Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, sur l'action de la France en faveur de la santé dans le monde, à Paris le 17 juin 2013.

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Circonstance : Colloque «Politique étrangère et diplomatie de la santé mondiale», à Paris le 17 juin 2013

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'ouvrir ce matin ce colloque de la Chaire «Savoirs contre pauvreté» du Collège de France consacré à la politique étrangère et à la santé. Je remercie le professeur John Scheid de son accueil et le professeur Dominique Kerouedan de son invitation.
Si la santé est un sujet qui peut paraître un peu éloigné de la politique étrangère, il ne l'est pas. La première mission de la diplomatie, c'est de prévenir la guerre et de rechercher la paix. Or la guerre est la première cause des tragédies humanitaires et sanitaires. L'alliance est en quelque sorte naturelle entre les médecins et les diplomates. Ce n'est pas un hasard si la première organisation internationale non gouvernementale au monde, la Croix Rouge, a été fondée pour apporter de l'assistance sanitaire en temps de conflit armé. Le lien est aussi étroit au regard d'autres missions de nos diplomaties : par exemple, la lutte contre le changement climatique ou la préservation des ressources en eau, au coeur de nombreuses négociations internationales qui nous mobilisent. La diplomatie est en quelque sorte la première des médecines préventives ! Si les décisions nécessaires ne sont pas prises, les dérèglements climatiques ou le manque d'eau emporteront des conséquences dramatiques en matière de santé dans de nombreuses régions. La France devrait accueillir en 2015 la conférence mondiale sur le climat qui devra se prononcer sur le nouvel accord concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les rapports entre santé et politique étrangère sont donc étroits et la santé est au coeur de la politique étrangère de la France. Dans son livre «Peste et choléra», prix Femina 2012, le romancier Patrick Deville salue l'épopée des pasteuriens, médecins biologistes qui il y a plus d'un siècle sillonnaient le monde pour étudier les virus et trouver de nouveaux traitements. Leur vision et leur dynamisme ont permis la fondation du remarquable réseau des Instituts Pasteur - 30 institutions dans 27 pays. L'Institut Pasteur de Paris a été créé en 1887. 120 ans plus tard, la dynamique est toujours aussi forte.
Le succès de ces précurseurs explique sans doute que notre pays dispose d'un savoir faire important dans tous les domaines de la santé publique - maladies infectieuses, traitements, prévention, surveillance, recherche, services de santé. Notre excellence est reconnue - outre l'Institut Pasteur, je pense à cette maison, au CNRS, à l'Institut Curie, à bien d'autres. Les noms de nos chercheurs sont devenus familiers, par exemple Françoise Barré-Sinoussi, Prix Nobel de médecine 2008 et présidente de l'International AIDS Society en 2012. Les ONG françaises sont présentes dans le monde entier. Notre industrie pharmaceutique figure parmi les plus importantes. Nous sommes également mobilisés au plus haut niveau sur les principales questions : accès aux médicaments et aux vaccins, lutte contre les trois grandes pandémies (sida, tuberculose, paludisme), financements innovants, couverture sanitaire universelle. Un tel investissement fait de la France un acteur international majeur en matière de santé ; elle entend le rester.
J'ajoute que, pour un gouvernement progressiste, il est naturel de porter une diplomatie de la santé : la santé est au coeur des combats pour le progrès social. Depuis la création de la sécurité sociale jusqu'à la couverture maladie universelle (CMU), nous possédons, nous Français, une expérience à faire valoir. L'objectif de ces acquis successifs a été de permettre à tous l'accès à des soins de qualité, indépendamment des revenus et des conditions sociales.
Mesdames, Messieurs,
Notre volonté est de porter cette aspiration au niveau mondial à travers l'objectif d'un accès universel à la santé. L'accès de tous, sans discrimination, à des services de santé abordables et de qualité, constitue pour nous un objectif prioritaire. C'est pour cette raison que la France a proposé d'insérer l'objectif d'une couverture sanitaire universelle dans l'agenda pour le développement après 2015. En décembre 2012, nous avons présenté une résolution en ce sens à l'Assemblée générale des Nations unies, qui a recueilli plus de 90 coparrainages provenant des cinq continents. Ce projet de couverture sanitaire universelle représente un nouvel horizon pour la santé mondiale et un thème français majeur.
Pourquoi cet engagement de la France ? Parce que la santé relève de ce que l'on appelle généralement les biens publics mondiaux. Ce sont des biens indispensables, qui concernent l'humanité toute entière, et qui sont ce que l'on appelle «non-rivaux», c'est-à-dire qu'ils ne se divisent pas quand on les partage. Quelques mots sur ces trois critères, qui constituent autant de raisons de placer la santé dans nos priorités.
Biens indispensables, ils sont une condition du développement. S'agissant de la santé, les données sont connues. Le paludisme cause la perte de près d'1 % du PIB africain chaque année. Le SIDA constitue un frein démographique et économique majeur - pénurie des actifs, absence de transmission des savoirs, coût des traitements. En l'absence d'un système cohérent de santé publique, le coût des soins face aux maladies est un facteur de pauvreté et de sous-développement. L'amélioration de la santé, notamment en Afrique, est donc un enjeu décisif pour accélérer le développement de ce continent, qui dispose d'atouts remarquables. Avant d'être un coût, la santé est un droit humain et un investissement.
Deuxième critère : la santé concerne toute l'humanité. Cela signifie notamment que les problèmes sanitaires ne connaissent pas de frontières. Dans notre monde interdépendant, la santé est de plus en plus un enjeu géopolitique. Chacun garde à l'esprit l'extension de l'épidémie de sida. Le développement d'une grippe pandémique aurait des conséquences dramatiques. Le propre des grandes questions de santé c'est non seulement qu'elles nous concernent tous, mais aussi qu'elles doivent impérativement faire l'objet d'une coordination. La gestion des grandes crises sanitaires est manifestement un enjeu diplomatique. Il faut s'y préparer, mettre en place les structures de coordination, de veille, de décision indispensables.
Au-delà des crises épidémiques, la plupart des grandes négociations internationales entraînent des conséquences sur la santé : l'environnement, la sécurité alimentaire, la protection des droits de l'Homme, les normes commerciales, la protection des travailleurs, la gestion des migrations, la régulation des armements. C'est pourquoi la France milite, depuis septembre 2006, avec ses six partenaires du groupe Diplomatie et Santé - Afrique du Sud, Brésil, Indonésie, Norvège, Sénégal, Thaïlande -, pour une meilleure prise en compte de la santé dans les forums internationaux, afin d'accroître l'attention accordée à celle-ci dans le domaine de la politique étrangère.
Troisième critère : la santé est un bien «non-concurrentiel». Plus mon voisin est en bonne santé, plus je possède de chances d'être en bonne santé. Freiner la propagation de maladies à potentiel pandémique, limiter le développement des résistances, améliorer l'accès aux médicaments à l'autre bout du monde, c'est aussi agir pour la santé des Français. Cette caractéristique de la santé en fait un thème particulièrement fécond pour la coopération internationale. La santé, si je puis dire, contraint ou en tout cas conduit à la gestion collective. Pour nous qui voulons renforcer la gouvernance globale et inventer les institutions la permettant, la santé fait partie de ces solidarités concrètes qu'il faut mettre en avant.
Voilà posé, Mesdames et Messieurs, le cadre général dans lequel nous abordons les questions de santé.
Ces enjeux de santé concernent aussi bien le court terme que le long terme.
1) À court terme, notre action est scandée par la gestion des crises, notamment des crises sanitaires.
L'urgence sanitaire existe dans les conflits armés et les situations de violence politique. Aucun conflit dans l'histoire n'a été indemne de la barbarie des combattants - mais nous assistons aujourd'hui dans certains pays à un ciblage des attaques contre les hôpitaux et le personnel soignant, parfois en représailles contre les soins procurés aux blessés. Les exactions de ce type, en Syrie notamment aujourd'hui, sont des violations graves du droit international humanitaire. Nous sommes présents, notamment dans ce pays, pour apporter de l'aide médicale.
Chacun sait que nous sommes également engagés au Mali et au Sahel. Nous avons gagné la guerre, il nous faut maintenant gagner la paix. Cela passe par le développement et par l'accès à la santé. La France est l'un des premiers pays au monde à s'être dotée d'une taxe sur les transactions financières, dont une partie finance le développement. Elle représente plusieurs dizaines de millions d'Euros. Pour 2013, nous avons décidé la mobilisation d'une partie du produit de cette taxe pour le financement d'une initiative en faveur de la santé des enfants de moins de cinq ans dans six pays du Sahel - dont le Mali. Cette ressource sera affectée au «Fonds de Solidarité Sahel», dont la gestion sera confiée à l'Agence française de développement, et qui pourra être abondé également par d'autres bailleurs. Ce Fonds financera des projets d'exemption de paiement des soins portés par les États récipiendaires, ainsi que des organisations non gouvernementales.
Autre grande cause d'urgences sanitaires : les catastrophes naturelles. Elles emportent des conséquences directes, graves et de grande ampleur sur la santé de ceux qui les subissent, qu'il s'agisse de tremblements de terre comme en Haïti, de tsunamis comme en Asie du Sud-est et au Japon, ou encore de cyclones, dont la violence s'accroît dans les zones tropicales en raison du changement climatique. Même les pays les plus riches éprouvent des difficultés à faire face seuls aux calamités les plus lourdes et ont besoin de l'assistance internationale. Je souligne le rôle majeur des ONG françaises. Ce sont des millions de patients par an qui sont pris en charge par des organisations comme Médecins sans frontières ou Médecins du Monde.
Enfin, il y a les crises sanitaires à proprement parler. Dans un monde de plus en plus interconnecté, les épidémies se propagent à haut rythme, à la faveur des voyages et des échanges commerciaux internationaux. L'émergence de nouvelles maladies exige une capacité de réponse rapide. Leur diffusion peut prendre des proportions graves en raison de la mondialisation des échanges, comme ce fut le cas lors de l'épidémie de grippe aviaire H5N1 en 2004/2006 ou du virus H1 N1 en 2009/2010 ou encore aujourd'hui les craintes suscitées par le nouveau coronavirus ou la souche de grippe aviaire H7N9.
Face à ces enjeux de sécurité sanitaire, la France promeut le rôle des institutions multilatérales et des ONG. Nous soutenons particulièrement l'Organisation mondiale de la santé, notamment à travers les activités du bureau OMS de Lyon. D'importants progrès ont été réalisés depuis la révision en 2007 du Règlement Sanitaire International. Les diplomaties ont su se coordonner et renforcer leurs capacités de surveillance et d'action. Mais la pleine application de cet instrument juridique à la force obligatoire nécessitera de développer et de maintenir dans les 194 États Parties des capacités suffisantes de surveillance, d'alerte et de riposte aux urgences de santé publique.
2) À moyen et long terme, au-delà des crises et des urgences, la santé pose des défis majeurs. Il est décisif de construire dès aujourd'hui les réponses aux grandes questions sanitaires de demain. Nombre d'entre elles comportent des implications pour la politique étrangère.
- Ainsi, les maladies non transmissibles (ou chroniques) telles que les maladies cardio-vasculaires, les maladies respiratoires, le cancer et le diabète représentent désormais la première cause de mortalité dans le monde et sont responsables de près des deux tiers de la mortalité mondiale. Le poids que font peser ces pathologies sur les systèmes de santé augmente, comme le montre la hausse des dépenses de santé passées de 3 000 milliards de dollars en 2000 à 6 500 milliards aujourd'hui. La prévention et la prise en charge de ces pathologies pèseront de manière croissante sur les systèmes de santé. Elles sont au coeur des questions de santé publique au niveau multilatéral.
- Les résistances aux antibiotiques appellent une réaction collective. Leur utilisation excessive a entrainé des résistances porteuses de dangers pour l'homme, notamment à partir de l'élevage et de la pisciculture. La première classe d'antibiotiques a été découverte en 1928 - la pénicilline -, mais aucune depuis 1987. Nous utilisons des produits découverts il y a des dizaines d'années qui seront obsolètes d'ici peu. En cas d'apparition de nouvelles infections nous risquons de ne pas avoir les moyens de les soigner.
- Le coût des médicaments constitue un sujet de préoccupation majeur malgré des progrès sur certaines grandes pathologies. Il faut parvenir à concilier la nécessité de faire baisser les prix, y compris parfois par le renoncement aux droits de propriété intellectuelle, et la prise de risque financier pour le développement des nouvelles molécules (le cout d'un médicament innovateur est évalué à environ 1 milliard de dollars).
- La prolifération des produits médicaux falsifiés dans les pays en développement et dans les économies en transition est un phénomène malheureusement croissant. Il a pour cause les faibles capacités de réglementation et de contrôle dans les États concernés et l'intérêt porté à ce trafic par des entités criminelles. Le trafic est quasiment sans risque ! Cela souligne la nécessité d'instances de contrôle et de coordination.
- Je mentionne enfin la question des migrations des personnels de santé. Les besoins en personnels sont les plus importants dans les pays en développement. Et pourtant beaucoup de personnels de ces régions quittent leur pays d'origine pour aller dans les pays développés. En Tanzanie, au Libéria, au Swaziland, en Mozambique, en Angola, en Sierra Leone le taux d'expatriation des médecins est supérieur à 50 %. Il en résulte un problème aigu de développement pour les systèmes de santé. Un code de conduite non contraignant a été adopté par l'OMS.
L'ensemble de ces défis s'inscrivent dans le cadre plus général, comme je l'ai dit, de l'accès aux soins. Dans beaucoup de pays, les structures de santé restent insuffisantes et éloignées des malades. En l'absence de couverture sociale, les tarifs pratiqués rendent les soins souvent inaccessibles.
Qu'il s'agisse du court ou du long terme, sur tous ces enjeux, la France est largement impliquée. Notre pays consacre à la santé dans le monde environ 1 milliard d'euros par an. Un quart à titre bilatéral et trois quarts à titre multilatéral. Cet engagement, qui occupe une part importante de notre aide au développement, constitue une de nos spécificités. Elle n'est pas sans lien avec notre attachement au continent africain, vers lequel se dirige une part importante de nos investissements pour le développement en matière de santé.
Les ravages causés par les grandes pandémies nous ont conduits à intervenir massivement sur ce terrain. La France a joué un rôle essentiel dans la création du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, dont elle est le premier contributeur européen et le deuxième mondial. Nous sommes également à l'origine d'UNITAID, dont les succès en matière de baisse des coûts des médicaments ont renforcé l'impact des subventions du Fonds mondial. Notre pays a aussi joué un rôle majeur dans le développement de l'Alliance mondiale pour les vaccins et l'immunisation GAVI. Par des financements innovants, notamment la facilité internationale pour le financement de la vaccination, dont la France est le 2ème bailleur, des sommes considérables ont pu être levées pour vacciner aujourd'hui afin de ne pas avoir à soigner demain.
Notre objectif est évidemment que dans le futur cette aide internationale ne soit plus nécessaire. La priorité de notre politique de développement en matière de santé va à la mise en place de systèmes de soins cohérents partout dans le monde, dotés d financements solides. Dans ce domaine, la donne est en train de changer. Le rééquilibrage de l'économie mondiale offre des possibilités en matière de santé mondiale qui n'existaient pas avant : les trois quarts des personnes vivant dans la pauvreté absolue se trouvent aujourd'hui dans les pays à revenu intermédiaire. Mais pour que le développement économique s'accompagne d'un développement sanitaire, la volonté politique est indispensable. Par exemple, les pays africains ont pris à Abuja en 2001 l'engagement de consacrer 15 % de leur budget national à la santé : il faut que ces engagements se traduisent dans les faits. La France, qui dispose d'une expérience reconnue, apportera tout son appui pour réussir cette «transition sanitaire».
Mesdames, Messieurs,
La France fait partie des pays qui agissent le plus fortement pour que la santé soit effectivement traitée comme un bien public mondial. C'est conforme aux principes constitutifs de la France. Nous allons continuer, en nous appuyant notamment sur vos travaux. Agir pour la santé, cela ne peut pas se faire efficacement sans les médecins, les chercheurs, les universitaires qui pensent ces enjeux et ces défis. Je serai donc heureux de prendre connaissance de vos conclusions. Je vous souhaite un colloque riche et fécond. Il sera utile à cette grande cause qu'est l'amélioration de la santé dans le monde.
Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juin 2013