Intervention de Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur, sur la demande de la France d'exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociations commerciales de la Commission européenne avec les Etats-Unis, Luxembourg le 14 juin 2013.

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Circonstance : Conseil européen des ministres du commerce extérieur, à Luxembourg le 14 juin 2013

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Commissaire,
Chers collègues,
Je veux d’abord remercier la Commission pour les efforts qu’elle a accomplis pour améliorer le texte du mandat. Dans bien des domaines, les progrès sont réels ; dans d’autres nous aurions souhaité des formulations plus fortes et plus précises. Sur le dossier de l’investissement et notamment du mécanisme de règlement des différends investisseur contre Etat ; le compte n’y est pas et la France reste insatisfaite. Mais dans un esprit constructif et de compromis, je suis prête à vous donner le bénéfice du doute et à m’en contenter, même si je resterai vigilante.
Mais il y a un domaine où cela ne passe pas. Ce domaine vous le connaissez. C’est celui de la culture et du principe fondamental de l’exception culturelle. Ce n’est pas une surprise pour vous. Vous connaissez les convictions françaises. Nous vous l’avons dit. Nous l’avons écrit. Vous connaissez l’extrême sensibilité des créateurs européens, même si vous avez certainement sous-estimé sa force. Vous connaissez leur capacité à entraîner, à convaincre, à mobiliser. Quatorze ministres de la culture les ont suivis, comme très majoritairement le Parlement Européen. Son Président a rappelé hier que pour le Parlement européen la culture et les services audiovisuels devaient être clairement exclus du mandat.
Vous n’êtes pas surpris. En revanche je conserve de mon côté quelques interrogations majeures qui n’ont pas trouvé réponse. Je comprends que vous vous êtes mis d’accord avec les négociateurs américains sur le principe d’une négociation « sans exclusion », mais après quelles consultations ? qui vous en a donné mandat ? J’ai une autre incompréhension essentielle. Vous souhaitez remettre en cause un principe fondamental, constitutif du projet européen - l’exception culturelle - et vous avez choisi pour ce faire le partenaire qui domine le monde en matière de production audiovisuelle – avec les dérives et les tentations qui vont avec la puissance, l’actualité malheureusement nous le rappelle. Et en plus ce partenaire ne partage pas, en matière de diversité culturelle, nos valeurs et l’a affirmé en refusant de signer la convention de l’Unesco de 2006. Surprenant non ?
La France, elle, ne vous surprendra pas. Elle refuse le projet de mandat, elle refusera tout mandat qui ne comportera pas une protection des services culturels et l’exclusion claire et explicite du secteur audiovisuel. Nous avons échangé beaucoup d’arguments sur le fond, sur la tactique. Je ne vais pas allonger nos débats, je veux juste rappeler deux points :
C’est un principe de liberté qui est en jeu. Les révolutions technologiques vont obliger nos créateurs, nos industries culturelles à repenser totalement leurs modèles de création et de diffusion… Pas à s’adapter comme vous le concédez du bout de vos explications techniques, mais à se réinventer. Il y a dix ans, il n’y avait ni tablette numérique, ni livre numérique, ni téléphone « intelligents », ni you-tube, ni facebook, ni twitter. Qui sait ce que seront demain les modes de consommation, de transmission, de diffusion ? La seule garantie pour permettre à nos auteurs, nos créateurs, nos producteurs de continuer à inventer le futur, c’est maintenir vivant ce principe de liberté d’action qu’est l’exception culturelle, « le meilleur moyen de préserver la diversité du cinéma » comme l’a rappelé Steven Spielberg il y a moins d’un mois.
Le deuxième point est celui de la soi-disant menace protectionniste. En moyenne 60 % des écrans européens – y compris français – sont occupés par des films américains. Selon les années, les films européens occupent 3 à 6 % du marché américain. Où est l’ouverture ? Où est la fermeture ?
Monsieur le Président, l’Europe, sa légitimité, sont contestées, remises en cause dans nos pays. Il ne faut pas donner raison aux sceptiques de l’Europe en braquant contre elle les meilleurs de ses enfants : les créateurs, les artistes. Il faut dire aussi les choses clairement, pas de manière ambigües, partielles, contournées, qui contredisent les belles déclarations et leur donnent un côté orwellien. Nous avons aussi sur ce mandat un enjeu de transparence et de crédibilité démocratique. Nous devons le relever.
Il y a quelques jours un journaliste du Financial Times expliquait que « l’exception culturelle française faisait plus du sens que jamais ». Son article comportait beaucoup d’analyses pertinentes mais je suis en désaccord avec lui sur un point. Ce n’est pas l’exception française qui est en jeu, c’est l’exception européenne, notre modèle européen. La présidente de l’Institut du Cinéma suédois écrivait sur son blog « merci la France ». Je souhaite que ce soir, elle puisse dire « merci l’Europe ».
source http://www.commerce-exterieur.gouv.fr, le 19 juin 2013