Entretien de M. Laurent Fabius, ministre de la défense, dans "Direct Matin" du 27 juin 2013, sur la situation en Afghanistan et sur la politique de défense.

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Média : Direct Matin

Texte intégral

Q - C'est votre cinquième déplacement en Afghanistan en l'espace d'un an. C'est important pour vous de venir à la rencontre des soldats ?
R - Le premier objectif de ce déplacement était de rencontrer nos forces toujours présentes sur place, afin de leur signifier que je ne les oubliais pas. Depuis six mois, on a beaucoup parlé du Mali et de l'action exceptionnelle de nos forces là-bas.
Mais, ici aussi, nos forces ont effectué une manoeuvre de désengagement de grande qualité. C'était aussi un moment particulier, puisqu'après le retrait des forces combattantes avant Noël dernier, on arrivait à la fin de la période de retrait logistique.
Aujourd'hui une page se tourne, avec la présence de 500 militaires français jusqu'à la fin 2014, qui continueront à assurer des missions essentielles : formation de l'armée afghane, gestion de l'hôpital militaire et de l'aéroport international de Kaboul.
Q - Ces missions continueront elles après 2014 ?
R - Elles sont appelées à durer dans le cadre du traité d'amitié franco-afghan, quelle que soit la nouvelle configuration de la coalition à partir du premier janvier 2015.
Nous tiendrons notre première réunion de la commission mixte franco-afghane sur la partie militaire du traité en octobre à Paris avec mon homologue, Bismullah Kahn.
Q - L'armée afghane est-elle suffisamment formée pour assurer la sécurité du pays ?
R - L'armée afghane n'a rien à voir avec le squelette qu'elle était en 2001. Elle s'est structurée, organisée, formée, depuis la mise en place du dispositif de transition en 2011. Elle acquiert la responsabilité des différentes régions confiées jusqu'à présent à des forces de la coalition.
Elle assure sa mission avec beaucoup de détermination et de maîtrise, même s'il lui reste encore des progrès à faire, en matière de coordination ou de gestion de ses effectifs. Mais la question majeure, c'est le pouvoir politique.
Q - Vous avez rencontré le président afghan, Hamid Karzai, lors de votre déplacement Afghanistan. Que retenez-vous de cette entrevue ?
R - Une certaine sérénité quant au transfert de responsabilité sécuritaire aux forces afghanes et une volonté de poursuivre la relation avec la France. La solution d'avenir pour l'Afghanistan sera politique, et elle doit intégrer les talibans modérés.
Aujourd'hui, le problème est de trouver le bon cénacle pour les discussions sur la mise en oeuvre de la transition politique en 2014. Je suis arrivé au moment où il y avait de vives tensions avec les États-Unis. Il semble qu'elles soient en voie d'apaisement.
Q -Une attaque a visé le palais présidentiel alors que vous vous trouviez dans le pays. Êtes-vous inquiet quant à l'augmentation actuelle des attaques des insurgés ?
R - On arrive à une phase décisive, les 18 mois qui nous séparent de fin 2014. Il va y avoir l'élection présidentielle, la mutation de la présence de la coalition, la modification du statut de la coalition future.
Comme la négociation inclusive patine aujourd'hui, il y a un maintien d'actions terroristes, pendant ce qu'on appelle la saison des combats. Cela se densifie autour de Kaboul, lieu de pouvoir, par des actions qui se veulent très symboliques, médiatiques. La dernière fois c'était l'aéroport, là le palais présidentiel. Cela justifie encore plus la solution politique.
Q - Vous êtes optimiste pour l'avenir de l'Afghanistan ?
R - Si les conditions de la transition incluent les différents acteurs de l'ensemble de l'Afghanistan, il y aura un consensus sur l'organisation de l'élection présidentielle dans un premier temps, puis sur un candidat.
C'est un travail délicat, un travail de confiance pour lequel la France peut jouer sa propre partition, apporter sa propre pierre.
Q - Que répondez-vous aux critiques, notamment russes, qui estiment que la coalition quitte l'Afghanistan trop tôt ?
R - La Russie et la Chine s'interrogent sur la stabilité de l'Afghanistan après le départ des forces de la coalition et souhaitent qu'elles restent. C'est le cas aussi des pays voisins comme l'Ouzbékistan ou le Tadjikistan.
Il faut que tout le monde contribue à ce qu'il y ait une solution politique, qui donnera un statut à ce que sera la coalition, qui aura pour ambition la stabilisation et, éventuellement, la mise en place d'actions de contre-terrorisme.
Q - L'armée française a-t-elle retiré des bénéfices de sa participation à l'intervention en Afghanistan ?
R - En termes purement techniques et opérationnels, cette mission a aguerri nos forces terrestres et renforcé l'action interarmées. Et cela a permis à l'armée française de faire partie sur la longue durée d'une coalition internationale.
L'efficacité dont elle a fait preuve au Mali, elle le doit en partie au fait qu'elle était très affutée après l'Afghanistan. Elle avait des forces motivées, professionnalisées, avec du matériel optimisé pour les opérations.
Malheureusement, cette expérience acquise en Afghanistan s'est aussi traduite par la mort de 88 soldats et par 600 militaires blessés, que je n'oublie pas.
Q - La mission de la France au Mali est-elle amenée à durer ?
R - Pour l'instant, il y a 3.600 soldats. Ce chiffre va baisser à la fin de l'été, puisqu'on va tomber à 2.000 soldats, pour atteindre un millier à la fin de l'année et qui resteront un certain temps. Ils devront assurer des missions de contre-terrorisme si besoin.
Mais l'opération est parfaitement réussie, et s'est doublée d'une confirmation politique avec l'accord passé à Ouagadougou il y a quelques jours, qui a permis de stabiliser les tensions entre plusieurs ethnies en particulier celles du nord et du sud. L'élection aura lieu comme prévu le 28 juillet.
Q - Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale impose des réductions de coûts. L'armée française aura-t-elle toujours la capacité à mener ce genre d'opérations à l'avenir ?
R - Dans les inflexions du livre blanc, il y a d'abord une inflexion géostratégique qui fait de la sécurité du continent africain la première priorité. Il y a par ailleurs la nécessité de renforcer nos capacités de renseignement, de transport et de ravitaillement.
Nous aurons une armée plus ramassée, mais cohérente, capable d'entrer en premier, d'assumer des missions confiées par le pouvoir politique, que ce soit pour assurer notre propre sécurité ou assumer nos responsabilités internationales
Q - L'amélioration du renseignement passe par l'acquisition de drones. Quels types de drones la France va-t-elle acquérir et comment va-t-elle se les procurer ?
R - Il y a plusieurs sortes de drones. L'essentiel pour nous, pour l'instant, ce sont les drones d'observation, ces aéronefs capables de voler dans la durée, de fournir en permanence des renseignements, et de le faire dans la discrétion.
Au Mali, nous dépendons de la volonté américaine de nous fournir des renseignements en provenance de leurs propres drones. Il y a un besoin immédiat pour notre propre sécurité, et il ne peut être réglé que par l'achat de drones «sur étagère» aux États-Unis ou à Israël.
Les discussions sont plus avancées avec les États-Unis, mais on n'exclut pas Israël. La loi de programmation militaire prévoit l'acquisition de 12 de ces drones. En revanche, cette décision n'obère pas la nécessité à l'avenir d'avoir des drones de nouvelle génération.
Lors du salon du Bourget, EADS, Dassault et Finmeccanica ont annoncé leur volonté de travailler ensemble. Le ministère de la Défense, ses partenaires européens et les industriels pourraient bâtir ensemble une feuille de route pour développer un drone européen à l'horizon 2020-2025.
Q - L'acquisition de drones de combat est-elle envisagée ?
R - Les drones de combat, c'est pour plus tard. C'est la question de la succession de l'aviation de chasse qui se pose, qui se fera à la fois avec des machines sans pilote et avec pilote.
Là, nous sommes dans les préliminaires, nous avons une réflexion en cours entre BAE et Dassault, qui sur la demande des gouvernements français et britanniques réfléchissent à une hypothèse de réalisation commune pour l'avenir, à l'horizon 2030.
Q - Vous vous êtes rendu la semaine dernière au Qatar. Les négociations sur le Rafale ont-elles avancé ?
R - Les discussions se poursuivent avec l'ensemble des partenaires. Aucune des perspectives d'exportation dont on parle aujourd'hui n'est fermée, que ce soit le Qatar, l'Inde, les Émirats, la Malaisie ou le Brésil.
Moi, mon rôle ce n'est pas de négocier les prix, c'est de mettre en place les conditions politiques et stratégiques permettant à l'industriel d'être en condition de discuter le mieux possible. C'est ce que j'ai fait avec le président de la République au Qatar.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 juin 2013