Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Directeur général de l'OMI,
Chers Amis,
Je voudrais dans un premier temps adresser mes très sincères remerciements à toutes celles et ceux qui ont répondu à mon invitation pour cette première rencontre ministérielle à Paris. Trente trois pays sont représentés et près d'une dizaine d'autres se sont excusés. Si l'on ne mesure pas le résultat d'une conférence par le nombre des participants mais par qualité de ses échanges je suis assez confiante en ce début de journée. En effet j'ai eu la chance de rencontrer et de travailler avec un certain nombre d'entre vous et je connais votre engagement auprès de vos communautés.
C'est donc pour moi un honneur et un immense plaisir de vous accueillir aujourd'hui et d'ouvrir officiellement cette conférence ministérielle sur les communautés nationales établies à l'étranger. Nous sommes réunis afin d'échanger autour d'un enjeu qui nous est commun, celui de l'installation temporaire ou pérenne de certains de nos ressortissants à l'étranger, celui du rapport de l'État avec eux.
C'est un sujet que nous partageons et c'est un truisme d'affirmer que les flux transnationaux, et plus particulièrement les flux migratoires augmentent. Immigration et émigration, plus qu'une expérience sociale, sont devenues des enjeux économiques et politiques majeurs sur les scènes aussi bien nationales qu'internationales. La dimension locale, nationale et transnationale redéfinissent les trajets migratoires et les constructions identitaires. La capacité des États à agir seuls est de plus en plus limitée. Ils doivent composer non seulement avec d'autres États mais avec les médias, ONG, entreprises culturelles et religieuses. Dans certaines régions du monde les «territoires économiques naturels» jouent désormais un rôle aussi important que les espaces définis par les institutions politiques de l'État.
C'est cependant la scène nationale que je vous propose d'aborder aujourd'hui, et plus particulièrement le lien que les ressortissants établis hors d'un État peuvent avoir avec celui-ci. J'ajouterai que ce thème me semble d'autant plus important dans la recomposition en cours des identités qui se construisent en privilégiant la dimension transnationale. Pour reprendre une image de Georg Simmel ce sont aujourd'hui des ponts qui unissent les personnes plutôt que des portes qui les séparent.
L'émigré, l'expatrié, l'exilé... sont autant de mots pour désigner celui qui est parti s'installer durablement dans un autre pays. Des écrivains comme Hugo, Camus, plus récemment Ben Jelloun, nous ont raconté cette expérience du départ, jamais identique, toujours singulière. Car il est bien ici question de parcours de femmes et d'hommes qui revendiquent des aventures personnelles mais avec lesquels nous demeurons liés au travers d'une même citoyenneté. Dans tous les cas ils sont le symbole vivant de l'Autre, d'une altérité conçue comme changeante. Comme nous le rappelle Khachig Toloyan «Transnational communities are sometimes the paradigmatic Other of the Nation-State».
L'émigration du XXIème siècle n'est pas structurellement différente de celle des siècles précédents. L'éducation, la faim, la pauvreté, les conflits religieux ou les crises politiques intérieures demeurent malheureusement des motifs de départ. Certains partent aussi tout simplement vers des lieux plus hospitaliers, sur les routes de la prospérité économique ou de la sécurité politique. Ces migrants consacrent néanmoins l'existence d'une réalité et d'une solidarité nationale et transnationale.
Les derniers chiffres présentés par l'Union Européenne sur l'importance respective de l'immigration et de l'émigration font état, de ce qu'en son sein, l'émigration est en croissance. Cette augmentation me semble coïncider avec l'intensification de la mondialisation, avec l'émergence du «monde fini» de Paul Valery ou de ce «monde pressé» si cher à Paul Morand qui y voit la dette d'un monde civilisé à la science.
L'essor des transports, des technologies et des moyens de communication ont sans conteste contribué à une plus grande mobilité géographique des populations et à la diversité des déplacements humains. Ils ont également facilité les relations entre les communautés «hors sol» et leur nation d'origine. L'immédiateté et la compression du temps et de l'espace renforcent la conscience d'appartenir à une même entité malgré l'éloignement.
La volonté de celui qui part de préserver des liens forts avec son pays d'origine est révélatrice d'une évolution qui nous impose de nous saisir politiquement du sujet.
Rappelons dans un premier temps que l'émigration revêt de nombreuses facettes. Si l'émigration ou l'expatriation peuvent de manière consensuelle se définir comme le fait de quitter une zone géographique pour s'installer durablement dans une autre, l'émigré, lui, a sans doute des visages bien différents ; ceux de Chaplin dans la Traversée, de Bolognini, de Youssef Chahine ou de John Ford qui tous en dépeignent les espoirs mais aussi l'irréductible originalité.
Ces visage ne sont plus tout à fait les mêmes aujourd'hui.
C'est désormais l'étudiant qui cherche à enrichir sa formation en côtoyant d'autres modèles et en apprenant éventuellement une autre langue ; c'est également ce jeune professionnel qui trouve un emploi à l'étranger qu'il n'aurait pu trouver sur le territoire national; c'est aussi ce conjoint où cet enfant qui rejoint l'autre parent pour vivre tout simplement ensemble.
L'expatrié ne vit pas forcément plus aisément que son compatriote resté au pays. Il peut même se trouver dans une situation de grande précarité. Il n'en demeure pas moins qu'il veuille souvent être attaché à son État d'origine, désire garder des relations avec sa famille et ses amis et continue à s'intéresser activement à ce qui se passe au pays.
Consciemment ou inconsciemment, l'émigré est celui qui exporte les perceptions, la langue et la culture de son pays d'origine. Dans le même temps, de par sa confrontation avec une autre culture, il apporte un regard critique sur sa société d'origine, ainsi que sa connaissance de modèles alternatifs. En ce sens, les migrants et leurs descendants sont susceptibles d'agir en tant qu'acteurs du changement y compris dans les domaines sociaux et environnementaux.
Vous-mêmes, Mesdames, Messieurs, mes Chers Collègues, avez pris acte de l'importance qu'incarne pour certains de vos pays l'intégration politique de vos expatriés et, pour nous tous, le maintien de liens avec le pays d'origine. Certains d'entre vous occupent des fonctions ministérielles dédiées exclusivement à cet enjeu, d'autres incarnent des relais et portent la voix de leurs concitoyens sur leur territoire national.
Pendant longtemps les Français, suivant une tradition peu encline à l'émigration ont écarté l'idée de s'expatrier en masse. Le climat peut-être... ! Cette mobilité est toujours perçue comme négative alors que dans beaucoup de pays l'éloignement est un mal nécessaire pour grandir et apprécier le retour définitif au pays.
Cependant, la culture migratoire des Français évolue. Les dernières décennies ont marqué un véritable tournant, et ce en raison des changements majeurs que j'ai évoqués précédemment.
Les Français établis hors de France sont aujourd'hui plus de deux millions et demi et bénéficient de plusieurs instances qui leur permettent de continuer à exercer leur citoyenneté. Depuis 1948, la France s'est efforcée de garantir une représentation de ses compatriotes établis hors de France, à travers la création d'un Conseil supérieur puis d'une assemblée des Français de l'étranger, de sénateurs, et depuis 2012, de députés dont je salue la présence. Je n'oublie évidemment pas le poste de Ministre déléguée chargée des Français de l'étranger que j'occupe. Je travaille quotidiennement au bénéfice de ceux qui résident à l'étranger tout en faisant prendre conscience à ceux de l'Hexagone de l'importance de ceux-là. Cette représentation politique peut d'ailleurs évoluer dans le temps. C'est par exemple l'objet d'un projet de loi que je présente actuellement au Parlement français.
Cette expérience a permis de comprendre combien l'expatriation peut être bénéfique pour le pays d'origine. Ces bénéfices, je les vois dans la vitalité économique et culturelle, dans l'ouverture sur le monde qu'ils imposent parfois à de vieilles Nations qui peuvent douter d'elles-mêmes. Je les vois aussi comme l'expression spontanée de la curiosité de Nations plus jeunes.
Plusieurs pays d'émigration ont par exemple su s'appuyer sur leurs réseaux nationaux pour favoriser les investissements à l'étranger et les exportations. Ces «réseaux» peuvent également permettre de mieux comprendre les modèles économiques des pays émergeants. Cette interdépendance que nos immigrés expriment est devenue indispensable dans la compétition mondiale. Ils deviennent autant d'instruments de la politique internationale de leur pays d'origine. C'est, à mon sens, une véritable richesse que de pouvoir s'appuyer sur eux. Nous en sommes ici conscients.
L'écrivain américain, Ambrose Bierce, évoquait l'exilé comme une «une personne qui sert son pays en résidant à l'étranger, sans être ambassadeur». Le ton acerbe connu de l'écrivain, laisse à penser qu'il se cache sans doute quelque ironie derrière ces mots. À vrai dire, je crois que la réalité n'est pas si éloignée. Car oui, je fais partie de ceux qui pensent que l'on peut aimer son pays, le quitter pour y revenir un jour tout en l'ayant toujours servi.
Il s'agit donc aujourd'hui de réfléchir à la dialectique et la pédagogie à adopter pour bannir les préjugés et les incompréhensions qui peuvent exister entre certains de nos compatriotes. Il y a en ce sens une vraie bataille à mener pour porter nos Nations vers le progrès, faire reculer l'intolérance et renforcer l'idée du «vivre ensemble».
Enfin, je souhaite également aborder un autre sujet trop souvent délaissé par les politiques publiques. Je veux parler de celui du retour de ces expatriés sur le territoire national.
Dans l'action d'émigrer, il y a aussi un déracinement qui peut s'avérer douloureux. Il est par conséquent de notre devoir d'accompagner ceux de nos compatriotes qui font ce choix. Il est de notre responsabilité de veiller à rendre possible la préservation des liens qu'ils désirent conserver avec leur nation d'origine. L'expatriation n'est pas irréversible.
Le retour au pays n'est pas chose facile pour celui qui s'est adapté à une autre culture, une autre société, à d'autres lois. Il est, je crois, à nouveau de la responsabilité des gouvernants d'aider ses compatriotes à réintégrer une société qui a évolué en leur absence. Encore une fois, il s'agit d'une réflexion que je souhaite porter dans mon action ministérielle, et que je souhaiterais nourrir au travers de vos expériences et de nos débats.
Je veux dire ici devant vous, que j'ai la conviction que la mobilité de nos concitoyens peut être une chance pour nos pays respectifs. Ensemble, à travers nos échanges, nous pourrons trouver les solutions les plus adéquates pour mettre en place un dialogue constructif. Il nous revient de montrer à nos concitoyens que le temps et la distance ne les font pas tomber dans l'oubli lorsque nous leur permettons de faire partager au reste de la Nation leurs rêves de jeunesse.
Je vous remercie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2013