Déclaration de Mme Nicole Bricq, ministre du comemrce extérieur, sur la défense par le gouvernement française de l'exception culturelle à l'occasion des prochaines négociations de l'Union européenne et des Etats-Unis sur un partenariat transatlantique, Paris le 12 juin 2013.

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Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame la Ministre, Chère collègue
Monsieur le Président et rapporteur (Patrick Bloche pour la commission de la Culture)
Madame la Présidente et rapporteure (Danielle Auroi pour la commission des Affaires européennes)
Mesdames et Messieurs les Députés,


Le vendredi 14 juin, je représenterai la France au Conseil des Affaires Etrangères format Commerce de l'Union Européenne à Luxembourg.

Il y sera question, principalement, du mandat de négociations avec les Etats-Unis afin de conclure un partenariat transatlantique.

Je tenais aujourd'hui à vous faire part de la position que je défendrai, en l'état actuel de la rédaction du mandat qui nous sera soumis. Je vous prie d'ores et déjà de bien vouloir excuser mon départ, je serai dans l'obligation de vous quitter au cours de ce débat pour rencontrer un homologue étranger.

Dès l'ouverture des négociations, la France a posé des conditions sine qua non pour accorder à la Commission Européenne un tel mandat.

Sur plusieurs points, nous avons été entendus.

Ainsi, la dernière version du mandat qui nous a été communiquée préserve les préférences collectives européennes.

Les conditions que nous posions en la matière (OGM, clonage, décontamination des carcasses et hormones) ont été prises en compte. De la même façon, l'exclusion du secteur de la Défense a été actée. En matière d'indications géographiques, la nouvelle version du mandat est plus ambitieuse.

Cependant, la question de l'exception culturelle et de l'exclusion des services audiovisuels, qui motive votre proposition de résolution, n'est pas réglée.

Au fil des négociations, la Commission a fait, c'est vrai, quelques timides pas vers nous. Ils sont nettement insuffisants.

Le dernier texte qu'elle propose préserve nos politiques existantes ; il ne nous permet pas d'inventer l'avenir de nos industries culturelles.

Pourquoi ? Demain, nul ne sait quels seront les modes de diffusion de la culture.

Quand la France a promu et défendu dans les accords internationaux l'exception culturelle, sous l'égide du Président François Mitterrand au cours des années 80, Internet n'était encore qu'un réseau réservé aux scientifiques de haut niveau.

Lorsque nous avons négocié, sous l'impulsion du Président Jacques Chirac, les articles de la Charte pour la diversité culturelle de l'Unesco, les vitesses de téléchargement permettaient, pour l'internaute patient et chanceux, de récupérer un fichier musical en plusieurs heures, un film en plusieurs jours.

A l'époque où l'Union Européenne, constatant l'échec du multilatéralisme commercial, se lançait dans les premières négociations d'une succession d'accords bilatéraux, ni l'Iphone ni l'Ipad, qui ont révolutionné les modes de consommation des œuvres culturelles, n'avaient été inventés.

Pourquoi ce rappel historique ? Simplement pour rappeler ici ce que protège l'exception culturelle et l'exclusion des services audiovisuels : le futur. Il n'existe pas, aujourd'hui, d'autre méthode pour garantir notre capacité à protéger les auteurs, les créateurs, les producteurs et la culture que celle qui consiste à ne pas considérer celle-ci comme une marchandise.

S'ils veulent, demain, ne pas être soumis à une culture dominante, les Etats doivent conserver leur capacité à légiférer en faveur de leurs créateurs et de leurs industries culturelles. Non pas seulement pour les protéger, comme je l'entends bien trop souvent dire, mais pour leur permettre d'être conquérants comme le sont la musique, la littérature et le cinéma français.

Voici, Mesdames et Messieurs les Députés, l'enjeu. Voici ce que nous défendons aujourd'hui, avec Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture.

Le Président François Mitterrand écrivait : « quand la France rencontre une grande idée, elles font ensemble le tour du monde ». L'exception culturelle est une grande idée. 115 pays et l'Union Européenne ont signé la Charte de l'Unesco.

Dans les discussions autour du mandat de négociations pour un partenariat transatlantique, la France n'est pas isolée. La Pologne, l'Italie, la Belgique, la Roumanie, l'Autriche, parmi d'autres, ont affirmé leur préoccupation.

Tous, sans doute, n'afficheront pas la même détermination et certains seront prêts à accepter une position de compromis de la Commission.

Ce ne sera pas mon cas. J'ai écrit à mes 26 homologues qui siègeront à mes côtés le 14 juin pour les en informer. Je n'entends pas transiger.

Le Président de la République François Hollande, a été, sur ce point, très clair à plusieurs reprises.

Il s'inscrit dans une tradition républicaine qui n'a jamais varié, du Général de Gaulle à Jacques Chirac en passant par François Mitterrand et Nicolas Sarkozy, lequel écrivait : « je suis fier de notre pays qui incarne et défend l'exception culturelle, une exception qui a donné sa vitalité à la création contemporaine."

En marge de la réunion de l'OCDE à laquelle je participais le 30 mai dernier, je l'ai redit à Karel de Gücht, Commissaire européen au Commerce.

Il ne s'agit pas, ici, d'adresser je ne sais quel ultimatum. «En diplomatie, disait Ambrose Bierce, l'ultimatum est la dernière exigence avant les concessions ».

La France reprend la tradition européenne qui n'a jamais intégré la culture dans des négociations commerciales internationales. Elle se contente d'affirmer sa position historique avec sérénité.

C'est cette position que défend la résolution que nous examinons aujourd'hui à l'initiative de votre Assemblée.

Madame, Monsieur les Rapporteurs, vos travaux mais également ceux menés par votre collègue Mme Dagoma, à la Commission des Affaires européennes et des Affaires étrangères ont montré que ce projet de partenariat constituait aussi un véritable enjeu démocratique. Vous avez su vous en saisir.

Le Parlement européen également, puisqu'il a adopté le 23 mai dernier une proposition de résolution demandant expressément, à l'initiative des députés français, l'exclusion des services audiovisuels des négociations.

Votre intérêt ne doit pas s'arrêter là. Si mandat est un jour donné à la commission, il sera alors transmis aux Parlements nationaux. Les Etats membres mais également les parlementaires doivent pouvoir être informés et suivre le déroulement des négociations, puisqu'in fine en raison de la nature mixte de l'accord, celui-ci devra être ratifié par les Etats membres. Vous aurez donc à vous prononcer sur ce texte.

Mais néanmoins, ne brulons aucune étape. Et c'est avec beaucoup de calme que je vous dis qu'en l'état actuel des propositions de la Commission européenne, je ne donnerai pas, le vendredi 14 juin, l'accord de la France au mandat de négociations avec les Etats-Unis.

Source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 14 juin 2013