cet argument qui est répété à satiété par les Russes notamment mais pas seulement par les Russes. La France a un point de vue différent et pas simplement la France, beaucoup de ceux qui sont autour de la coalition. Pourquoi ? Pour deux raisons principales. D'abord, parce que l'Iran n'a jusqu'à présent pas accepté l'ordre du jour tel que défini. L'Iran n'a jamais dit qu'il acceptait qu'il y ait un gouvernement de transition composé de membres de l'opposition et du régime auquel serait transféré les pouvoirs de M. Bachar Al-Assad. Or, autant c'est une bonne chose de faire venir les belligérants, mais si on ne fait pas venir dans une conférence des gens qui ne sont pas d'accord sur l'objet de la conférence. Ça, c'est quand même le premier point essentiel.
Q - Parce que c'est quoi l'objectif de cette conférence ?
R - Mais je viens de vous le dire, de composer un gouvernement de transition composé de part et d'autre par consentement mutuel et qui ait les pouvoirs de M. Bachar Al-Assad !
Le deuxième argument très important auquel, pour le moment, je n'ai pas eu de réponse est le suivant : au-delà de l'affaire syrienne, il y a la question très difficile de l'arme nucléaire iranienne. Est-ce que, oui ou non, les Iraniens vont avoir la bombe atomique ? Ce n'est pas une petite question. Nous, nous y sommes opposés et d'ailleurs les Russes aussi.
Or, si l'Iran est pleinement partie prenante de cette conférence, il va faire en sorte de faire traîner la conférence sur la Syrie pour qu'il y ait une espèce de collision entre la conférence sur la Syrie et les négociations sur le nucléaire iranien. L'Iran risque de demander des concessions en matière nucléaire en échange de concessions de sa part dans la crise syrienne. Nous ne voulons pas de ce faux marchandage.
Q - Un mot avant de parler du Mali, la Turquie, la révolte ne faiblit pas là-bas, six jours de manifestations et deux morts. Face à l'intransigeance du Premier ministre, les manifestants accusent Erdogan de «dérive autoritaire» et de vouloir islamiser la Turquie laïque. Y a-t-il d'après vous un risque de «Printemps turc» ?
R - Ce sont des choses différentes et évidemment on est frappés tous par le fait qu'à partir d'un problème qui était localisé, qui était un problème d'urbanisme, d'aménagement urbain, c'est devenu une grande révolte, une grande contestation, et nous Français avons appelé à la retenue bien sûr. Maintenant, faire la comparaison avec le «Printemps arabe» je crois que c'est un peu rapide.
Q - Non mais dans la déstabilisation du pouvoir.
R - Le «Printemps arabe» a un certain sens, le «Printemps arabe» est né d'une volonté de lutte contre la corruption, pour la dignité. Là c'est autre chose, c'est une réaction contre un certain mode de pouvoir autoritaire, mais ce pouvoir est quand même issu d'élections. Et d'autre part la Turquie est un pays qui se développe économiquement, ce n'est pas du tout la situation de l'Égypte.
Q - C'est une démocratie ?
R - C'est un système. Ce qui est vrai c'est qu'on a tous été frappés et surpris par l'extension de ce qu'était au départ une protestation et qui est devenu une contestation. Et puis il y a aussi probablement des aspects internes, vous avez vu que le président Gül a pris des positions un petit peu différentes.
Q - Mais est-ce qu'il n'y a pas une forme de responsabilité aussi de l'Union européenne...
R - Pourquoi ?
Q - ...qui n'a peut-être pas suffisamment ouvert ses portes à la Turquie pour une intégration, qui du coup se replie, en tout cas le régime, qui se replie sur lui- même ? C'était le risque.
R - Non, je ne crois pas. Récemment encore, alors que les chapitres de la négociation étaient fermés, nous avons rouvert un chapitre, le chapitre 22 sur les discussions régionales. C'est notre souhait évidemment qu'il y ait de l'apaisement et de la retenue mais c'est une affaire très complexe.
Q - Nous allons parler du Mali puisque l'armée malienne se dirige vers Kidal, il y a eu déjà des combats.
R - Non, à Anefis, c'est autre chose.
Q - Anefis, il y a eu des combats à Anefis. En direction de Kidal. Mais effectivement elle se dirige vers Kidal. Il y a eu deux soldats qui ont été blessés. Est-ce que l'armée malienne se dirige vers Kidal ?
R - Quand vous regardez la carte de géographie, vous vous apercevez qu'Anefis est situé à un peu plus de 100 kilomètres au sud de Kidal, et il y a eu un mouvement, c'est tout à fait exact, de l'armée malienne vers Anefis.
Le président Traoré déjeunait avec François Hollande avant que celui-ci ne reçoive son prix à l'Unesco, il y avait plusieurs chefs d'État et de gouvernement qui étaient là, donc nous nous avons discuté de la situation : le pouvoir malien dit, et il a raison, « je demande l'intégrité du Mali, donc je peux être partout chez moi». L'armée malienne a donc été envoyée à Anefis qui effectivement est sur la route de Kidal mais pour le moment il n'a pas été décidé, à ma connaissance, d'aller jusqu'à Kidal. Et il y a, j'espère qu?elle aura lieu dans les jours qui viennent, une médiation du président du Burkina-Faso au nom de la CEDEAO, entre d'un côté le Mali et de l'autre le MNLA et tel autre mouvement.
Q - Donc l'objectif c'est quand même d'aller à Kidal, on est d'accord...
R - Non, je n'ai pas dit ça, je vais jusqu'au bout.
Q - Oui, oui, je vais comprendre.
R - L'objectif légitime est d'aboutir avant le 10 juin, date fixée par les autorités locales, à un accord, si possible pour permettre que les élections aient lieu à Kidal et que le drapeau malien flotte sur Kidal et que tout cela se fasse d'une manière amiable. Évidemment, compte tenu des incidents qui ont eu lieu, j'espère qu'ils n'auront pas comme conséquence que la discussion ne puisse être engagée. Il faut savoir que la position à la fois de la CEDEAO et des autorités maliennes est la suivante : «les élections doivent avoir lieu sur l'ensemble du territoire», et cette position ne peut pas être contestée.
Q - Que fait l'armée française ?
R - L'armée française à Kidal est basée à l'aéroport. Contrairement à ce qui a été dit, qui n'a absolument aucun sens, il n'y a pas de collusion entre le MNLA et la France ou l'armée française. Nous souhaitons simplement que les décisions nationales et internationales soient appliquées, c'est-à-dire que les élections aient lieu partout à la fin du mois de juillet, notamment à Kidal, qu'il y ait lieu un dialogue et que le dialogue se développe une fois que le nouveau président sera élu.
Les populations du nord, et notamment les Touaregs, demandent, et c'est légitime, qu'il y ait une discussion avec le pouvoir. Mais il ne peut y avoir de discussion approfondie avec le pouvoir que si on a un nouveau pouvoir, donc ça doit passer par des élections !
Q - Donc installer une administration.
R - Et il faut donc qu'il y ait des élections.
Q - Est-ce que vous souhaitez ou est-ce que vous demandez à l'armée malienne de ne pas reprendre Kidal militairement ?
R - Non, nous n'avons pas de demande de ce type à formuler. Nous disons qu'il faut que les élections aient lieu partout, que nous souhaitons que le dialogue soit établi entre le MNLA et à la fois le gouvernement malien et le médiateur de la CEDEAO. Que ceci doit être fait normalement dans les jours qui viennent et se terminer au 10 juin et que cela permettra d'avoir des élections à Kidal. Si malheureusement ce dialogue, pour une raison ou pour une autre, ne pouvait pas avoir lieu, il demeure que Kidal n'est pas en dehors du Mali.
Q - Et l'armée malienne a le droit donc d'en reprendre le contrôle militairement ?
R - le drapeau de l'armée malienne doit flotter partout et il ne peut pas y avoir deux armées. François Hollande a utilisé cette expression à plusieurs reprises et il a raison, il n'y a pas deux armées dans un même pays. Cela dit, ce qui souhaitable c'est d'avancer par la discussion, bien sûr.
Q - Cette affaire jette un petit trouble sur une question qui se pose qui est le comportement des troupes africaines qui vont prendre le relais des troupes françaises. La moitié des effectifs de la MINUSMA sera constituée de troupes africaines qui parfois sont assez actives au détriment de certaines règles. Est-ce qu'on va bien s'assurer... ?
R - Qu'il n'y ait pas d'exactions ? Oui, c'est très important et c'est quelque chose que les Français ont dit dès le début, lorsqu'il y a eu des éléments en ce sens nous avons fait vraiment les rappels à l'ordre nécessaires. Et pour être plus précis dans la résolution qui a été votée par les Nations unies, il est prévu...
Q - 2 100.
R - Résolution 2 100, exactement, il est prévu à la fois que ce point soit vérifié et qu'il y ait des observateurs actifs qui puissent veiller à ce qu'il n'y ait pas d'exactions. Que ce soit d'un côté ou de l'autre d'ailleurs ceci n'est pas acceptable.
Q - Mais c'est fondamental pour le crédit et la reconstruction.
R - Bien sûr ! Bien sûr !
Q - Et à propos d'exactions vous avez confirmation de ces chasses aux Noirs de la part des Touaregs dont parle le régime malien ?
R - Nous avons eu des éléments en ce sens et nous avons fait, par la voix de mon porte-parole au quai d'Orsay lundi, une déclaration extrêmement ferme en disant que ceci n'??tait pas acceptable. On a parlé, c'est toujours difficile à contrôler, de chasse au faciès, de chasse aux peaux noires à Kidal, ceci n'est pas acceptable pas plus que l'inverse.
Q - Dernière question, sur les élections, est-ce que vous êtes vous confiant objectivement, Monsieur Fabius, sur des élections ?
R - Oui.
Q - C'est tenable réellement ?
R - Oui, écoutez, je me suis rendu à plusieurs reprises sur place, c'est normal, et qu'est-ce que j'ai vu ?
Q - Ça vous parait possible ?
R - J'ai vu que techniquement c'est tout à fait possible. Ca veut dire que le décret de convocation des électeurs a été pris, que les bureaux commencent à être en place, que les cartes électorales, des choses très concrètes, sont arrivées à la mi-juin, et que les candidats ont un certain délai pour se déclarer. Donc techniquement j'ai même été frappé par la bonne qualité de ce qui se fait. En même temps, les élections doivent avoir lieu partout et c'est là où est posée la question de Kidal mais qui doit être réglée et doit permettre de mener à bien l'élection dans l'ensemble du Mali.
Q - Peut-être une question qui a été posée à François Hollande qui a confirmé qu'Abdelaziz Boutefloka, le président algérien, était toujours en convalescence à Paris, est-ce que vous avez des nouvelles fraîches à nous donner du président ?
R - Mais je vous ferai, ceci ne vous étonnera pas, la même réponse que le président de la République. Il est en convalescence, voilà, il n'y a rien de plus à dire de notre part.
Q - Une convalescence qui dure...
R - Il est en convalescence.
Q - Il y a des discussions en ce moment pour un accord de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. Certains disent qu'il peut relancer la croissance en Europe, d'autres disent comme les Verts que c'est un «OTAN de l'économie», votre réaction là-dessus ?
R - Moi je pense que c'est une bonne chose d'avoir un accord entre l'Europe et les grandes zones. D'ailleurs il y a aussi des perspectives de discussions avec le Japon notamment. Simplement cet accord doit être « gagnant-gagnant ». Et en ce qui concerne l'Europe et la France nous mettons l'accent, avec une certaine ouverture en ce qui nous concerne, sur deux ou trois faits importants.
D'abord il faut que les marchés publics de ces pays, là en l'occurrence vous parlez des États-Unis, soient ouverts, or souvent ils ne sont pas. Il faut d'autre part que l'on préserve un certain nombre de nos intérêts notamment agricoles. Et il faut que dans le domaine de l'audiovisuel et du culturel, ce que l'on appelle l'exception culturelle soit respectée.
Vous connaissez très bien ces sujets, si au fond le culturel était traité comme le reste des sujets le risque serait que les séries américaines, les films américains rendent impossible la production européenne ou française. Donc sur le principe tout ce qui peut développer le commerce c'est une bonne chose à condition que ce soit sur une base de réciprocité, c'est l'élément essentiel. Et j'ai employé depuis très longtemps une formule, je la maintiens, Europe ouverte, oui, Europe offerte, non.
Q - Ca tombe bien parce que l'Union européenne a décidé d'imposer une taxe sur les panneaux solaires chinois, on se souvient que vous aviez fait la campagne du non en 2005 sur le traité constitutionnel, est-ce que c'est une bonne mesure d'instaurer du protectionnisme et est-ce qu'il faudrait l'élargir à d'autres secteurs de l'économie ?
R - Je ne le confonds pas et vous non plus la protection et le protectionnisme, ce n'est pas exactement la même chose. Je crois que là aussi, et vous parlez de la Chine, il y a lieu d'avoir une réciprocité. S'il y a des pratiques de dumping de la part d'un pays, il est normal de réagir, c'est ce qu'a fait la Commission. Il est bon aussi qu'il y ait du dialogue et j'ai vu que dans le choix qu'a fait la Commission il y a à la fois un taux qui a été fixé et en même temps un délai qui pour le dialogue. Je pense qu'il faut que chacun soit solidaire de la Commission sans se mettre particulièrement en avant, mais là compte tenu de nos règles c'est la Commission qui prend ses responsabilités.
Q - Contre l'avis d'une partie des États et notamment de l'Allemagne, comment vous jugez l'attitude d'Angela Merkel sur cette question ?
R - Écoutez, je pense que très souvent les Allemands, et ils ont raison, nous parlent de la nécessaire solidarité européenne et je pense que c'est un langage qu'il faut continuer à tenir.
Q - Un mot sur le Japon ?
R - Oui, nous y partons ce soir avec le président de la République.
Q - Exactement, c'est un pays qui est endetté dans des proportions absolument considérables, 245 % du PIB, c'est beaucoup plus que tous les pays européens les plus mal classés, et qui pourtant est en train de retrouver un dynamisme économique important grâce à sa politique monétaire. Est-ce qu'il n'y a pas là un exemple sur lequel au moins s'interroger ?
R - Oui, c'est vrai qu'il a une dette très importante mais il y a une énorme différence avec les dettes de tous les pays européens. C'est une dette qui est intégralement souscrite par les Japonais eux-mêmes alors que ce n'est pas le cas de nos pays européens. Nous, quand nous avons une dette, qui l'achète? Ce sont des pays étrangers ou des fonds étrangers. Les Japonais sont tellement patriotes qu'ils achètent systématiquement la dette japonaise, ce qui fait que la dette japonaise doit porter un taux d'intérêt de l'ordre de 0 % ou de 0,2 %. Alors quand vous avez 220 % de dette mais à 0 %, 220 que donne zéro ça fait quand même zéro. C'est donc ça qui a permis pendant très longtemps au Japon d'avoir une grosse dette.
Concernant la France par exemple, il faut savoir que les deux tiers maintenant de notre dette sont souscrits par des emprunteurs étrangers.
Sur la question de l'économie japonaise, c'est ce que l'on appelle les «Abenomics». Le Premier ministre japonais, M. Abe, est en effet venu au pouvoir en disant «j'ai trois flèches particulières, une politique budgétaire, une politique monétaire et une politique intérieure». Pour le moment, ça donne des résultats assez spectaculaires : le yen a été fortement dévalué, ce qui a permis de faciliter les exportations japonaises ; et d'autre part la bourse est remontée - sauf ces derniers jours où elle a eu un tassement important. Il est encore trop tôt pour savoir ce que ceci va donner à long terme. Est-ce que le gouvernement japonais va augmenter les salaires ou pas, on ne le sait pas, et en ce moment il y a des hésitations. Votre question est plus subtile, elle dit «mais est-ce qu'en Europe il ne faudrait pas faire la même chose ?» Je trouve qu'en ce qui concerne la Banque centrale la gestion de M. Draghi est une gestion intelligente, peut-être on peut toujours dire il faudrait faire un petit peu plus mais...
Q - Dévaluer un peu l'euro ?
R - Non, mais il a fait des choses très intelligentes. Par exemple à un moment où il y avait une crise sur l'euro, aujourd'hui l'euro n'est plus mis en cause, il a dit «j'accepte les liquidités»...
Q - Pour l'instant. Il est quand même trop fort, il reste trop fort...
R - Cher, oui, c'est cher. Et avec une espèce de contradiction c'est que quand l'euro est très cher ça pénalise nos exportations et quand il n'est pas cher c'est parce que l'Europe est en crise. Ce problème nous indique qu'il faut revenir au traité européen qui prévoit une politique de change. Mais moi je trouve que la Banque centrale européenne sous la conduite de M. Draghi se débrouille d'une manière intelligente. Bon, ce qu'il faut faire, c'est ce qu'a proposé l'autre jour François Hollande et d'ailleurs rejoint par Mme Merkel, c'est-à-dire qu'il faut mettre l'accès sur les investissements, sur l'énergie, sur l'emploi des jeunes, on attend l'Europe là-dessus.
Q - Douzième tour du monde quand même, il faut avoir une bonne santé...
R - Mais oui, pour le moment elle est très bonne, il faut que je me méfie car en général quand on dit «je suis en pleine forme» quelques heures après on a un infarctus, donc attention.
Q - «La santé est un état qui ne présage rien de bon» comme disait un humoriste.
R - Voilà.
Q - Merci en tout cas.
R - Merci à vous !
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juin 2013