Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RFI le 14 juin 2013, sur la situation au Mali et sur l'achat de drones.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Le retrait des troupes françaises du Mali est en cours, il se fait à un rythme - semble-t-il - un peu moins rapide que prévu. Est-ce pour assurer la sécurité de l'élection présidentielle qui doit se tenir le 28 juillet ?
R - Le retrait des forces françaises se poursuit, nous avons toujours dit que nous n'avions pas vocation à rester éternellement au Mali. Nous sommes intervenus à la demande des autorités maliennes pour éviter que ce pays se transforme en sanctuaire djihadiste. Et nous avons abouti à ce résultat et le retrait se fait de manière progressive, à la fin de l'année il restera néanmoins 1.000 militaires.
Q - Cet objectif-là est maintenu ?
R ? Totalement. Pourquoi ? Parce que...
Q - Vous aviez parlé de 2.000 à la fin de l'été, est-ce que les chiffres ont été réactualisés ?
R - ...Au début de l'été.
Q - Est-ce qu'il y en aura plus de 2.000 ?
R - On sera dans cet ordre-là. Nous sommes aujourd'hui 3.500, 3.600 et nous resterons un peu en plateau pour l'été, et nous continuerons le retrait progressif à la fin de l'été. Pourquoi ? Parce que nous sommes en articulation avec la mise en oeuvre de la mission des Casques bleus qui va commencer à s'installer à partir du 1er juillet.
Mais je voulais vous faire remarquer une chose, c'est que, pendant cette période dont on parle, on parle beaucoup moins d'incidents, de l'action militaire, mais elle se poursuit. Et nos forces travaillent là dans des conditions extrêmes, très difficiles, j'en profite pour les saluer parce que c'est extrêmement dur. Et tous les jours...
Q - On en parle moins, c'est un effet médiatique parce qu'on s'habitue...
R - Oui, je pense parce qu'on s'habitue ou parce qu'il y a moins d'événements...
Q - Mais il y a toujours des combats ?
R - Tous les jours, on trouve des caches d'armes, par tonnes, encore cette semaine. Il y a encore quelques incidents, puisqu'il y a eu cette semaine deux blessés dans les forces spéciales françaises.
Donc, la sécurisation se poursuit, elle est largement gagnée, le sanctuaire djihadiste a disparu mais il faut être extrêmement vigilant par rapport à des éléments sporadiques qui peuvent aujourd'hui remettre en cause la stabilisation du pays, et il faut poursuivre la recherche de caches d'armes qui continuent et qui montrent qu'il y avait là une organisation considérable destinée à remettre en cause la sécurité en France et en Europe. Parce que toutes ces armes-là, plusieurs centaines de tonnes, n'étaient pas destinées uniquement à Bamako, elles étaient destinées à des actions terroristes dans le monde entier. Nous avons bien agi en intervenant au Mali, et il faut assurer la stabilité, maintenant la sécurisation en étant extrêmement vigilant. C'est pourquoi nous resterons un millier pour un temps certain.
Q - L'armée française procède encore régulièrement à des arrestations ou à des éliminations ?
R - Moins, beaucoup moins parce que les dangers ont quand même beaucoup disparu. L'essentiel maintenant, c'est la sécurisation et la découverte de caches d'armes et la suppression des réseaux.
Q - Les soldats français qui quittent ou qui vont quitter le Mali vont-ils rentrer en France ou vont-ils être - pour partie - redéployés dans les pays de la région ?
R - La plus grande partie revient en France, mais je voudrais rappeler ici qu'au-delà des 1.000 militaires qui resteront au Mali pour effectuer des missions de contre-terrorisme, en bonne articulation avec la mission des Casques bleus, nous garderons une présence à Ndjamena, à Ouagadougou et à Niamey comme elle existe aujourd'hui, et elle perdurera encore un certain temps.
Q - Combien y a-t-il de soldats français dans ces pays ?
R - Cela dépend des pays, il y a un certain nombre par pays, 500, 400, 300 selon les cas et selon les missions. Mais cela permet de venir en appui, en particulier par exemple de Ndjamena et de Niamey, en appui aérien, si d'aventure même la force des Nations unies pouvait avoir besoin d'un soutien ou d'un renfort. Donc, la sécurisation est en très bonne voie, elle n'est pas achevée et il faut s'assurer de la stabilisation et de la sécurisation de ce pays, et faire en sorte que les élections présidentielles se déroulent comme prévu le 28 juillet. C'est indispensable que ce pays se dote d'élus et d'un président de la République assis sur une légitimité, qui puisse permettre la vraie réconciliation que ce pays attend.
Q - Alors, à ce propos justement, il n'y a toujours pas d'accord entre le gouvernement malien et les Touaregs sur la ville de Kidal. Prenez-vous en compte l'hypothèse que l'armée malienne reprenne le contrôle de Kidal par la force en l'absence d'accord ?
R - Non, mais je suis optimiste sur la suite, il y aura un accord, la manière dont cela se présente aujourd'hui est très encourageante. Il serait d'ailleurs invraisemblable que l'ensemble de ces acteurs ne trouve pas un point de consensus pour la garantie de l'unité de ce pays, y compris d'ailleurs par rapport à ce qu'a fait la France pour ce pays. Je suis...
Q - Et donc le texte qui est en négociation avait été qualifié de bon texte par Laurent Fabius...
R - Oui, oui.
Q - C'est le président malien qui l'a refusé...
R - Non...
Q - Est-ce qu'il est trop intransigeant ?
R - Je n'ai pas à porter de jugement à ce moment puisque la discussion se poursuit. Laurent Fabius a tout à fait raison, ce texte de compromis est un bon compromis et il y a encore manifestement quelques petites modifications à faire. Mais je reste confiant et je pense que les acteurs de cet acte de compromis vont prendre leur responsabilité pour assurer la paix durable. On vient de très loin quand même, parce qu'il y a une longue histoire peut-être de non reconnaissance des uns et des autres, l'opération djihadiste a encore perturbé le jeu. Il faut maintenant retrouver les voies de la paix, de l'unité du pays, il y a un seul Mali, un seul Mali qui va aller voter, on votera partout, y compris à Kidal. Et il faut que désormais, dans les poursuites des discussions qui sont maintenant proches du succès, on puisse retrouver une paix durable dans le respect des uns et des autres.
Q - Vous avez parlé récemment d'une zone d'instabilité qui va de la Guinée-Bissao jusqu'à la Somalie, on sait l'impact qu'a eu l'intervention en Libye. Est-ce qu'il est exclu qu'une intervention, une nouvelle intervention ait lieu en Libye pour stabiliser la situation ?
R - On n'est pas dans cette situation, la Libye est en train de se reconstruire, elle se dote d'outils gouvernementaux, des éléments de sa souveraineté, il y a une Assemblée nationale, il y a un gouvernement qui doit faire en sorte que le pays retrouve sa sécurité, son homogénéité et sa force, sauf que ce travail-là est long, difficile. L'Union européenne va y contribuer puisqu'une mission d'aide à la sécurisation des frontières vient d'être validée. Elle se met en place à la demande des autorités libyennes. Mais je suis néanmoins pour ma part préoccupé par ce qui se passe en Libye, et singulièrement dans le Sud-ouest de la Libye, où il y a des potentialités de retrouver des petits sanctuaires terroristes. Nous ne sommes pas dans une situation aujourd'hui comme on pouvait l'être au Mali, il y a 6 mois, mais il faut être très vigilant. Et si les autorités libyennes le souhaitent, évidemment la France est disponible comme d'autres pour apporter son soutien, il n'est pas du tout question de faire une intervention.
Q - Les otages français détenus au Sahel ont franchi hier les 1 000 jours de détention. Est-ce que ce matin, vous pouvez nous dire quelque chose à leur sujet ?
R - D'abord beaucoup de compassion à l'égard de leurs familles. Cela doit être terrible, je sais que c'est terrible pour ces hommes et ces femmes qui s'interrogent en permanence matin, midi et soir sur le devenir de leur proche. Et en même temps vous dire que nous n'avons jamais arrêté d'agir, et nous n'avons jamais relâché l'effort et nous continuons. Je ne peux pas en dire plus dans une situation...
Q - Vous ne pouvez pas nous dire si un fil de dialogue...
R - ...dans une situation très complexe.
Q - ...est maintenu ?
R - Je ne vous dirai rien.
Q - La France va acheter 12 drones américains, ce sont des modèles Reaper. Les deux premiers devraient être livrés prochainement, dit-on, est-ce que vous savez quand ?
R - Sur la question des drones, il s'agit de drones d'observation permettant d'éclairer le paysage...
Q - Qui ne servent donc en aucun cas à d'éventuelles éliminations ciblées ?
R - Je dis drones d'observation...
Q - Parce que les Reaper sont des drones qui peuvent...
R - Je le dis 3 fois si vous préférez. Ce sont des drones d'observation et qui n'auront aucune autre vocation, simplement d'éclairer le paysage. Nous en avons un besoin très fort dans la zone sahélienne, il se trouve que, pour toutes sortes de raisons qui seraient vraiment un peu longues à expliquer, la France et nos industriels et nos armées n'ont pas été au rendez-vous des drones, alors que nous sommes une grande nation de constructeurs d'avions. Je le constate, mais nous avons un besoin immédiat. Et pour répondre à ce besoin immédiat qui est une nécessité pour notre autonomie stratégique, il n'y a que deux pays qui - aujourd'hui - sont en situation de fournir ce type de capacité : ce sont les États-Unis et Israël. Nous avons engagé des discussions avec les États-Unis, le Livre blanc a prévu - et la loi de programmation militaire - l'acquisition de 12 drones sur la période, nous prenons ce qui existe. Et les discussions avec les Américains progressent très bien. Donc, nous aurons sans doute les deux premiers drones assez rapidement parce que nous en avons besoin. Vous parliez tout à l'heure des risques sur la zone, si on n'éclaire pas le paysage, comment voulez-vous qu'on puisse avoir des informations, sauf à demander aux Américains leurs images. Il vaut mieux quand même être propriétaire que locataire dans cette situation.
Q - Quand les drones seront en possession de l'armée française, par quel canal passeront les informations, ce sera un canal français ?
R - La question technique ne se pose pas sur les zones sahéliennes puisque nous en avons. Il n'y a pas de difficulté particulière. Il faudra ensuite les franciser et, donc, mettre en place des capteurs spécifiques sur ces drones pour leur permettre d'être en situation d'action sur tous les territoires et en particulier sur le territoire français et européen. Il y a là une possibilité technique que l'on va sûrement confier à des industriels français. Je voudrais rajouter un point, si nous faisons l'acquisition de drones, cela ne veut pas dire que nous renonçons à un drone dans la durée qui soit un drone européen, il faudra un successeur au Reaper et je souhaite que ce successeur soit européen, je le souhaite pour les industriels, je le souhaite aussi pour nos défenses. Et nous avons sur ce point des bonnes discussions avec les Britanniques en particulier, mais aussi les Allemands.
Q - Vous avez parlé hier de situation de rente pour Dassault avec le Rafale, est-ce que c'est un avertissement ?
R - J'ai dit...
Q - En disant «maintenant, il va falloir trouver des clients» ?
R - Il ne faut pas se tromper sur les mots. Je dis que tout industriel, quel que soit son nom, qui ne rentre pas dans l'agressivité de la compétitivité internationale peut avoir le risque de rente, il ne faut pas non plus inverser la chose.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2013