Interview de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à Radio Classique le 28 mai 2013, sur le chômage des jeunes et la situation de l'emploi.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
François HOLLANDE repart en province aujourd'hui ; après la conférence de presse, il va à Rodez. Où va-t-il à Rodez ? Chez BOSCH. Vous m’avez entendu tout à l'heure : est-ce que fondamentalement, cet homme, le président de la République, ne serait pas une sorte de Gerhard SCHRODER allant chez BOSCH pour finalement célébrer la flexisécurité et célébrer les réformes qui passent mal du côté de l’aile gauche du PS et qui, peut-être, lui redonnent justement un gain de popularité ? En tous cas, c’est ce que prouvent les sondages.
MICHEL SAPIN
Vous avez pas mal résumé les choses.
GUILLAUME DURAND
Non. J’essaye de vous poser la question, de vous faire avouer.
MICHEL SAPIN
Je vais les dire à la manière qui est la réalité des choses. On peut s’inspirer de ce qui se passe dans d’autres pays ; on doit s’inspirer de ce qui se passe dans d’autres pays. En Allemagne par exemple, des décisions ont été prises pas seulement par un homme - Gerhard SCHRODER, ça n’aurait pas porté – mais par les partenaires sociaux, patronats et syndicats, qui ont permis à l’Allemagne de traverser une crise terrible, presque plus forte encore en Allemagne que chez nous, sans dommages. Enfin, sans dommages à terme. Il y a aujourd'hui moins de chômeurs en Allemagne qu’il n’y en avait avant la crise mais chez nous, il y en a un million trois cent mille de plus.
GUILLAUME DURAND
Mais il est en train de susurrer aux Français des choses qu’il n’a pas vraiment explicitées pendant la campagne électorale !
MICHEL SAPIN
Non. Sur ce point…
GUILLAUME DURAND
« Je suis socialiste », il a dit dans la conférence de presse. Mais en Allemagne, il rend hommage à SCHRODER.
MICHEL SAPIN
Laissons les mots socialistes, social-démocrate. Quand on est social-démocrate en France, on s’appelle socialiste. Quand on est socialiste en Allemagne, on s’appelle social-démocrate. Bien ! C’est la même grande famille, ce n’est pas pour autant qu’on fait exactement la même chose dans chacun des pays. Mais, je le répète, on peut s’inspirer du meilleur de chacun de nos pays. Quand l’Allemagne parle de la France, elle dit : « La France est un modèle en termes de politique familiale » et elle veut s’inspirer de cette politique familiale parce que l’Allemagne a des problèmes de démographie considérables que nous n’avons pas. Ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de problème de financement de nos régimes de retraite, mais on n’a pas de problème de démographie au fond. Mais je veux en revenir à ce que nous avons fait en France. En France nous avons – quand je dis « nous » : le pouvoir politique, François HOLLANDE, le gouvernement moi-même – nous avons voulu que les partenaires sociaux négocient entre eux pour réformer le marché du travail et avoir quelque chose qui soit plus simple, plus souple et sûr pour les entreprises mais plus sûr pour chacun des salariés concernés. C’est l’accord du 11 janvier, c’est la loi sur la sécurisation de l’emploi et c’est ce qui s’est fait – je dirais presque par anticipation – dans un certain nombre d’entreprises françaises dont BOSCH, d’où cette…
GUILLAUME DURAND
Donc il n’est pas l’anesthésiste décrit par l’opposition : il est un réformateur qui va tout d’un coup apparaître comme une sorte de Gerhard SCHRODER français.
MICHEL SAPIN
Eh non ! Pas tout d’un coup, mais c'est l’avantage d’une année passée parce que cette année passée, ça n’est pas une année perdue. Ça n’est pas une année subie, c'est une année d’action, c'est une année de décisions. Après, ces décisions elles prennent leur ampleur, surtout elles voient leurs résultats dans la durée, et on est entré dans cette période où les résultats vont commencer à se voir.
GUILLAUME DURAND
Gilles LECLERC, nous sommes avec Michel SAPIN en direct.
GILLES LECLERC
À propos de l’Allemagne encore une fois, on a vu que vous allez prendre une initiative franco-allemande pour l’emploi des jeunes. Là, encore une fois, on va s’inspirer du modèle allemand ou est-ce qu’on mixe ce qui est fait ici et de l’autre côté du Rhin ?
MICHEL SAPIN
Je pense que l’Europe marche bien si nous avons une idée commune, si nous avons une dynamique commune. En tous cas, elle ne marche pas quand il n’y a pas cette dynamique commune, quand cette dynamique commune vient de ce qu’on appelle le moteur franco-allemand mais ne reste pas simplement un condominium franco-allemand, s’étend à l’ensemble des États. Ça, c’est une méthode. Sur la question du chômage des jeunes, l’initiative c’est de dire quelque chose qui est insupportable aujourd'hui en Europe, c’est qu’il y a toujours deux fois plus de jeunes au chômage que le reste de la population. En Allemagne vous me direz que c’est le paradis puisqu’il y a huit pourcents seulement de jeunes au chômage, mais c'est deux fois plus que le chômage global. En Espagne, c'est épouvantable : ils ont vingt-cinq pourcents de chômage, globalement cinquante pourcents des jeunes au chômage.
GILLES LECLERC
Ça veut dire quoi concrètement pour les jeunes chômeurs aujourd'hui ?
MICHEL SAPIN
Voilà donc quelque chose qui n’est pas supportable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne et tout particulièrement en zone euro. Donc agissons ensemble dans le même sens à partir d’un certain nombre d’expériences qui peuvent exister.
GUILLAUME DURAND
Mais on fait quoi justement ?
MICHEL SAPIN
Chaque pays, nous par exemple, nous avons mis en place les emplois d’avenir ; nous mettons en place le contrat de génération.
GILLES LECLERC
Pardon, je vous interromps deux secondes. Vous avez dit fin mars qu’on en était à dix mille emplois, accords signés.
MICHEL SAPIN
Vingt mille fin avril et nous allons avoir les chiffres de fin mai dans quelques années… Dans quelques années ! Pardon ! Dans quelques semaines ou quelques jours !
GUILLAUME DURAND
Lapsus !
GILLES LECLERC
Vous prévoyez combien ? Vous prévoyez combien ?
MICHEL SAPIN
Qui prévoient exactement ce que nous avons prévu, c'est-à-dire pour le premier semestre, un tiers des emplois d’avenir ; au deuxième semestre, deux tiers des emplois d’avenir. Parce que dans toute politique, il y a un moment donné où il faut monter en puissance, et après ça c’est le coup d’accélérateur. Le coup d’accélérateur, ce sera en septembre-octobre, ce qui est en lien d’ailleurs avec le cycle habituel, le cycle scolaire, qui permet les créations d’emplois…
GILLES LECLERC
Michel SAPIN, je sais que vous êtes un ardent défenseur de ce que dit et répète le président de la République en disant qu’il y aura une inversion ou en tous cas une stabilité de la courbe du chômage à la fin de l’année.
MICHEL SAPIN
Je ne suis pas un défenseur, je suis un acteur.
GILLES LECLERC
Et quand l’UNEDIC vous dit ou dit à l’opinion qu’en 2013 et 2014 le chômage va continuer d’augmenter, qu’est-ce que vous répondez ?
MICHEL SAPIN
En 2013, l’UNEDIC dit que le chômage va se stabiliser. Entre la stabilisation et l’inversion, il y a la différence de la perfection dans l’action. Non mais c’est ce qu’elle dit très clairement. Elle dit : « stabilité ». Pas beaucoup de gens pensaient que des observateurs extérieurs pourraient dire « stabilité » à la fin de l’année. Donc stabilisation, et nous, nous inverserons parce que nous mettrons à fond l’ensemble des politiques qui sont voulues, qui sont dans la main de l’État en attendant, quoi ? En attendant, et par ailleurs en agissant, pour que la croissance elle-même permette de produire des emplois dans les entreprises. Les vrais, les bons, les emplois durables, c???est ceux qui se créent évidemment dans le tissu économique français mais en attendant, on fait quoi ? On reste les bras ballants ? Non ! ce n’est pas acceptable donc nous agissons. 2014, l’UNEDIC a pris des hypothèses qui sont les seules hypothèses qu’elle avait le droit et qu’elle pouvait prendre qui étaient la connaissance qu’elle avait de l’action du gouvernement aujourd'hui, là aujourd'hui, et nous sommes au mois de mai. Nous allons mettre en place, renforcer encore nos politiques de l’emploi et c'est ce qui nous fait dire, ce qui me fait vous dire que nous inverserons la courbe du chômage à la fin de l’année et que nous l’inverserons durablement, de manière à ce que ce ne soit pas juste une inversion et un rebond ensuite, ce qui n’aurait absolument aucun intérêt pour personne et surtout pas pour les chômeurs.
GUILLAUME DURAND
Mais vous vous rendez compte ? Les uns et les autres à force de mettre en avant ce pari auquel vous croyez – ce n’est pas simplement un pari – si jamais il n’a pas lieu…
MICHEL SAPIN
Ce n’est pas un pari.
GUILLAUME DURAND
Oui, absolument, je viens de le dire. Mais s’il n’a pas lieu, c’est une catastrophe politique.
MICHEL SAPIN
Mais est-ce qu’on peut agir sans se donner des objectifs et sans permettre aux observateurs que vous êtes de juger si on a atteint ces objectifs ou non. Non ! Ça, ce serait le flou comme vous diriez. Ça, ce serait agir dans le mou, comme vous auriez peut-être dit.
GUILLAUME DURAND
Le flou, le mou. J’ai bien fait de me lever, ce matin !
MICHEL SAPIN
Donc, on agit de manière précise, de manière concrète mais tout en fixant des objectifs qui permettent que l’action politique, l’action publique soient jugées sur ces résultats et pas sur – comment dirais-je – des états d’âme, des appréciations subjectives. Non ! Là ce sera sur les résultats et cette année, ce sera l’année des résultats.
GILLES LECLERC
Michel SAPIN, juste sur un point. Est-ce que l’ouverture des magasins le dimanche ne serait pas un levier justement pour l’emploi ? Vous avez l’air très, très réticent.
MICHEL SAPIN
Oui, je suis réticent. Pourquoi ?
GILLES LECLERC
Une partie de votre majorité est pour.
MICHEL SAPIN
Oui, mais qui réagit au coup par coup, ce que je peux comprendre. Parce qu’en région parisienne, il y a une situation un peu particulière parce qu’il y a des magasins qui ont ouvert, parfois qu’on avait autorisé à ouvrir, et dont la fermeture aujourd'hui est prononcée par la justice. C’est incompréhensible pour tout le monde, les élus mais aussi les gens : « Ah ! C’était ouvert mais c’est fermé maintenant. Pourquoi ? C’est ouvert d’un côté de la rue mais c’est fermé de l’autre ». Mais c'est le résultat de quoi, ça ?
GILLES LECLERC
Mais en temps de crise ?
MICHEL SAPIN
Oui, mais c'est le résultat de quoi ? C'est le résultat d’une mauvaise législation, une législation tatillonne qui a été modifiée par petits coups comme ça, ce qui aboutit aujourd'hui à quelque chose d’incompréhensible. Est-ce qu’il faut pour autant revenir sur le principe du dimanche qui est un jour où on ne travaille pas ? Non, je pense qu’il ne faut pas revenir sur ce principe. On peut adapter les choses, on doit discuter et d’abord les partenaires sociaux eux-mêmes doivent discuter mais il faut maintenir un certain nombre de principes. Il faut maintenir aussi le fait que, voilà, le travail c’est bien mais enfin se retrouver aussi un petit peu au calme, en famille, entre amis, pour avoir autre chose que le travail ça me paraît quand même indispensable, y compris à la productivité de chacun d’entre nous.
GUILLAUME DURAND
Gilles va terminer sur l’affaire du mariage pour tous. Je voudrais vous poser deux questions à caractère économique extrêmement simples. D’abord David ASSOULINE, le porte-parole du PS et hier d’une certaine manière Harlem DÉSIR a dit : « Finalement, contrairement à MOSCOVICI, on ne peut pas enterrer l’idée de légiférer sur le salaire des patrons ». Vous nous dites quoi ce matin ?
MICHEL SAPIN
D’abord, un premier constat.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes MOSCO ou vous êtes ASSOULINE ?
MICHEL SAPIN
Il y a des salaires patronaux, surtout au cours de ces dernières années, qui sont montés à des niveaux absolument insupportables quand par ailleurs les mêmes patrons demandent globalement des efforts à l’État, à la société et souvent d’ailleurs à leurs propres salariés. Donc la régulation des salaires, des plus hauts salaires, est une nécessité en France comme elle est en train d’ailleurs de s’imposer dans d’autres pays.
GUILLAUME DURAND
Et alors, on fait quoi ?
MICHEL SAPIN
À partir de là, il y a deux méthodes. Une première méthode qui est toujours meilleure : c’est que les acteurs eux-mêmes s’autorégulent. C’est cette méthode-là qu’aujourd'hui monsieur MOSCOVICI souhaite privilégier et je le comprends. Et puis il y a une deuxième méthode : c'est quand on constate que ça ne marche pas, c’est la loi. C'est comme ça, la loi c'est la règle et à ce moment-là, la règle s’impose à tous.
GUILLAUME DURAND
Donc vous allez attendre de savoir ce qui se passe.
MICHEL SAPIN
Je ne vais pas attendre de savoir ce qui se passe. C’est toujours la même chose, on a l’impression qu’il faut attendre. Non ! C’est mettre une pression – ça y est, c'est en cours, là – une pression suffisante. Je comprends que du côté du MEDEF ou du côté de l’association des grandes entreprises françaises, on veut agir, on veut avancer pour qu’il y ait une régulation réelle et nous regarderons précisément où ils en seront, mais pas dans trois ans ou en dix ans : où ils en seront dans quelques mois.
GUILLAUME DURAND
Deuxième point économique et après on conclut sur le mariage pour tous. Arnaud MONTEBOURG a l’air assez mécontent du chantage, dit-il, qui est fait par les grands groupes sur le crédit d’impôt concernant justement leurs sous-traitants en leur disant : « Finalement, vous avez un crédit d’impôt donc c’est très simple, baissez vos prix ».
MICHEL SAPIN
C’est toujours le risque du gros par rapport au petit. Je parle du gros dans le monde économique par rapport au petit.
GUILLAUME DURAND
Mais ce n’est pas un effet pervers de ce que vous avez voulu ?
MICHEL SAPIN
Ce n’est pas que ce soit pervers, mais ce serait toute autre mesure, elle aurait exactement la même conséquence. Le gros se dit : « Puisque le petit a un avantage, je vais essayer d’en profiter aussi ». La réponse est non. Le crédit impôt compétitivité emploi, il est fait pour chacune des entreprises. Les grosses, elles en toucheront plus par définition puisqu’elles sont plus grosses, et les petites pour rétablir leurs marges, pour leur permettre d’investir, pour permettre de créer des emplois donc pas d’étranglement. Et si jamais il y avait des attitudes de cette nature, ceux qui voudraient étrangler les petits nous trouveront pour les contrer.
GUILLAUME DURAND
Gilles LECLERC, une question politique pour terminer.
GILLES LECLERC
Pour terminer en vingt secondes, quelles leçons politiques au fond vous tirez de la séquence mariage pour tous ? vis-à-vis des politiques en général ?
MICHEL SAPIN
Deux choses. Premièrement, le fait qu’il y a un gouvernement, un président de la République qui décide, qui respecte les opinions, qui respecte les convictions parce qu’on doit respecter les convictions de ceux qui ne partagent pas le principe même du mariage pour tous mais qui maintient, qui maintient jusqu’au bout et qui fait qu’une loi est adoptée, qu’une loi est conforme à la constitution et qu’une loi est promulguée. Il y a une rectitude, une volonté d’avancer dans le respect des convictions. Et de l’autre côté, je constate simplement que la droite s’est piégée elle-même dans ce débat sur le mariage pour tous. Au lieu d’être du côté des convictions, ce qui était parfaitement respectable, ils se sont placés dans une situation où ils sont piégés, où ils sont pieds et mains liés entre les ultras, sous la pression de l’extrême. Je ne sais pas si c'est l’extrême droite ou l’extrême religieux, mais ils sont tombés dans le piège que l’extrême lui a créé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 mai 2013