Texte intégral
R. Elkrief - Vous revenez d'un voyage éclair au Proche-Orient au nom de l'Internationale socialiste. Vous avez rencontré S. Péres et Y. Arafat. Vous en revenez optimiste ou toujours pessimiste ?
- " Je reviens avec une impression mitigée. D'un côté, il y a incontestablement un retour au calme progressif, notamment après l'attentat du début du mois. Le Gouvernement israélien a eu raison de vouloir une retenue. Je pense que s'il n'y avait pas eu ce choix, ce serait la guerre. Y. Arafat a pris ses responsabilités pour faire la police dans son territoire. Je crois qu'il arrête même des membres de son propre parti, le Fatah, ceux qui pouvaient être tentés par la violence ou qui avaient déjà engagé des actions de violence. A partir de là, il y a un cessez-le-feu qui est grosso modo respecté. Ce sont les éléments positifs que l'on peut retirer après tant de violences ces derniers mois. Maintenant, le pessimisme tient au blocage lui-même. Ils ne se parlent plus et les Israéliens ne croient plus à la possibilité d'un dialogue de paix tant qu'il n'y a pas une sécurité absolue en Israël. A l'inverse, les Palestiniens disent qu'ils n'auront la sécurité que s'il y a dialogue. Je pense que le rôle de l'Europe va être décisif. J'y ai joué ma part pour l'Internationale socialiste. Nous allons essayer, peut-être cette semaine, d'inviter S. Peres et Y. Arafat puisque ces deux hommes sont membres de l'Internationale. Nous devons faire en sorte que l'Europe ait son propre point de vue : la paix. Il ne s'agit pas simplement, comme le point de vue américain, respectable au demeurant, d'un retour à la sécurité. C. Powel va venir cette semaine en Israël et en Palestine. Il faut aller dans le sens de la sécurité. Pas de dialogue sans sécurité, sans doute, et pas de sécurité sans dialogue : c'est ce que doivent dire les Européens."
A. Sharon est à Washington. B. el-Assad est à Paris. Cela veut dire que les Etats-Unis se soucient des intérêts d'Israël et la France des intérêts des pays arabes?
- " Ce serait une division du travail diplomatique particulièrement fâcheuse. Je pense qu'elle est dans la tête des Américains."
Et pas dans la tête des Français ?
-" Je ne souhaite pas que les Français soient simplement les préposés à la cause d'un camp, en l'occurrence de la cause arabe. Je pense que les Français doivent discuter avec les uns et les autres, sinon ils seront hors jeu et les Américains fixeront la règle."
Que pensez-vous précisément de la visite de B. el-Assad ?
- " Il est normal d'avoir des relations avec un pays qui compte au Proche-Orient dans le règlement de la solution libanaise et dans l'avenir de la question palestinienne."
Beaucoup de leaders politiques français et la communauté juive française s'inquiètent de ce tapis rouge déroulé sous les pieds du premier syrien.
- " Autant on peut comprendre la relation avec la Syrie, nul ne peut la mettre en cause - autant lorsqu'un pays comme la Syrie bafoue les règles élémentaires de la démocratie - je ne parle pas simplement des Droits de l'Homme qui ne sont pas là-bas nécessairement considérés comme tels ou de la question du rapport à l'opposition qui n'existe pas - mais des propos qu'a tenus Bachar pas simplement vis-à-vis d'Israël mais aussi vis-à-vis des juifs, je pense que la voix de la France doit dire "Nous acceptons de parler avec vous comme pays mais en même temps, nous vous posons des règles de comportements. Pour nous, il y a des déclarations qui sont inacceptables." Nous devons le dire plus fortement qu'il n'a été dit au dîner d'hier soir.
Cela veut-il dire que s'il n'y avait pas eu la cohabitation, L. Jospin n'aurait pas réservé une telle visite à B. el-Assad ? Il était à côté de lui au dîner de l'Elysée.
- "Je vous l'ai dit, je pense qu'il est normal de discuter avec la Syrie. Tout le monde le fait, je ne vois pas pourquoi la France ne le ferait pas. En revanche, je ne suis pas sûr qu'il ait été normal d'ailleurs que J. Chirac aille à l'enterrement du père Assad. C'était le seul Chef d'Etat occidental à le faire. Je pense qu'il y a une gradation. On peut discuter, on doit dire, on ne doit pas forcément accueillir avec faste."
Toutes ces déclarations de politique étrangère, votre voyage au Proche-Orient, c'est un peu pour soigner votre profil de "Premier ministrable "en 2002 ?
- "Pas du tout. Lorsque l'on est socialiste, on ne l'est pas simplement dans le cadre de son propre pays. On doit essayer de porter une parole en Europe - je pense qu'il n'y a pas, aujourd'hui, de mouvement socialiste sans volonté de construction européenne - et par ailleurs, on a un rôle à jouer dans un certain nombre d'endroits du monde où il y a une tension, un conflit. C'est ma responsabilité. Je ne suis pas sûr qu'il faille, ici, voir des calculs de politique intérieure. La politique intérieure, ce sont les élections, pas les voyages."
Justement, les élections approchent. Depuis deux jours, on sait que le Président J. Chirac aurait effectué des voyages dans les années 1992 à 1995 et aurait payé ses billets en liquide pour une somme que L'Express chiffre à 2,4 millions, chiffre démenti par l'Elysée. L'explication de l'Elysée est que ce sont ce qu'on appelle couramment les fonds secrets, c'est-à-dire les primes reçues comme ministre et Premier ministre ainsi que de l'argent personnel et familial. Ces fonds secrets sont-ils toujours légitimes en République ? Je voudrais faire référence à ce que dit T. Jean-Pierre, député DL, qui demande dans une tribune dans Le Monde d'hier la suppression de ces fonds secrets.
- "Je ne connais rien de l'affaire en question. J'ai lu, comme vous, par le canal du Web d'ailleurs, les informations de L'Express. Il semblerait donc que des voyages aient pu être faits par J. Chirac et sa famille à travers des paiements qui auraient été faits en liquide. L'explication qui a été fournie par l'Elysée, c'est que ce serait des fonds secrets mais nous sommes dans une période - pour rester à l'affaire - qui serait celle de 1992 à 1995. A ma connaissance, dans cette période, J. Chirac n'était plus Premier ministre. Il a quitté Matignon en 1988. Il n'était pas encore Président de la République, il ne l'a été qu'à partir de 1995. Alors, je ne vois pas comment de l'argent en liquide, à cette époque, aurait pu venir de fonds secrets, sauf à penser qu'il y aurait eu stockage pendant toute une période. Je ne sais pas ce que donnera la suite judiciaire de cette affaire."
Considérez-vous qu'il y a là une illégalité possible ?
- "Il ne faut pas confondre la pratique des fonds secrets avec le paiement en liquide à des périodes qui n'ont rien à voir avec celles de l'exercice de la responsabilité."
Là, vous pointez une illégalité ?
- "Je dis simplement que les paiements en liquide ne peuvent pas être justifiés par des paiements en liquide dans une période où il n'y a plus exercice de la responsabilité. Vous posez la question, par ailleurs, des fonds secrets. A mon avis, ce sont deux questions très différentes."
Je voudrais vous citer une phrase de H. Emmanuelli en 1979. Il demandait la suppression des fonds secrets ou leur contrôle strict par le Parlement. Vous avez changé d'avis depuis ?
- "Je crois qu'il ne faut pas être démagogue. Cela peut arriver ici ou là. Les fonds secrets servent pour l'essentiel à payer les services secrets."
C'est ce qu'on dit mais T. Jean-Pierre dit qu'on ne connaît pas leur usage finalement.
- "Ce n'est pas ce qu'on dit, c'est ce qui se fait. Les secrets sont payés ainsi. Est-ce bien, est-ce mal ? Je pense que lorsqu'on a des services secrets, il vaut mieux avoir des fonds qui soient de même nature. On pourrait en discuter d'ailleurs, parce que dans beaucoup de pays, c'est fait par des fonds budgétaires et contrôlés comme tels."
Etes-vous pour la suppression ou pas ?
- "Je suis pour un contrôle beaucoup plus strict sur ces fonds secrets. Je pense qu'il faut en limiter le montant, parce qu'il y a eu une inflation ..."
... ce sont 792 millions à Matignon, et 300 millions à l'Elysée, selon T. Jean-Pierre.
- "Il y a une inflation depuis une quinzaine d'années beaucoup trop forte - la cohabitation d'ailleurs, de ce point de vue, étant plutôt un stimulateur et pas un modérateur. Donc, je pense qu'il faut en limiter le montant et contrôler plus strictement.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juin 2001)
- " Je reviens avec une impression mitigée. D'un côté, il y a incontestablement un retour au calme progressif, notamment après l'attentat du début du mois. Le Gouvernement israélien a eu raison de vouloir une retenue. Je pense que s'il n'y avait pas eu ce choix, ce serait la guerre. Y. Arafat a pris ses responsabilités pour faire la police dans son territoire. Je crois qu'il arrête même des membres de son propre parti, le Fatah, ceux qui pouvaient être tentés par la violence ou qui avaient déjà engagé des actions de violence. A partir de là, il y a un cessez-le-feu qui est grosso modo respecté. Ce sont les éléments positifs que l'on peut retirer après tant de violences ces derniers mois. Maintenant, le pessimisme tient au blocage lui-même. Ils ne se parlent plus et les Israéliens ne croient plus à la possibilité d'un dialogue de paix tant qu'il n'y a pas une sécurité absolue en Israël. A l'inverse, les Palestiniens disent qu'ils n'auront la sécurité que s'il y a dialogue. Je pense que le rôle de l'Europe va être décisif. J'y ai joué ma part pour l'Internationale socialiste. Nous allons essayer, peut-être cette semaine, d'inviter S. Peres et Y. Arafat puisque ces deux hommes sont membres de l'Internationale. Nous devons faire en sorte que l'Europe ait son propre point de vue : la paix. Il ne s'agit pas simplement, comme le point de vue américain, respectable au demeurant, d'un retour à la sécurité. C. Powel va venir cette semaine en Israël et en Palestine. Il faut aller dans le sens de la sécurité. Pas de dialogue sans sécurité, sans doute, et pas de sécurité sans dialogue : c'est ce que doivent dire les Européens."
A. Sharon est à Washington. B. el-Assad est à Paris. Cela veut dire que les Etats-Unis se soucient des intérêts d'Israël et la France des intérêts des pays arabes?
- " Ce serait une division du travail diplomatique particulièrement fâcheuse. Je pense qu'elle est dans la tête des Américains."
Et pas dans la tête des Français ?
-" Je ne souhaite pas que les Français soient simplement les préposés à la cause d'un camp, en l'occurrence de la cause arabe. Je pense que les Français doivent discuter avec les uns et les autres, sinon ils seront hors jeu et les Américains fixeront la règle."
Que pensez-vous précisément de la visite de B. el-Assad ?
- " Il est normal d'avoir des relations avec un pays qui compte au Proche-Orient dans le règlement de la solution libanaise et dans l'avenir de la question palestinienne."
Beaucoup de leaders politiques français et la communauté juive française s'inquiètent de ce tapis rouge déroulé sous les pieds du premier syrien.
- " Autant on peut comprendre la relation avec la Syrie, nul ne peut la mettre en cause - autant lorsqu'un pays comme la Syrie bafoue les règles élémentaires de la démocratie - je ne parle pas simplement des Droits de l'Homme qui ne sont pas là-bas nécessairement considérés comme tels ou de la question du rapport à l'opposition qui n'existe pas - mais des propos qu'a tenus Bachar pas simplement vis-à-vis d'Israël mais aussi vis-à-vis des juifs, je pense que la voix de la France doit dire "Nous acceptons de parler avec vous comme pays mais en même temps, nous vous posons des règles de comportements. Pour nous, il y a des déclarations qui sont inacceptables." Nous devons le dire plus fortement qu'il n'a été dit au dîner d'hier soir.
Cela veut-il dire que s'il n'y avait pas eu la cohabitation, L. Jospin n'aurait pas réservé une telle visite à B. el-Assad ? Il était à côté de lui au dîner de l'Elysée.
- "Je vous l'ai dit, je pense qu'il est normal de discuter avec la Syrie. Tout le monde le fait, je ne vois pas pourquoi la France ne le ferait pas. En revanche, je ne suis pas sûr qu'il ait été normal d'ailleurs que J. Chirac aille à l'enterrement du père Assad. C'était le seul Chef d'Etat occidental à le faire. Je pense qu'il y a une gradation. On peut discuter, on doit dire, on ne doit pas forcément accueillir avec faste."
Toutes ces déclarations de politique étrangère, votre voyage au Proche-Orient, c'est un peu pour soigner votre profil de "Premier ministrable "en 2002 ?
- "Pas du tout. Lorsque l'on est socialiste, on ne l'est pas simplement dans le cadre de son propre pays. On doit essayer de porter une parole en Europe - je pense qu'il n'y a pas, aujourd'hui, de mouvement socialiste sans volonté de construction européenne - et par ailleurs, on a un rôle à jouer dans un certain nombre d'endroits du monde où il y a une tension, un conflit. C'est ma responsabilité. Je ne suis pas sûr qu'il faille, ici, voir des calculs de politique intérieure. La politique intérieure, ce sont les élections, pas les voyages."
Justement, les élections approchent. Depuis deux jours, on sait que le Président J. Chirac aurait effectué des voyages dans les années 1992 à 1995 et aurait payé ses billets en liquide pour une somme que L'Express chiffre à 2,4 millions, chiffre démenti par l'Elysée. L'explication de l'Elysée est que ce sont ce qu'on appelle couramment les fonds secrets, c'est-à-dire les primes reçues comme ministre et Premier ministre ainsi que de l'argent personnel et familial. Ces fonds secrets sont-ils toujours légitimes en République ? Je voudrais faire référence à ce que dit T. Jean-Pierre, député DL, qui demande dans une tribune dans Le Monde d'hier la suppression de ces fonds secrets.
- "Je ne connais rien de l'affaire en question. J'ai lu, comme vous, par le canal du Web d'ailleurs, les informations de L'Express. Il semblerait donc que des voyages aient pu être faits par J. Chirac et sa famille à travers des paiements qui auraient été faits en liquide. L'explication qui a été fournie par l'Elysée, c'est que ce serait des fonds secrets mais nous sommes dans une période - pour rester à l'affaire - qui serait celle de 1992 à 1995. A ma connaissance, dans cette période, J. Chirac n'était plus Premier ministre. Il a quitté Matignon en 1988. Il n'était pas encore Président de la République, il ne l'a été qu'à partir de 1995. Alors, je ne vois pas comment de l'argent en liquide, à cette époque, aurait pu venir de fonds secrets, sauf à penser qu'il y aurait eu stockage pendant toute une période. Je ne sais pas ce que donnera la suite judiciaire de cette affaire."
Considérez-vous qu'il y a là une illégalité possible ?
- "Il ne faut pas confondre la pratique des fonds secrets avec le paiement en liquide à des périodes qui n'ont rien à voir avec celles de l'exercice de la responsabilité."
Là, vous pointez une illégalité ?
- "Je dis simplement que les paiements en liquide ne peuvent pas être justifiés par des paiements en liquide dans une période où il n'y a plus exercice de la responsabilité. Vous posez la question, par ailleurs, des fonds secrets. A mon avis, ce sont deux questions très différentes."
Je voudrais vous citer une phrase de H. Emmanuelli en 1979. Il demandait la suppression des fonds secrets ou leur contrôle strict par le Parlement. Vous avez changé d'avis depuis ?
- "Je crois qu'il ne faut pas être démagogue. Cela peut arriver ici ou là. Les fonds secrets servent pour l'essentiel à payer les services secrets."
C'est ce qu'on dit mais T. Jean-Pierre dit qu'on ne connaît pas leur usage finalement.
- "Ce n'est pas ce qu'on dit, c'est ce qui se fait. Les secrets sont payés ainsi. Est-ce bien, est-ce mal ? Je pense que lorsqu'on a des services secrets, il vaut mieux avoir des fonds qui soient de même nature. On pourrait en discuter d'ailleurs, parce que dans beaucoup de pays, c'est fait par des fonds budgétaires et contrôlés comme tels."
Etes-vous pour la suppression ou pas ?
- "Je suis pour un contrôle beaucoup plus strict sur ces fonds secrets. Je pense qu'il faut en limiter le montant, parce qu'il y a eu une inflation ..."
... ce sont 792 millions à Matignon, et 300 millions à l'Elysée, selon T. Jean-Pierre.
- "Il y a une inflation depuis une quinzaine d'années beaucoup trop forte - la cohabitation d'ailleurs, de ce point de vue, étant plutôt un stimulateur et pas un modérateur. Donc, je pense qu'il faut en limiter le montant et contrôler plus strictement.
(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 26 juin 2001)