Déclaration de M. Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, sur les priorités de la France en matière de construction européenne, au Sénat le 19 juin 2013.

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Circonstance : Débat préalable au Conseil européen, au Sénat le 19 juin 2013

Texte intégral

Je suis très heureux de revenir devant vous présenter les priorités que défendra la France lors du prochain Conseil européen, un an après l'adoption du pacte européen pour la croissance et l'emploi de 120 milliards d'euros. Martin Schulz, président du Parlement européen, a dit à raison que les Européens se défient de l'Europe parce qu'elle a cessé de tenir sa promesse d'une Europe de la croissance et de l'emploi. Notre cap est bien celui de la croissance retrouvée ; la politique européenne ne peut avoir pour seul horizon l'austérité et l'effort budgétaire.
Le 30 mai, Français et Allemands se sont mis d'accord pour mettre l'accent sur la compétitivité et l'emploi des jeunes. Avant de développer ce sujet, je veux saluer la victoire remportée par la France vendredi dernier : la reconnaissance par les vingt-sept États membres de l'exclusion des services audiovisuels de la négociation de l'accord de libre-échange avec les États-Unis. La diversité de l'offre culturelle est une des garanties premières que doit apporter toute démocratie. La culture n'est pas une simple marchandise.
Autres points fixés à la Commission européenne dans ces négociations : la préservation de nos choix collectifs en matière de sécurité alimentaire - OGM, hormone de croissance, décontamination chimique des viandes...- et l'exclusion des marchés publics de défense. Un mandat clair et explicite a ainsi été fixé à la Commission ; il n'y aura pas d'accord s'il n'est pas strictement respecté.
Si le sérieux budgétaire est un cap, il doit aller de pair avec une politique vigoureuse de croissance ; il faut rompre avec une Europe de l'austérité qui fait le lit du populisme. L'équilibre entre efforts de consolidation budgétaire et mesures ciblées en faveur de la croissance devrait se traduire dans les recommandations par pays.
L'augmentation de capital de la Banque européenne d'investissement (BEI) de 10 milliards se soldera par 7 milliards par an injectés dans l'économie pendant trois ans au service de l'emploi dans les territoires, des projets innovants des entreprises et des investissements des collectivités territoriales - c'est 2,5 milliards de plus que ces dernières années. La BEI sera aussi plus accueillante aux PME.
Nous voulons mettre en oeuvre rapidement la garantie jeunesse, décidée en octobre, et l'initiative pour l'emploi des jeunes, dont 6 milliards devront être concentrés sur les années 2014-2015 ; nous entendons favoriser la mobilité des jeunes Européens, dans la ligne d'Erasmus plus, et la création d'un statut européen de l'apprenti.
L'Europe sociale semble en panne : les moyens de la relancer seront discutés au sein d'une table ronde que j'animerai lors de la conférence sociale des 20 et 21 juin. Il y sera entre autres question de la directive. Détachement des travailleurs et d'un salaire minimum européen, auquel les Allemands sont désormais favorables. Nous avons échangé cet après-midi même sur ces sujets avec des représentants de la Confédération européenne des syndicats.
Mettre au pas la finance est notre troisième objectif. À cette fin, notre priorité absolue est la poursuite de la construction de l'union bancaire ; nous devons avancer sur les conditions d'une recapitalisation directe des banques par le MES et l'adoption d'un mécanisme unique de résolution bancaire afin que ni les contribuables ni les déposants n'aient à payer lorsqu'une banque fait défaut.
Au-delà, nous devons définir les conditions d'un approfondissement de l'Union économique et monétaire ; c'est l'objet du rapport que M. Van Rompuy présentera au Conseil. Nous avons en outre obtenu que la dimension sociale de cette union soit abordée. La France sera force de proposition, nous en débattrons avec les partenaires sociaux. Nous pourrons enfin envisager dans un second temps la mise en place des contrats de compétitivité et de croissance en lien avec celle d'un fond budgétaire pour la zone euro.
Voilà comment nous entendons défendre une Europe de la croissance et de l'emploi les 27 et 28 juin. Tel est le sens des engagements de la France, que je suis heureux d'avoir pu vous faire partager.
(Interventions des parlementaires)
Le gouvernement mène une politique volontariste, pour créer les conditions d'une croissance qui s'appuie sur le sérieux budgétaire - on ne peut s'abstraire du passé ! Nous avons besoin de restaurer notre souveraineté budgétaire, indépendamment des recommandations européennes. Le déficit ne date pas de 2012. Notre diagnostic diffère de celui de la Commission européenne sur certains points, comme les moyens d'augmenter la compétitivité des entreprises, par exemple.
Le gouvernement dialoguera avec le Sénat, l'Assemblée nationale et les partenaires sociaux, trop oubliés par le passé. Nous discuterons de l'Europe sociale et des réformes structurelles dès demain à la conférence sociale.
Nous sommes favorables au renforcement de la coordination des politiques économiques. Nous en discuterons au Conseil sur la base du rapport Van Rompuy. Nous sommes ouverts à la coordination ex ante mais cela ne signifie pas que la Commission décide en lieu et place des Parlements nationaux des politiques économiques nationales, comme l'a marqué le président de la République.
Nous respecterons le cadrage général ; en revanche, les mesures demeureront nationales. Nous sommes déterminés à redresser la compétitivité de notre pays. C'est le sens du pacte de compétitivité et de croissance. Nos engagements sur les réformes à mener ? Mais Monsieur de Montesquiou, vous les connaissez puisque le programme de stabilité a été soumis au parlement en avril, avant sa transmission à la commission.
La Commission l'a d'ailleurs salué. Le Sénat, je le sais, est une maison bien tenue, vous y trouverez facilement ces documents. La Commission a salué la crédibilité de la France, que le Conseil en fasse autant. Le gouvernement économique pour la zone euro, esquissé par le président de la République le 16 mai dernier, doit être responsable devant les citoyens. Cela reste à construire. En proposant un président à temps plein qui portera la parole de l'Eurogroupe, la France joue son rôle historique pour faire évoluer la gouvernance européenne. La contribution franco-allemande a jeté les bases de ce gouvernement économique, le 30 mai. Outre le président de l'Eurogroupe, il faut des ministres des finances disposant de moyens renforcés, c'est-à-dire des ressources propres. D'autres ministres y pourraient siéger, par exemple les ministres des affaires sociales et du travail. C'est nouveau.
Nous proposons qu'au sein du Parlement européen, qu'une structure démocratique soit constituée, face au président de l'Eurogroupe et que les partenaires sociaux soient traités avec respect, comme ils le sont désormais en France.
J'en viens au fantasme selon lequel il y aurait une crise entre la France et l'Allemagne. Si Mme Merkel n'a pas été élue sur les mêmes bases que François Hollande, nous pouvons néanmoins travailler ensemble. Notre relation est unique au monde : connaissez-vous beaucoup de pays dont les gouvernements font un point hebdomadaire ? Elle est équilibrée, rééquilibrée même, car nous ne sommes plus dans le suivisme, sans débat. Elle est sereine. Nous ne cachons pas nos difficultés ; nous nous les disons, tout en sachant que nous devons trouver un compromis. Si on veut une solution à vingt-sept, il faut d'abord trouver une solution franco-allemande. Il n'y avait pas d'accord sur la taxe sur les transactions financières. En janvier 2013, sa création a été actée. Étions-nous d'accord sur le fonds d'aide alimentaire aux démunis ? Non plus, ce fonds sera néanmoins sauvé grâce à la France dans quelques semaines.
L'Allemagne souhaitait-elle un mécanisme de supervision bancaire ? Le MES ? La France a emporté la décision. Et la lutte contre l'évasion fiscale ? La directive était «plantée» depuis cinq ans. Le 22 mai dernier, jour noir pour les fraudeurs, nous avons remporté l'adoption de la directive Épargne avant la fin de l'année. Avec une force tranquille, nous avons développé une autre vision de l'Union européenne, pour lui faire prendre une direction nouvelle.
Monsieur Gattolin, c'est l'année de la citoyenneté européenne. Oui, il y a des efforts à faire. Il faut que chacun, dans chaque région, agisse afin que les citoyens se sentent concernés. La citoyenneté européenne peut être confortée par la présence de l'Europe à nos côtés, sur nos territoires. C'est le rôle de la Banque européenne d'investissement qui vient d'être recapitalisée : une soixantaine de milliards d'euros vont être débloqués.
Monsieur Requier nous avons signé avec la CDC un accord sur 7 milliards cette année, autant l'an prochain, également l'année suivante. Renault en bénéficiera, le syndicat intercommunal d'assainissement de l'Île-de-France et l'aéroport de Lyon Saint-Exupéry.
Le mandat adopté vendredi dernier sur l'accord de libre-échange Europe-États-Unis n'est pas uniquement défensif, mais aussi offensif -l'ouverture des marchés publics dans les États fédérés, la suppression des barrières non tarifaires. Ce dont on n'a pas parlé est aussi essentiel. Nous nous attacherons à préserver nos intérêts au fur et à mesure des négociations au-delà de l'exception culturelle. Je félicite Aurélie Filippetti qui a mobilisé treize de ses collèges et Nicole Bricq qui a tenu vendredi la ligne de front, avec la ténacité que vous lui connaissez.
Monsieur le président Sutour, sur le Kosovo, la France a une position très ouverte. D'accord pour engager le processus d'adhésion de la Serbie, et pour l'association du Kosovo, sous réserve que les accords d'avril dernier soient respectés. Mme Ashton rencontrera cette semaine les responsables des deux pays.
Quant à la Turquie, le respect des règles de droit fonde l'adhésion à l'Union européenne. Je l'ai redit à mon confrère turc que j'ai rencontré récemment, à propos du droit de manifester.
S'agissant de la taxe sur les transactions financières, les discussions en cours se focalisent sur l'assiette, sur les produits financiers à inclure, au cas par cas, pour éviter tout effet pervers sur le financement de l'économie sans oublier certaines transactions sur les dérivés.
(Interventions des parlementaires)
Avec l'Allemagne, il n'y a pas de divergence entre nous. Nous sommes d'accord sur de nombreux points, dont le Smic européen, la lutte contre le dumping social, la convergence sociale par le haut. Nous travaillons sereinement.
Le programme de réformes, c'est celui du pacte compétitivité emploi, c'est la réforme des retraites, que nous avons amorcée mais qui n'a pas été suggérée par la Commission européenne. Nous en débattrons quarante heures demain et après-demain. C'est aussi la réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle et la mise en oeuvre du choc de simplification annoncé par le président de la République, dont le Sénat sera saisi prochainement.
(Interventions des parlementaires)
Vous touchez le coeur de l'agenda des 27 et 28 juin, centré en priorité sur la jeunesse. J'espère des résultats concrets, avec la création d'une ligne de 6 milliards d'euros dont nous souhaitons qu'ils soient utilisés dès 2014 et 2015 pour un effet de levier maximum et qui bénéficieront à tous les TOM français et à une dizaine de départements. C'est aussi la garantie jeunesse, la dotation du programme Erasmus, qui passera de 8 à 13 milliards d'euros, pour toucher plus de jeunes y compris ceux qui sont en formation en alternance ou en apprentissage, avec la reconnaissance d'un statut européen de l'apprenti, la mise en place de crédits spécifiques pour les jeunes créateurs d'entreprise.
(Interventions des parlementaires)
La France s'est toujours prononcée pour le principe d'un tel accord, sur la base de la réciprocité, pour autant que les gains pour la France et l'Europe soient réels. Ces négociations prendront trois à quatre ans. Seule l'exclusion explicite des services audiovisuels nous assure de la préservation efficace de l'exception culturelle.
Sur les propos du président de la Commission européenne, lutter pour la diversité culturelle, c'est le sens du progrès, contraire à l'aveuglement ultralibéral, lequel est réellement réactionnaire. L'accord devra être signé et ratifié par tous les États membres. La Commission est notre négociateur, avec le mandat qui lui a été confié. Nous suivrons attentivement ses travaux au sein du comité de politique commerciale et nous en reparlerons dans deux ou trois ans, lors de la ratification. Nous avons donc le moyen de vérifier que nos demandes sont respectées au pied de la lettre.
(Interventions des parlementaires)
Nous avons dénoncé le recours à la violence excessive pour réprimer les manifestations sur la place Taksim. Je l'ai fait de vive voix et de visu avec le représentant de la Turquie. Néanmoins, nous avons confirmé notre intention de rouvrir les négociations avec ce pays car lui fermer la porte renforcerait le nationalisme. Cette ouverture du chapitre 22, doit avoir des contreparties sur la question migratoire, mais aussi sur Chypre. Il n'y aura pas de solution sans cela.
(Interventions des parlementaires)
L'emploi d'avenir est assorti d'une obligation de formation qualifiante pour une expérience professionnelle de trois ans, et c'est là une nouveauté dans le code du travail. L'ouverture vers le secteur marchand est là, je le dis aux sénateurs qui s'y intéressent dans leurs départements. La Commission européenne demande que nous nous préoccupions de l'emploi des seniors. Avec le contrat de génération, nous subventionnons une entreprise qui à la fois maintient dans l'emploi un salarié de plus de 55 ans et embauche un jeune de moins de 25 ans.
Que répondons-nous à la Commission européenne ? Cela ! Nous avons anticipé ses recommandations.
(Interventions des parlementaires)
Je le répète : le mandat de négociation est clair et définitif ; la Commission ne peut pas le modifier.
Tout cela, vous l'avez compris, n'est que le commencement d'un long processus où nous aurons un négociateur unique, la Commission européenne, que nous contrôlerons avec une commission ad hoc. Les négociations porteront aussi sur les barrières douanières non tarifaires et nous avons repéré les subtilités concernant les États fédérés.
Sur l'élargissement, la France veille à la capacité de chaque État d'intégrer l'acquis communautaire et à la capacité d'absorption de l'Union européenne. Plus l'Europe est intégrée, plus l'adhésion est difficile car le niveau d'exigence augmente. Peut-être y aura-t-il des avancées positives avec la Serbie après la rencontre avec Mme Ashton. En tout cas, il est significatif qu'en ces temps de doute interne, des pays frappent à notre porte ; c'est sans doute que nous sommes plus forts ensemble.
(...)
J'ai parlé de poulet chloré et de décontamination chimique de la viande, car c'est défendre l'agriculture française.
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Le CICE passera de 4 % à 6 % de la masse salariale l'an prochain. Mon rôle n'est pas celui de M. Moscovici, il est d'obtenir des lignes de crédit européennes pour la recherche et l'innovation ; elles passeront de 53 à 70 milliards d'euros. Je pense aussi à l'emploi des jeunes. Je dois aussi m'assurer du maintien de la PAC pour les agriculteurs qui sont aussi des entrepreneurs. Je me bats pour du concret.
Je pense aussi aux 6 milliards pour la recherche géo-satellitaire avec l'agence spatiale européenne. Cela va représenter 69 satellites et 140.000 emplois. L'été prochain, il y aura les 7 milliards d'euros de la BEI éligibles pour les PME.
(Interventions des parlementaires)
Vous auriez pu, Monsieur le rapporteur général, m'interroger sur l'union bancaire ; je vous sais gré de ne l'avoir pas fait à cette heure. Pour lutter contre le dumping social, nous voulons un alignement vers le haut en surveillant sur la directive «détachement des travailleurs». Même chose pour la directive «marché public» afin d'exclure les entreprises provenant de pays pratiquant le dumping social. Concernant le détachement des travailleurs, nous espérons un dialogue fructueux avec les partenaires sociaux, comme nous l'avons eu sur l'ANI.
J'ai rappelé au commissaire Laszlo Andor l'importance de ce deuxième semestre 2013, le dernier avant les élections européennes. Il doit être l'occasion d'avancées dans l'Europe sociale. Je vous confirme que notre priorité, avec l'emploi des jeunes, est la lutte contre le dumping social.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2013