Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec France Info le 20 juin 2013, sur la situation en Syrie et au Mali et sur l'arme nucléaire.

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Média : France Info

Texte intégral

Q - Si vous le voulez bien, on va peut-être commencer par parler de la Syrie, est-ce que la conférence de Genève, qu'on attend toujours, prévue pour juillet, a priori...
R - Oui, il faut qu'elle ait lieu...
Q - Est-ce qu'elle n'est pas déjà un échec avant même d'avoir commencé ?
R - Je pense que non. Il faut tous se mobiliser pour que cette conférence ait lieu parce que la réalité de la situation sur le terrain, c'est que seule une solution politique permettant la mise en oeuvre d'un gouvernement de transition, auquel devrait participer l'ensemble des parties prenantes du territoire syrien et qui permettrait de préserver l'intégrité de la Syrie, est aujourd'hui envisageable pour éviter la poursuite des drames, des souffrances de ce peuple qui est aujourd'hui sous le joug d'un dictateur.
Q - Mais on a vu que le G8 avait été dans l'impossibilité de trouver un accord sur cette question syrienne...
R - Le G8 n'a pas trouvé d'accord sur la conclusion de la conférence mais il a insisté, avec je crois détermination, sur la nécessité que cette conférence se tienne. Il faut qu'elle se tienne dans les meilleures conditions parce que tout autre solution ne donnera pas de répit au conflit, et que des drames se poursuivront, des affrontements se poursuivront, la guerre civile se poursuivra. Il faut que la communauté internationale mette tous les moyens pour l'en empêcher. Alors, il y a des points de vue différents...
Q - Quels moyens précisément ?
R - La discussion et la création...
Q - La discussion : est-ce qu'on peut continuer à discuter avec la Syrie ? Franchement, est-ce qu'on n'est pas en train de prendre trop de gants, notamment quand on voit comment se comporte la Russie, qui livre des armes à Bachar Al-Assad ?
R - Oui, il faut mettre tout le monde autour de la table pour trouver une sortie politique, sinon, ce sera la guerre civile dans la longue durée, avec des morts des deux côtés et avec l'absence de solution pour ce territoire et avec les risques de prolifération du conflit, si je peux utiliser ce terme, sur les territoires voisins, qui sont déjà in stabilisés par le conflit actuel ; je pense à la Turquie et à la Jordanie en particulier. Il faut éviter cela. le fait que le G8 ait décidé de soutenir la tenue de cette conférence, c'est une avancée, comme le fait que le G8 ait décidé aussi que le traitement de la question des armes chimiques relevait des Nations unies, et que les Nations unies étaient habilitées à poursuivre des enquêtes et à prendre les initiatives nécessaires. J'espère que Bachar Al-Assad entendra le message.
Q - Vous parliez de la Jordanie, Jean-Yves Le Drian, est-ce que nous aussi, via la Jordanie, je vous pose la question très clairement, on livre des armes de manière officieuse ?
R - Non, nous ne livrons pas d'armes...
Q - Je ne suis pas certaine d'ailleurs que vous me répondiez...
R - Notre position est très claire, nous soutenons la coalition nationale syrienne, nous soutenons l'armée syrienne de libération en leur fournissant du matériel militaire, mais du matériel militaire non létal, c'est-à-dire du matériel militaire qui ne tue pas : des moyens de transport, de communication, de vision en particulier. Nous avons la possibilité aujourd'hui, depuis la réunion récente de l'Union européenne et des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne, de livrer des armes, puisque la levée de l'embargo, à partir du 1er août, a été prononcée mais c'est une opportunité, c'est une possibilité ; aujourd'hui, nous ne le faisons pas parce que nous pensons que la conférence de Genève, dite de Genève II, permettra des solutions politiques indispensables, incontournables. Autrement, je pense que c'est le chaos qui règnera.
Q - Alors, autre question d'actualité, elle concerne les otages français. Je ne sais pas si vous avez vu ce que dit ce matin Le Nouvel Observateur : l'hebdomadaire affirme qu'ils ont été transférés en Algérie, par le nouveau chef d'AQMI. Le Nouvel Obs affirme aussi que le contact a été rétabli avec les ravisseurs par l'intermédiaire d'émissaires touaregs ; est-ce que vous me confirmez cette information ?
R - Je ne me suis jamais prononcé sur la question des otages, ni hier, ni aujourd'hui. Je ne le ferai pas non plus demain.
Q - Donc pas d'information...
R - Aucun commentaire, aucun commentaire...
Q - Mais vous gardez tout de même aujourd'hui l'espoir de les voir libérés un jour ?
R - Nous sommes très mobilisés sur cette question depuis très longtemps, c'est très compliqué, mais je n'en dirai pas plus parce que le meilleur moyen d'assurer une sortie positive et une libération que chacun souhaite, c'est de le faire dans la discrétion.
Q - Et vous diriez quoi, Jean-Yves Le Drian, de l'accord signé hier au Mali, que c'est une première étape sur le chemin de la paix ?
R - Je suis très heureux de cet accord. C'est un succès politique, un succès diplomatique qui est à mettre à l'actif de l'Union africaine, des Nations unies, du président du Burkina Faso, qui a été vraiment l'homme qui a permis de faire le lien, et puis aussi, je pense, de notre propre diplomatie. Cela vient après une maîtrise militaire, qui a assuré la sécurité sur le territoire malien mais il fallait, après ce qu'on peut considérer comme un succès militaire, que l'étape suivante, c'est-à-dire l'élection présidentielle qui doit avoir lieu fin juillet, puisse remettre ce pays dans un processus démocratique normal.
Il y avait des difficultés de relations entre les autorités de Bamako et les dirigeants des populations du Nord. Il fallait parler avec les touaregs, avec les populations arabes, trouver les moyens de recréer l'unité du territoire malien, faire en sorte que les élections aient lieu partout de la même manière, dans la stabilité et la sécurité ; je crois que c'est fait et c'est vraiment une très bonne nouvelle.
Le Mali retrouve maintenant des chemins de sérénité. Après la sécurité assurée par les forces françaises, demain, les casques bleus permettront de maintenir la stabilité. Et puis, il y a l'échéance démocratique et, enfin, le redressement économique grâce au soutien qui a été mobilisé à l'initiative de la France, du président de la République et de Laurent Fabius. L'autre jour, à Bruxelles, il a été décidé de destiner plus de trois milliards d'euros à la relance de l'économie malienne qui en a bien besoin. Bref, l'ensemble est - je crois - positif et peut-être assez exemplaire.
Q - Jean-Yves Le Drian, vous avez entendu Barack Obama à Berlin s'exprimer sur le nucléaire, la dissuasion nucléaire. On touche ou pas, nous, à cette dissuasion nucléaire aujourd'hui en France ?
R - Vous savez, on vit toujours, on l'oublie assez souvent, sur l'équilibre de la terreur entre deux puissances qui ont des arsenaux nucléaires considérables, des milliers de têtes nucléaires. Barack Obama propose à la Russie de réduire, ensemble, ces arsenaux ; oui, très bien.
En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas dans la même logique, puisque nous avons un peu moins de 300 têtes nucléaires qui assurent notre propre sécurité. Et nous avons déjà beaucoup fait dans la réduction de notre propre arsenal nucléaire.
Q - Mais c'est un message mondial qu'il a envoyé, ce n'est pas un message uniquement à destination de la Russie...
R - Entre un pays comme le nôtre pour qui la dissuasion, c'est le nombre de têtes qui assurent la stricte suffisance pour assurer les fondamentaux de notre sécurité, et d'autres pays qui ont des milliers de têtes nucléaires, nous ne sommes pas dans le même sujet ni dans la même logique. Alors, oui, tant mieux que cela commence, et la France soutiendra, et la France sera prête à en parler lorsqu'on sera arrivé à des niveaux qui touchent les siens, mais nous sommes vraiment très loin de cela.
le sujet principal, me semble-t-il, c'est la prolifération nucléaire, si on veut parler du nucléaire devant nos auditeurs ce matin, c'est le risque que représente demain le fait que l'Iran se dote de l'arme nucléaire parce que, à ce moment-là, il y aura des effets d'entraînement dans toute la région et le risque de guerre nucléaire sera alors bien réel.
Q - Et là, vous êtes attentif, parce que, évidemment, les choses ont changé en Iran.
R - Oui et le nouveau président Rohani a fait souffler à la fois le chaud et le froid. Il a dit : «je vais être dans la transparence» ; et il a dit : «je ne renonce pas à l'enrichissement». Ce qui est un peu contradictoire. Donc on va attendre, on va voir les initiatives que prendront les nouveaux responsables iraniens mais nous sommes toujours dans la même logique : il n'est pas envisageable que l'Iran rompe ses engagements antérieurs, rompe avec les traités qu'il a signés, et se dote de l'arme nucléaire, ce serait un risque majeur pour l'ensemble de la région et pour la sécurité mondiale.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2013