Texte intégral
GUILLAUME DURAND
François HOLLANDE repart en province aujourd'hui ; après la conférence de presse, il va à Rodez. Où va-t-il à Rodez ? Chez BOSCH. Vous mavez entendu tout à l'heure : est-ce que fondamentalement, cet homme, le président de la République, ne serait pas une sorte de Gerhard SCHRODER allant chez BOSCH pour finalement célébrer la flexisécurité et célébrer les réformes qui passent mal du côté de laile gauche du PS et qui, peut-être, lui redonnent justement un gain de popularité ? En tous cas, cest ce que prouvent les sondages.
MICHEL SAPIN
Vous avez pas mal résumé les choses.
GUILLAUME DURAND
Non. Jessaye de vous poser la question, de vous faire avouer.
MICHEL SAPIN
Je vais les dire à la manière qui est la réalité des choses. On peut sinspirer de ce qui se passe dans dautres pays ; on doit sinspirer de ce qui se passe dans dautres pays. En Allemagne par exemple, des décisions ont été prises pas seulement par un homme - Gerhard SCHRODER, ça naurait pas porté mais par les partenaires sociaux, patronats et syndicats, qui ont permis à lAllemagne de traverser une crise terrible, presque plus forte encore en Allemagne que chez nous, sans dommages. Enfin, sans dommages à terme. Il y a aujourd'hui moins de chômeurs en Allemagne quil ny en avait avant la crise mais chez nous, il y en a un million trois cent mille de plus.
GUILLAUME DURAND
Mais il est en train de susurrer aux Français des choses quil na pas vraiment explicitées pendant la campagne électorale !
MICHEL SAPIN
Non. Sur ce point
GUILLAUME DURAND
« Je suis socialiste », il a dit dans la conférence de presse. Mais en Allemagne, il rend hommage à SCHRODER.
MICHEL SAPIN
Laissons les mots socialistes, social-démocrate. Quand on est social-démocrate en France, on sappelle socialiste. Quand on est socialiste en Allemagne, on sappelle social-démocrate. Bien ! Cest la même grande famille, ce nest pas pour autant quon fait exactement la même chose dans chacun des pays. Mais, je le répète, on peut sinspirer du meilleur de chacun de nos pays. Quand lAllemagne parle de la France, elle dit : « La France est un modèle en termes de politique familiale » et elle veut sinspirer de cette politique familiale parce que lAllemagne a des problèmes de démographie considérables que nous navons pas. Ça ne veut pas dire quon na pas de problème de financement de nos régimes de retraite, mais on na pas de problème de démographie au fond. Mais je veux en revenir à ce que nous avons fait en France. En France nous avons quand je dis « nous » : le pouvoir politique, François HOLLANDE, le gouvernement moi-même nous avons voulu que les partenaires sociaux négocient entre eux pour réformer le marché du travail et avoir quelque chose qui soit plus simple, plus souple et sûr pour les entreprises mais plus sûr pour chacun des salariés concernés. Cest laccord du 11 janvier, cest la loi sur la sécurisation de lemploi et cest ce qui sest fait je dirais presque par anticipation dans un certain nombre dentreprises françaises dont BOSCH, doù cette
GUILLAUME DURAND
Donc il nest pas lanesthésiste décrit par lopposition : il est un réformateur qui va tout dun coup apparaître comme une sorte de Gerhard SCHRODER français.
MICHEL SAPIN
Eh non ! Pas tout dun coup, mais c'est lavantage dune année passée parce que cette année passée, ça nest pas une année perdue. Ça nest pas une année subie, c'est une année daction, c'est une année de décisions. Après, ces décisions elles prennent leur ampleur, surtout elles voient leurs résultats dans la durée, et on est entré dans cette période où les résultats vont commencer à se voir.
GUILLAUME DURAND
Gilles LECLERC, nous sommes avec Michel SAPIN en direct.
GILLES LECLERC
À propos de lAllemagne encore une fois, on a vu que vous allez prendre une initiative franco-allemande pour lemploi des jeunes. Là, encore une fois, on va sinspirer du modèle allemand ou est-ce quon mixe ce qui est fait ici et de lautre côté du Rhin ?
MICHEL SAPIN
Je pense que lEurope marche bien si nous avons une idée commune, si nous avons une dynamique commune. En tous cas, elle ne marche pas quand il ny a pas cette dynamique commune, quand cette dynamique commune vient de ce quon appelle le moteur franco-allemand mais ne reste pas simplement un condominium franco-allemand, sétend à lensemble des États. Ça, cest une méthode. Sur la question du chômage des jeunes, linitiative cest de dire quelque chose qui est insupportable aujourd'hui en Europe, cest quil y a toujours deux fois plus de jeunes au chômage que le reste de la population. En Allemagne vous me direz que cest le paradis puisquil y a huit pourcents seulement de jeunes au chômage, mais c'est deux fois plus que le chômage global. En Espagne, c'est épouvantable : ils ont vingt-cinq pourcents de chômage, globalement cinquante pourcents des jeunes au chômage.
GILLES LECLERC
Ça veut dire quoi concrètement pour les jeunes chômeurs aujourd'hui ?
MICHEL SAPIN
Voilà donc quelque chose qui nest pas supportable sur lensemble du territoire de lUnion européenne et tout particulièrement en zone euro. Donc agissons ensemble dans le même sens à partir dun certain nombre dexpériences qui peuvent exister.
GUILLAUME DURAND
Mais on fait quoi justement ?
MICHEL SAPIN
Chaque pays, nous par exemple, nous avons mis en place les emplois davenir ; nous mettons en place le contrat de génération.
GILLES LECLERC
Pardon, je vous interromps deux secondes. Vous avez dit fin mars quon en était à dix mille emplois, accords signés.
MICHEL SAPIN
Vingt mille fin avril et nous allons avoir les chiffres de fin mai dans quelques années Dans quelques années ! Pardon ! Dans quelques semaines ou quelques jours !
GUILLAUME DURAND
Lapsus !
GILLES LECLERC
Vous prévoyez combien ? Vous prévoyez combien ?
MICHEL SAPIN
Qui prévoient exactement ce que nous avons prévu, c'est-à-dire pour le premier semestre, un tiers des emplois davenir ; au deuxième semestre, deux tiers des emplois davenir. Parce que dans toute politique, il y a un moment donné où il faut monter en puissance, et après ça cest le coup daccélérateur. Le coup daccélérateur, ce sera en septembre-octobre, ce qui est en lien dailleurs avec le cycle habituel, le cycle scolaire, qui permet les créations demplois
GILLES LECLERC
Michel SAPIN, je sais que vous êtes un ardent défenseur de ce que dit et répète le président de la République en disant quil y aura une inversion ou en tous cas une stabilité de la courbe du chômage à la fin de lannée.
MICHEL SAPIN
Je ne suis pas un défenseur, je suis un acteur.
GILLES LECLERC
Et quand lUNEDIC vous dit ou dit à lopinion quen 2013 et 2014 le chômage va continuer daugmenter, quest-ce que vous répondez ?
MICHEL SAPIN
En 2013, lUNEDIC dit que le chômage va se stabiliser. Entre la stabilisation et linversion, il y a la différence de la perfection dans laction. Non mais cest ce quelle dit très clairement. Elle dit : « stabilité ». Pas beaucoup de gens pensaient que des observateurs extérieurs pourraient dire « stabilité » à la fin de lannée. Donc stabilisation, et nous, nous inverserons parce que nous mettrons à fond lensemble des politiques qui sont voulues, qui sont dans la main de lÉtat en attendant, quoi ? En attendant, et par ailleurs en agissant, pour que la croissance elle-même permette de produire des emplois dans les entreprises. Les vrais, les bons, les emplois durables, c???est ceux qui se créent évidemment dans le tissu économique français mais en attendant, on fait quoi ? On reste les bras ballants ? Non ! ce nest pas acceptable donc nous agissons. 2014, lUNEDIC a pris des hypothèses qui sont les seules hypothèses quelle avait le droit et quelle pouvait prendre qui étaient la connaissance quelle avait de laction du gouvernement aujourd'hui, là aujourd'hui, et nous sommes au mois de mai. Nous allons mettre en place, renforcer encore nos politiques de lemploi et c'est ce qui nous fait dire, ce qui me fait vous dire que nous inverserons la courbe du chômage à la fin de lannée et que nous linverserons durablement, de manière à ce que ce ne soit pas juste une inversion et un rebond ensuite, ce qui naurait absolument aucun intérêt pour personne et surtout pas pour les chômeurs.
GUILLAUME DURAND
Mais vous vous rendez compte ? Les uns et les autres à force de mettre en avant ce pari auquel vous croyez ce nest pas simplement un pari si jamais il na pas lieu
MICHEL SAPIN
Ce nest pas un pari.
GUILLAUME DURAND
Oui, absolument, je viens de le dire. Mais sil na pas lieu, cest une catastrophe politique.
MICHEL SAPIN
Mais est-ce quon peut agir sans se donner des objectifs et sans permettre aux observateurs que vous êtes de juger si on a atteint ces objectifs ou non. Non ! Ça, ce serait le flou comme vous diriez. Ça, ce serait agir dans le mou, comme vous auriez peut-être dit.
GUILLAUME DURAND
Le flou, le mou. Jai bien fait de me lever, ce matin !
MICHEL SAPIN
Donc, on agit de manière précise, de manière concrète mais tout en fixant des objectifs qui permettent que laction politique, laction publique soient jugées sur ces résultats et pas sur comment dirais-je des états dâme, des appréciations subjectives. Non ! Là ce sera sur les résultats et cette année, ce sera lannée des résultats.
GILLES LECLERC
Michel SAPIN, juste sur un point. Est-ce que louverture des magasins le dimanche ne serait pas un levier justement pour lemploi ? Vous avez lair très, très réticent.
MICHEL SAPIN
Oui, je suis réticent. Pourquoi ?
GILLES LECLERC
Une partie de votre majorité est pour.
MICHEL SAPIN
Oui, mais qui réagit au coup par coup, ce que je peux comprendre. Parce quen région parisienne, il y a une situation un peu particulière parce quil y a des magasins qui ont ouvert, parfois quon avait autorisé à ouvrir, et dont la fermeture aujourd'hui est prononcée par la justice. Cest incompréhensible pour tout le monde, les élus mais aussi les gens : « Ah ! Cétait ouvert mais cest fermé maintenant. Pourquoi ? Cest ouvert dun côté de la rue mais cest fermé de lautre ». Mais c'est le résultat de quoi, ça ?
GILLES LECLERC
Mais en temps de crise ?
MICHEL SAPIN
Oui, mais c'est le résultat de quoi ? C'est le résultat dune mauvaise législation, une législation tatillonne qui a été modifiée par petits coups comme ça, ce qui aboutit aujourd'hui à quelque chose dincompréhensible. Est-ce quil faut pour autant revenir sur le principe du dimanche qui est un jour où on ne travaille pas ? Non, je pense quil ne faut pas revenir sur ce principe. On peut adapter les choses, on doit discuter et dabord les partenaires sociaux eux-mêmes doivent discuter mais il faut maintenir un certain nombre de principes. Il faut maintenir aussi le fait que, voilà, le travail cest bien mais enfin se retrouver aussi un petit peu au calme, en famille, entre amis, pour avoir autre chose que le travail ça me paraît quand même indispensable, y compris à la productivité de chacun dentre nous.
GUILLAUME DURAND
Gilles va terminer sur laffaire du mariage pour tous. Je voudrais vous poser deux questions à caractère économique extrêmement simples. Dabord David ASSOULINE, le porte-parole du PS et hier dune certaine manière Harlem DÉSIR a dit : « Finalement, contrairement à MOSCOVICI, on ne peut pas enterrer lidée de légiférer sur le salaire des patrons ». Vous nous dites quoi ce matin ?
MICHEL SAPIN
Dabord, un premier constat.
GUILLAUME DURAND
Vous êtes MOSCO ou vous êtes ASSOULINE ?
MICHEL SAPIN
Il y a des salaires patronaux, surtout au cours de ces dernières années, qui sont montés à des niveaux absolument insupportables quand par ailleurs les mêmes patrons demandent globalement des efforts à lÉtat, à la société et souvent dailleurs à leurs propres salariés. Donc la régulation des salaires, des plus hauts salaires, est une nécessité en France comme elle est en train dailleurs de simposer dans dautres pays.
GUILLAUME DURAND
Et alors, on fait quoi ?
MICHEL SAPIN
À partir de là, il y a deux méthodes. Une première méthode qui est toujours meilleure : cest que les acteurs eux-mêmes sautorégulent. Cest cette méthode-là quaujourd'hui monsieur MOSCOVICI souhaite privilégier et je le comprends. Et puis il y a une deuxième méthode : c'est quand on constate que ça ne marche pas, cest la loi. C'est comme ça, la loi c'est la règle et à ce moment-là, la règle simpose à tous.
GUILLAUME DURAND
Donc vous allez attendre de savoir ce qui se passe.
MICHEL SAPIN
Je ne vais pas attendre de savoir ce qui se passe. Cest toujours la même chose, on a limpression quil faut attendre. Non ! Cest mettre une pression ça y est, c'est en cours, là une pression suffisante. Je comprends que du côté du MEDEF ou du côté de lassociation des grandes entreprises françaises, on veut agir, on veut avancer pour quil y ait une régulation réelle et nous regarderons précisément où ils en seront, mais pas dans trois ans ou en dix ans : où ils en seront dans quelques mois.
GUILLAUME DURAND
Deuxième point économique et après on conclut sur le mariage pour tous. Arnaud MONTEBOURG a lair assez mécontent du chantage, dit-il, qui est fait par les grands groupes sur le crédit dimpôt concernant justement leurs sous-traitants en leur disant : « Finalement, vous avez un crédit dimpôt donc cest très simple, baissez vos prix ».
MICHEL SAPIN
Cest toujours le risque du gros par rapport au petit. Je parle du gros dans le monde économique par rapport au petit.
GUILLAUME DURAND
Mais ce nest pas un effet pervers de ce que vous avez voulu ?
MICHEL SAPIN
Ce nest pas que ce soit pervers, mais ce serait toute autre mesure, elle aurait exactement la même conséquence. Le gros se dit : « Puisque le petit a un avantage, je vais essayer den profiter aussi ». La réponse est non. Le crédit impôt compétitivité emploi, il est fait pour chacune des entreprises. Les grosses, elles en toucheront plus par définition puisquelles sont plus grosses, et les petites pour rétablir leurs marges, pour leur permettre dinvestir, pour permettre de créer des emplois donc pas détranglement. Et si jamais il y avait des attitudes de cette nature, ceux qui voudraient étrangler les petits nous trouveront pour les contrer.
GUILLAUME DURAND
Gilles LECLERC, une question politique pour terminer.
GILLES LECLERC
Pour terminer en vingt secondes, quelles leçons politiques au fond vous tirez de la séquence mariage pour tous ? vis-à-vis des politiques en général ?
MICHEL SAPIN
Deux choses. Premièrement, le fait quil y a un gouvernement, un président de la République qui décide, qui respecte les opinions, qui respecte les convictions parce quon doit respecter les convictions de ceux qui ne partagent pas le principe même du mariage pour tous mais qui maintient, qui maintient jusquau bout et qui fait quune loi est adoptée, quune loi est conforme à la constitution et quune loi est promulguée. Il y a une rectitude, une volonté davancer dans le respect des convictions. Et de lautre côté, je constate simplement que la droite sest piégée elle-même dans ce débat sur le mariage pour tous. Au lieu dêtre du côté des convictions, ce qui était parfaitement respectable, ils se sont placés dans une situation où ils sont piégés, où ils sont pieds et mains liés entre les ultras, sous la pression de lextrême. Je ne sais pas si c'est lextrême droite ou lextrême religieux, mais ils sont tombés dans le piège que lextrême lui a créé.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 mai 2013